Texte intégral
Q - La campagne européenne ne semble décidément pas intéresser grand monde. Comment l'expliquez-vous ?
R - Tout a été fait, pensé, organisé pour qu'il n'y ait pas de débat. Et ce, alors que le destin de la France n'a jamais autant dépendu de l'Europe. Demandez à Nicolas Sarkozy ce qu'il en pense, lui qui va chaque semaine soumettre ses décisions aux commissaires de Bruxelles !
D'abord, le mode de scrutin des élections a été conçu pour les rendre illisibles ; ensuite, les sujets qui fâchent, à commencer par la Constitution européenne et l'adhésion programmée de la Turquie, ont été évacués alors même que, le 18 juin, le Conseil européen va entériner le projet Giscard et que, le 1er octobre, la Commission rendra publique sa recommandation en faveur de l'adhésion turque Enfin, quand l'UMP et le PS se sont aperçus que, malgré tous leurs efforts, l'Europe revenait par la fenêtre dans le débat -les menaces sur Alstom, la fin du moratoire sur les OGM - ils se sont accordés pour placer, au cur de la vie civique, l'affaire du mariage homosexuelle ! Je ne comprends d'ailleurs pas, soit dit en passant, ce qu'on attend pour révoquer le maire de Bègles
Q - Vous vous présentez pour la troisième fois aux élections européennes pour défendre l'Europe des Etats. Et malgré vos succès de 1994 et 1999, l'Europe fédérale n'a cessé de progresser au fil des traités N'êtes-vous pas bien seul en face de ce rouleau compresseur ?
R - C'est tout le contraire ! Nous avons, pour la première fois depuis quarante ans, une occasion historique devant nous : celle de l'élargissement.
La Constitution Giscard, c'est le dernier assaut du passé, une ultime tentative pour figer le temps, pour imposer l'Europe du 20e siècle, celle des blocs et des fédérations centralisées, contre celle du 21e, qui sera nécessairement respectueuse des différences, c'est-à-dire des souverainetés.
Avec plus de 450 millions d'habitant et vingt-cinq Etats, trente bientôt, qui peut croire un instant que l'Europe peut continuer à fonctionner comme elle le faisait à six, à douze ou même à quinze ?
L'Europe que M.Giscard d'Estaing nous propose de couler dans le marbre de sa Constitution, c'est une Europe née sous Staline et qui a pris sa vitesse de croisière sous Khrouchtchev et Brejnev, quand le mot d'ordre était, à l'Est comme à l'Ouest : " Souveraineté limitée " ! Et nous devrions, comme si les faits n'avaient pas eu raison des utopies, poursuivre sur la voie de l'autoritarisme administratif et de la folie normative ?
Par sa diversité même, la nouvelle Europe va balayer les archaïsmes dont nous souffrons. Nous devons absolument en profiter pour remettre le système à l'endroit.
A Strasbourg, pour la première fois, vont siéger des forces politiques neuves, qui auront en commun le souvenir de l'Europe pénitentiaire d'autrefois, et l'espoir de voir naître une Europe qui unisse sans anéantir, une Europe respectueuse des peuples et porteuse de deux valeurs de la modernité politique : la proximité et la souplesse.
D'un côté, donc, l'Europe du 20e siècle, celle de Bruxelles, qui détruit notre agriculture, nous impose les OGM et n'a que le mot sanction à la bouche ; de l'autre, l'Europe du 21e siècle, celle que j'ai toujours défendue et que, justement, je ne suis plus seul à défendre : celle d'Ariane, d'Airbus, du Cern, de l'accord de Malaga sur la sécurité maritime, bref la seule qui puisse fonctionner dans l'intérêt des 450 millions d'Européens qui veulent coopérer sans faire leurs libertés.
Q - L'UMP reproche à l'UDF comme à vous-même de vouloir faire bande à part à Strasbourg, au lieu de faire en sorte que tous les députés de droite se réunissent dans un même groupe et défendent ainsi plus efficacement les intérêts de la France
R - Les intérêts de la France ? Mais qui a accepté le triple décrochage de l'influence française que nous subissons aujourd'hui dans les trois instances de décision européenne que sont la Commission, le Conseil et le Parlement? Qui a accepté que la France n'ait plus qu'un seul commissaire à éclipse sur quinze dans le cadre de la Constitution ? Qui a accepté que nous ne pesions plus que 13 % des voix au Conseil contre 18 % à l'Allemagne ? Qui a accepté que la France n'ait plus que 72 députés européens contre 99 pour les Allemands ?
Et qui a dit aux Français qu'au moment où l'UMP se prononçait contre l'entrée de la Turquie, ses députés au Parlement européen votaient comme un seul homme à Strasbourg le rapport Brok instituant la langue turque comme l'une des vingt langues officielles de l'Union européenne ?
Qui leur a dit qu'au moment où il était de bon ton de se féliciter de notre droit de veto à l'Onu, les mêmes députés UMP votaient le rapport Laschet proposant de remplacer le siège de membre permanent de la France au Conseil de sécurité par un siège unique accordé à l'Union européenne ?
