Déclaration de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le bilan de cinq ans de fonctionnement du marché obligataire en euros et du marché des titres publics en euros, Paris le 3 décembre 2003.

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Circonstance : The Inaugural Euro Fixed-Income Market Forum : "Taking Pole Position" à Paris le 3 décembre 2003

Texte intégral


Mesdames, Messieurs, Ladies Gentlemen,
Vous organisez aujourd'hui le premier forum international sur les produits de taux en euro. Dans ce cadre, 500 professionnels de la finance, venus de plus de 30 pays, vont se pencher pendant deux jours sur des thèmes qui me sont particulièrement chers : la transparence, l'efficacité, l'innovation et ... prendre la Pole Position ! C'est un honneur pour la France d'accueillir ce forum, et pour moi de l'inaugurer. Permettez-moi d'y déceler un bon signe pour l'excellence de notre marché de taux au sein du marché européen.
Il y a cinq ans, de nombreux professionnels ne donnaient pas une longue espérance de vie au marché de l'Euro. Aujourd'hui, c'est une réussite extraordinaire que je voudrais saluer (I), en soulignant la contribution du marché français à cet ensemble (II), avant de me tourner vers l'avenir et les défis qui nous sont posés (III).
I/ Les promesses des marchés obligataires en euros ont été tenues au-delà des espoirs formulés il y a cinq ans, lorsque 11 marchés domestiques se sont fondus dans un grand marché unifié.
a) Aujourd'hui ; l'euro est devenu l'égal du dollar comme monnaie d'émission. Les marchés sont devenus comparables.
* En taille, tout d'abord. La croissance du marché euro a été plus de deux fois plus rapide que celle du marché américain en dollar, de telle sorte qu'ils ont aujourd'hui la même surface (plus de 8500 milliards d'euros).
* En qualité, ensuite. Le marché euro présente les grandes caractéristiques d'un marché de référence. Il est profond, liquide, accessible et innovant.
* En homogénéité, enfin. C'était le défi qui se posait à ce marché fait d'une diversité d'émetteurs. La convergence des spreads et des pratiques montre que la dynamique s'est révélée positive.
Plutôt que des pétitions de principe, mettons ces qualités à l'épreuve des besoins des deux grandes catégories d'émetteurs, publics et privés.
b) Le véritable " test " de la dimension internationale d'un marché, c'est la quantité d'obligations émises par le secteur privé et les institutions supranationales, sur les marchés extérieurs à leur zone de " résidence ". De ce point de vue, le marché euro a passé brillamment son examen d'entrée.
Les entreprises émettent aujourd'hui facilement sur le marché euro, ce qui n'était pas le cas auparavant. Elles y ont recours plus volontiers, à l'encontre d'une tendance historique favorisant, davantage en Europe qu'ailleurs, l'intermédiation bancaire. Rien d'étonnant, donc, à ce que la conjugaison de cette nouvelle accessibilité et d'une certaine mutation de la culture financière aboutisse à une véritable explosion des émissions privées en euros : le stock a augmenté de 62 % depuis début 1999, et est aujourd'hui supérieur au marché américain. L'autre grande caractéristique, c'est le progrès de l'adéquation de l'offre à la demande des entreprises, puisqu'aussi bien la taille moyenne que la durée des émissions ont augmenté. Alors que les émissions privées n'atteignaient pas 200 millions " d'équivalent euros " en 1997, elles dépassent aujourd'hui 400 millions et se rapprochent ainsi de la taille moyenne aux Etats Unis, entre 5 et 600 millions de dollars. Un nombre croissant d'entreprises émettent aujourd'hui à 20 ou 30 ans, comme a pu le faire tout récemment Veolia dans des conditions très intéressantes.
c) Si la croissance des marchés obligataires privés a été spectaculaire, c'est dans le domaine de la dette publique que s'est opérée une véritable révolution.
Revenons au défi de 1999. A la différence des Etats-Unis où le Trésor émet seul les titres nécessaires au financement du déficit de l'union, la zone euro a constitué un pool d'émetteurs souverains émettant chacun indépendamment en fonction de ses propres besoins de financement, mais alimentant la même " dette européenne ". Quand ce système fut conçu et lancé, conformément à l'organisation résultant du Traité de Maastricht, il généra beaucoup de scepticisme de la part de nombreux professionnels. Ceux-ci voyaient mal comment un tel système pourrait fonctionner efficacement, compte tenu des différences de taille entre les émetteurs et des politiques budgétaires indépendantes.
Pourtant ce système a bien fonctionné, y compris face aux chocs violents qui ont secoué les marchés financiers (Krach boursier, 11 septembre, volatilité des marchés de taux fixe). La spectaculaire convergence des spreads entre les différents pays de la zone euro - qui ne dépassent plus que 11 points de base à l'extrême, contre 60 fin 1999 - témoigne du bon fonctionnement d'un marché à la fois unifié et décentralisé.
Une bonne partie de ce succès peut être attribuée aux progrès des méthodes de gestion pour accompagner l'unification du marché.
