Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la lutte contre l'effet de serre en France et en Europe, la responsabilité des pays industrialisés en la matière, la préparation de la conférence internationale sur les changements climatiques et la hausse des prix du pétrole, Lyon le 11 septembre 2000.

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Circonstance : Ouverture de la Conférence préparatoire sur les changements climatiques, à Lyon le 11 septembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Maire,
Monsieur le Président,
Madame la Commissaire européenne,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes aujourd'hui réunis autour d'un projet conçu, défendu, mis en uvre à l'échelle de l'humanité : celui de lutter contre les changements qui affectent dangereusement le climat de notre planète. Ce projet ambitieux, des femmes et des hommes le font vivre depuis plusieurs années maintenant. Ils contribuent, par une action patiente et déterminée, à lui donner corps. Nombre d'entre eux sont aujourd'hui dans cette salle. Notre reconnaissance va particulièrement aux membres du Secrétariat de la Convention et à son Secrétaire exécutif. L'engagement de tous est précieux et je tiens à le saluer.
Je veux vous remercier, Monsieur le Président, de l'hommage que vous venez de rendre à Jean RIPERT. Cet homme dont l'existence tout entière fut vouée à la défense de l'intérêt général joua un rôle décisif dans la préparation, la conduite et le dénouement de la Conférence de RIO. Ceux qui ont pris part à cette Conférence le savent : sa très longue pratique des Nations Unies, son intime compréhension des difficultés propres à chaque pays, en particulier aux plus pauvres d'entre eux, son intelligence de la négociation, l'énergie et la force de conviction dont il a fait preuve ont véritablement permis de conclure la Convention cadre sur les changements climatiques.
Cette action fut, au coeur de ses dernières responsabilités professionnelles, un engagement personnel, vécu et assumé avec passion.
Cet engagement reste aujourd'hui celui de la France.
Notre pays a souhaité accueillir vos travaux. Vous allez dans les jours qui viennent mettre en route la dernière et décisive séquence de négociations qui doit aboutir, dans quelques semaines, à la conclusion d'accords permettant de donner vie au Protocole de Kyoto. C'est pour marquer l'importance qu'elle accorde au processus qui débute aujourd'hui que la France a proposé de recevoir à Lyon cette Conférence. Je souhaite à cet égard remercier M. Raymond BARRE d'avoir répondu avec enthousiasme à la sollicitation du Gouvernement. Nous poserons ainsi ensemble à Lyon un jalon décisif du parcours qui nous conduira en novembre à La Haye.
Cet engagement, notre pays l'assume en Europe. Nous assurons actuellement la Présidence de l'Union Européenne. Dès la fin du mois de mars, et avec l'aide de la Présidence portugaise, nous avons proposé à nos partenaires une stratégie pour La Haye conciliant trois impératifs : le respect de la primauté environnementale du Protocole, le souci d'efficacité économique dans son application -souci auquel, nous le savons, nombre de pays sont très attentifs- et notre engagement solidaire avec les pays en développement pour qu'ils deviennent acteurs à part entière de cette Convention. Je me réjouis du travail approfondi effectué en ce sens par les Ministres européens de l'environnement.
Son engagement, notre pays l'a déjà traduit en actes. Le Gouvernement s'est attelé dès 1998 à l'élaboration d'un programme national, adopté au tout début de cette année. Ce programme vise à doter la France des moyens de remplir les obligations qui la concernent dans le cadre européen. Ainsi nous avons voulu donner une forte impulsion au développement des énergies renouvelables. Nous mettons en place une fiscalité favorable aux énergies nouvelles ainsi qu'un système de prix garantis complétant les achats actuels par appel d'offres. Nous sommes en train d'arrêter pour toutes les grandes infrastructures de transport des options respectueuses de l'environnement, en privilégiant en particulier le transport par le rail et le ferroutage. Dans les nouveaux contrats de plan signés entre l'Etat et les régions pour l'aménagement de notre territoire, les financements consacrés au rail ont été multipliés par dix, et pour la première fois, des contrats spécifiques ont été signés pour la maîtrise de l'énergie. Nous donnons ainsi une plus grande priorité à des modes de déplacement, de production et de consommation d'énergie permettant d'interrompre la croissance des émissions de gaz à effet de serre et d'amorcer leur décroissance. Notre pays sera non seulement à même d'assurer le respect du Protocole de Kyoto jusqu'à 2012, mais aussi de préparer les étapes suivantes de son application. Nous avons par ailleurs instauré une taxe générale sur les activités polluantes en contrepartie d'allégements de charges sociales visant à favoriser l'emploi. Une nouvelle étape de son développement va s'ouvrir en 2001.
