Texte intégral
Q - Bonsoir Monsieur le Ministre, la Turquie d'abord si vous le voulez bien. Une première question naïve : Jacques Chirac est en faveur de l'entrée de la Turquie en Europe, sous certaines conditions, plus de 95 % du territoire de la Turquie n'est pas en Europe, alors pourquoi tant de mal pour faire entrer en Europe un pays qui n'est pas européen ?
R - Entrer, pas maintenant en tout cas ; nous ne débutons qu'un processus de négociations qui peut durer très longtemps ; disons-le parce qu'il faut dire la vérité et ceux qui disent le contraire ne disent pas la vérité. Quel est ce pays ? Quel est notre intérêt pour répondre à votre question ?
Ce pays est un très grand pays, en effet il est à la charnière de plusieurs mondes, le monde de l'Asie mineure, du Moyen-Orient et de l'Europe avec un morceau de son territoire en Europe et une large partie de son histoire en Europe. C'est un pays dont l'État est laïque, où les femmes ont le droit de vote depuis 1930, quatorze ans avant les Françaises, et qui s'est mis en route vers le modèle européen depuis quarante ans parce qu'on lui a fait une promesse, et il y a donc eu beaucoup d'efforts pour cela.
Quel est notre intérêt ? Je pense que Jacques Chirac est comptable, non seulement de la parole de la France, de cette promesse qui a été faite mais de notre intérêt. Notre intérêt est-il que ce pays, ce grand pays à la charnière, comme je viens de le dire, bascule dans un autre modèle ou au contraire se rapproche de notre modèle ? En toute hypothèse, il y a une chose que nous ne changerons pas, c'est l'endroit où se trouve ce pays sur la carte, à la frontière de l'Europe et en partie en Europe. Et je pense, très simplement, comme le président de la République, que notre intérêt est que cette frontière soit stable, démocratique et qu'elle soit développée, plutôt que d'être fragile et instable pour notre sécurité.
Voilà pourquoi le président de la République souhaite que ce dialogue avec la Turquie continue.
Q - En deux mots, vous savez que beaucoup de députés, y compris de la majorité, y compris de l'UMP, souhaitent un débat sur la Turquie tout de suite, pas simplement le référendum à l'arrivée qu'a promis Jacques Chirac, un débat tout de suite et ils veulent un vote. Le gouvernement veut bien un débat mais ne veut pas le vote car il a peur qu'il y ait une majorité négative à l'Assemblée nationale.
R - Non, je ne crois pas que ce soit une crainte d'avoir une majorité négative, je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'il y ait une majorité contre cette perspective d'adhésion, en tout cas contre le début des négociations. Les députés en question que je connais bien et que j'ai écoutés connaissent très bien la Constitution. C'est le gouvernement et le président de la République qui négocient les traités internationaux et c'est le Parlement ou le peuple qui tranche et qui décide de ces traités.
Nous ne sommes pas dans l'adoption d'un traité mais au début de la négociation d'un traité ; je pense donc qu'il est important qu'il y ait un débat, le Premier ministre d'ailleurs l'a dit, je pense même qu'il y aura beaucoup de débats et puis il y aura un vote le moment venu. Ce vote sera, et c'est ce qui me paraît le plus important, celui de ceux qui nous regardent, c'est-à-dire de chacune et de chacun des Français qui trancheront comme ils l'ont fait, dans un autre débat important, pour une autre adhésion importante qui était celle du Royaume-Uni il y a quelques années.
Q - Brièvement, les Français, lorsqu'on les interroge dans les sondages, sont hostiles à l'entrée de la Turquie aujourd'hui. On voit très bien dans ces enquêtes qu'en réalité, ils ont peur d'un grand pays musulman de 70 millions d'habitants qui serait le pays le plus peuplé d'Europe à terme.
R - Donc, il faut débattre et parler parce que le pire dans une affaire comme celle-là, et d'une manière générale pour les questions européennes, c'est le silence. C'est le silence qui entretient les peurs, ce sont ces peurs qu'utilisent certains hommes politiques et je pense que les Français sont plus intelligents que certains hommes politiques ne le croient. Les Français savent, je le répète, que la religion dominante d'un pays, que le peuple soit chrétien ou qu'il soit musulman, ce n'est pas le critère d'adhésion à l'Union européenne. La Turquie est un État laïque et donc, je pense que nous pouvons parler de notre intérêt, de l'intérêt de notre sécurité, de notre stabilité et justifier pour cela que l'on poursuive le dialogue avec la Turquie qui peut être un dialogue très long, de dix ou quinze ans avant une adhésion éventuelle.
