Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député Léonetti,
Hier en effet, à l'issue du conseil des ministres franco-allemand, nous avons rencontré le Premier ministre turc, monsieur Erdogan, avec le Président Chirac, dans le bureau du Chancelier Schröder. Le Premier ministre turc nous a posé la question de la décision du 17 décembre et comment les choses allaient se passer. Le président de la république a répondu clairement.
Premièrement, c'est à l'unanimité que doit se prendre la décision - si elle se prend - de la démarche de négociation pour une adhésion. Et deuxièmement, il est évident que toute démarche de négociation se fait dans une perspective d'adhésion. Mais, a-t-il ajouté, nous demandons à la Turquie de bien voir que dans ce processus de négociation, il y a trois issues possibles.
La première issue, c'est l'issue du succès de la négociation. Succès de la négociation égale adhésion ; pour les Français, cela veut dire référendum. Deuxième voie de la négociation, c'est la rupture : nous sommes en désaccord complet, il n'y a pas d'entente possible. [Cette] deuxième hypothèse serait celle de la rupture. Hypothèse non souhaitable mais hypothèse possible. Troisième hypothèse - troisième issue - qu'il nous faut envisager : nous avons fait des progrès importants dans la négociation, mais sur des points clés, la Turquie ne veut pas céder, ou l'Union européenne ne veut pas céder, parce qu'il s'agit, là, de valeurs fondamentales. Dans cette hypothèse-là, il faudra trouver un lien nouveau entre les deux partenaires. Voilà les trois issues possibles de la négociation. Ce que nous avons dit clairement au Premier ministre de la Turquie, c'est qu'il n'y avait pas automaticité de la négociation avec l'adhésion.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 28 octobre 2004|N|N|N|N|Texte Intégral26473|Bonjour à chacune et chacun d'entre vous,
Je suis heureux de venir à un moment charnière, si j'ai bien compris, entre vos deux débats dont je veux dire quelques mots, en m'exprimant franchement. Vous me permettrez tout d'abord de dire à Messieurs les Ambassadeurs qui sont ici, le sentiment de reconnaissance que j'ai pour l'énergie que vous déployez l'un et l'autre, dans le cadre de ce Groupe de haut niveau, pour organiser de tels débats, de tels moments de confrontation d'idées, de dialogue et de compréhension mutuelle. Je pense que nous en avions vraiment besoin. Parmi vous, je voudrais notamment saluer, je crois qu'ils sont dix, les journalistes israéliens qui nous font l'amitié de répondre à cette invitation et d'être présents aujourd'hui à Paris et pour quelques jours.
Je suis heureux, à mon tour, comme nouveau ministre des Affaires étrangères français de participer à ces moments qu'avait voulus l'un de mes prédécesseurs et qu'organisent nos deux ministères des Affaires étrangères israélien et français.
Le souci reste de développer les relations entre Israël et la France, comme l'une de nos priorités, en tout cas, c'est l'un des axes de mon travail. Nous souhaitons aussi, et j'en dirai quelques mots tout à l'heure, renforcer, je crois que c'est nécessaire également, la relation forte qui unit Israël et l'Europe.
Je vous dis tout cela, à la veille ou à l'avant-veille de ma visite en Israël, pendant plus de deux jours, qui sera une vraie première visite bilatérale, pour Israël et pour les Israéliens, de ma part.
Je crois qu'à l'occasion du colloque Regards croisés" de mai dernier, dans le cadre du Groupe de haut niveau, nous avons réalisé un sondage sur la perception réciproque et mutuelle de nos deux sociétés, l'une à l'égard de l'autre. Ma première réflexion sera de dire qu'il faut regarder en face ces résultats, même si ce n'est qu'un sondage ou une photographie. Nos deux sociétés ne se comprennent pas et, d'un côté comme de l'autre, ces résultats interpellent puisqu'ils ne sont pas satisfaisants. En réalité, je serais tenté de dire que ces regards croisés se croisent très peu et il y a là, chacun restant ancré dans ses convictions, un véritable devoir de dialogue et de compréhension.
Comment réduire cet écart, comment faire pour que nos regards se croisent véritablement, dans toutes les dimensions de nos sociétés, qu'il s'agisse des hommes et des femmes du milieu politique, du milieu culturel, des journalistes, du milieu économique ou de nos peuples, sûrement ? L'explication et le dialogue, ce sera ma première réponse.
Se connaître, se comprendre, créer des liens, y compris des liens amicaux, en tout cas je suis déterminé, à la place où je me trouve aujourd'hui, à agir pour trouver des temps et des moments d'explication, prendre le temps de ce dialogue.