Qui a dit aux Français qu'au moment où le gouvernement annonçait la constitutionnalisation d'une charte de l'environnement, les députés UMP votaient, à Strasbourg, les pleins pouvoirs à la Commission sur le dossier des OGM ?
Q - Vous venez d'être reçu à Matignon par Jean-Pierre Raffarin.
Vous lui avez dit tout cela ?
R - Non seulement je le lui ai dit, mais je lui ai remis un rapport détaillé sur les délocalisations et les dangers que fait courir à l'industrie européenne le dogmatisme commercial de la Commission, qui refuse de se battre avec les mêmes armes que ses concurrents. Je lui ai parlé aussi de la contradiction qu'il y avait à nous faire entrer, avec nos 35 heures, dans une Europe élargie à des pays qui en travaillent cinquante !
Q - Et que vous a-t-il répondu ?
R - L'entretien a été à la fois amical et direct. Il a reconnu qu'il y avait, dans la majorité présidentielle, deux conceptions de l'Europe : l'une fédérale, la sienne, qui est celle de l'UMP et l'UDF ; et l'autre que j'incarne et qu'il m'a dit respecter. Il a souhaité que le débat existe, mais ne conduise pas à des affrontements irréparables après le scrutin.
Q - Vous l'avez senti prêt à envisager une recomposition de la droite autour de ces deux pôles ?
R - Jean-Pierre Raffarin est un réaliste. Il m'a écouté plus qu'attentivement quand je lui ai dit qu'à mon sens, le vote Villiers compterait double : s'agissant de l'Europe, bien sûr, où nos positions ne sont guère conciliables, mais s'agissant aussi de l'avenir de la droite, à laquelle je propose un nouveau cap. Ce cap, c'est la fidélité aux engagements de la majorité élue en 2002, et c'est aussi la volonté de faire respecter le vote de tous les électeurs qui ont rejeté le socialisme. Après les européennes, il n'y aura plus d'élection nationale jusqu'à celles de 2007, présidentielle et législatives. Celles-ci seront perdues si la droite ne retrouve pas son courage. Et le courage commande de plus se laisser intimider par la gauche politique et syndicale la plus archaïque du monde : il nous faut donc, par exemple, abroger les 35 heures obligatoires, et oser investir les six cents cités " interdites " à la police et livrées sans contrôle au communautarisme.
Qu'on soit pour l'Europe fédérale ou pour l'Europe des Etats, les réalités intérieures sont les mêmes : ce n'est pas en travaillant moins que la France se redressera. Ce n'est pas en restant paralysée que la majorité gardera la confiance de ses électeurs.
(Source http://www.villiers2004.com, le 17 septembre 2004)
R - Tout a été fait, pensé, organisé pour qu'il n'y ait pas de débat. Et ce, alors que le destin de la France n'a jamais autant dépendu de l'Europe. Demandez à Nicolas Sarkozy ce qu'il en pense, lui qui va chaque semaine soumettre ses décisions aux commissaires de Bruxelles !
D'abord, le mode de scrutin des élections a été conçu pour les rendre illisibles ; ensuite, les sujets qui fâchent, à commencer par la Constitution européenne et l'adhésion programmée de la Turquie, ont été évacués alors même que, le 18 juin, le Conseil européen va entériner le projet Giscard et que, le 1er octobre, la Commission rendra publique sa recommandation en faveur de l'adhésion turque Enfin, quand l'UMP et le PS se sont aperçus que, malgré tous leurs efforts, l'Europe revenait par la fenêtre dans le débat -les menaces sur Alstom, la fin du moratoire sur les OGM - ils se sont accordés pour placer, au cur de la vie civique, l'affaire du mariage homosexuelle ! Je ne comprends d'ailleurs pas, soit dit en passant, ce qu'on attend pour révoquer le maire de Bègles
Q - Vous vous présentez pour la troisième fois aux élections européennes pour défendre l'Europe des Etats. Et malgré vos succès de 1994 et 1999, l'Europe fédérale n'a cessé de progresser au fil des traités N'êtes-vous pas bien seul en face de ce rouleau compresseur ?
R - C'est tout le contraire ! Nous avons, pour la première fois depuis quarante ans, une occasion historique devant nous : celle de l'élargissement.
La Constitution Giscard, c'est le dernier assaut du passé, une ultime tentative pour figer le temps, pour imposer l'Europe du 20e siècle, celle des blocs et des fédérations centralisées, contre celle du 21e, qui sera nécessairement respectueuse des différences, c'est-à-dire des souverainetés.
Avec plus de 450 millions d'habitant et vingt-cinq Etats, trente bientôt, qui peut croire un instant que l'Europe peut continuer à fonctionner comme elle le faisait à six, à douze ou même à quinze ?
L'Europe que M.Giscard d'Estaing nous propose de couler dans le marbre de sa Constitution, c'est une Europe née sous Staline et qui a pris sa vitesse de croisière sous Khrouchtchev et Brejnev, quand le mot d'ordre était, à l'Est comme à l'Ouest : " Souveraineté limitée " ! Et nous devrions, comme si les faits n'avaient pas eu raison des utopies, poursuivre sur la voie de l'autoritarisme administratif et de la folie normative ?
