Déclaration de M. Hubert Falco, ministre délégué aux personnes âgées, sur le projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, au Sénat le 25 mai 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation du projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées au Sénat le 25 mai 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Après le drame de l'été dernier, le Sénat s'est mobilisé rapidement. Sa mission d'information a contribué à expliquer les causes de la catastrophe et ses propositions ont nourri la réflexion du gouvernement et le plan d'action qui a suivi.
Aujourd'hui, nous commençons la discussion du projet de loi de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées et je sais, là encore, que je peux faire confiance au Sénat pour améliorer ce texte.
L'unité vivante d'un peuple repose sur la solidarité entre ses générations. De l'enfance à l'âge avancé, chacune d'elles doit avoir sa place dans notre société. La considération qu'on marque aux personnes âgées est toujours à la mesure de l'attachement qu'on éprouve pour son pays et son histoire. Un pays fort de son passé et confiant dans son avenir est un pays qui se soucie de ses aînés.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la France doit accompagner cette grande révolution sociale qu'est le vieillissement. Elle doit le faire par une politique réaliste, responsable, fraternelle et pérenne.
Certains auraient souhaité le " tout en un ", la réforme absolue, celle qui résout tout tout de suite. Ils s'émeuvent notamment de l'urgence avec laquelle nous légiférons alors que le contour de la réforme de l'assurance maladie est en cours de discussion avec les partenaires sociaux. Mais attendre cette réforme, c'est se priver de tout financement supplémentaire pour cette année. Or je vous rappelle que, par exemple :
- sur 650 000 places en hébergement, seul un tiers des lits sont médicalisés à ce jour ;
- à domicile, nous avons une place de soins infirmiers pour 7 personnes de plus de 75 ans seulement ;
- enfin, nous manquons de places en accueil de jour et en hébergement temporaire pour les 800 000 personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'affections apparentées.
Face à une telle situation, comment pourrions-nous expliquer à nos concitoyens qu'il faut attendre encore un an pour obtenir des moyens indispensables au maintien de la dignité de nos aînés ?
" On ne fait pas de politique en dehors des réalités ", disait le général de Gaulle. Or, la réalité, quelle est-elle ? :
- une canicule en 2003 qui a révélé le retard accumulé dans la prise en charge des personnes âgées à domicile comme en établissement ;
- une France qui vieillit et des politiques publiques qui n'ont pas suivi le rythme de la révolution démographique en cours.
C'est en tenant compte de cette réalité pressante que nous avons agi.
Qu'avons-nous fait ?
Il nous fallait, tout à la fois, prendre acte de la révolution de la longévité et tirer les leçons de l'imprévision du drame de l'été 2003. C'est dans ce but que le Gouvernement a lancé, dès le mois de septembre dernier, l'élaboration concertée d'une réforme de solidarité pour les personnes dépendantes, qui a été annoncée le 6 novembre par le Premier ministre.
Cette réforme comporte deux volets : un plan " Vieillissement et solidarités ", dont je vais rappeler les principales avancées, et un volet " personnes handicapées " dont vous parlera Marie-Anne Montchamp.
I. Le plan " Vieillissement et solidarités "
Ce plan amplifie fortement la politique que nous avons mise en oeuvre depuis 2002. Il vise :
- à satisfaire les besoins de prise en charge nés du vieillissement démographique ;
- à répondre aux souhaits de vie des Français âgés ;
- à instaurer une véritable organisation gérontologique.
1) Son premier objectif est d'instaurer un système de veille, d'alerte et d'urgence pour prévenir et faire face aux événements climatiques.
Les effets physiologiques très rapides d'un pic de chaleur rendent nécessaire une anticipation météorologique efficace. Dans ce domaine, il est très vite trop tard. Prévoir et agir en amont est indispensable.
C'est pourquoi, sous notre impulsion, l'Institut de veille sanitaire (INVS) et Météo France ont signé un accord pour mettre en place un dispositif d'anticipation qui sera opérationnel le 1er juin. Il permettra de repérer à l'avance les situations météorologiques à risque sanitaire et de prévenir la population en fonction de plusieurs seuils d'alerte.
Un réseau de surveillance et d'intervention, en cours d'installation, remédiera au caractère parcellaire et disséminé des informations qui, l'été dernier, a tant retardé la prise de conscience du drame.
Enfin, pour garantir la rapidité d'action, une chaîne a été établie, qui va de la veille par les services météorologiques à l'alerte par l'Institut de veille sanitaire puis au déclenchement des opérations par le préfet et, enfin, à l'intervention des services sanitaires et sociaux auprès des personnes âgées et handicapées isolées recensées, à leur demande, dans chaque commune.