Je ferai tout cela pour convaincre qu'en ce qui nous concerne, nous Français, nous n'avons pas d'autre vu pour Israël que de voir ce pays vivre en paix et en sécurité. J'y reviendrai dans un instant, avec cette conviction simple, qui est puisée, construite dans l'expérience et dans l'histoire dans lesquelles l'une et l'autre de nos deux sociétés sont intimement liées.
Ce matin, vous avez abordé, je crois, la question du traitement médiatique de l'antisémitisme, vous allez consacrer tout à l'heure, un travail de réflexion et de dialogue au traitement du conflit au Proche-Orient.
Je voudrais évoquer, dans ces quelques réflexions ces deux sujets, encore une fois, aussi librement et franchement que vous le souhaitez et que j'en ai l'habitude.
L'antisémitisme touche au plus profond de nos consciences, ravive des souvenirs que l'on espérait confiner dans une histoire tragique. Je veux dire ma conviction qu'il n'y a pas d'excuses, il n'y a pas de justification à l'antisémitisme et m'appuyer sur cette phrase qu'a prononcée le président de la République, Jacques Chirac, et qui correspond à une conviction très profonde de sa part et de ma part : "S'en prendre à un Juif, c'est s'en prendre à la France tout entière".
C'est sur cette conviction que nous appuyons une action publique déterminée, intransigeante pour lutter contre ce fléau. Il me semble que cette action est aujourd'hui reconnue, y compris en Israël. J'ai eu une discussion à laquelle j'attachais beaucoup d'importance, il y a quinze jours ou trois semaines à New York, avec toutes les organisations juives américaines, un long dialogue, plusieurs dialogues d'ailleurs avec plusieurs de ces associations et j'ai entendu que l'on donnait acte en France aux autorités françaises de leur détermination sur cette question. Il ne se passe que très peu de Conseils des ministres - je ne suis pas là pour révéler ce que nous nous disons autour de la table de ce Conseil -, très peu de Conseils des ministres au cours desquels, à l'occasion de tel ou tel problème, affaire, le président de la République ne nous rappelle pas cette détermination. On en trouve la preuve dans la législation pénale de notre pays qui est la plus sévère et dans l'action que nous voulons conduire pour lutter contre toute forme d'antisémitisme moderne à travers Internet. J'ai moi-même présidé l'ouverture de la Conférence de l'OSCE sur Internet, ici même, dans cet immeuble, concernant la loi sur l'antisémitisme, dans les médias, y compris satellitaire.
La semaine prochaine, je rencontrerai le président Katsav qui a cité notre pays comme un exemple de ce que l'on peut faire et de ce que l'on doit faire contre l'antisémitisme. J'ai aussi entendu le ministre Shalom exprimer le même point de vue et pourtant, nous ne pouvons pas nous satisfaire de l'existence de cet arsenal juridique ; il est certes nécessaire d'avoir cet aspect juridique et de l'utiliser, mais je pense que c'est dans les esprits, et notamment parmi les plus jeunes dans nos sociétés que le mal peut se trouver. Et tant que l'on dira : "sale juif" dans certaines écoles, comme d'ailleurs on entend "sale arabe" mais aussi "sale Français" dans les cours de récréation, nous aurons des raisons, à la fois de punir sans relâche et de réprimer mais aussi d'expliquer ; expliquer que notre République ne tolèrera jamais une telle négation de ce qu'elle est au plus profond. Et puisque je parle de la République, je veux dire aussi un mot de cette loi française, républicaine, qui est la loi sur la laïcité que j'ai d'ailleurs dû expliquer il y a quelques semaines, dans des pays arabes et musulmans, dans le cadre des efforts que nous faisons pour obtenir la libération de nos deux otages et de leur chauffeur syrien ; j'ai dû expliquer dans ces pays, et il semble que cette explication était à la fois nouvelle et bienvenue, ce qu'est cette loi française qui date, pour une large part, d'assez longtemps, - 1905 - et que nous avons actualisée. Cette loi protège la liberté de conscience et de religion en même temps qu'elle rend, dans certains lieux, au moins l'école publique et certains lieux administratifs, la tolérance obligatoire, si je puis dire, telle une règle.
Je voulais vous dire ces quelques mots sur notre détermination et notre état d'esprit, s'agissant à la fois de la loi et du travail d'explication, d'éducation qui me paraît, sur le moyen et le long terme, au moins aussi important.
Maintenant, je voudrais dire quelques mots à propos du débat que vous allez avoir sur le conflit du Proche-Orient, dont j'ai dit, l'autre jour à la tribune des Nations unies, dans le discours que j'ai prononcé au nom de la France, qu'il était au coeur de tous les conflits et qu'il était au coeur de la responsabilité historique de notre génération politique de le régler ou de le faire progresser vers une solution.