Le marché a tout d'abord progressé en transparence. Tous les émetteurs de la zone publient désormais un calendrier d'émission annuel et, dans les jours qui précèdent une émission, détaillent ses caractéristiques. La diffusion de ces " bonnes pratiques " a fortement contribué à l'homogénéité du marché, également renforcée par la constitution de " pools de primary dealers ", souvent les mêmes d'un pays à l'autre.
Parallèlement, le marché des titres publics en euro a atteint un haut niveau de technicité et d'efficience. La création ou la modernisation d'agences de gestion de la dette dotées de capacités techniques de bon niveau et employant des professionnels issus du secteur privé a certainement joué en ce sens. L'homogénéisation du marché a stimulé la coopération, voire l'émulation, entre émetteurs. Le recours aux marchés de dérivés pour couvrir les risques et l'enrichissement de la gamme de produits, avec par exemple les titres indexés sur l'inflation, illustrent bien la diffusion des innovations.
Sous l'effet de ces progrès, le gisement des émissions sur les différents points de la courbe s'est fortement développé, conférant une meilleure liquidité à tous les segments du marché.
Cette réaction positive au défi que constituait l'introduction de l'euro s'est avérée particulièrement utile au moment où les besoins de financements des Etats augmentaient dans toutes les économies occidentales. La relation entre les deux est d'ailleurs à double entrée : l'augmentation de la dette publique a certainement stimulé le marché, non seulement en apportant de la liquidité, mais aussi en poussant à la qualité de la gestion. En retour, les émetteurs publics bénéficient d'un marché profond, leur permettant de couvrir efficacement leurs besoins de financement croissants. Cela ne signifie pas pour autant que des efforts ne sont pas requis dans ce dernier domaine.
II/ Le marché de l'euro est profond et homogène, tout en restant décentralisé. La France veut contribuer de manière active à sa modernisation, à la fois comme émetteur et comme cadre juridique de référence.
a) Je ne crois pas me vanter excessivement en affirmant que la structure, la démarche et les innovations de l'Agence France-Trésor, qui a développé depuis sa création des capacités opérationnelles autonomes tout en restant ancrée dans le ministère des Finances, ont fait école dans le domaine des titres de dette publique.
Les " bonnes pratiques " en matière de transparence de politique d'émission, qui font partie de notre tradition d'émetteur souverain, sont devenues un standard sur le marché européen. La politique d'émission de la dette française s'opère dans une totale transparence, au service d'une stratégie volontairement prévisible. Le calendrier d'émissions est suivi scrupuleusement. Les volumes annoncés sont respectés : en septembre 2002, la France a annoncé qu'elle émettrait 111 milliards d'euros de titres à moyen et long terme en 2003. Je peux vous annoncer que nous avons émis très exactement 113 milliards. De nombreuses informations sont communiquées au marché de manière régulière, telles que l'indice synthétique de spread entre émetteurs souverains ou le profil annuel de la trésorerie de l'Etat. L'agence s'interdit des opérations opportunistes que pourraient lui permettre l'exploitation d'anomalies de marché ou l'emploi de techniques sophistiquées. Enfin, elle applique à sa politique de swaps les critères de régularité et de transparence qu'elle pratique sur les émissions primaires.
Ancré dans ses traditions, l'émetteur souverain français sait également innover. Nous avons été les premiers à lancer des titres indexés sur l'inflation (OATi, OATeuro i) en Europe. La France émet régulièrement ce genre de titres dont elle est de très loin le plus gros émetteur en Europe, avec 82 % des titres indexés émis dans la zone euro, et le deuxième émetteur au monde après les Etats-Unis. Nous sommes très satisfaits du programme d'obligations indexées : les émissions se maintiendront à un niveau élevé en 2004.
b) Parallèlement, et à destination, cette fois, du marché privé, nous avons fait progresser notre droit financier en matière de produits de taux
Nous avons crée un régime juridique de titres " super subordonnés ", particulièrement adapté aux besoins des émetteurs financiers. Aucune autre catégorie de créance ne peut leur être subordonnée, de telle sorte qu'ils concourent au Tier One de leurs émetteurs. Ils ont donc le même effet prudentiel et fiscal que les titres jusqu'à présent émis via des " SPV " (Special Purpose Vehicles) au Delaware.
Au-delà, nous avons souhaité renforcer la compétitivité et la qualité de notre droit de la titrisation en élargissant les facultés d'utilisation des fonds communs de créances. Ils peuvent désormais porter sur des créances futures, sont mieux sécurisés en cas de défaut du cédant, quel qu'il soit, et leurs capacités de financement ont été élargies.
c) La modernisation et l'innovation s'accompagnent d'un renforcement du cadre de régulation de la place de Paris
Pour rétablir la confiance dans les marchés financiers, nous avons renforcé le cadre de régulation aux investisseurs présents sur les marchés français. J'ai inauguré, le 24 novembre dernier, la nouvelle " Autorité des Marchés Financiers " (AMF), présidée par Michel PRADA. Elle a fusionné les autorités de marchés existantes pour avoir dans son champ d'action l'ensemble des maillons de la chaîne de l'information financière. C'est une simplification importante qui rend plus lisible, notamment pour les acteurs extérieurs, la régulation de la place de Paris et qui la prépare aux nécessaires européennes. Elle pourra, à cet égard, s'appuyer sur le Comité européen des régulateurs des valeurs mobilières (CESR) qui élabore, à Paris, les règles boursières européennes.
