Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, à Europe 1 le 1er septembre 2004, sur les relations entre le gouvernement et le MEDEF, le débat sur les 35 heures et la décision de baisser l'impôt sur les sociétés.

Prononcé le 1er septembre 2004

Intervenant(s) : 

Circonstance : Université d'été du MEDEF à Jouy-en-Josas (Yvelines) du 30 août au 1er septembre 2004

Média : Europe 1

Texte intégral

Q-Ce matin, nous allons parler de la vie des entreprises. Vous êtes réunis à Jouy-en-Josas pour plusieurs jours avec les universités d'été du Medef et les entreprises venues de toute la France. Quel est le moral des chefs d'entreprises aujourd'hui ? Sont-ils plutôt contents, plutôt mécontents ? On vous avait vu un peu agacé en début de semaine : vous avez dit à J.-P. Raffarin, en gros, que le compte n'y était pas et que vous n'étiez pas très satisfaits du Gouvernement ?
R - "C'est l'occasion, en effet. A chaque rentrée, notre université réunit environ 3.000 entrepreneurs venus de la France entière, du terrain, des PME. Ce sont des entreprises de petite et moyenne taille, et donc c'est pour nous une vraie occasion, en effet, de sentir le climat, de ce que l'on appelle la rentrée. Alors il y a incontestablement, du fait d'une croissance qui s'affirme, sur le plan de l'activité, un relatif optimisme. En réalité, il y a aussi une véritable tension par le fait que les entrepreneurs de terrain disent qu'il y a eu un nouveau gouvernement qui est venu, une alternance et que pour eux, rien n'a changé : on a toujours les 35 heures, on a toujours le même code du travail avec toutes ses rigueurs, tous ses obstacles et on a toujours les mêmes prélèvements. Et donc, au fond, ils demandent à quoi nous servons, nous, le Medef, si nous ne sommes en réalité en complicité trop forte avec un gouvernement... Voilà le terrain."
Q-Et vous dites à J.-P. Raffarin : "A quoi cela sert d'avoir un gouvernement de droite, libéral, si vous n'appliquez pas une politique de droite libérale" ?
R - "Non, mais on dit - c'est pour cela qu'on a pris ce thème de "Ça tourne ?" - que quelles que soient les approches politiques, il faut que dans l'entreprise, on sente que l'on peut travailler mieux, travailler plus facilement, donc faire bien entendu plus d'embauches, plus d'emploi, plus de croissance, prendre plus de commandes. Et toutes les rigueurs auxquelles les entrepreneurs sont toujours soumis, apparaissent en cette rentrée, en effet, comme insupportables. On demande donc avec beaucoup de force au Gouvernement - bien entendu, nous connaissons ses intentions -, de sortir des rapports, des groupes de travail, des délais, et de rentrer maintenant concrètement dans la décision."
Q-Justement, à propos de décision, on apprend ce matin que la surtaxe Juppé, qui concerne l'impôt sur les sociétés - qui était de 10 % en 1995 et a été ramenée à 3 % par le gouvernement Jospin -, pourrait être supprimée dans le prochain budget, ce qui représente à peu près 900 millions d'euros de facilités financières accordées aux entreprises. Cela va dans le bon sens, cela vous satisfait quand même ?
R - "Oui, bien sûr, et on prend cela comme un geste, en effet, favorable aux entreprises. Mais tout le monde comprend que le Gouvernement, en réalité, s'est décidé à ne pas accorder aux entreprises les baisses de charges auxquelles il s'était engagé par la loi. D'ailleurs, les arbitrages n'ont pas été dans ce sens là, et c'est une autre mesure qui, dans son esprit, compense, en quelque sorte, la baisse des charges auxquelles on n'a pas procédé. Mais pour l'entreprise, ce n'est pas la même chose. Dans un cas, on renchérit l'heure de travail par l'augmentation démesurée du Smic - 17 % en trois ans -, bien entendue favorable pour les salariés, et tant mieux, mais très difficile à vivre pour l'entreprise qui, elle, a des coûts et a des coûts à respecter. Donc c'est une mesure que l'on appelle de compensation, mais qui pour l'entreprise ne remplace pas celle à laquelle nous avions en quelque sorte droit et que l'on ne nous donne pas."
Q-C'est-à-dire que vous expliquez qu'au fond, cette mesure sur l'impôt bénéficie plutôt aux grandes entreprises qui feront des bénéfices, plutôt qu'aux petites qui ont des employés ?
R - "Elle bénéficiera, en effet, à ceux qui feront des bénéfices. L'entreprise est faite pour faire des bénéfices, et donc c'est normal que l'on baisse le taux, encore une fois, de l'I.S.. Nous sommes à des niveaux qui sont supérieurs à la moyenne européenne, donc nous apprécions ce geste"
Q-C'est vrai que la France fait partie des pays qui paient le plus l'I.S.
R - "Oui, on se rapproche de la moyenne européenne, c'est une bonne initiative. Et puis c'était une surtaxe provisoire, qui devait durer un ou deux ans, et il y a huit ans qu'elle est en place. Donc, si vous voulez, c'est quelque chose que l'on fait, c'est une mesure précise, qui va dans le bon sens, mais encore une fois, ce dont il s'agit, c'est de la compétitivité de l'entreprise française et de renchérir le coût de l'heure de travail. C'est quelque chose qui va dans le mauvais sens, et ça, les entrepreneurs de terrain, les PME, encore une fois Vous savez, il y a 700.000 entreprises au Medef, une petite partie se trouve là, nous représentons l'entreprise de terrain, la petite"
