Interview de M. Arnaud Montebourg, député PS, à "France Info" le 8 septembre 2004, sur sa position en faveur du "non" au projet de Constitution européenne et sur le débat à venir au sein du PS avant le vote des militants lors du Congrès.

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Média : France Info

Texte intégral

BERNARD THOMASSON : Bonsoir Arnaud Montebourg.
ARNAUD MONTEBOURG : Bonsoir.
BERNARD THOMASSON : Vous êtes au sein de votre courant, le Nouveau parti socialiste, un farouche partisan du " non " au projet de Constitution européenne et la bataille fait rage au sein du PS. Laurent Fabius va dire demain s'il est pour ou contre. Là, maintenant, au micro de France Info, vous lui dites quoi ? Chiche, Laurent, dis " non " ?
ARNAUD MONTEBOURG : Je crois que c'est le train de l'histoire qui passe pour les socialistes, si nous sommes capables de montrer que nous sommes des européens sincères, convaincus et fervents, et en même temps si nous sommes capables de dire " non " à ce projet de l'Europe, tout en voulant construire l'Europe, c'est que l'Europe sera devenue finalement assez démocratique. C'est un peu comme lorsqu'on a bâti la République. Les républicains de gauche et de droite, un jour, ont repris leurs combats les uns contre les autres sur leurs valeurs, mais cela ne remettait plus en cause la République. Maintenant que l'Europe est faite, il est temps de trouver l'équilibre politique au sein de cette Europe de manière à ce que ceux qui veulent défendre d'autres valeurs que les valeurs du marché, de l'économie libérale -en fait les socialistes, les socio démocrates, qui veulent exercer un contrepoids- puissent saisir cette occasion. Le grand danger, c'est la multiplication des populismes dans l'Europe. Si, aujourd'hui, on s'éloigne des préoccupations des salariés, des paysans, des ouvriers, des cadres, que restera-t-il finalement de nos démocraties ? Donc, je dis à tous les dirigeants socialistes et à Laurent Fabius : il est temps de prendre le train de l'histoire.
BERNARD THOMASSON : Et pour vous, le train de l'histoire, c'est de dire " non ". A votre avis, que va-t-il choisir ? Que peut-il choisir ?
ARNAUD MONTEBOURG : Je n'ai pas de pronostic à faire, c'est à lui de s'exprimer comme à d'autres d'y répondre, pour les socialistes qui ne l'ont pas encore fait.
BERNARD THOMASSON : François Hollande c'est " oui, mai... ", est-ce que Laurent Fabius ce peut être " oui, mais... " ou " non, sous conditions " ?
ARNAUD MONTEBOURG : Lorsqu'un mouvement politique aussi important que celui que nous sommes en train de constituer dans le Parti Socialiste, à l'extérieur du Parti Socialiste, dans toute la gauche française pour prendre la tête d'une sorte d'esprit de résistance s'adresse à ces couches populaires qui aujourd'hui rejettent les partis socio-démocrates, regardez aujourd'hui ce qui se passe chez Monsieur Schröder ou chez Monsieur Blair. On ne peut pas d'ailleurs ne pas voir que dans ces deux grands pays européens, ce n'est pas l'eurosepticisme, ce sont des européens qui disent " votre Europe est extraordinairement dangereuse pour nos valeurs ". L'ensemble de ce mouvement, les français peuvent en prendre la tête et renverser l'esprit dans lequel on a bâti l'Europe, c'est-à-dire un marché, une zone de libre échange, une sorte de passoire pour la mondialisation libérale.
BERNARD THOMASSON : Vous dites " en dehors du Parti Socialiste ". Mais vous restez dans le PS, quand même ?
ARNAUD MONTEBOURG : Nous sommes tous socialistes, et c'est précisément parce que nous voulons que le Parti Socialiste invente une nouvelle forme d'exigence vis-à-vis de l'Europe que nous voulons passionnément qu'il dise " non ". Non pas " non " à l'Europe mais " non " à ce projet là qui est le projet de nos adversaires politiques. C'est le projet de Monsieur Raffarin et d'un certain nombre de ces libéraux qui veulent sacraliser dans le marbre d'un texte leur politique.
BERNARD THOMASSON : Si Laurent Fabius dit " non ", est-ce que vous faites campagne avec lui, comment vous travaillez avec lui, est-ce qu'il y a des conditions à poser ?
ARNAUD MONTEBOURG : Je crois que nous devons nous méfier de ne pas entrer dans une logique de pouvoir. Cette affaire doit être une affaire de conscience pour chaque militant socialiste puisque nous avons la chance d'organiser -ce qui est historique dans l'histoire de la démocratie partisane- un référendum à l'intérieur du Parti puis ensuite un référendum dans tout le pays. Les militants vont faire la ligne du Parti. C'est une chance historique pour chacun d'entre nous. Je crois qu'il est important que ce choix n'ait aucune conséquence...
