Interview de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à France 2 le 25 octobre 2004, sur la démission de 260 élus de la Creuse, inquiets de la fermeture de services publics, le rapport de M. Camdessus sur une nouvelle croissance de la France et sur la rémunération des fonctionnaires.

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Q- 260 élus de la Creuse, dont 28 maires, viennent de démissionner pour protester contre la disparition des services publics - les bureaux de poste, les collèges, les Trésoreries. Qu'avez-vous à leur répondre ?
R- Dans notre pays, il y a eu des évolutions importantes. A l'heure actuelle, près de 80 % des Français vivent dans des zones urbanisées. Il n'y a plus que 20 % des Français qui sont dans les départements ruraux...
Q- Cela veut-il dire qu'ils n'ont plus le droit d'avoir...
R- Justement, un certain nombre de services publics ont vu le nombre des usagers qui les fréquentent, ou de clients qui viennent chez eux, par exemple, La Poste, diminuer très fortement. Et donc, il faut se réorganiser pour maintenir le même service, avec la même qualité, mais sous une autre forme. Dans ma circonscription, dans l'Aisne, c'est très rural, on va fermer chez moi trois Trésoreries. A l'heure actuelle, dans ces toute petites Trésoreries, où il y a trois ou quatre agents, il n'y a presque pas plus d'une demi-journée de visite de l'extérieur des élus locaux. Donc, on va s'organiser autrement, c'est-à-dire, qu'on va assurer une permanence, mais en revanche, ces agents, on va les mettre au chef-lieu d'arrondissement où ils sont beaucoup plus efficaces. Parce qu'aujourd'hui, nous avons besoin également de moderniser nos services publics.
Q- Et dans le cas précis de la Creuse, vous allez regarder ce qui s'y passe ?
R- J'ai proposé au Premier ministre que l'on puisse développer le concept de "maisons du service public" où l'on n'aurait pas un endroit avec un seul service public mais un endroit où il y aurait plusieurs services publics qui pourraient faire une offre successive. Par exemple, le lundi, ça pourrait être tel service public, le mardi un autre, de façon à ce que l'Etat reste présent dans ces territoires ruraux où, bien souvent, il est nécessaire, il est dans le paysage, et où il répond à un besoin très fort des élus.
Q- Ces démissions interviennent au moment où il y a de grosses inquiétudes pour l'emploi dans les services publics, et notamment un rapport, le rapport Camdessus pour "une nouvelle croissance en France", qui est un peu le bréviaire du libéralisme, le livre de chevet de N. Sarkozy - c'est lui qui l'a dit. Et dans ce rapport, il est prôné le remplacement seulement d'un fonctionnaire sur deux, c'est-à-dire que 40 000 postes seraient supprimés chaque année.
R- Le rapport Camdessus, ce n'est pas le bréviaire du libéralisme, ce sont des faits objectifs. Alors, on peut nier les faits, c'est toujours possible, cela conduit droit dans le mur. Ce rapport dit des choses très simples. Il dit que, premièrement, nous sommes endettés, c'est-à-dire, que chaque année, il faut rembourser la dette - l'année prochaine on va rembourser 1,3 milliards d'euros de plus pour nos créanciers ; il dit que les pensionnés de l'Etat augmentent - cette année, je vais devoir, en tant qu'employeur Etat, payer beaucoup plus de fonctionnaires absents, de fonctionnaires partis à la retraite, ceux-là il faut les payer - ; il dit que notre déficit, nous devons le contenir ; il dit que les impôts de l'Etat, nous devons également les maîtriser. Voilà ce qu'il dit, c'est très simple. Ce n'est pas libéral...
Q- Et donc, à l'arrivée, il faut réduire...