Q - A propos de l'Europe, vous savez ce que disent les socialistes sur l'interprétation du traité ; vous avez contribué à l'élaboration de ce traité lorsque vous étiez commissaire européen. Laurent Fabius défend la thèse selon laquelle en fait il n'y a pas d'avancées sociales dans le traité et il y a un carcan libéral. Sans faire de longs discours, il a raison ou il a tort ?
R - Je pense que Laurent Fabius est passé à côté du sujet, peut-être avec quelques arrière-pensées de politique intérieure. Lorsqu'on lit ce texte, lorsqu'on lit ce petit livre dont, en effet, j'ai été l'un des ouvriers avec M. Giscard d'Estaing et beaucoup d'autres, de droite et de gauche, je peux dire que l'on a besoin de ce texte.
Nous avons besoin de cette Constitution. L'Europe sera plus sociale, un peu moins libérale, un peu plus juste avec cette Constitution que sans cette Constitution ; les services publics auxquels les Français sont attachés seront mieux défendus avec cette Constitution, nous pourrons avoir une politique de contrôle de l'immigration, de sécurité écologique ; on pourra faire ce que les Français souhaitent, une politique étrangère commune et une défense commune.
Tous les outils sont dans cette Constitution, et je vais me battre pour le "oui", comme citoyen plus que comme ministre. Je vais appeler tous ceux qui, dans la société civile, vont lire ce texte et penseront qu'il est utile pour que l'Europe fonctionne et qu'elle soit une économie sociale de marché.
Q - Venons-en à nos otages à propos desquels tout le monde se pose beaucoup de questions. D'abord, on a beaucoup dit, entendu - certains de vos collègues du gouvernement l'ont laissé entendre publiquement - que l'intervention de Didier Julia, le député UMP a, en fait, rompu le canal de négociations que vous aviez. Est-ce vrai ou faux ?
R - Me permettez-vous, sur ce sujet très grave qui concerne deux de nos compatriotes, Christian Chesnot et Georges Malbrunot ainsi que leur chauffeur syrien, de dire deux ou trois choses ?
Voilà 49 jours et 49 nuits que nous travaillons beaucoup, que les agents de l'État travaillent avec professionnalisme et avec rigueur ; et ce n'est pas un jeu, nous sommes dans un pays en guerre, avec des otages et certains qui ont été décapités, des bombes qui tombent partout, 85 morts depuis quelques jours en raison des combats. Ce n'est pas un jeu.
Nous avions, nous avons obtenu des résultats et maintenant, mon souci, c'est de poursuivre ce processus de libération que nous avions engagé. Pour cela, nous avons besoin de deux choses. Voilà ce que je veux dire ce soir, nous avons besoin qu'on nous laisse travailler dans la rigueur et dans la discrétion, comme c'est la règle lorsqu'il s'agit de libération d'otages. De plus, nous avons également besoin de l'unité nationale, de la cohésion. Cette unité, telle que je l'ai vue dans l'hémicycle ou dans le bureau de Jean-Pierre Raffarin, de tous les partis politiques que je veux remercier, ceux de l'opposition et ceux de la majorité. Et cette unité, cette mobilisation, cette cohésion nationale, nous la devons aussi, permettez-moi de le dire, à ces deux journalistes et à leurs familles qui font preuve de beaucoup de courage et de dignité en ce moment.
Q - Étiez-vous sur le point d'aboutir au moment où Didier Julia est intervenu ?
R - Nous étions, les 28 et 29 septembre, je pense pouvoir le dire avec précaution, dans la phase finale d'un processus de libération et ce que j'ai constaté, c'est que les progrès que nous avions accomplis ont été interrompus au même moment.
Q - Maintenant, êtes-vous en mesure de rouvrir ce canal ? Est-il réouvert ?
R - Je vous ai dit, de la discrétion et de la rigueur. Nous travaillons.
Q - Je ne vous demande pas d'indiscrétions.
R - Non, il y a des indications que je ne peux pas donner.
Q - On s'interroge par exemple pour savoir s'ils sont toujours en Irak ou non, s'ils sont toujours détenus par le même groupe qu'au départ ou non, pouvez-vous nous répondre là-dessus ?
R - Je comprends que l'on se pose toutes ces questions, je vous indique simplement que dans le processus où nous sommes engagés, il y a des indications que je ne peux pas donner pour une raison très simple qui tient à leur sécurité et au climat d'insécurité, d'instabilité et de violence qui règne en Irak. Je vous demande de comprendre et je demande à ceux qui nous écoutent de comprendre qu'on ne peut pas tout dire parce que c'est la sécurité de Christian Chesnot, de Georges Malbrunot et de leur chauffeur qui est en cause.
Q - On peut très bien comprendre que vous ne puissiez pas nous le dire, en revanche, on peut vous demander si, compte tenu des éléments dont vous disposez aujourd'hui, en dehors de la patience et de la discrétion, la part de l'espérance continue à être ce qu'elle était avant l'intervention de Didier Julia.
