Texte intégral
Monsieur le Président,
Mes Chers Confrères, Mesdames, Messieurs,
Vous rencontrer est un plaisir et un privilège.
C'est en effet pour moi un plaisir de m'adresser au président et aux membres du Conseil national des barreaux, représentants d'une profession que j'ai exercée pendant plus de vingt ans et qui m'est toujours très chère.
C'est aussi un privilège d'user de ma qualité de secrétaire d'Etat placé auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice, pour vous faire-part de mes premières réflexions sur la mission qui m'a été confiée par le Gouvernement et de recueillir vos observations de praticiens.
Convenons-en, la création d'un secrétariat d'Etat aux droits des victimes a été saluée de façon pratiquement unanime, à l'exception de quelques esprits chagrins qui n'y ont vu qu'une entreprise compassionnelle et démagogique ou la marque d'une " obsession de la société française pour ses victimes ".
Même si tout ce qui est excessif doit demeurer insignifiant, cette réaction, limitée à une intelligentsia recluse dans ses cénacles, me donne à mesurer l'ampleur de la tâche à accomplir et les efforts pédagogiques qu'il m'incombe désormais de mener en direction de ceux-là mêmes qui sont toujours prompts à critiquer le manque de proximité de la Justice.
Votre Conseil national ne s'y est pas trompé, qui à l'initiative du bâtonnier Michel BENICHOU, place la victime au cur de ses réflexions.
Bien-sûr, la création du secrétariat d'Etat aux droits des victimes s'inscrit dans la culture française de promotion, de respect et de sauvegarde des droits de l'Homme. C'est un geste éminemment politique et républicain qui s'adresse aux victimes passées et présentes, tout autant qu'aux victimes potentielles que toute société porte en germe.
Mais que l'on entende bien le message du Gouvernement délivré à l'occasion de cette création, sans équivalent européen ni certainement mondial : l'idée n'est pas d'instituer une " République des victimes ", pas plus que de créer un " ministère de l'assistanat ". Il s'agit de mettre en uvre en France une politique courageuse et généreuse en faveur des victimes, comme élément indispensable de toute politique de promotion de la sécurité des Français.
Cette ambition ne peut pas se limiter aux seules actions de prévention des risques et à une réponse indemnitaire améliorée. Elle doit viser à ce que les liens de la victime avec son environnement social, affectif et professionnel ne soient plus définitivement brisés par un sentiment d'isolement ou d'abandon qui est encore aujourd'hui la réalité de beaucoup de nos concitoyens.
C'est la traduction d'une évolution majeure de nos sociétés qui, après ne s'être longtemps souciées que de punir les délinquants ont pris conscience de l'état de désintérêt, d'abandon, ou de solitude et de détresse dans lequel se trouvent bien souvent les victimes.
La cohésion sociale exige en effet qu'aucun citoyen de la République, à commencer par ceux qui souffrent dans leur chair ou dans leur âme, ne soit tenu en lisière de l'attention ou de la protection de l'Etat.
Le secrétariat d'Etat des droits des victimes est donc en lui-même le symbole de ce que la puissance publique, au nom du contrat social, au nom de la solidarité nationale, est décidée à prendre ses responsabilités dans ce domaine en conduisant une véritable politique publique en faveur des victimes comprises dans leur globalité. En effet, jusqu'à présent, la politique publique d'aide aux victimes était en pratique cantonnée aux seules victimes d'infractions pénales.
Désormais, l'intitulé même du secrétariat d'Etat nouvellement créé et son décret d'attribution, ne pose sémantiquement aucune limite à son périmètre.
Toutes les victimes, sans distinction ni exclusive, sont donc susceptibles de se trouver dans son champ d'intervention ou d'y recourir : victimes d'infractions pénales et toutes les autres, lorsque les faits qui les visent ne revêtent pas - d'emblée ou a posteriori - de qualification contraventionnelle, délictuelle ou criminelle. Je pense notamment aux victimes de la route, victimes de phénomènes discriminatoires ou sectaires, victimes de désastres sanitaires, d'épidémies ou de pandémies, de contaminations ou d'infections de masse, d'accidents thérapeutiques, de catastrophes naturelles ou écologiques, d'accidents biologiques ou nucléaires, victimes de faits de guerre ou de terrorisme, de génocides, victimes de disparitions inexpliquées.