R- Quand les gens disent quelque chose de vrai, "ah ! c'est horrible, c'est libéral !". Non, c'est justement des évidences, et il propose des solutions. Parce que pour les années qui viennent, ou bien c'est la paupérisation des fonctionnaires, c'est-à-dire, que leur pouvoir d'achat va se réduire, il va être attaqué, et moi je ne veux pas cela, je veux que les fonctionnaires français soient bien payés, correctement payés et motivés par les rémunérations. Ou bien, dit-il, il faut faire des gains de productivité, comme dans toute organisation, et il propose un chiffre de 2 % de gain de productivité, ce qui se traduit effectivement par un flux d'embauches annuelles de 40 000 par an, c'est-à-dire que l'Etat va embaucher 40 000 personnes par an...
Q- Contre 80 000 départs en retraite.
R- Alors qu'il y en a 80 000 qui partent en retraite.
Q- Donc, en gros, c'est effectivement la logique dans laquelle vous vous inscrivez ?
R- C'est effectivement, à peu près, bien entendu. Mais il faut faire cela de façon intelligente, c'est-à-dire que, là où le facteur humain est le facteur clé, on ne va pas appliquer cette règle de 1 sur 2, ce serait absurde, parce que l'on veut que le service public reste de grande qualité. En revanche, dans les coulisses de l'Etat, ce que l'on appelle "le back office", là, on va faire des gains de productivité. Savez-vous que l'administration électronique, par exemple, il y a beaucoup de Français qui télé déclarent leurs revenus aujourd'hui, cela n'existait pas il y a deux ou trois ans, cela permet de faire des économies de plusieurs milliers d'emplois. Donc, grâce à des formules intelligentes de recherche de productivité, nous allons pouvoir réduire les effectifs dans ce qui est le cur de l'Etat, et ce que les Français d'ailleurs ne voient pas, parce que la plupart du temps ils ne savent pas comment cela se passe derrière, et en revanche, on va pouvoir redéployer nos moyens pour rendre un meilleur service là où on a besoin de gens.
Q- Avec un ordre de grandeur également, effectivement, de, en gros, 40 000 par an.
R- - C'est ce qu'il faudrait faire si nous ne voulons pas aller droit dans le mur.
Q- Alors, vous parliez de pouvoir d'achat. Vous rencontrerez, lundi prochain, les syndicats de fonctionnaires. Vous savez qu'ils ont eu seulement 1,5 % d'augmentation générale cette année, qu'il n'y a rien eu l'an dernier ; ils estiment qu'ils ont perdu 5 % de pouvoir d'achat en cinq ans. Avez-vous des "munitions", j'allais dire ?
R- D'abord, il faut faire attention aux chiffres, parce que le revenu des fonctionnaires dépend de trois choses : ce que l'on appelle "le catégoriel", c'est-à-dire, vous avez des primes, à l'Intérieur, au ministère des Finances, etc. Ce sont des primes, et cette année, elles augmentent de 400 millions d'euros, c'est très important. Deuxièmement, vous avez ce que l'on appelle "le GVT" - c'est un peu technique, mais l'avancement à l'ancienneté -, et puis, vous avez le point dont vous parlez, mais le point n'est qu'un élément de la rémunération. Et si l'on fait...
Q- Oui mais pour ceux qui ne sont ni dans les catégories qui ont été augmentées, et qui n'ont pas d'ancienneté...
R- Vous voyez, vous aviez dit "tous les fonctionnaires" et puis maintenant vous dites seulement une partie, donc vous avez un peu évolué, ce qui prouve qu'un peu de pédagogie, cela fait du bien. Pour la moyenne des fonctionnaires, les revenus, le pouvoir d'achat, ce qui est au bas de la feuille de paye, cela a augmenté de 3 % en 2004 et de 4% en 2003. Plus que l'inflation. En revanche, et moi je le constate comme les syndicats de fonctionnaires, le point indiciaire, qui est un élément de cette rémunération, lui, a effectivement baissé en pouvoir d'achat ces dernières années. Et d'ailleurs pas depuis que nous sommes arrivés en 2002 mais bien avant sous le gouvernement Jospin. Donc, c'est un problème préoccupant pour ceux qui ne bénéficient pas du catégoriel ou du GVT, et nous allons en discuter avec les partenaires sociaux.
