Texte intégral
Monsieur l'Ambassadeur, Messieurs les Députés, (House of Commons), Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord vous remercier d'avoir accepté de participer à ce déjeuner dont j'attends beaucoup pour faire progresser la réflexion sur le thème qui nous réunit. Le Royaume-Uni a la chance d'avoir des ONG de stature internationale, des think tank prestigieux, et des liens privilégiés avec le Commonwealth, autant de richesses qui, j'en suis convaincu, permettent aux Britanniques de contribuer de manière positive à l'élaboration d'une position européenne sur la promotion du développement durable dans et au travers des négociations internationales.
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Permettez-moi, d'abord de livrer quelques éléments de réflexion sur les termes du débat, et sur les raisons qui justifient l'importance que nous avons essayé d'accorder au développement durable dans l'agenda de politique commerciale de la Présidence française.
L'échec de Seattle, c'est incontestable, a propulsé au premier plan du débat international à la fois la question du bénéfice global de la libéralisation des échanges, mis aussi celle du partage de ces bénéfices. Depuis Seattle, et à la lumière des multiples rendez-vous internationaux, Xème Cnuced en février, assemblée annuelle du FMI et de la Banque Mondiale au printemps, ou encore le Sommet Social au début de l'été, c'est la question de la contribution de l'ouverture commerciale au développement économique mais aussi au développement social qui a été posée de manière récurrente. L'OMC s'est vue sommée de faire le bilan du cycle de l'Uruguay et de mesurer l'impact des mesures commerciales sur les pays en développement. Simultanément, les préoccupations environnementales et sociales avancées notamment par l'Union Européenne, pourtant issues elles aussi de l'agenda du développement durable, ont été soupçonnées de servir d'alibi à un protectionnisme déguisé.
De la tournure prise par le débat, certains ont tirés des conclusions extrêmement pessimistes, que l'on peut résumer ainsi. Le consensus international sur l'agenda du développement durable agréé au Sommet de la Terre puis à Copenhague autour des trois piliers que sont le développement économique, la protection de l'environnement et le développement social aurait volé en éclats sous la poussée d'intérêts divergents.
D'un côté, les pays développés essaient d'imposer jusque dans les négociations commerciales des normes environnementales ou sociales que leurs partenaires du Sud ne jugent pas prioritaires. De l'autre, en particulier dans des négociations environnementales comme celles du protocole de Kyoto sur le changement climatique, les pays en développement adoptent des stratégies collectives pour obtenir des compensations financières sans véritablement participer à l'élaboration de règles qu'ils estiment ne pas avoir réclamées. L'idée d'une "responsabilité commune mais différenciée" semble alors vouée à se dégrader dans une espèce de marchandage à court terme, bien en deçà des ambitions affichées il y a maintenant huit ans à Rio.
La France ne veut pas se résigner à ces conclusions parce que l'enjeu est trop important. L'absence d'un système de règles légitimes et partagées maximise en réalité les risques d'une faillite du système multilatéral. Si nous ne relevons pas ce pari de faire du développement durable la base d'un nouveau consensus entre le Nord et le Sud, nous réduirons la plupart des négociations internationales, à n'être qu'un marchandage propre à nourrir la méfiance réciproque, les frustrations et les ressentiments . Fondamentalement, je crois que c'est cette conviction qui nous a conduit à plaider, dans le domaine commercial, pour un cycle large.
La France considère que le développement durable doit inspirer l'approche de la régulation internationale.
De manière plus générale, et comme l'a indiqué le Premier Ministre au printemps dernier, le développement durable inspire notre approche de la régulation mondiale et doit offrir un socle aux politiques de coopération et d'aide au développement.
En matière d'aide au développement, la France est soucieuse que l'allégement de la dette permette une réduction efficace de la pauvreté. Elle a décidé de passer avec les gouvernements bénéficiaires un contrat de désendettement et de développement qui s'inscrira dans la "stratégie pour la croissance et la réduction de la pauvreté" mise en place par ces pays avec l'aide des institutions de Bretton Woods. Ce qui signifie que les marges dégagées pour ces pays doivent être affectées en priorité à l'éducation, à la santé, à l'aménagement durable du territoire.
La France est également attachée à renforcer les institutions des Nations-Unies qui s'attachent à garantir les biens "publics" internationaux indispensables au développement durable de la planète que sont la santé, l'éducation ou encore l'environnement. C'est la raison pour laquelle elle a proposé de compléter cette architecture là où elle est encore défaillante, là où l'absence d'organisations et de mécanismes véritablement contraignants rend plus aléatoire le respect des engagements internationaux. C'est notamment le cas en matière d'environnement, d'où notre souhait de relancer la réflexion sur la pertinence d'une Organisation Mondiale de l'Environnement.
L'importance que donne la France à l'objectif de développement durable s'est récemment traduite par une décision du Premier Ministre de créer une Fondation sur le développement durable, ouverte à des universitaires, des experts, des économistes. Cette Fondation sera chargée dès janvier 2001 de réfléchir aux implications du développement durable sur les politiques publiques et les négociations internationales.
