Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "France 2" le 29 septembre 2004, sur la nécessité d'un changement de Premier ministre, et le débat au sein du PS sur le référendum sur la Constitution européenne.

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Texte intégral

Q- Nous allons ce matin parler santé, si je puis dire, du groupe socialiste, puisque vont se dérouler à partir d'aujourd'hui, à côté de Nantes, à Lorient, les journées parlementaires du groupe aux destinées duquel vous présidez. C'est une rentrée parlementaire qui s'annonce agitée pour le groupe socialiste, puisque l'ensemble du parti, et forcément aussi le groupe à l'Assemblée, est traversé par le oui ou le non au référendum. Ce sont des troupes en ordre dispersé que vous devez rassembler.
R- Oui, mais qui sont très combatives, parce qu'il y a de quoi faire avec le gouvernement de monsieur Raffarin. Vous savez, pour les Français, la rentrée c'est la baisse du pouvoir d'achat, c'est, vous l'avez rappelé, le chômage qui persiste malgré le retour de la croissance. Et puis, c'est un budget, celui de monsieur Sarkozy, le dernier heureusement, qui est un budget qui favorise encore une fois les privilégiés. Je vais prendre un exemple : il y aura des avantages fiscaux supplémentaires pour ceux qui emploient une personne à domicile, mais cela ne concernera que 60.000 foyers, 60.000 familles ; rendez-vous compte ! Alors que la grande masse des Français vont voir leurs taxes, la CSG par exemple, le prix de l'essence continuer d'augmenter. Tout cela n'est pas bon pour la France qui ne se sent pas très bien en ce moment, avec un gouvernement Raffarin qui a perdu tout assise populaire et toute crédibilité. Donc, ce sont des parlementaires, des députés, des sénateurs, des parlementaires européens qui se retrouvent à Lorient avec certes un sujet de débat important, mais qui, en même temps, sont prêts à mener la bataille dans les chambres à l'Assemblée nationale, au Sénat, et puis bien sûr aussi au Parlement européen.
Q-Puisque vous évoquez la politique de J.-P. Raffarin, dans un entretien à paraître aujourd'hui chez nos confrères de Match, il dit qu'il espère bien ne pas avoir pris la grosse tête depuis qu'il est à Matignon. Il considère que le péché mortel, ce serait la prétention ; vous allez nous dire tout de suite, comment vous considérez effectivement ce risque. Et puis, il se félicite de son élection au Sénat, dimanche. Il y voit un message de confiance qui lui fait au chaud au coeur.
R-Ecoutez, je crois qu'il y a une chose qui est certaine et que tous les Français voient, c'est que Monsieur Raffarin a perdu toute légitimité. Il y a un côté pathétique dans cette expression ; les élections régionales, les élections cantonales et les élections au Parlement européen et là il se félicite d'avoir retrouvé la confiance. Mais il faut rappeler quand même que les Sénateurs sont élus par des grands électeurs. C'est-à-dire que Monsieur Raffarin a été élu par à peine 300 personnes. En conclure là, que tout va mieux pour lui, je crois qu'il veut plutôt dire, c'est peut-être un petit message qu'il faut comprendre comme ça, bon, qu'il a une porte de sortie, qu'un siège confortable au Sénat l'attend. Et je crois d'ailleurs que ce serait grand temps qu'il quitte le gouvernement, parce qu'on a l'impression que la France n'est plus gouvernée.
Q-Vous avez le sentiment qu'il faut en effet changer de Premier ministre avant par exemple le référendum sur l'Europe ?
R-Ah oui, ça c'est évident, parce que si la bataille politique du référendum est conduite par Monsieur Raffarin, quand on connaît ses capacités à mener les batailles électorales, on est sûr du résultat. Mais cela va plus loin que ça. Je pense que la France ne se sent pas très bien aujourd'hui, elle ne sait plus trop où elle va. Et je crois que... je ne crois pas au miracle, je ne crois pas qu'un changement de Gouvernement et de Premier ministre cela réglerait tout. Mais le pays a besoin d'être gouverné, on voit les rats qui quittent le navire, des ministres qui préparent leur départ et puis dans les cabinets ministériels, il n'y a plus de décisions qui se prennent. En tout état de cause, je le répète un pays comme la France cela a besoin d'être dirigé, d'être gouverné. Et on a l'impression que le président de la République dont tout cela dépend est ailleurs, qu'on ne l'entend plus, qu'il ne s'intéresse plus aux problèmes des Français.
Q-Justement, sur ces questions budgétaires qui vont être présentées à l'Assemblée et où vous allez pouvoir peser, les points sur lesquels vous avez insistés c'est quoi, c'est la prime pour l'emploi que vous voudriez voir revalorisée, vous allez dire quoi. Par exemple sur l'impôt sur la fortune, vous considérez que, si effectivement la majorité propose de relever le plafond, c'est insupportable ou pas ?
R-Oui, parce que je crois que là, il y a vraiment, encore une fois, l'exemple d'une orientation très très claire, d'un gouvernement qui privilégie les privilégiés, c'est une petite minorité française. Alors on dit que c'est pour encourager...
Q-Enfin ce n'est pas une si petite minorité que ça, vous avez vu le sondage du Figaro, si l'on en croit le "ressenti" entre guillemets des Français qui ne considèrent pas riches à partir de 700.000 euros.