R - Ma réponse est oui, et je veux croire qu'une libération est possible.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2004)
R - Entrer, pas maintenant en tout cas ; nous ne débutons qu'un processus de négociations qui peut durer très longtemps ; disons-le parce qu'il faut dire la vérité et ceux qui disent le contraire ne disent pas la vérité. Quel est ce pays ? Quel est notre intérêt pour répondre à votre question ?
Ce pays est un très grand pays, en effet il est à la charnière de plusieurs mondes, le monde de l'Asie mineure, du Moyen-Orient et de l'Europe avec un morceau de son territoire en Europe et une large partie de son histoire en Europe. C'est un pays dont l'État est laïque, où les femmes ont le droit de vote depuis 1930, quatorze ans avant les Françaises, et qui s'est mis en route vers le modèle européen depuis quarante ans parce qu'on lui a fait une promesse, et il y a donc eu beaucoup d'efforts pour cela.
Quel est notre intérêt ? Je pense que Jacques Chirac est comptable, non seulement de la parole de la France, de cette promesse qui a été faite mais de notre intérêt. Notre intérêt est-il que ce pays, ce grand pays à la charnière, comme je viens de le dire, bascule dans un autre modèle ou au contraire se rapproche de notre modèle ? En toute hypothèse, il y a une chose que nous ne changerons pas, c'est l'endroit où se trouve ce pays sur la carte, à la frontière de l'Europe et en partie en Europe. Et je pense, très simplement, comme le président de la République, que notre intérêt est que cette frontière soit stable, démocratique et qu'elle soit développée, plutôt que d'être fragile et instable pour notre sécurité.
Voilà pourquoi le président de la République souhaite que ce dialogue avec la Turquie continue.
Q - En deux mots, vous savez que beaucoup de députés, y compris de la majorité, y compris de l'UMP, souhaitent un débat sur la Turquie tout de suite, pas simplement le référendum à l'arrivée qu'a promis Jacques Chirac, un débat tout de suite et ils veulent un vote. Le gouvernement veut bien un débat mais ne veut pas le vote car il a peur qu'il y ait une majorité négative à l'Assemblée nationale.
R - Non, je ne crois pas que ce soit une crainte d'avoir une majorité négative, je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'il y ait une majorité contre cette perspective d'adhésion, en tout cas contre le début des négociations. Les députés en question que je connais bien et que j'ai écoutés connaissent très bien la Constitution. C'est le gouvernement et le président de la République qui négocient les traités internationaux et c'est le Parlement ou le peuple qui tranche et qui décide de ces traités.
Nous ne sommes pas dans l'adoption d'un traité mais au début de la négociation d'un traité ; je pense donc qu'il est important qu'il y ait un débat, le Premier ministre d'ailleurs l'a dit, je pense même qu'il y aura beaucoup de débats et puis il y aura un vote le moment venu. Ce vote sera, et c'est ce qui me paraît le plus important, celui de ceux qui nous regardent, c'est-à-dire de chacune et de chacun des Français qui trancheront comme ils l'ont fait, dans un autre débat important, pour une autre adhésion importante qui était celle du Royaume-Uni il y a quelques années.
Q - Brièvement, les Français, lorsqu'on les interroge dans les sondages, sont hostiles à l'entrée de la Turquie aujourd'hui. On voit très bien dans ces enquêtes qu'en réalité, ils ont peur d'un grand pays musulman de 70 millions d'habitants qui serait le pays le plus peuplé d'Europe à terme.
R - Donc, il faut débattre et parler parce que le pire dans une affaire comme celle-là, et d'une manière générale pour les questions européennes, c'est le silence. C'est le silence qui entretient les peurs, ce sont ces peurs qu'utilisent certains hommes politiques et je pense que les Français sont plus intelligents que certains hommes politiques ne le croient. Les Français savent, je le répète, que la religion dominante d'un pays, que le peuple soit chrétien ou qu'il soit musulman, ce n'est pas le critère d'adhésion à l'Union européenne. La Turquie est un État laïque et donc, je pense que nous pouvons parler de notre intérêt, de l'intérêt de notre sécurité, de notre stabilité et justifier pour cela que l'on poursuive le dialogue avec la Turquie qui peut être un dialogue très long, de dix ou quinze ans avant une adhésion éventuelle.
Q - A propos de l'Europe, vous savez ce que disent les socialistes sur l'interprétation du traité ; vous avez contribué à l'élaboration de ce traité lorsque vous étiez commissaire européen. Laurent Fabius défend la thèse selon laquelle en fait il n'y a pas d'avancées sociales dans le traité et il y a un carcan libéral. Sans faire de longs discours, il a raison ou il a tort ?
