Entretien de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, avec "Radio J", le 10 septembre 2000, sur le programme de la Présidence française de l'Union européenne, la faiblesse de l'Euro, la levée des sanctions contre l'Autriche, les otages français aux Philippines et le processus de paix au Proche-Orient.

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Média : Radio J

Texte intégral

Q - Justement, vous êtes en pleine campagne municipale, déjà, mais il y a aussi la Présidence française de l'Union européenne. Arrivez-vous à faire les deux ? Etes-vous un peu confiant sur l'issue de la Présidence quant à la Conférence intergouvernementale ? On a l'impression que cela ne bouge pas beaucoup.
R - Oui, j'arrive à faire les deux. Par ailleurs, je suis confiant sur les résultats de la Présidence française et de la Conférence intergouvernementale pour une raison simple : je crois que cette réforme des institutions européennes ne peut pas être évitée. Je crois que si on ne réforme pas l'Union européenne, à ce moment-là, le grand projet qui est le nôtre, l'élargissement, devient extrêmement compliqué à mettre en uvre et on le voit à travers un certain nombre de sujets dont on a parlé : la monnaie, les transports etc. S'il n'y a pas de réforme des institutions européennes, si cela continue à marcher mal, alors l'idée européenne elle-même va reculer et donc cette réforme est impérative. Je dirais qu'elle est vitale. Je pense que quand on est confronté à un impératif de cette nature-là, on finit par trouver une solution. Donc, oui, je pense qu'au final, nous y arriverons.
Q - C'est-à-dire en décembre ?
R - En décembre, bien sûr. Chacun perçoit que cette Présidence française est un peu le moment ou jamais. Beaucoup d'espoirs, beaucoup d'attentes sont portés vers nous, car nous sommes un grand pays et que l'on nous prête la capacité à résoudre les problèmes. Je pense que l'on a raison. En même temps, dans la négociation au jour le jour, je constate que c'est extrêmement difficile. Hubert Védrine et moi n'arrêtons pas de le répéter. La négociation ne s'est pas nouée, nos partenaires n'arrêtent pas de répéter les mêmes positions et il va falloir avancer, faire des concessions, consentir à de vraies réformes. Car ce que nous voulons, c'est une vraie réforme, je le précise. Nous ne voulons pas d'une CIG, d'un traité au rabais. Nous voulons un vrai bon traité à Nice, "a nice treaty in Nice" comme disent nos collègues français.
Q - Pensez-vous arriver à quelque chose par rapport à l'euro qui est faible actuellement ? On dit que c'est dû au fait qu'il n'y a pas vraiment de pouvoir politique dans la gestion de l'euro.
R - Je pense que l'euro est une monnaie qui, encore une fois, ne doit pas rester faible, que c'est une monnaie qui va s'affirmer et qu'elle s'affirmera d'autant plus qu'il y a une collaboration efficace entre les gouvernants et la Banque centrale européenne. Ce qui commence à se développer.
Q - On parle beaucoup d'une levée des sanctions. Y êtes-vous favorable ?
R - Revenons un instant en arrière. Il y a un rapport qui vient d'être déposer, donné au président de la République, dit "des Sages". Que dit ce rapport ? Il dit que les sanctions ont eu une utilité, qu'elles ont soulevé un véritable problème. Ce rapport dit aussi que les sanctions deviennent maintenant contre-productives, notamment parce qu'elles créent des appétits nationalistes en Autriche, et peut-être ailleurs. Il dit aussi que le gouvernement autrichien n'a pas commis de violations par rapport aux Droits de l'Homme, ce qui, je crois, est vrai. En même temps, il souligne - peut-être aurait il pu le faire davantage, je parle à titre personnel - la nature perverse, ou en tout cas néfaste, du parti de M. Haider, le FPÖ. C'est avec cela que nous allons devoir faire, tout en ajoutant qu'il faut une certaine vigilance. Il m'est difficile de répondre sur le fond pour une raison simple : ce n'est pas une attitude française que je souhaite, c'est une attitude commune. Les Quatorze ont pris des mesures contre l'Autriche. Il faut que l'on ait une attitude commune par rapport à l'Autriche, parce que, ce qui serait le pire c'est qu'on dise : les uns font comme si, les autres font comme ça. Cela voudrait dire que les Autrichiens auraient réussi à diviser les Européens.
Q - Donc, attitude commune, même si c'est la levée des sanctions ?
R - Absolument. Que ce soit maintien des mesures, ou que ce soit levée des sanctions, il faut que l'attitude soit commune. Donc, nous sommes en train, en tant que Présidence de l'Union européenne, de consulter nos treize partenaires qui ont pris les mesures. Dans les deux jours qui viennent, dimanche et lundi, il faut que nous ayons une attitude commune.
Q - Votre position personnelle c'est quoi ?