Le rôle de l'Etat, après avoir dénombré, identifié, individualisé les situations, est ensuite d'élaborer une politique globale en faveur des victimes applicable sur l'ensemble du territoire, leur apportant la même attention, la même compréhension de leurs difficultés et en mettant en uvre les outils de prise en charge médicale, matérielle ou morale nécessaire à la restauration de leur intégrité, tout en préservant leur possibilité de choisir librement la voie de leur rétablissement.
En effet, l'expérience a démontré que si nombre de victimes étaient réellement démunies face à l'adversité dans laquelle une infraction, un accident, une catastrophe, bref, un déséquilibre passager ou irrémédiable les précipitait, pour la plupart d'entre elles, leurs principales difficultés ne se posaient qu'en terme d'information (savoir ce qui se passe), d'orientation (savoir à qui s'adresser) ou de choix (quelle voie choisir ?). Il est à cet égard important de ne pas tenir - ou maintenir - la victime en situation de minorité par rapport à ses interlocuteurs, même les plus attentionnés, ce qui aggrave durablement sa perte d'autonomie et conduit à sa " sur-victimation ".
La volonté de l'Etat de prendre en compte la condition des victimes, de reconnaître, d'établir et préserver durablement leurs droits passe par l'élaboration d'une politique publique, c'est-à-dire, selon la définition du conseil national de l'évaluation, d'un " ensemble cohérent d'actions, menées par les acteurs publics et privés, en interaction, en vue de la satisfaction d'une demande sociale ". J'en préciserai bientôt le cadre et le programme d'action dans une communication que je dois faire le 29 septembre prochain en conseil des ministres.
Les avocats doivent, à mon sens, tenir une place importante dans la mise en uvre de cette politique globale d'aide aux victimes. La politique pénale n'est-elle pas une politique publique en elle-même, dont l'un des buts - outre l'élaboration de la norme, la prévention des infractions, la recherche des auteurs, leur poursuite, leur jugement et l'exécution de la peine - est l'aide aux victimes des crimes et délits ? L'évolution - certainement regrettable de notre société - n'amène-t-elle pas la Justice à devenir le recours ultime et le dernier régulateur social ?
Je tiens donc, et cela ne vous étonnera pas, pour déterminant l'apport des avocats à la réussite de cette politique globale d'aide aux victimes, érigée au rang de priorité de l'institution judiciaire depuis une vingtaine d'années et de priorité gouvernementale depuis 5 mois. Même si elle a été initiée par Robert BADINTER, il faut bien reconnaître que les confrères qui choisirent d'emprunter à l'origine ces chemins nouveaux furent peu nombreux et peu soutenus par leurs instances ordinales ! Rares étaient les avocats qui étaient ou membres d'associations d'aide aux victimes, l'immense majorité d'entre eux considérant que ces dernières se livraient à une intrusion dans leur champ d'activité.
Les choses ont lentement évolué.
Puis est venu le temps des partenariats institutionnels.
C'est ainsi que des bâtonniers ou leurs représentants ont été nommés membres de droit de nombreuses associations locales d'aide aux victimes, permettant une articulation intelligente entre les interventions de chacun.
Poussant plus loin leur collaboration, un partenariat s'est organisé au travers de conventions signées entre les barreaux et les associations d'aide aux victimes, permettant de définir le rôle de chacun en favorisant notamment des permanences au sein des associations et des cycles de formation commune. Ce sont ces initiatives que vous souhaitez aujourd'hui pérenniser par l'adoption d'une convention-cadre. Par ailleurs, de nombreux barreaux ont participé à la mise en place de dispositifs spécifiques (appelés comités de suivi) en matière de prise en charge des victimes en cas de catastrophe ou d'accident collectif. Ce fut le cas dès l'effondrement de la tribune du stade de Furiani en Corse, lors des attentats du RER Saint Michel en juillet 1995 et de Port Royal en décembre 1996, avec le barreau de Paris. Un des derniers exemples en date est celui de l'explosion de l'usine AZF où le rôle personnel du bâtonnier du barreau de Toulouse a été déterminant dans la mise en uvre de la convention globale d'indemnisation des victimes élaborée à l'époque par la Chancellerie et signée par toutes les parties prenantes.
La consécration de ce partenariat institutionnel a été à mon sens réalisée lors de la création du Conseil national de l'aide aux victimes (CNAV) en 1999, où le barreau est représenté ès qualités par Monsieur le Bâtonnier PAULUS qui y fait valoir les observations, propositions ou critiques exprimées par la profession. Le CNAV est une institution originale, rattachée à mon secrétariat d'Etat et dédié au rayonnement de la politique publique d'aide aux victimes, et j'entends bien que le barreau y joue un rôle de premier plan.
