Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la politique de recherche de l'Union européenne, notamment les efforts en faveur de son financement et de la mobilité des chercheurs et le développement de grands programmes scientifiques, à Paris le 9 juillet 2004.

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Circonstance : Colloque du CNRS "Europe de la recherche : horizon 2010", à Paris le 9 juillet 2004

Texte intégral

Monsieur le Directeur général,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de commencer mon propos par une note de tristesse, tristesse pour la récente disparition de Gérard Mégie. Je me souviens avec émotion de la récente remise des médailles d'or du CNRS en sa compagnie J'ai beaucoup apprécié, vous le savez, cet homme de dialogue, toujours présent, toujours constructif et courageux.
"Europe de la recherche : horizon 2010". Je voudrais, en introduction à cette journée, que nous ayons tous à l'esprit cette phrase : "L'Union européenne promeut le progrès scientifique et technique". Cette phrase, nous venons le 18 juin de l'inscrire dans notre projet de Constitution, à son article 3. C'est une étape symbolique, je crois, dans la reconnaissance du rôle de la science, de la recherche, et des valeurs scientifiques dans la construction européenne. A présent, il s'agit de définir ensemble quel contenu nous devons donner à cet objectif. Le moment est donc particulièrement bien choisi pour débattre de l'avenir de l'Europe de la recherche. Je remercie vivement le CNRS et son directeur général de nous donner cette occasion, et je suis particulièrement heureuse de vous voir aujourd'hui nombreux pour en débattre.
Je souhaite vous dire quelques mots justement de cette Constitution européenne que je citais à l'instant. Je suis convaincue qu'elle marque à la fois un tournant et un succès pour l'Europe.
La Constitution définit désormais une Europe politique. C'est-à-dire avant tout une Europe incarnée par des hommes : un président du Conseil européen, un ministre des Affaires étrangères. C'est aussi une Europe dotée d'un Parlement qui accède, avec le Traité constitutionnel, à la majorité politique. Il est désormais l'égal du Conseil. La co-décision concerne désormais la quasi-totalité des textes adoptés par l'Union. L'Europe aura une identité plus forte, en réaffirmant clairement les valeurs qui réunissent ses peuples. L'Europe politique sera aussi une Europe plus transparente, plus proche des citoyens. C'est essentiel, je crois, pour que l'Europe soit mieux comprise, que ses actions et ses projets soient mieux acceptés par tous.
L'Europe a échappé à la paralysie. Les modes de décision du Traité de Nice n'étaient pas à la hauteur de l'Europe des Vingt-cinq. Je crois que nous sommes parvenus aujourd'hui à un bon équilibre des pouvoirs dans un schéma compréhensible par tous : nous avons un Conseil européen qui donne les grandes orientations, à la manière du président de la République dans notre pays. Nous avons une Commission qui propose et exécute. Nous avons enfin un Conseil des ministres et un Parlement qui sont les législateurs de l'Union. Nous avons obtenu en particulier ce que ni le Traité d'Amsterdam ni celui de Nice n'avait permis : une Commission resserrée à partir de 2014, comptant moins de Commissaires que d'Etats membres. C'est un résultat essentiel, qui répond à notre souci d'une Commission efficace et légitime. La réforme des modalités de vote au Conseil permet également de sortir du système de Nice, peu efficace et peu équitable. C'était une réforme indispensable après l'élargissement, qui rend compte de façon beaucoup plus équitable du poids des grands Etats membres comme la France.
Enfin, la Constitution nous permet d'aborder avec confiance l'élargissement qui vient d'avoir lieu le 1er mai, ainsi que les futurs élargissements de l'Union. Avec le dernier élargissement, l'Europe a accédé à la dimension continentale qui est sa dimension naturelle. Je tiens d'ailleurs à saluer tout particulièrement ceux d'entre vous qui font partie des nouveaux membres de l'Union, ou de ses futurs Etats membres. Vous le savez, pour que le dessein européen s'accomplisse tout à fait, l'élargissement va se poursuivre. Le Conseil européen a réaffirmé l'échéance de 2007 pour l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie si les négociations se déroulent comme prévu. Il a par ailleurs décidé l'ouverture en 2005 des négociations avec la Croatie.