III/ Le marché financier en euro a donc enregistré des succès spectaculaires au cours des cinq dernières années, mais nous agissons pour que cette tendance se poursuive. Car un tel développement ne sera pas de trop face au redoutable défi que l'inéluctable évolution démographique va nous poser.
a) Au cours des 20 prochaines années, le monde occidental va connaître une très forte augmentation de sa population âgée, résultant de la conjonction de deux phénomènes : la progression dans leur cycle de vie des générations du " baby boom " et l'allongement de l'espérance de vie, d'au moins 5 ans dans les 25 prochaines années.
Tous les pays développés sont touchés par ce phénomène, mais de manière inégale. Les Etats-Unis toucheront les dividendes de leur dynamisme démographique actuel. L'Europe, en revanche, sera dans une situation beaucoup plus délicate, sans parler du Japon. La France est dans une situation plutôt favorable en Europe, mais qui reste sérieuse. Les projections démographiques montrent toutes une remontée brutale dès 2006-2008 du taux de dépendance des personnes âgées, c'est-à-dire le rapport des plus de 65 ans à la génération des 25-65 ans. La moyenne européenne actuelle de 30-35 % passera à plus de 40 % en 2010 et plus de 60 % en 2020, c'est-à-dire une forte montée de la pression sur les actifs, avec des effets à attendre sur la croissance potentielle.
Quelles sont les conséquences que nous devons en tirer ?
- d'abord, évidemment, rééquilibrer nos régimes de retraite et orienter l'épargne individuelle dans cette direction.
Les pays européens ont lancé des réformes importantes de leurs systèmes de retraites. La France a fait aboutir la sienne dans le calendrier que le gouvernement s'était fixé. La réforme des retraites permet de remettre sur ses pieds notre régime par répartition. Au passage, elle permet, compte tenu de ses effets favorables sur la dette implicite des régimes de retraite et notre potentiel de croissance, une réduction permanente d'un point et demi de PIB de notre déficit structurel. Parallèlement, il nous faudra accompagner l'effort individuel d'épargne en vue de la retraite. C'est l'objet du produit d'épargne retraite individuel, le PERP, auquel la loi de finances associe d'importants leviers fiscaux. La taille et la sophistication des marchés de taux en euro vont contribuer à offrir les meilleures garanties de gestion de cette épargne, qui devra être diversifiée et sécurisée.
- parallèlement, nous devons restaurer nos finances publiques et maîtriser notre endettement d'aujourd'hui pour préparer l'avenir.
Vous connaissez, je pense, le choix responsable du Conseil de l'Union européenne, qui a décidé, la semaine dernière, de ne pas sanctionner la France et l'Allemagne dans le cadre des procédures de notre Pacte de stabilité. Je crois qu'il faut, sur cette décision, sortir de la polémique et se pencher sur les faits : la France et l'Allemagne restent fermement engagées à reprendre le contrôle de leurs finances publiques. Ceci veut dire revenir à un déficit public inférieur à 3 % du PIB le plus vite possible, et en tout cas, d'ici 2005.
Ainsi, nous voulons respecter les critères de déficit ; nous voulons respecter le Pacte de stabilité ; enfin, nous voulons que cette prise de contrôle sur nos finances publiques se fasse en tenant compte de l'impératif qui consiste à accompagner la reprise économique qui se dessine clairement aujourd'hui : et c'est pourquoi nous avons obtenu de nos collègues, avec l'accord de la Commission, une année de plus pour revenir à 3 % de déficit, soit 2005 au lieu de 2004. A défaut, nos espoirs de reprise auraient été fragilisés.
Donc, c'était un bon compromis et je ne suis pas d'accord avec ceux qui prédisent la fin du Pacte ou de la discipline budgétaire en Europe. D'ailleurs, les marchés me semblent avoir été plus sages que les commentateurs, à chaud, de nos débats : ils n'ont pas réagi de manière négative à cette lecture souple mais responsable du pacte de stabilité.
Mesdames et Messieurs, en tant qu'émetteur important sur ce marché, il me faut gérer un paradoxe : c'est de souhaiter la profondeur du marché tout en refusant d'en abuser. Soyez convaincu que j'ai trop de conscience des enjeux de long terme auxquels nous sommes confrontés pour accepter une fuite en avant. La seule chose que je vous demande aujourd'hui, pour nous aider dans cet objectif de progrès vers l'équilibre, c'est de faire en sorte que le marché des émissions de taux continue d'apporter, par son efficience et son économie, sa contribution à l'augmentation de la croissance potentielle en Europe.
Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite deux excellentes, bien qu'intensives, journées à Paris.
(source http://www.francetresor.gouv.fr, le 29 décembre 2003)