Dans le même ordre d'idée, je vous rappelle qu'un avocat siège comme administrateur au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions au titre des personnes ayant manifesté un intérêt pour les victimes.
Je ne méconnais donc pas l'apport essentiel du barreau à la politique que je suis désormais chargée d'incarner, de promouvoir et, parfois de défendre. Je crois d'ailleurs que nous pourrons aller plus loin. Chaque fois que l'occasion m'en est donnée, je plaide - et j'utilise ce terme à dessein - pour une valorisation des interventions des avocats aux côtés des victimes. Des efforts conséquents ont d'ores et déjà été consentis, notamment financiers, ils devront être poursuivis, sous une forme ou sous une autre. Je pense particulièrement aux protocoles de défense pénale de qualité qui sont une chance supplémentaire pour les victimes d'accéder à une justice digne d'elles.
Pour me cantonner à deux aspects plus généraux, je crois qu'une évolution majeure passe par une réflexion sur le fait qu'il n'existe pas de spécialité pour les avocats en matière de droit des victimes, alors que l'aide aux victimes et la réparation de leur préjudice corporel constituent pour l'ensemble des professionnels du droit une spécialisation à part entière. A un moment où les systèmes d'indemnisation se multiplient et se complexifient, où l'on s'accorde à reconnaître l'émergence de nouveau dommages, où la jurisprudence traversée de soubresauts évolue sensiblement quant à la méthodologie de la réparation, il apparaît curieux et anachronique que cette nécessaire spécialité n'ait pas été en son temps revendiquée et reconnue.
L'autre aspect que je voudrais souligner devant vous est celui d'une amélioration des possibilités de connaissance du droit de la part des victimes, mais aussi de leurs conseils. J'entends déjà votre réflexion : tout autant que la cour, l'avocat connaît le droit. Pour ma part, je ne serais pas aussi affirmative : outre leur complexité, les dispositions législatives et réglementaires en matière de droit des victimes se caractérisent par leur multiplicité (au moins une quarantaine de modes différents d'indemnisation coexistent à ce jour) et par leur éparpillement dans de nombreux textes, codes, lois. Ils ne sont donc pas facilement accessibles. Mon idée est donc de les regrouper, après un recensement exhaustif, sous des formes cohérentes et didactiques, certaines à l'usage des praticiens et d'autres vulgarisées, à l'intention des victimes elles-mêmes.
Voici deux exemples concrets qui illustrent, dans le domaine qui vous - qui nous- est cher, ce que j'entends généraliser à l'ensemble du droit des victimes. Cette tâche est collective. Je sais pouvoir compter sur le soutien des avocats et le vôtre en particulier, en faveur de ceux que votre consoeur Jehanne COLLARD a justement appelés les " oubliés de la Justice ".
La réflexion du bâtonnier Jean-Guy LEVY, menée à l'initiative du CNB, démontre que nous partageons ce même objectif. J'étudierai avec une particulière attention les propositions qui y sont faites comme les critiques qui peuvent y être formulées. Je constate avec la même satisfaction la pérennisation des relations que votre Conseil national entretient avec l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation, par l'élaboration de la convention-type qui est aujourd'hui soumise à votre approbation et dans quelques semaines, à celle du conseil d'administration de l'INAVEM . Quel chemin parcouru en vingt-cinq ans ! Les associations locales d'aide aux victimes - qui, avec l'appui des chefs de juridictions ne manqueront pas d'enrichir et de compléter ce partenariat avec les barreaux - ne sont plus les concurrentes que certains membres de la profession considéraient comme déloyales et gênantes. Et pour elles, les avocats demeureront ce qui doit rester l'essence-même de leur profession, les défenseurs des plus démunis face à l'existence, les conseils irremplaçables des victimes et les interlocuteurs compétents des magistrats, comme des institutions dans leur ensemble. C'est le gage de l'articulation intelligente en faveur des victimes dont je parlais tout à l'heure.
Je suis heureuse d'assister aujourd'hui à cette naissance, même si je sais que la gestation a été longue et parfois douloureuse ! J'espère que d'autres protocoles signés avec d'autres institutions ou fédérations d'associations suivront celui que vous ne manquerez pas d'adopter aujourd'hui. Comment ne pas voir dans cet événement un encouragement à poursuivre ma tâche avec encore plus de détermination et de dynamisme ? Acceptons-en ensemble l'augure !