Q-Revenons aux 35 heures. Est-ce que toutes les entreprises sont mal à l'aise avec les 35 heures ou bien est-ce qu'il y en a certaines, notamment les plus grandes, qui disent que maintenant que l'on a intégré le système, on gère l'affaire et on s'en sort ? Qui est le plus revendicatif sur les 35 heures ?
R - "Ecoutez, il y a de tout, il y a des grandes entreprises, il y a des petites, qui ont mis en place les 35 heures, qui vivent avec"
Q-Et qui s'en sortent très bien
R - "Et qui peuvent s'en sortir très bien. Tant mieux, parfait. Et puis il y en a d'innombrables qui disent que pour elles, ce sont des contraintes, et des contraintes difficiles à vivre. Il y a beaucoup de salariés qui, comme d'ailleurs la majorité de l'opinion française aujourd'hui, disent qu'il faut changer la loi des 35 heures. Ce que nous demandons, nous Medef, ce n'est pas l'abrogation de la loi : c'est de pouvoir, dans l'entreprise, dans l'équipe, le projet d'entreprise, entre salariés, par le contrat, convenir de quelque chose entre soi sur la manière dont on travaille. Et puis si on n'arrive pas à convenir de quelque chose, alors que la loi s'applique. Mais il faut rendre la liberté aux entreprises, aux 700.000 entreprises du Medef et aux 2 millions d'entreprises françaises, de convenir avec leurs salariés, à leur avantage. Encore une fois, il s'agit de donner la contrepartie à plus de travail s'il y a plus de travail."
Q-Mais justement, sur les heures supplémentaires, est-ce qu'il faut qu'il y ait les mêmes heures supplémentaires payées dans toutes les entreprises ou est-ce que le Medef souhaite que dans chaque entreprise, on ait des niveaux d'heures supplémentaires payés différemment ?
R - "Si vous voulez, on ne voit pas du tout pourquoi on décrète, pour 15 millions de salariés, un taux de l'heure supplémentaire. Il y a des entreprises dans lesquelles on est très pressé de faire quelque chose d'urgent, et on va payer, je ne sais pas, moi, 40 % de plus pour le faire, et le faire vite. Il n'y a pas de raison. Ce taux, c'est une manière de faire qui est finie"
Q-Oui, mais on peut imaginer qu'il y ait des entreprises qui disent que l'heure supplémentaire est payée que 15 % de plus, parce que l'on n'a pas les moyens de faire plus
R - "Mais il y a des entreprises dans lesquelles on peut dire à ses salariés : voilà une commande, je ne peux la prendre que si vous travaillez avec 15 % de plus à l'heure supplémentaire, sans quoi je ne peux pas la prendre et je ne fais pas d'heures supplémentaires. C'est normal qu'on en discute dans l'entreprise. Encore une fois, généraliser, dans la France entière, pour toutes les entreprises, un taux Pourquoi d'ailleurs 25 ? Pourquoi pas 23 ou 27, qui en décide ? Laissez chaque entreprise libre de négocier avec ses salariés, à leur avantage !"
Q-Si je vous comprends bien, cela veut dire qu'au niveau de l'entreprise, on peut rediscuter de tous les thèmes du code du travail, que ce soit le temps de travail, le niveau salarial, qu'il n'y a pas de sujet tabou, qu'aucun secteur du code du travail ne serait totalement protégé ?
R - "Il y a un code du travail, et bien entendu il faut qu'il existe, mais il faut donner à l'entreprise la liberté de négocier par le contrat, avec ses salariés, la manière dont on travaille, surtout dans l'entreprise petite et moyenne dans laquelle vous avez 30, 40, 50 salariés. On connaît très bien le patron, on sait très bien de quoi il s'agit, on connaît les clients, on connaît les produits. Il faut donc pouvoir négocier dans l'entreprise pour faire ensemble, mieux, plus de pouvoir d'achat et surtout assurer sa survie."
Q-Mais, quelle est la liberté de manuvre du salarié, à qui le patron dit : "C'est ça ou je mets la clef sous la porte" ?
R - "Non, mais attendez, [] il y a deux entreprises en France qui ont eu une attitude de demander à leurs salariés un sacrifice en échange de commandes"
Q-En l'occurrence, c'est Bosch et Doux
R - "Ecoutez, pas de nom L'une pour passer de 32 à 35 heures - de 32 à 35 heures ?! Quel scandale ?! Et l'autre, pour dire : "Si je veux l'investissement de ma multinationale en France, il faut que je vous demande, en effet, quelque chose" et tous les salariés ont finalement convenu que c'était d'accord. Donc vous voyez qu'en entreprises, on résout les problèmes et c'est ce que nous voulons."
Q-On a parlé de chantage : le mot vous choque ?
R - "Le mot est un véritable scandale. Que l'on utilise le même terme pour l'atroce comportement d'assassins potentiels en Irak - et d'ailleurs, le Medef a été unanime, bien entendu, à se mettre avec la communauté nationale dans cette affaire, bien sûr -, alors que l'on fait une proposition pour sauver des emplois dans un cas et que l'on menace de mort dans l'autre ! On a fait aux universités d'été toute une conférence sur les mots : voilà un mot dangereux et qui est inapplicable au comportement des entrepreneurs ! Il les scandalise !"
Q-On sait que N. Sarkozy, selon toute vraisemblance, devrait quitter le ministère de l'Economie et des Finances s'il prend la tête de l'UMP. Quel est le profil d'un bon ministre de l'Economie ?
R- "C'est quelqu'un qui comprend, bien entendu, les enjeux majeurs. Et les enjeux majeurs sont la croissance et l'emploi. Et cela passe par l'entreprise."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 septembre 2004)