R - Franchement, là je suis en responsabilité. On peut deviner ce que seraient mes positions personnelles. Je pense, en toute hypothèse, que quelle que soit la décision prise, il ne faut pas laisser penser que c'est un succès pour le gouvernement autrichien et pour la coalition. Il faut continuer à trouver des moyens pour manifester une vigilance, une forme de refus par rapport à cette situation. Le pire serait qu'on se dise que ce genre de situation devient une situation banale pour l'Union européenne. Donc, je souhaite que l'on trouve une solution qui permette de ne pas banaliser ce type de situation.
Q - Vous venez d'annoncer que les sanctions allaient être levées.
R - Pas du tout. Je viens de vous dire que nous consultons. Je ne vous dis pas non plus qu'elles ne seront pas levées.
Il faut comprendre la réalité des choses : premièrement, nous sommes en train de consulter, deuxièmement, il y a un contexte qui est celui de ce rapport des sages ; et troisièmement, il faut trouver, en toute hypothèse, des solutions qui ne nous permettent pas de banaliser ce qui continue à être un mal.
Q - Y a-t-il une cohérence française là-dessus ? Autrement dit, en avez-vous discuté avec le président de la République ?
R - Oui. Tout à l'heure, on parlait de certains sujets qui sont des sujets de politique intérieure. Mais en même temps, la cohabitation est une situation que nous assumons et qui doit permettre à la France de parler d'une seule voix. Et notamment en matière européenne, nous parlons d'une seule voix.
Q - Vous l'avez vérifié ?
R - Bien sûr. Il y a des contacts téléphoniques constants, il y a des réunions qui se tiennent entre les collaborateurs du Premier ministre, du président de la République, d'Hubert Védrine, de moi-même. C'est une attitude parfaitement commune qui sera adoptée. Pour l'instant, comprenez aussi que nous avons besoin de savoir ce que les autres pensent. Simplement, pour répondre à votre question, honnêtement, on peut avoir la sensation que, dans certaines capitales, la tentation de lever les sanctions existent. Nous ne sommes pas seuls.
Q- On a parlé de l'Europe institutionnelle. Dans l'Europe de la vie quotidienne, on a l'impression qu'il n'y a pas encore de concertation. Cela a l'air encore de se démontrer par rapport aux otages de Jolo où là encore chaque pays a semblé jouer sa propre partition avec ses propres otages sans vision et sans concertation globale...
R - Ce genre de choses a pu exister. En même temps, nous avons fait l'effort, notamment avec nos amis allemands, tout à fait concernés, pour adopter une position commune, à tel point d'ailleurs qu'Hubert Védrine et Joschka Fischer se sont rendus ensemble aux Philippines. Mais ce que je veux dire surtout c'est que nous sommes satisfaits de la libération de certains otages français, mais que nous continuons d'espérer et même de compter sur le fait que ceux qui restent otages, je pense aux journalistes de France 2, soient libérés rapidement.
Q - Dans cette affaire, qui a donné plus d'argent, les Allemands ou les Français ?
R - Vous croyez vraiment que c'est le sujet qui doit nous préoccuper maintenant ?
Q - Cela peut nous intéresser ? Apparemment, il y a eu de l'argent versé dans la mesure où les preneurs d'otages et ces groupes se tirent dessus pour se partager la rançon.
R - Je pense qu'il faut se concentrer sur la libération des otages qui restent.
Q - Et sur la remise en scène du président Khadafi ?
R - Sur la libération des otages qui restent...
Q - Parlons un peu du Proche-Orient. On s'attend à un report de la proclamation de l'Etat palestinien. Est-ce une bonne chose selon vous ?
R - J'ai été amené à conduire un débat au Parlement européen à Strasbourg mardi. Je crois que l'Union européenne a pris à Berlin déjà des positions sur ce sujet-là et on sait qu'elle n'est pas hostile, au contraire, à la proclamation d'un Etat palestinien, le moment venu. Simplement, il est préférable que cet Etat palestinien, dont aujourd'hui personne ne conteste la viabilité un jour, soit proclamé, donc se mette en place sur fond de paix globale au Proche-Orient. Donc, si le report signifie que l'on se donne des chances supplémentaires pour parvenir à la paix - paix que nous sentons plus accessible que jamais, même si en même temps la situation est toujours très tendue - c'est une bonne chose, oui. Je souhaite que l'on couple la proclamation de l'Etat palestinien avec une paix globale au Proche-Orient qui satisfasse toutes les parties. Et c'est ce pourquoi nous militons et nous agissons.
Q - Vous croyez donc à l'avenir de la paix et donc à l'avenir politique de Barak en Israël ?
R - Ce n'est pas nécessairement synonyme. Cela peut aller ensemble. Je connais bien Ehud Barak. C'est un leader que j'apprécie hautement. J'espère qu'il sera l'homme qui fera la paix. En même temps, je crois aujourd'hui que nous avons des opportunités de paix historiques et que personne ne doit les laisser passer.
(source http://www.diplomatie.gou.fr, le 13 septembre 2000)