Cet engagement, la France s'efforce de le faire partager. Notre pays milite pour une ratification rapide du Protocole de Kyoto. Le Parlement a d'ores et déjà voté la loi qui autorise le Gouvernement français à procéder à cette ratification, ce que notre pays fera conjointement avec l'Union Européenne et ses Etats membres. L'adoption de cette loi, voici quelques semaines, illustre notre volonté de favoriser le succès des négociations que nous engageons maintenant.
Car vous savez, nous savons aujourd'hui qu'il y a urgence.
La réalité du réchauffement de la Terre n'est plus contestée. A la veille de la Conférence de Rio, un vif débat s'est élevé à ce sujet entre les experts. La communauté scientifique s'est alors divisée. Ces temps sont révolus. Selon le rapport du groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat, le réchauffement de la Terre pourrait d'ici 2100 atteindre 1 à 3 degrés centigrades, peut-être même des valeurs plus importantes. Le niveau des mers devrait s'élever, selon les différents scénarios, de 15 à 95 centimètres. Des phénomènes extrêmes pourraient apparaître, comme des sécheresses plus intenses, des inondations plus brutales et un accroissement des précipitations. Des régions entières, principalement les régions côtières et les grands deltas seraient menacées. Les problèmes de santé imputables à la pollution, dont souffrent certains habitants des villes, pourraient dramatiquement s'aggraver.
Certes des interrogations subsistent sur la complexité des phénomènes climatiques et sur les conséquences physiques et géophysiques du réchauffement lié à nos types de civilisation. Nous avons par ailleurs tendance à interpréter toute modification sensible du climat comme une illustration immédiate du changement planétaire. Il nous faut être prudents, car nous ne disposons pas de modèles sûrs permettant d'expliquer les variations climatiques en courte période. Mais à long terme le rejet massif dans l'atmosphère des gaz à effet de serre induit sans doute possible une élévation de la température. Si nous savons qu'il ne sera pas possible de renverser cette évolution, il est en tout cas impérieux de la freiner en réduisant nos émissions.
Afin de bien cibler nos efforts, il est essentiel de mieux connaître les mécanismes du changement climatique. La France a ainsi consacré cette année un milliard de francs aux recherches sur le climat. En trois ans, notre pays a accru de 30 % son effort en ce domaine. Il nous faut au-delà prendre en compte les effets des modes de développement qui ont prévalu jusqu'ici pour les corriger. Selon que nous saurons ou non maîtriser ces évolutions, l'augmentation de la température moyenne du globe peut varier de deux degrés au moins. De ces deux degrés de plus ou de moins dépend la vie de collectivités humaines tout entières. De ces deux degrés de plus ou de moins peut dépendre un jour la survie des générations appelées à nous succéder. Il est donc de notre responsabilité collective de maîtriser ces émissions. Nous serons ainsi fidèles au principe de précaution que la communauté des Etats signataires de RIO a placé au cur de son action.
C'est pourquoi les négociations en cours revêtent une importance cruciale.
Je souhaite que cette conférence de Lyon permette de clarifier les points essentiels de la négociation de La Haye, au succès de laquelle l'Union européenne est particulièrement attachée. Pour réussir, il nous faut définir les conditions d'un effort véritablement collectif.