BERNARD THOMASSON : Il y en aura forcément.
ARNAUD MONTEBOURG : Mais nous, nous ne voulons pas qu'il y en ait, parce que ce serait truquer le vote, ce serait le dénaturer, ce serait, par ailleurs, mentir aux militants. Nous, ce que nous souhaitons, c'est que nos idées progressent. Ce ne sont pas que les intérêts des uns ou des autres régressent ou progressent.
BERNARD THOMASSON : Soyons honnêtes. C'est quand même l'enjeu de la présidentielle qui est aussi dans la course. Il y a des candidats qui se dessinent. Cette question du " oui " ou du " non " est l'une des questions fondamentales, et forcément la réponse de Laurent Fabius va jouer sur la direction du PS.
ARNAUD MONTEBOURG : Ces questions sont distinctes des orientations politiques, des questions de congrès, ou du moment où il faudra choisir notre candidat parce qu'il n'y a pas que la question européenne qui sera en cause. Nous, nous défendons des orientations politiques, sur la 6e République, sur la résistance à la mondialisation, sur une nouvelle approche de la démocratie et de la question sociale, évidemment sur une nouvelle forme d'exigence par rapport à l'Europe. Nous avons été 19 députés, y compris socialistes, à ne pas approuver l'élargissement, parce que nous disions, au Parlement, dans notre groupe : " vous ne pouvez pas élargir tant que vous n'avez pas construit les éléments de la prise de décision en commun dans l'Europe qui est la nôtre ". Maintenant, on voit les conséquences. C'étaient des choix politiques profonds. Nous faisons progresser nos idées, il est hors de question pour nous d'en faire une affaire de pouvoir dans le Parti. Il y aura un congrès le moment venu, et il y aura des désignations à l'élection le moment venu.
BERNARD THOMASSON : Donc, si le " non " l'emporte, vous ne demanderez pas à François Hollande de quitter la tête du Parti Socialiste, mais si le " oui " l'emporte, vous vous rallierez à cette option ? Vous serez un bon soldat dans la démocratie du PS ?
ARNAUD MONTEBOURG : J'ai dit que si le " oui " l'emportait, nous respecterons la décision et nous nous plierons à la discipline générale. J'attends d'ailleurs de même de la part de ceux qui ayant défendus le " oui " se rangent à l'opinion générale si le " non " l'emporte. C'est la force d'un parti démocratique comme le nôtre que l'on consulte la base et que la décision générale l'emporte.
BERNARD THOMASSON : Réponse donc prévue au mois de décembre. La date est fixée ? Vous souhaiteriez quoi comme date ?
ARNAUD MONTEBOURG : Nous avons un désaccord au sein du Parti Socialiste. Nous allons le trancher. Le plus vite sera le mieux, mais pas trop vite qu'on ait le temps d'échanger les arguments, de faire campagne dans le respect des uns et des autres. Je crois que c'est un débat de conscience très important pour l'avenir et qui peut l'emporter, ce peut être même un évènement politique aussi important que la victoire de John Kerry aux Etats-Unis, parce que cela voudrait dire que la gauche européenne est en train de se restructurer, de se réveiller pour donner un coup d'arrêt à l'implantation des règles libérales dans le système économique européen.
BERNARD THOMASSON : C'est votre vision optimiste des choses. Mais, franchement, est-ce que vous n'êtes pas en train de vous faire balader par Chirac qui vous impose finalement de prendre cette décision. Pourquoi ne pas attendre, ce que font d'autres pays européens ?
ARNAUD MONTEBOURG : Vous savez qu'il y a 10 référendums prévus en Europe. Donc, il n'y aura pas que la France qui va se prononcer. La position de Monsieur Chirac ne nous importe pas. Ce qui est important, c'est qu'est-ce que nous devons faire, nous socialistes, dans cette Europe qui est en train de sanctuariser des règles qui sont celles de nos adversaires et qui nous priveront de mener les politiques qui sont les nôtres. Ca, c'est notre préoccupation. Après, les intérêts des uns des autres, je crois que l'affaire est trop importante pour que l'on commence à entrer dans ces considérations, un peu -excusez-moi- subalternes et politiciennes.
BERNARD THOMASSON : Le " non ", vous le sentez comment auprès des militants, ou le " oui " ?
ARNAUD MONTEBOURG : Il faut maintenant que nous nous échangions nos arguments, que nous nous convainquions les uns les autres. C'est une affaire très grave. Pas de pronostics, beaucoup de respect, une grande amitié collective.
BERNARD THOMASSON : Merci, Arnaud Montebourg.

(Source http://www.nouveau-ps.net, le 28 septembre 2004)