La Constitution est donc pour tous les décideurs politiques, économiques, pour les directeurs d'établissements universitaires ou de recherche que sont beaucoup d'entre vous, un grand succès. C'est en effet la garantie d'une Europe plus efficace, à même de concrétiser ses priorités politiques.
S'agissant des politiques menées par l'Union, je crois qu'il faut se réjouir de la consécration que la Constitution apporte à la politique de recherche. L'article 13 du titre premier affirme ainsi désormais : "dans les domaines de la recherche, du développement technologique et de l'espace, l'Union dispose d'une compétence pour mener des actions, notamment pour définir et mettre en oeuvre des programmes, sans que l'exercice de cette compétence puisse avoir pour effet d'empêcher les Etats membres d'exercer la leur."
Ce texte donne à la politique de recherche de l'Union un fondement plus large que les articles actuels des traités. Vous aurez noté, bien sûr, qu'une compétence nouvelle est introduite en faveur de la politique spatiale. Je crois pouvoir affirmer que j'en porte un part de responsabilité, et je suis à cet égard particulièrement satisfaite du résultat de la Constitution.
La recherche, la science, et la technologie ont donc toute leur place dans notre future Constitution. Je crois que cela marque une réelle prise de conscience à la fois de l'enjeu de la politique de recherche et de sa dimension nécessairement européenne.
L'enjeu a été énoncé à Lisbonne en 2000. L'Europe a alors décidé de devenir d'ici 2010 "l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde". Le rôle de la connaissance, de l'innovation, de l'avance scientifique et technique pour la compétitivité européenne est désormais bien compris. Nous savons d'ailleurs que c'est l'un des facteurs d'explication du retard de croissance de l'Europe sur les Etats-Unis. Nous savons également que c'est l'un des déterminants à moyen terme de notre capacité à affronter la concurrence mondiale, notamment celle des pays émergents : l'Europe doit parier sur l'avance technologique, sur sa capacité à développer et à diffuser avant les autres des techniques nouvelles. C'est un enjeu aussi pour le maintien en Europe d'une industrie innovante.
Au regard de ces enjeux, l'investissement dans la recherche est encore insuffisant en Europe. Il représentait en 2002 environ 2 % du PIB de l'Union contre 2,8 % aux Etats-Unis et plus de 3 % au Japon. Nous devons mobiliser tous les leviers - ressources publiques et privées - pour atteindre l'objectif que l'Union européenne s'est fixée : 3 % de notre PIB consacré à la recherche. Le budget de l'Union européenne, les instruments financiers comme la Banque européenne d'investissements (BEI), peuvent à cet égard aider l'Europe à se rapprocher de l'objectif. Vous le savez, la France ne souhaite pas une dérive financière d'ensemble du budget de l'Union européenne, qui ferait peser une trop grande tension sur nos finances publiques. Mais il faut examiner comment l'Union pourrait accomplir un effort accru en faveur de la recherche, qui s'élève actuellement à un peu plus de 4 % des dépenses communautaires.
Pour atteindre cet objectif, il est également indispensable de s'appuyer sur un effort accru du secteur privé, par des mécanismes tels que le crédit impôt recherche. La France travaille sur ce sujet très activement avec la Commission européenne, afin qu'aucune insécurité juridique ne puisse différer les décisions d'investissement dans les activités de recherche des entreprises françaises.
La dimension européenne de la recherche est également de mieux en mieux perçue. L'échelle de la recherche, en 2004, est moins que jamais limitée à un Etat. La construction de l'espace européen de la recherche est une nécessité absolue pour nous maintenir au meilleur niveau mondial. Des initiatives ont déjà permis d'avancer significativement :
. le PCRD favorise les collaborations, les rapprochements, la structuration des équipes de recherche à l'échelle européenne. C'est une dimension qui doit être encore renforcée dans le 7ème PCRD, sur la base de critères d'excellence scientifique.