Dans cet effort collectif, les pays industrialisés doivent continuer d'assumer pleinement leurs responsabilités. L'engagement de réduction des émissions pris à Kyoto est, pour tous les pays, ambitieux. Il est indispensable si nous voulons garder une Terre accueillante. Pour les pays les plus riches, il s'agit en particulier de mettre effectivement en oeuvre sur leur territoire des politiques adaptées et des mesures sévères de maîtrise de l'énergie. Les exigences d'une concurrence parfois très vive sont trop souvent invoquées pour refuser des adaptations qui ont certes un coût mais qui généreront, à terme, des bénéfices économiques. C'est pourquoi des règles et des normes communes doivent être définies afin que l'ensemble de nos pays accepte, chacun à sa mesure, des modes de développement respectueux de l'environnement.
Cet effort collectif demandera à chacun volontarisme et persévérance. Quelles que soient les modalités des mécanismes de flexibilité que nous adopterons à La Haye -et la France, comme l'Union européenne, y est prête- nous ne devons pas oublier, conformément d'ailleurs au protocole de Kyoto et à l'esprit de la Convention, que les politiques internes des Etats sont les premiers leviers pour réduire émissions. Nos opinions publiques sauront d'ailleurs nous le rappeler, même dans les pays les plus enclins à laisser au seul jeu du marché la régulation de la pollution. A cet égard, la France souhaiterait que les organisations non-gouvernementales puissent participer aux instances de financement ou d'expertise du Protocole de Kyoto.
L'Union européenne considère que les mécanismes de flexibilité qui, s'ils sont maniés dans des cadres bien définis, ne sont pas laxistes mais au contraire incitatifs, ne peuvent être utilisés que pour la moitié au plus de la part respective des efforts de chaque Etat. De même, nous estimons que la prise en compte de ce qu'on appelle les puits de carbone doit être prudente, étant donné la complexité et l'incertitude de leur influence sur le changement climatique. Enfin la contrepartie de ces mécanismes de flexibilité doit être acceptée par les pays qui les pratiqueront : l'Union européenne est attachée à un régime de surveillance de leur fonctionnement qui témoignera de la volonté authentique des Etats de protéger l'environnement.
Cet effort collectif doit enfin être solidaire. Des politiques de coopération nouvelles doivent, selon le Protocole de Kyoto, être mises en place pour faire participer les pays en voie de développement à cette action globale. Les bénéfices de la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre sont importants non seulement pour les économies développées mais aussi pour les pays pauvres de la planète. Tous les modèles climatiques le démontrent : les effets les plus brutaux, les plus dévastateurs du réchauffement frapperont les populations les plus démunies qui vivent dans les deltas, les zones sèches et les régions semi-désertiques et qui dépendent souvent exclusivement du milieu naturel pour survivre. Aussi ces pays ne doivent pas céder à la tentation de reporter leurs efforts jusqu'au moment où ils jugeront que leur niveau de développement le leur permettra. C'est pourquoi il nous faudra adopter très rapidement les Mécanismes de Développement Propre, en privilégiant les projets et les technologies les plus efficaces et les plus utiles à un développement durable de ces pays. La France mettra tout en uvre pour ce faire. Les financements correspondants devront être trouvés. Ainsi nous sommes très attentifs aux projets qui pourront voir le jour grâce au Fonds sur l'environnement mondial dont notre pays a pris, avec l'Allemagne, l'initiative.
C'est ensemble que nous devons résoudre les difficultés d'une négociation qui est au cur du développement durable.
Nous devrons conjuguer les exigences sociales, les impératifs économiques et les aspirations écologiques qui fondent le développement durable.
Les pays industrialisés doivent ainsi se préparer à un profond changement des mentalités. On voit bien quelles difficultés ces pays rencontrent dans l'application du Protocole de Kyoto. Car son efficacité environnementale passe, nous le savons, par des transformations importantes dans les manières de consommer et de produire. Pour être acceptables, pour être acceptés par l'ensemble des populations, ces changements ne devront pas entraver le développement économique. C'est un des objectifs poursuivis par les mécanismes de flexibilité qui permettent d'accomplir ces réductions des émissions à des coûts plus faibles.