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 9 décembre 2004)
Mes Chers Confrères, Mesdames, Messieurs,
Vous rencontrer est un plaisir et un privilège.
C'est en effet pour moi un plaisir de m'adresser au président et aux membres du Conseil national des barreaux, représentants d'une profession que j'ai exercée pendant plus de vingt ans et qui m'est toujours très chère.
C'est aussi un privilège d'user de ma qualité de secrétaire d'Etat placé auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice, pour vous faire-part de mes premières réflexions sur la mission qui m'a été confiée par le Gouvernement et de recueillir vos observations de praticiens.
Convenons-en, la création d'un secrétariat d'Etat aux droits des victimes a été saluée de façon pratiquement unanime, à l'exception de quelques esprits chagrins qui n'y ont vu qu'une entreprise compassionnelle et démagogique ou la marque d'une " obsession de la société française pour ses victimes ".
Même si tout ce qui est excessif doit demeurer insignifiant, cette réaction, limitée à une intelligentsia recluse dans ses cénacles, me donne à mesurer l'ampleur de la tâche à accomplir et les efforts pédagogiques qu'il m'incombe désormais de mener en direction de ceux-là mêmes qui sont toujours prompts à critiquer le manque de proximité de la Justice.
Votre Conseil national ne s'y est pas trompé, qui à l'initiative du bâtonnier Michel BENICHOU, place la victime au cur de ses réflexions.
Bien-sûr, la création du secrétariat d'Etat aux droits des victimes s'inscrit dans la culture française de promotion, de respect et de sauvegarde des droits de l'Homme. C'est un geste éminemment politique et républicain qui s'adresse aux victimes passées et présentes, tout autant qu'aux victimes potentielles que toute société porte en germe.
Mais que l'on entende bien le message du Gouvernement délivré à l'occasion de cette création, sans équivalent européen ni certainement mondial : l'idée n'est pas d'instituer une " République des victimes ", pas plus que de créer un " ministère de l'assistanat ". Il s'agit de mettre en uvre en France une politique courageuse et généreuse en faveur des victimes, comme élément indispensable de toute politique de promotion de la sécurité des Français.
Cette ambition ne peut pas se limiter aux seules actions de prévention des risques et à une réponse indemnitaire améliorée. Elle doit viser à ce que les liens de la victime avec son environnement social, affectif et professionnel ne soient plus définitivement brisés par un sentiment d'isolement ou d'abandon qui est encore aujourd'hui la réalité de beaucoup de nos concitoyens.
C'est la traduction d'une évolution majeure de nos sociétés qui, après ne s'être longtemps souciées que de punir les délinquants ont pris conscience de l'état de désintérêt, d'abandon, ou de solitude et de détresse dans lequel se trouvent bien souvent les victimes.
La cohésion sociale exige en effet qu'aucun citoyen de la République, à commencer par ceux qui souffrent dans leur chair ou dans leur âme, ne soit tenu en lisière de l'attention ou de la protection de l'Etat.
Le secrétariat d'Etat des droits des victimes est donc en lui-même le symbole de ce que la puissance publique, au nom du contrat social, au nom de la solidarité nationale, est décidée à prendre ses responsabilités dans ce domaine en conduisant une véritable politique publique en faveur des victimes comprises dans leur globalité. En effet, jusqu'à présent, la politique publique d'aide aux victimes était en pratique cantonnée aux seules victimes d'infractions pénales.
Désormais, l'intitulé même du secrétariat d'Etat nouvellement créé et son décret d'attribution, ne pose sémantiquement aucune limite à son périmètre.
Toutes les victimes, sans distinction ni exclusive, sont donc susceptibles de se trouver dans son champ d'intervention ou d'y recourir : victimes d'infractions pénales et toutes les autres, lorsque les faits qui les visent ne revêtent pas - d'emblée ou a posteriori - de qualification contraventionnelle, délictuelle ou criminelle. Je pense notamment aux victimes de la route, victimes de phénomènes discriminatoires ou sectaires, victimes de désastres sanitaires, d'épidémies ou de pandémies, de contaminations ou d'infections de masse, d'accidents thérapeutiques, de catastrophes naturelles ou écologiques, d'accidents biologiques ou nucléaires, victimes de faits de guerre ou de terrorisme, de génocides, victimes de disparitions inexpliquées.