R - Je pense que Laurent Fabius est passé à côté du sujet, peut-être avec quelques arrière-pensées de politique intérieure. Lorsqu'on lit ce texte, lorsqu'on lit ce petit livre dont, en effet, j'ai été l'un des ouvriers avec M. Giscard d'Estaing et beaucoup d'autres, de droite et de gauche, je peux dire que l'on a besoin de ce texte.
Nous avons besoin de cette Constitution. L'Europe sera plus sociale, un peu moins libérale, un peu plus juste avec cette Constitution que sans cette Constitution ; les services publics auxquels les Français sont attachés seront mieux défendus avec cette Constitution, nous pourrons avoir une politique de contrôle de l'immigration, de sécurité écologique ; on pourra faire ce que les Français souhaitent, une politique étrangère commune et une défense commune.
Tous les outils sont dans cette Constitution, et je vais me battre pour le "oui", comme citoyen plus que comme ministre. Je vais appeler tous ceux qui, dans la société civile, vont lire ce texte et penseront qu'il est utile pour que l'Europe fonctionne et qu'elle soit une économie sociale de marché.
Q - Venons-en à nos otages à propos desquels tout le monde se pose beaucoup de questions. D'abord, on a beaucoup dit, entendu - certains de vos collègues du gouvernement l'ont laissé entendre publiquement - que l'intervention de Didier Julia, le député UMP a, en fait, rompu le canal de négociations que vous aviez. Est-ce vrai ou faux ?
R - Me permettez-vous, sur ce sujet très grave qui concerne deux de nos compatriotes, Christian Chesnot et Georges Malbrunot ainsi que leur chauffeur syrien, de dire deux ou trois choses ?
Voilà 49 jours et 49 nuits que nous travaillons beaucoup, que les agents de l'État travaillent avec professionnalisme et avec rigueur ; et ce n'est pas un jeu, nous sommes dans un pays en guerre, avec des otages et certains qui ont été décapités, des bombes qui tombent partout, 85 morts depuis quelques jours en raison des combats. Ce n'est pas un jeu.
Nous avions, nous avons obtenu des résultats et maintenant, mon souci, c'est de poursuivre ce processus de libération que nous avions engagé. Pour cela, nous avons besoin de deux choses. Voilà ce que je veux dire ce soir, nous avons besoin qu'on nous laisse travailler dans la rigueur et dans la discrétion, comme c'est la règle lorsqu'il s'agit de libération d'otages. De plus, nous avons également besoin de l'unité nationale, de la cohésion. Cette unité, telle que je l'ai vue dans l'hémicycle ou dans le bureau de Jean-Pierre Raffarin, de tous les partis politiques que je veux remercier, ceux de l'opposition et ceux de la majorité. Et cette unité, cette mobilisation, cette cohésion nationale, nous la devons aussi, permettez-moi de le dire, à ces deux journalistes et à leurs familles qui font preuve de beaucoup de courage et de dignité en ce moment.
Q - Étiez-vous sur le point d'aboutir au moment où Didier Julia est intervenu ?
R - Nous étions, les 28 et 29 septembre, je pense pouvoir le dire avec précaution, dans la phase finale d'un processus de libération et ce que j'ai constaté, c'est que les progrès que nous avions accomplis ont été interrompus au même moment.
Q - Maintenant, êtes-vous en mesure de rouvrir ce canal ? Est-il réouvert ?
R - Je vous ai dit, de la discrétion et de la rigueur. Nous travaillons.
Q - Je ne vous demande pas d'indiscrétions.
R - Non, il y a des indications que je ne peux pas donner.
Q - On s'interroge par exemple pour savoir s'ils sont toujours en Irak ou non, s'ils sont toujours détenus par le même groupe qu'au départ ou non, pouvez-vous nous répondre là-dessus ?
R - Je comprends que l'on se pose toutes ces questions, je vous indique simplement que dans le processus où nous sommes engagés, il y a des indications que je ne peux pas donner pour une raison très simple qui tient à leur sécurité et au climat d'insécurité, d'instabilité et de violence qui règne en Irak. Je vous demande de comprendre et je demande à ceux qui nous écoutent de comprendre qu'on ne peut pas tout dire parce que c'est la sécurité de Christian Chesnot, de Georges Malbrunot et de leur chauffeur qui est en cause.
Q - On peut très bien comprendre que vous ne puissiez pas nous le dire, en revanche, on peut vous demander si, compte tenu des éléments dont vous disposez aujourd'hui, en dehors de la patience et de la discrétion, la part de l'espérance continue à être ce qu'elle était avant l'intervention de Didier Julia.
R - Ma réponse est oui, et je veux croire qu'une libération est possible.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2004)