Les difficultés conjoncturelles ne doivent pas nous détourner du but que nous nous sommes fixés. La hausse des prix du pétrole frappe aujourd'hui les pays importateurs. Elle touche parfois durement certains secteurs. Mais ses conséquences sur l'activité économique des pays industrialisés sont heureusement plus faibles aujourd'hui que lors des précédents chocs pétroliers. Les efforts réalisés, notamment en France, pour réduire la part des énergies fossiles dans notre consommation d'énergie primaire portent ainsi leurs fruits. Les économies d'énergies fossiles constituent non seulement une contribution importante à la lutte contre l'effet de serre, mais encore une contribution majeure au maintien d'une croissance forte et durable. Cette situation doit donc nous inciter à accentuer -au niveau mondial- nos programmes en faveur des économies d'énergie et de la promotion des énergies alternatives. Pour la France, et à la suggestion de Madame Dominique VOYNET, je souhaite que soit mis sur pied avant la fin de cette année un Plan d'économies d'énergie qui touche l'ensemble des secteurs d'activité.
Les mesures conjoncturelles que mon Gouvernement vient de prendre pour 2000 et 2001 afin d'atténuer les effets de la hausse des prix du pétrole sur les entreprises et les ménages ne remettent pas en cause notre programme de lutte contre l'effet de serre. L'objectif de la taxation des produits pétroliers est aussi de faire en sorte que le prix acquitté par les utilisateurs prenne en compte le coût pour la collectivité de la consommation des énergies fossiles. Une évolution maîtrisée et programmée des prix est en même temps préférable pour l'activité économique et la meilleure façon d'inciter durablement aux économies d'énergie. Des fluctuations fortes à la hausse et à la baisse telles que nous les connaissons depuis deux ans en raison des variations des prix du pétrole sont nuisibles à la fois à cet objectif d'incitation aux économies d'énergie et à l'activité économique.
Il nous faut enfin définir les termes d'une répartition équitable des charges. Cela vaut pour les difficultés que nous connaissons aujourd'hui. Les fortes fluctuations des cours du pétrole, de 10 dollars le baril début 1999 à près de 35 dollars ces derniers jours sont néfastes à moyen terme aux pays importateurs bien sûr, mais aussi aux pays producteurs. Le cours de cette matière première est un paramètre essentiel de très nombreuses décisions économiques. Un prix trop élevé peut entraîner l'ouverture de sites de production insuffisamment rentables qu'il faudrait fermer lors d'une nouvelle baisse des cours. Un prix trop bas dissuade à l'inverse les consommateurs de s'engager dans d'indispensables économies d'énergie. L'incertitude qui affecte ce prix est ainsi préjudiciable à l'investissement, à la croissance et bien sûr à la préservation de l'environnement. Il est donc souhaitable qu'une meilleure concertation internationale s'organise afin d'en limiter les fluctuations. Le dialogue entre pays consommateurs et pays producteurs doit pour cela être relancé et approfondi.
Plus durablement, la lutte contre le changement climatique est aussi une lutte contre les inégalités qui traversent l'économie de la planète. Le coût des mesures à prendre doit être équitablement réparti selon les richesses et le niveau de revenu des pays. Il faut en outre garantir à chacun des droits égaux sur ce bien commun que constitue l'atmosphère. Cette recherche de l'équité dans l'allocation des biens communs aux peuples du Monde est inédite. Elle va à l'encontre de siècles d'Histoire durant lesquels la guerre, la domination, les rapports de force ont réglé l'appropriation des ressources rares. C'est en affirmant cet impératif de justice que nous parviendrons au consensus nécessaire pour mener à bien le processus de Kyoto.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Votre conférence est décisive pour le succès de la 6ème session de la Convention sur les changements climatiques. Depuis la Conférence de RIO, la communauté internationale se mobilise autour des conséquences écologiques, économiques et sociales de l'effet de serre. Chaque groupe de pays a dans cette lutte des responsabilités spécifiques. L'urgence est réelle, et nous devons ensemble, avec lucidité et générosité, trouver les moyens de protéger notre planète des dérives climatiques tout en réaffirmant notre volonté, en cette année du Millénaire que célèbre l'Organisation des Nations Unies, d'améliorer le sort de tous ses habitants.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 septembre 2000)