Le rôle de l'Etat, après avoir dénombré, identifié, individualisé les situations, est ensuite d'élaborer une politique globale en faveur des victimes applicable sur l'ensemble du territoire, leur apportant la même attention, la même compréhension de leurs difficultés et en mettant en uvre les outils de prise en charge médicale, matérielle ou morale nécessaire à la restauration de leur intégrité, tout en préservant leur possibilité de choisir librement la voie de leur rétablissement.
En effet, l'expérience a démontré que si nombre de victimes étaient réellement démunies face à l'adversité dans laquelle une infraction, un accident, une catastrophe, bref, un déséquilibre passager ou irrémédiable les précipitait, pour la plupart d'entre elles, leurs principales difficultés ne se posaient qu'en terme d'information (savoir ce qui se passe), d'orientation (savoir à qui s'adresser) ou de choix (quelle voie choisir ?). Il est à cet égard important de ne pas tenir - ou maintenir - la victime en situation de minorité par rapport à ses interlocuteurs, même les plus attentionnés, ce qui aggrave durablement sa perte d'autonomie et conduit à sa " sur-victimation ".
La volonté de l'Etat de prendre en compte la condition des victimes, de reconnaître, d'établir et préserver durablement leurs droits passe par l'élaboration d'une politique publique, c'est-à-dire, selon la définition du conseil national de l'évaluation, d'un " ensemble cohérent d'actions, menées par les acteurs publics et privés, en interaction, en vue de la satisfaction d'une demande sociale ". J'en préciserai bientôt le cadre et le programme d'action dans une communication que je dois faire le 29 septembre prochain en conseil des ministres.
Les avocats doivent, à mon sens, tenir une place importante dans la mise en uvre de cette politique globale d'aide aux victimes. La politique pénale n'est-elle pas une politique publique en elle-même, dont l'un des buts - outre l'élaboration de la norme, la prévention des infractions, la recherche des auteurs, leur poursuite, leur jugement et l'exécution de la peine - est l'aide aux victimes des crimes et délits ? L'évolution - certainement regrettable de notre société - n'amène-t-elle pas la Justice à devenir le recours ultime et le dernier régulateur social ?
Je tiens donc, et cela ne vous étonnera pas, pour déterminant l'apport des avocats à la réussite de cette politique globale d'aide aux victimes, érigée au rang de priorité de l'institution judiciaire depuis une vingtaine d'années et de priorité gouvernementale depuis 5 mois. Même si elle a été initiée par Robert BADINTER, il faut bien reconnaître que les confrères qui choisirent d'emprunter à l'origine ces chemins nouveaux furent peu nombreux et peu soutenus par leurs instances ordinales ! Rares étaient les avocats qui étaient ou membres d'associations d'aide aux victimes, l'immense majorité d'entre eux considérant que ces dernières se livraient à une intrusion dans leur champ d'activité.
Les choses ont lentement évolué.
Puis est venu le temps des partenariats institutionnels.
C'est ainsi que des bâtonniers ou leurs représentants ont été nommés membres de droit de nombreuses associations locales d'aide aux victimes, permettant une articulation intelligente entre les interventions de chacun.
Poussant plus loin leur collaboration, un partenariat s'est organisé au travers de conventions signées entre les barreaux et les associations d'aide aux victimes, permettant de définir le rôle de chacun en favorisant notamment des permanences au sein des associations et des cycles de formation commune. Ce sont ces initiatives que vous souhaitez aujourd'hui pérenniser par l'adoption d'une convention-cadre. Par ailleurs, de nombreux barreaux ont participé à la mise en place de dispositifs spécifiques (appelés comités de suivi) en matière de prise en charge des victimes en cas de catastrophe ou d'accident collectif. Ce fut le cas dès l'effondrement de la tribune du stade de Furiani en Corse, lors des attentats du RER Saint Michel en juillet 1995 et de Port Royal en décembre 1996, avec le barreau de Paris. Un des derniers exemples en date est celui de l'explosion de l'usine AZF où le rôle personnel du bâtonnier du barreau de Toulouse a été déterminant dans la mise en uvre de la convention globale d'indemnisation des victimes élaborée à l'époque par la Chancellerie et signée par toutes les parties prenantes.
La consécration de ce partenariat institutionnel a été à mon sens réalisée lors de la création du Conseil national de l'aide aux victimes (CNAV) en 1999, où le barreau est représenté ès qualités par Monsieur le Bâtonnier PAULUS qui y fait valoir les observations, propositions ou critiques exprimées par la profession. Le CNAV est une institution originale, rattachée à mon secrétariat d'Etat et dédié au rayonnement de la politique publique d'aide aux victimes, et j'entends bien que le barreau y joue un rôle de premier plan.