. les efforts en faveur de la mobilité des chercheurs sont essentiels : les bourses Marie Curie ont notamment rencontré un vif succès et permis le développement de véritables carrières scientifiques européennes. Dernièrement, le lancement du réseau européen des centres de mobilité, qui apportera aux chercheurs une assistance personnalisée sur les aspects pratiques de leur mobilité, est une initiative européenne extrêmement importante. Il faut redoubler d'effort sur ce sujet. Il est également indispensable d'attirer en Europe plus de chercheurs des pays tiers : la Commission européenne a présenté des projets de directive et des recommandations qui seront discutés dans les prochains mois, et auxquels la France sera très attentive.
. enfin, le rôle joué par nos chercheurs dans le domaine de la fusion nucléaire - je pense notamment au projet ITER -, les succès de l'Europe spatiale, les projets d'envergure comme le récent projet EPICA qui a permis l'analyse climatique de 740 000 années, ou encore la collaboration d'équipes de recherche européennes contre le cancer sont autant d'exemples de ce qui est rendu possible par l'Europe de la recherche.
2004 et 2005 marqueront des étapes essentielles pour consolider et renforcer l'Europe de la recherche :
Les perspectives financières pour la période 2007-2013, doivent être adoptées en 2005. Par ce document, l'Union fixera ses moyens budgétaires et leur affectation aux différentes politiques communes : politique agricole, politique de cohésion notamment avec les nouveaux Etats membres, politiques internes A cette occasion sera fixée également la part de son budget que l'Union européenne consacre à la recherche, qui est en 2004 de 4,3 % du budget communautaire - 4,3 milliards d'euros sur un budget total de 99,5 milliards.
La stratégie de compétitivité de l'Union, la "stratégie de Lisbonne", sera revue en 2005 afin de mieux adapter les objectifs et les instruments. Il s'agira notamment d'être plus concret dans les mesures proposées. La société de la connaissance, l'investissement dans la recherche seront évidemment au coeur de la réflexion. Nous réfléchissons aussi au sein du gouvernement au développement des pôles de compétitivité européens, qui associent dans un même lieu centres de recherche, établissements de formation, grandes et petites entreprises. Ces pôles permettent d'attendre une taille critique pour mobiliser des ressources rares et coûteuses, développer des savoir-faire complémentaires, créer des synergies. En permettant d'atteindre le meilleur niveau mondial de compétences technologiques, ces pôles de compétitivité permettront d'assurer le maintien d'un tissu industriel en Europe.
Le 7ème PCRD sera adopté pour la période 2007 - 2013. Les autorités françaises - le ministère délégué à la Recherche en particulier - sont en train d'examiner les premières orientations proposées par la Commission européenne dans une récente communication. S'il est trop tôt pour se prononcer précisément, il est clair que le 7ème PCRD devra renforcer encore l'excellence de la recherche européenne - notamment en définissant des priorités thématiques stratégiques -, insister sur la mobilité, et prévoir un assouplissement des charges administratives qui sont notamment un frein à l'accès des PME aux financements.
Le programme spatial européen, qui sera adopté début 2005, comportera un volet recherche essentiel. Nous avons en effet besoin que l'Union européenne s'investisse dans le spatial, qu'elle y consacre un budget à la hauteur de nos talents et de nos ambitions dans ce domaine. J'y serai, vous le savez, personnellement attentive.
Pour conclure, je souhaiterais vous dire combien, si vous comptez à juste titre sur l'Europe pour servir la recherche, réciproquement l'Europe compte sur vous pour avancer. Les dernières élections au Parlement européen l'ont montré : les citoyens demandent une Europe plus concrète, plus proche, porteuse de projets fédérateurs où ils se reconnaissent et reconnaissent leurs valeurs communes. Il est important que les projets de recherche soient ainsi insérés au coeur de notre société européenne, et puisse susciter une large adhésion.
Je crois que les grands projets scientifiques ont vraiment ce pouvoir : les programmes spatiaux, le projet ITER l'ont par exemple démontré. L'Europe de la recherche a à cet égard une responsabilité particulière pour faire aussi souvent que possible la démonstration de ce que l'Europe apporte de progrès scientifique, technologique, de reconnaissance au plus haut niveau mondial. Je compte sur vous, comme vous pouvez compter sur moi pour servir au niveau européen l'ambition de recherche qui est la nôtre.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2004)