La prévention des effets de la canicule appelle également l'installation d'une pièce rafraîchie dans chaque établissement pour permettre aux personnes âgées de récupérer en restant au moins 3 heures par jour dans un lieu à température maîtrisée. Cette installation devra être achevée avant l'été. C'est pour nous une absolue priorité.
Pour aider les établissements à s'équiper, le Gouvernement apporte un concours financier important : tout établissement se voit garanti une prise en charge publique à hauteur de 40 % du coût de son équipement dans la limite d'un certain plafond (15 000 euros par tranches de 80 lits).
L'Etat a dégagé 40 millions d'euros pour financer cette aide. Bon nombre de départements se sont déjà engagés à accompagner financièrement cet effort. Cette Assemblée compte de nombreux Présidents de Conseils généraux. Je tiens à les remercier.
Je compte sur les élus de la Nation pour veiller à ce que les établissements de leur circonscription s'équipent au plus vite. Le Gouvernement a besoin de la mobilisation de tous.
2) Ce système de veille, d'alerte et d'urgence est accompagné d'un accroissement sans précédent des moyens de prise en charge et d'encadrement des personnes âgées. Ils s'élèvent à 4 milliards d'euros d'ici 2007.
- Le plan alloue 400 millions d'euros supplémentaires par an à l'allocation personnalisée d'autonomie.
- Il accélère la médicalisation des services à domicile et des établissements : 470 millions d'euros supplémentaires y sont consacrés en 2004. 2 000 conventions tripartites vont pouvoir être signées cette année, permettant de médicaliser 160 000 lits.
- Le plan crée également 10 000 places nouvelles en établissement d'ici 2007, soit l'équivalent de près de 150 maisons de retraite nouvelles.
- Enfin, 15 000 personnels soignants seront recrutés sur 4 ans en établissement, et 10 000 à domicile.
3) Cet effort financier est destiné à mieux répondre au choix de vie des Français âgés.
- Il entend, tout d'abord, permettre aux personnes âgées de conserver le plus longtemps possible leur mode de vie. La plupart d'entre elles souhaitent demeurer à leur domicile. Nous devons les y aider. C'est pourquoi nous créons 17 000 places dans les services de soins infirmiers à domicile, ainsi que 4 500 places d'hébergement temporaire et 8 500 places d'accueil de jour dédiées à la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'affections apparentées.
- Ce souci de satisfaire les choix de vie de chacun nous amène également à étoffer la palette des modes d'hébergement proposés afin d'offrir à nos concitoyens un choix varié qui réponde au mieux à leurs besoins et à leurs souhaits. Ainsi, pour éviter que la personne n'ait à choisir entre le " tout établissement " et le " tout domicile ", nous encourageons une formule intermédiaire : les petites unités de vie et les résidences intégrées, qui préservent l'intégration des personnes au coeur des villes et des villages.
4) Enfin, le plan prévoit la création d'une véritable organisation gérontologique, fondée sur la proximité et sur une meilleure articulation entre les secteurs sanitaire et social.
C'est dans le cadre général de ce plan et pour contribuer à sa mise en oeuvre effective que s'inscrit le projet de loi dont nous allons débattre.
II. Le projet de loi
Après la prestation spécifique dépendance et l'allocation personnalisée d'autonomie, qui ont constitué une étape significative dans la prise en charge sociale de la perte d'autonomie, le projet de loi que le Gouvernement vous soumet pose les bases institutionnelles d'une prise en charge globale du vieillissement dans notre pays.
C'est un texte fondateur car il envisage la question de la dépendance dans sa globalité, il lui attribue une ressource propre et pérenne et il crée un organisme spécifiquement dédié au financement de ce nouveau risque social.
Ce projet de loi a un double objet :
- il institue le plan d'alerte et d'urgence ;
- il accompagne cette véritable révolution sociale qu'est le vieillissement en renforçant et en organisant le financement de l'aide aux personnes en perte d'autonomie.
1) Le plan d'alerte et d'urgence vise à parer aux situations de risques exceptionnels.
Chaque département devra se doter d'un plan. Il sera préparé par le préfet et par le président du conseil général. Sa mise en oeuvre sera décidée par le représentant de l'Etat ; elle déclenchera le plan bleu dans les établissements - équivalent du plan blanc pour l'hôpital - et l'intervention des services sanitaires et sociaux auprès des personnes âgées ou handicapées isolées à domicile.
2) La deuxième partie du projet de loi vise à rattraper le retard accumulé dans la prise en charge de nos personnes âgées ou handicapées. Il renforce considérablement les moyens des politiques consacrées à la perte d'autonomie.