Q- On dit que dans le budget 2005, il n'y a rien de prévu pour les augmentations de fonctionnaires ?
R- Dans le budget 2005, il y a 400 millions d'euros, je vous l'ai dit...
Q- Je parle d'augmentation générale.
R- ...pour les primes, donc cela, il ne faut pas l'oublier puisque c'est quand même de l'argent...
Q- Oui, oui, mais pour les augmentations générales ?
R- ...Et il n'y a à l'heure actuelle aucune provision faite pour le point indiciaire. Et vous savez, c'est toujours comme cela que ça se passe. C'est-à-dire que, quand il y a des négociations, on n'annonce pas avant le résultat des négociations. Donc, dans le budget, il n'y a pas d'annonce pour le point indiciaire. On va voir les conditions dans lesquelles aujourd'hui les fonctionnaires voient leur pouvoir d'achat augmenter ou au contraire stagner. Et je suis très attentif à cette question parce que je veux des fonctionnaires qui soient motivés par des espérances de pouvoir d'achat.
Q- Un mot de politique ; selon le dernier sondage Ifop-JDD, J.-P. Raffarin est au plus bas de la popularité depuis qu'il est arrivé, 29 %. N'y a-t-il pas un problème ?
R- Je crois que ce qui est important, ce n'est pas tellement les indices de popularité dans les sondages.
Q- Mais quand même, alors que la croissance est revenue.
R- Ce qui est important, ce sont les résultats de notre action. Et je pense que les Français attendent des résultats, notamment sur le front de l'emploi. Parce que l'emploi c'est la première préoccupation des Français. D'ailleurs...
Q-Et pour l'instant il n'y en a pas beaucoup...
R- ...le rapport Camdessus donne d'assez bonnes solutions pour ce qui concerne l'emploi, et montre bien que notre pays devrait diminuer par deux son taux de chômage et que c'est possible, à condition que l'on réforme. Si on ne faire rien, c'est sûr que l'on va...
R- Oui, vous parlez de réformes, mais en attendant, tous les jours, ce que l'on voit ce sont des reculades sur le licenciement de compétitivité, sur les pensions de réversion... Sur l'emploi, il se passe un peu la même chose qu'aux Etats-Unis, où ils ont eu la croissance, le PIB qui augmentait, et puis, six à neuf mois après l'emploi qui a commencé à redémarrer. Pourquoi ? Parce que les entreprises qui, en France, ne licencient pas en 24 heures - quand on licencie c'est un événement grave dans une entreprises -, eh bien lorsqu'il y a une baisse de l'activité, elles gardent leurs salariés et ils travaillent un peu moins ces salariés parce qu'il y a moins d'activité. Et puis quand ça repart, les entreprises refont travailler ces salariés, et elles n'embauchent que lorsque vraiment il y a un surplus d'activités très important qui les conduit à augmenter leurs effectifs. Donc, je pense que nous sommes au démarrage d'une reprise de l'emploi, et on le voit, c'est très important, dans les très petites entreprises. Vient de tomber un chiffre ce matin sur les très petites entreprises - les TPE - qui, ces derniers mois, ont commencé à nouveau à embaucher. Vous savez que les TPE c'est souvent par elles que commence la reprise de l'emploi.
Q- D'un mot, il y a des difficultés dans les relations entre la majorité, l'UMP et le Gouvernement. Quand N. Sarkozy sera président de l'UMP, cela ne risque-t-il pas de devenir... ?
R- Je crois que nous sommes tous dans la même barque, nous avons tous un intérêt commun qui est de réussir ce quinquennat. Et je suis convaincu que l'union l'emportera sur les divisions qui, parfois, peuvent se développer.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 octobre 2004)