R-Oui, mais enfin écoutez, je crois qu'on voit bien qu'il y a une ligne de conduite à ce gouvernement, c'est de mettre en place toute une série de niches fiscales au-delà de l'exemple que vous citez. Moi j'ai parlé des emplois à domicile, mais je pourrais prendre d'autres exemples. Pour la grande majorité des Français, il faut quand même voir les choses telles qu'elles sont, il y a le problème du pouvoir achat, la hausse des prix. Nous, nous demandons par exemple une Commission d'enquête sur la hausse des prix, nous voulons savoir la vérité des marges dans les grandes surfaces. Nous voulons connaître aussi les mécanismes qui ont conduit à cette inflation. On donne des chiffres officiels d'une inflation de 2,4 pour l'année en cours, c'est beaucoup, on n'a jamais connu ça depuis longtemps. Donc pour les ménages, c'est-à-dire le pouvoir d'achat est en baisse, donc cela a un impact sur la consommation, donc cela a un impact sur l'activité économique et sur l'emploi. Nous, nos propositions vont porter essentiellement sur tout ce qui peut relancer la consommation et donc, la confiance des ménages c'est-à-dire l'activité économique et l'emploi. Et donc toutes les mesures qui vont dans le sens contraire, qui sont des mesures pour privilégier, nous allons les critiquer. Et tout ce que nous proposerons ira dans le sens du soutien à la croissance, mais aussi à l'égalité sociale. Alors il y a aussi d'autres sujets, je prends un exemple aussi concret, qui est très révélateur. Vous avez tous entendu parler de la pension de réversion. Elle est remise en cause, en particulier pour les personnes à revenus modestes, c'est inacceptable ! Nous, nous demandons la suppression du projet du gouvernement.
Q-Oui, manifestement on va revenir sur cette disposition, on fait un peu marche arrière là-dessus, maintenant, le gouvernement a changé d'avis...
R-Ah ça nous verrons. Pour l'instant, il n'y a pas de décision prise, nous demandons que le Gouvernement retire purement et simplement ce projet de décret.
Q-Alors revenons si vous le voulez bien tout de même à la position du Parti socialiste. On sait qu'au fond il y a deux clans qui s'affrontent, les non, emportés si je puis dire par L. Fabius et puis d'autres, il n'est pas le seul : Emmanuelli, M. Vauzelle, A. Montebourg. Et puis les oui qui sont majoritaires si je puis dire derrière F. Hollande. Il y aura une consultation interne autour du 1er septembre au sein du Parti socialiste, si le non l'emporte que peut faire F. Hollande ?
R-Ecoutez, je n'imagine pas que le non l'emporte. Donc nous sommes actuellement engagés dans un débat, mais ce débat est légitime. A partir du moment où chacun respecte les arguments de l'autre, essaye de comprendre où sont les vraies divergences sur ce projet de Constitution - je suis convaincu que l'esprit de responsabilité des socialistes va l'emporter. Parce que le choix du oui ou du non, ce n'est pas un choix qui concerne que les militants du Parti socialiste. On sait très bien que le résultat du référendum, c'est-à-dire le oui ou le non va dépendre de la décision du Parti socialiste qui est quand même le premier parti français. Donc la responsabilité, notre responsabilité est immense. Mais encore une fois, je crois que ce débat est légitime. Il doit avoir lieu...
Q-Il n'y a pas d'arrière pensée politique, c'est ça que vous voulez dire, il n'y a pas d'arrière pensée politique de la part de ceux qui par exemple, on l'a beaucoup dit, de L. Fabius, y compris d'ailleurs à gauche, certains ont dit, il se positionne pour les présidentielles en se distinguant. Vous, vous ne voyez pas ça comme ça !
R-Tous ces éléments existent sans doute, mais moi je me concentre sur une seule question : est-ce que ce traité constitutionnel est une avancée, oui ou non ? La réponse quand on le regarde très objectivement c'est oui. Le traité de Maastricht qui était un traité économique et monétaire, aujourd'hui nous avons là un traité politique qui fonde les valeurs de l'Union, les valeurs de tout ce qui rappelle les droits de l'homme - la charte des droits fondamentaux, notamment sur le plan social, l'égalité entre les hommes et les femmes. Et nul pays ne pourra être membre de l'Union européenne s'il ne respecte pas ces valeurs, soit au sein de l'Union, soit au sein de son propre pays. Et d'autre part, c'est une Constitution pour faire fonctionner l'ensemble des institutions, comme la Vème République a sa Constitution. Et donc il ne faut pas confondre le texte d'une constitution avec les choix des politiques qui sont menées. Nous avons une constitution qui a permis à la fois à la gauche d'être au pouvoir et de mener sa politique, mais aujourd'hui c'est la droite et pourtant c'est la même Constitution. Ce qui est proposé aux votes pour l'Europe, c'est la même chose. Alors ne nous trompons pas de cible. Moi, je crois que par contre le débat au sein du Parti socialiste doit permettre de dégager des convergences, je pense en particulier aux conditions pour réorienter l'Europe dans le sens qui serait plus favorable à une Europe sociale et pour ça il faut chercher des alliés. Et donc on ne va pas le faire seul, le Parti socialiste, il faut qu'on cherche des alliés en Europe, chez les socialistes et chez les sociaux démocrates. C'est tout le débat, mais je souhaite qu'il ait lieu et qu'il se conclut positivement.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 30 septembre 2004)