Par sa diversité même, la nouvelle Europe va balayer les archaïsmes dont nous souffrons. Nous devons absolument en profiter pour remettre le système à l'endroit.
A Strasbourg, pour la première fois, vont siéger des forces politiques neuves, qui auront en commun le souvenir de l'Europe pénitentiaire d'autrefois, et l'espoir de voir naître une Europe qui unisse sans anéantir, une Europe respectueuse des peuples et porteuse de deux valeurs de la modernité politique : la proximité et la souplesse.
D'un côté, donc, l'Europe du 20e siècle, celle de Bruxelles, qui détruit notre agriculture, nous impose les OGM et n'a que le mot sanction à la bouche ; de l'autre, l'Europe du 21e siècle, celle que j'ai toujours défendue et que, justement, je ne suis plus seul à défendre : celle d'Ariane, d'Airbus, du Cern, de l'accord de Malaga sur la sécurité maritime, bref la seule qui puisse fonctionner dans l'intérêt des 450 millions d'Européens qui veulent coopérer sans faire leurs libertés.
Q - L'UMP reproche à l'UDF comme à vous-même de vouloir faire bande à part à Strasbourg, au lieu de faire en sorte que tous les députés de droite se réunissent dans un même groupe et défendent ainsi plus efficacement les intérêts de la France
R - Les intérêts de la France ? Mais qui a accepté le triple décrochage de l'influence française que nous subissons aujourd'hui dans les trois instances de décision européenne que sont la Commission, le Conseil et le Parlement? Qui a accepté que la France n'ait plus qu'un seul commissaire à éclipse sur quinze dans le cadre de la Constitution ? Qui a accepté que nous ne pesions plus que 13 % des voix au Conseil contre 18 % à l'Allemagne ? Qui a accepté que la France n'ait plus que 72 députés européens contre 99 pour les Allemands ?
Et qui a dit aux Français qu'au moment où l'UMP se prononçait contre l'entrée de la Turquie, ses députés au Parlement européen votaient comme un seul homme à Strasbourg le rapport Brok instituant la langue turque comme l'une des vingt langues officielles de l'Union européenne ?
Qui leur a dit qu'au moment où il était de bon ton de se féliciter de notre droit de veto à l'Onu, les mêmes députés UMP votaient le rapport Laschet proposant de remplacer le siège de membre permanent de la France au Conseil de sécurité par un siège unique accordé à l'Union européenne ?
Qui a dit aux Français qu'au moment où le gouvernement annonçait la constitutionnalisation d'une charte de l'environnement, les députés UMP votaient, à Strasbourg, les pleins pouvoirs à la Commission sur le dossier des OGM ?
Q - Vous venez d'être reçu à Matignon par Jean-Pierre Raffarin.
Vous lui avez dit tout cela ?
R - Non seulement je le lui ai dit, mais je lui ai remis un rapport détaillé sur les délocalisations et les dangers que fait courir à l'industrie européenne le dogmatisme commercial de la Commission, qui refuse de se battre avec les mêmes armes que ses concurrents. Je lui ai parlé aussi de la contradiction qu'il y avait à nous faire entrer, avec nos 35 heures, dans une Europe élargie à des pays qui en travaillent cinquante !
Q - Et que vous a-t-il répondu ?
R - L'entretien a été à la fois amical et direct. Il a reconnu qu'il y avait, dans la majorité présidentielle, deux conceptions de l'Europe : l'une fédérale, la sienne, qui est celle de l'UMP et l'UDF ; et l'autre que j'incarne et qu'il m'a dit respecter. Il a souhaité que le débat existe, mais ne conduise pas à des affrontements irréparables après le scrutin.
Q - Vous l'avez senti prêt à envisager une recomposition de la droite autour de ces deux pôles ?
R - Jean-Pierre Raffarin est un réaliste. Il m'a écouté plus qu'attentivement quand je lui ai dit qu'à mon sens, le vote Villiers compterait double : s'agissant de l'Europe, bien sûr, où nos positions ne sont guère conciliables, mais s'agissant aussi de l'avenir de la droite, à laquelle je propose un nouveau cap. Ce cap, c'est la fidélité aux engagements de la majorité élue en 2002, et c'est aussi la volonté de faire respecter le vote de tous les électeurs qui ont rejeté le socialisme. Après les européennes, il n'y aura plus d'élection nationale jusqu'à celles de 2007, présidentielle et législatives. Celles-ci seront perdues si la droite ne retrouve pas son courage. Et le courage commande de plus se laisser intimider par la gauche politique et syndicale la plus archaïque du monde : il nous faut donc, par exemple, abroger les 35 heures obligatoires, et oser investir les six cents cités " interdites " à la police et livrées sans contrôle au communautarisme.
Qu'on soit pour l'Europe fédérale ou pour l'Europe des Etats, les réalités intérieures sont les mêmes : ce n'est pas en travaillant moins que la France se redressera. Ce n'est pas en restant paralysée que la majorité gardera la confiance de ses électeurs.
(Source http://www.villiers2004.com, le 17 septembre 2004)