La mise en place de la PSD puis de l'APA et le plan de médicalisation avait amorcé une réponse collective. Mais, l'action engagée n'était pas suffisamment financée :
- d'une part, il manquait 1,2 milliard d'euros en 2003 pour financer l'APA ;
- d'autre part, au rythme du conventionnement réalisé entre 2000 et 2002, il aurait fallu de très nombreuses années pour renforcer correctement le taux d'encadrement en personnel soignant des maisons de retraite médicalisées. Je rappelle que 330 conventions seulement ont été signées en 2001 alors que 8 500 établissements sont concernés. C'est pourquoi nous avions déjà accéléré leur signature : 1100 conventions ont été conclues en 2002 dont 700 au second semestre ; 1000 l'année dernière.
Mesdames et messieurs les Sénateurs : une bonne intention sans financement pérenne n'engage à rien ; une attitude responsable impose des décisions réalistes fondées sur un budget garanti. C'est pourquoi ce projet de loi apporte les moyens nécessaires pour pérenniser les dispositifs antérieurs, les développer et accélérer leur mise en oeuvre.
La " journée " de solidarité
Ce financement est doublement innovant :
- au lieu de ponctionner un peu plus la richesse présente, ce qui nuirait à la croissance et au pouvoir d'achat, il est gagé par la création de richesses nouvelles, à travers une journée de travail supplémentaire dans l'année ;
- en outre, son affectation est garantie par son versement à une caisse spécifique.
L'idée de financer un plan d'action en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées par l'instauration d'une journée de solidarité n'est pas nouvelle. Elle a déjà été avancée par plusieurs associations et l'Allemagne la met en oeuvre avec succès depuis quelques années.
Cette idée a été soutenue par cent députés dans un appel, publié par le journal La Vie, le 26 juin 2003. La liste comprenait des parlementaires de toutes tendances politiques : la gauche n'était pas en reste puisque Messieurs Fabius, Ayrault, Terrasse, Bianco, Migaud, Le Drian et Madame Lebranchu notamment, faisaient partie des signataires.
Cette journée concrétise une des valeurs fondatrices de notre République : celle de la fraternité. Elle met en oeuvre une solidarité concrète, plus expressive que la solidarité comptable, fondée sur des transferts sociaux anonymes. Une telle solidarité s'imposait après le drame de l'été dernier.
Il ne s'agit pas, comme on a pu l'entendre ici ou là, d'un " jour sanction " : nos concitoyens ne sont pas des enfants que l'on punit mais des adultes soucieux de solidarité et prêts à en assumer la responsabilité.
Les Français veulent que nous agissions de façon responsable, c'est-à-dire en finançant les mesures que nous prenons, ce qui n'a pas toujours été fait. Ils veulent aussi qu'on ne porte pas atteinte au pouvoir d'achat et que l'on tienne compte de la situation dégradée de nos comptes sociaux.
Les Français sont généreux : ils se mobilisent chaque année par millions pour apporter leurs dons à la recherche médicale. Je suis convaincu qu'au fond d'eux-mêmes, nos concitoyens, dans leur très grande majorité, sont prêts à travailler une journée supplémentaire pour exprimer leur solidarité avec leurs aînés et avec les personnes handicapées.
Certains ont voulu voir dans cette mesure une tentative de mettre à bas la réduction du temps de travail. Mais de quel effort s'agit-il en réalité ? De 7 heures par an ! 7 heures, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, soit 4 % des 175 heures de réduction du temps de travail, et 0,4 % du temps de travail total. 4 %, 0,4 % : où est la remise en cause des 35 heures ? !
Cette journée de solidarité sera fixée librement et après concertation, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Ce n'est qu'à défaut de trouver une autre solution que le lundi de la Pentecôte sera travaillé.
Les salariés et les fonctionnaires donneront un peu de leur temps mais ne perdront aucun pouvoir d'achat, contrairement à ce qu'auraient entraîné les augmentations de cotisation salariale ou les suppléments d'impôts qu'appellent un peu trop facilement quelques-uns.
En contrepartie de cet effort des salariés, les employeurs publics et privés restitueront au profit de la solidarité nationale la valeur ajoutée produite par la journée supplémentaire de travail.
Cette restitution prendra la forme d'une contribution patronale dont le niveau a été estimé à 0,3 % des salaires et traitements.
La solidarité des Français sera, en outre, équitablement répartie : les salariés et les fonctionnaires y participeront ; les travailleurs indépendants et les agriculteurs aussi, qui s'acquitteront de la contribution dès lors qu'ils emploient au moins un salarié.