Le développement durable dans la politique commerciale de l'Union : les priorités de la Présidence Française.
Pour en venir à la politique commerciale, je souhaite que le report du lancement d'un cycle large à l'OMC soit l'occasion d'approfondir la réflexion communautaire sur l'intégration des objectifs de développement durable dans la politique commerciale de l'Union.
Je rappellerai que cet objectif répond à une demande formulée par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union, lors du Conseil européen d'Helsinki, en décembre dernier: une communication de la Commission est attendue sur ce thème qui fera l'objet d'un examen durant notre présidence, dont la feuille de route accorde déjà une large place aux questions d'environnement et de développement.
Je commencerai par la place des pays en développement dans le système commercial et plus particulièrement par la question du traitement spécial et différencié.
Au moment où les institutions multilatérales orientent leur action en faveur de la lutte contre la pauvreté, comme cela vient d'être encore rappelé lors de l'Assemblée du Millénaire, l'OMC, ne peut, nous semble-t-il rester à l'écart de cette réflexion. D'autant plus que c'est aujourd'hui le principe qui guide le processus de restauration de la confiance qui s'est engagé à Genève. Mais il est important d'en approfondir les enjeux car s'il est de notre devoir de prendre en compte les attentes légitimes des pays les plus défavorisés, je crois aussi que nous ne devons pas perdre de vue la responsabilité croissante des pays émergents.
Ce pragmatisme et cette approche au cas par cas, dans un souci d'efficacité et d'équité, devront également guider, à plus court terme, notre participation au programme de travail sur la mise en uvre des accords de Marrakech pour les pays en développement.
Je rappellerai que l'accès des produits des PMA (Least developed countries) a donné lieu à des engagements récents. L'Union a ainsi annoncé qu'elle étudierait de nouvelles étapes de libéralisation. Il importe maintenant de concrétiser ces engagements, car il en va de la crédibilité de notre message sur les bénéfices de l'ouverture. Je souhaite vivement que nous adoptions ces mesures sous la Présidence française.
Il faudra également reprendre la réflexion sur l'avenir du "cadre intégré" en faveur des PMA, passé entre plusieurs organisations internationales pour renforcer la coopération technique. Nous devons avancer, sur ce problème précis, mais d'importance, dans la voie d'une plus grande cohérence entre les différentes institutions internationales.
C'est à des titres divers que les questions environnementales vont intervenir dans l'agenda de la politique commerciale de l'Union, à travers les travaux du Comité Commerce et Environnement, d'abord, les panels à dimension environnementale, et je l'espère une clarification de la position de l'Union Européenne pour le prochain cycle.
L'Union européenne, je le rappelle, s'était engagée lors du Conseil du 26 Octobre, à inclure dans les négociations un ensemble de questions visant à clarifier, sur le plan juridique, la relation entre les règles de l'OMC et les mesures commerciales prises au nom des accords environnementaux multilatéraux, et à encourager la coopération entre l'OMC et les organisations internationales en charge de l'environnement.
C'est une tâche indispensable, car certains invoquent aujourd'hui cette absence de clarté pour soupçonner l'OMC de moins disance écologique. Cette clarification pourrait également contribuer à dissiper les soupçons des pays en développement. Ils sont loin d'ailleurs de s'opposer systématiquement à un meilleur dialogue entre l'OMC et les conventions environnementales, je pense notamment à la Convention sur la Biodiversité. Ni même à une meilleure prise en compte du principe de précaution dans le commerce transfrontalier , comme l'a montré en janvier dernier l'accord sur le protocole de biosécurité.
Enfin, sur les normes sociales, nous devrons prendre en compte le souci manifesté tant à la CNUCED que lors du sommet social de Genève, dit Copenhague + 5, d'élargir le débat à toutes les organisations concernées par le développement social.
A travers les différents sujets que je viens d'évoquer, développement, environnement, etc, apparaît un impératif. Celui de la cohérence des actions des diverses organisations internationales à vocation économique et de la coopération de l'OMC avec les Institutions de Bretton Woods et celles des Nations-Unies. Cette coopération et cette cohérence sont au cur du débat sur les missions et sur la légitimité de l'OMC, et sur la contribution qu'elle peut apporter à une meilleur maîtrise de la mondialisation.
Avant de laisser place au débat, je souhaiterais faire une dernière remarque. L'OMC a été certes constituée pour être l'instrument d'une libéralisation des échanges- et en cela, elle ne saurait se substituer aux autres organisations internationales en charge du développement, de la santé ou des problèmes environnementaux globaux - mais d'une libéralisation maîtrisée et ordonnée. Toute la difficulté consiste à concevoir cet ordre d'une manière propre à répondre aux attentes légitimes de tous les membres : dans cette perspective, nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur le développement durable.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 25 septembre 2000)