Dans le même ordre d'idée, je vous rappelle qu'un avocat siège comme administrateur au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions au titre des personnes ayant manifesté un intérêt pour les victimes.
Je ne méconnais donc pas l'apport essentiel du barreau à la politique que je suis désormais chargée d'incarner, de promouvoir et, parfois de défendre. Je crois d'ailleurs que nous pourrons aller plus loin. Chaque fois que l'occasion m'en est donnée, je plaide - et j'utilise ce terme à dessein - pour une valorisation des interventions des avocats aux côtés des victimes. Des efforts conséquents ont d'ores et déjà été consentis, notamment financiers, ils devront être poursuivis, sous une forme ou sous une autre. Je pense particulièrement aux protocoles de défense pénale de qualité qui sont une chance supplémentaire pour les victimes d'accéder à une justice digne d'elles.
Pour me cantonner à deux aspects plus généraux, je crois qu'une évolution majeure passe par une réflexion sur le fait qu'il n'existe pas de spécialité pour les avocats en matière de droit des victimes, alors que l'aide aux victimes et la réparation de leur préjudice corporel constituent pour l'ensemble des professionnels du droit une spécialisation à part entière. A un moment où les systèmes d'indemnisation se multiplient et se complexifient, où l'on s'accorde à reconnaître l'émergence de nouveau dommages, où la jurisprudence traversée de soubresauts évolue sensiblement quant à la méthodologie de la réparation, il apparaît curieux et anachronique que cette nécessaire spécialité n'ait pas été en son temps revendiquée et reconnue.
L'autre aspect que je voudrais souligner devant vous est celui d'une amélioration des possibilités de connaissance du droit de la part des victimes, mais aussi de leurs conseils. J'entends déjà votre réflexion : tout autant que la cour, l'avocat connaît le droit. Pour ma part, je ne serais pas aussi affirmative : outre leur complexité, les dispositions législatives et réglementaires en matière de droit des victimes se caractérisent par leur multiplicité (au moins une quarantaine de modes différents d'indemnisation coexistent à ce jour) et par leur éparpillement dans de nombreux textes, codes, lois. Ils ne sont donc pas facilement accessibles. Mon idée est donc de les regrouper, après un recensement exhaustif, sous des formes cohérentes et didactiques, certaines à l'usage des praticiens et d'autres vulgarisées, à l'intention des victimes elles-mêmes.
Voici deux exemples concrets qui illustrent, dans le domaine qui vous - qui nous- est cher, ce que j'entends généraliser à l'ensemble du droit des victimes. Cette tâche est collective. Je sais pouvoir compter sur le soutien des avocats et le vôtre en particulier, en faveur de ceux que votre consoeur Jehanne COLLARD a justement appelés les " oubliés de la Justice ".
La réflexion du bâtonnier Jean-Guy LEVY, menée à l'initiative du CNB, démontre que nous partageons ce même objectif. J'étudierai avec une particulière attention les propositions qui y sont faites comme les critiques qui peuvent y être formulées. Je constate avec la même satisfaction la pérennisation des relations que votre Conseil national entretient avec l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation, par l'élaboration de la convention-type qui est aujourd'hui soumise à votre approbation et dans quelques semaines, à celle du conseil d'administration de l'INAVEM . Quel chemin parcouru en vingt-cinq ans ! Les associations locales d'aide aux victimes - qui, avec l'appui des chefs de juridictions ne manqueront pas d'enrichir et de compléter ce partenariat avec les barreaux - ne sont plus les concurrentes que certains membres de la profession considéraient comme déloyales et gênantes. Et pour elles, les avocats demeureront ce qui doit rester l'essence-même de leur profession, les défenseurs des plus démunis face à l'existence, les conseils irremplaçables des victimes et les interlocuteurs compétents des magistrats, comme des institutions dans leur ensemble. C'est le gage de l'articulation intelligente en faveur des victimes dont je parlais tout à l'heure.
Je suis heureuse d'assister aujourd'hui à cette naissance, même si je sais que la gestation a été longue et parfois douloureuse ! J'espère que d'autres protocoles signés avec d'autres institutions ou fédérations d'associations suivront celui que vous ne manquerez pas d'adopter aujourd'hui. Comment ne pas voir dans cet événement un encouragement à poursuivre ma tâche avec encore plus de détermination et de dynamisme ? Acceptons-en ensemble l'augure !
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 9 décembre 2004)