Enfin, cet effort ne reposera pas uniquement sur ceux qui travaillent puisque les revenus du capital seront redevables d'une participation de même montant, à l'exception des produits de l'épargne populaire. Les personnes âgées modestes ne seront donc pas touchées.
On ne peut donc aucunement prétendre que la contribution n'est pas équitablement répartie.
La " caisse " nationale de solidarité pour l'autonomie
L'affectation du montant collecté - près de 2 milliards d'euros chaque année - sera garantie grâce à son versement à une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et grâce à la transparence complète du dispositif.
Les Français doivent être certains du bien fondé de leur effort. Afin que la journée de solidarité corresponde bien à des actions en faveur des personnes dépendantes, son produit ne sera pas fondu dans le budget de l'Etat ou dans les comptes de la sécurité sociale, mais affecté à un organisme bien identifié. Et pour assurer sa transparence, celui-ci sera institué sous forme d'établissement public national à caractère administratif et ses organes de surveillance associeront les élus, des parlementaires, les partenaires sociaux et les représentants des milieux associatifs.
Des interrogations se sont néanmoins exprimées à l'égard de cet organisme, dont la dénomination de " caisse " a pu, en effet, induire en erreur sur les intentions du gouvernement. Ce terme marque notre volonté de mettre en place une politique forte et globale en faveur des personnes âgées. Il ne signifie nullement une quelconque dérive vers une Sécurité sociale à deux vitesses. Les personnes âgées continueront bien évidemment de relever de la Caisse nationale d'assurance maladie pour tout ce qui concerne leurs soins. Simplement, à cette prise en charge sanitaire, la nouvelle Caisse apportera une prestation nouvelle : la prise en charge de la dépendance.
Etant donné l'urgence dans laquelle nous devons légiférer, il va de soi que le présent projet de loi n'a pas pour objet de définir tous les contours de cette structure. Ses missions définitives seront arrêtées après concertation sur la base des orientations de la réforme de l'assurance maladie.
A quelles actions le budget de cette Caisse sera-t-il consacré ?
- Le premier objectif, comme je l'ai indiqué, est de pérenniser le financement complémentaire que nous avons instauré en 2003 pour sauvegarder l'allocation personnalisée d'autonomie : 400 millions d'euros s'ajouteront désormais chaque année au dixième de point de CSG déjà affecté au fonds de financement de l'APA. L'emprunt de même montant, contracté au titre de 2003, sera remboursé dès cette année, par anticipation. La Caisse sera ainsi en mesure de mettre un terme, de manière durable, à la grave impasse financière héritée du précédent gouvernement.
- Le deuxième objectif de la Caisse, c'est de financer le plan " Vieillissement et solidarités ", c'est-à-dire : la médicalisation des établissements, la modernisation des services d'aide à domicile, la création de places et le renforcement du personnel.
A compter de 2005, le champ d'action de la Caisse sera étendu à la perte d'autonomie résultant du handicap.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le projet de loi dont nous allons discuter a un objectif simple : remettre nos politiques publiques en phase avec notre démographie.
Il vous propose de consolider une répartition nouvelle des responsabilités entre les collectivités publiques. La réforme privilégie, en effet, un mode de gestion décentralisé, fondé sur la proximité et adossé à une organisation nationale garante de l'utilisation exclusive de la nouvelle ressource au bénéfice des personnes dépendantes. La nouvelle Caisse ne démembre nullement l'organisation actuelle de la sécurité sociale mais maintient son unité et préserve l'universalité de l'assurance maladie, en refusant toute prise en charge différenciée des soins aux personnes âgées.
Enfin, la réforme initie pour la première fois dans la protection sociale de notre pays une logique de prise en charge globale de la perte d'autonomie, qu'elle soit due à l'âge ou au handicap.
On peut toujours faire mieux et plus. Reconnaissons néanmoins que ce projet de loi constitue une véritable avancée face au défi du vieillissement.
Les circonstances tragiques qui en ont accéléré l'élaboration doivent nous rappeler la nécessité impérieuse d'anticiper les évolutions sociales et économiques de notre pays, fussent-elles taboues comme l'est encore le vieillissement.
Plutôt que de bercer les Français d'illusions, nous avons choisi un langage de vérité et de responsabilité. Nous demandons un effort, mais :
- c'est un effort responsable, car il n'ampute pas le pouvoir d'achat de nos concitoyens,
- c'est un effort juste, car il est équitablement réparti,
- et c'est un effort qui fait honneur aux Français, car il est généreux.
Je vous remercie de votre attention.



(source http://www.sante.gouv.fr, le 27 mai 2004)