Votre exigence, notre exigence, c'est naturellement, fondamentalement, l'existence et la sécurité d'Israël et nous ne transigerons jamais sur cette exigence. La garantie de cette exigence, l'existence et la sécurité d'Israël, il me semble encore qu'il y a un très large accord, c'est naturellement qu'il y ait un État palestinien viable et offrant aux jeunes Palestiniens un avenir et un futur. Il faut que cet État palestinien se trouve quelque part, il ne peut pas rester en l'air, en prospective. Il faudra donc le poser quelque part si je puis dire et c'est ainsi que nous nous attachons à dire, même si quelquefois, nous ne sommes pas nombreux, que la Feuille de route sur laquelle il y avait un accord général des parties israélienne, palestinienne et naturellement des grandes organisations et des grands pays, reste le document sur lequel nous devons travailler, que nous devons mettre en uvre et qui indique que cet État palestinien qui reste à créer ne peut être établi, et je cite la Feuille de route que : "s'il est mis fin à l'occupation qui a commencé en 1967".
Depuis le Sommet de Beyrouth en mars 2002, la paix avec tous les États arabes reste à portée de main, mais naturellement, le temps presse et les morts qui s'accumulent et accroissent les rancurs, les changements sur le terrain, les colonies, le mur, les routes rendent plus difficile une séparation, pourtant inscrite dans tous les plans de paix et encore, vous le savez, la démographie qui crée, à terme, une situation chaque année plus pressante.
Et puis il y a cette spirale de violence, d'inhumanité qui frappe aussi bien les enfants de Palestine que ceux d'Israël. Le terrorisme qui frappe le peuple israélien durement, très durement, n'est justifiable par aucun argument ni aucune cause et le seul objectif que l'on doit avoir est de le faire cesser en luttant contre les criminels naturellement. Nous faisons de même lorsque notre pays est touché par le terrorisme. Là, comme partout dans le monde, ce fléau dont personne n'est à l'abri, ne peut être traité que par ses racines.
Comment arriver à la paix ? Pour les Israéliens, la paix passe par la renonciation à l'occupation qui n'apporte que des difficultés en Israël. J'ai parlé du terrorisme, du ralentissement économique avec une chute du tourisme, une forme d'incompréhension internationale, du coût financier considérable de cette présence militaire, de la protection de 300.000 colons. Voilà pourquoi nous pensons, ayant entendu la promesse faite par le Premier ministre, M. Sharon, du retrait de Gaza, qu'il faut que cette promesse soit tenue, qu'elle soit une étape et qu'elle soit une promesse réussie. Nous sommes dans l'état d'esprit d'aider Israël à tenir cette promesse et à la réussir.
C'est l'esprit des propositions que vient de faire, en notre nom, M. Javier Solana pour la réussite de cette première étape. Si je parle de l'Union européenne, vous ne m'en voudrez pas de dire, Mesdames et Messieurs, que vous avez devant vous le ministre français des Affaires étrangères mais aussi un ministre définitivement européen. Lorsque j'ai reçu M. Shalom il y a quelques semaines, lorsqu'il est venu me voir avec un préavis de quelques heures et que j'ai eu ce dialogue avec lui, - je ne le regrette pas -, j'ai compris qu'il fallait, vis-à-vis d'Israël et vis-à-vis de la société israélienne, peut-être des acteurs, des décideurs israéliens, prendre le temps d'expliquer ce qu'est l'Europe ou ce qu'elle est en train de devenir. Car j'ai eu le sentiment que cette réalité de la construction européenne n'était pas perçue comme nous-mêmes nous y travaillons et comme nous-mêmes nous le souhaitons.
J'ai le souci d'expliquer, au cours de ma prochaine visite et par la suite en quoi l'Union européenne est bien sûr le premier partenaire économique d'Israël, un débouché naturel consolidé par des accords d'association économique mais également un continent si proche d'Israël, avec lequel sont partagés un patrimoine culturel, des valeurs de liberté et de démocratie et un passé commun aussi, un passé tragique avec la Shoah mais aussi, dans d'autres circonstances, un passé brillant à travers la contribution apportée par le génie juif à cette culture européenne, à la science européenne, à son économie, à beaucoup de noms, à Jacques Derrida qui vient de nous quitter très récemment, je pourrais citer beaucoup d'autres noms. Je suis définitivement conscient de cela, en même temps que je voudrais que l'on comprenne mieux, en Israël, que l'Union européenne n'est pas seulement un grand marché avec lequel on peut faire des échanges, avec lequel Israël a besoin de faire des échanges pour son propre développement. Elle est aussi, elle va être aussi un acteur commercial.
Mesdames et Messieurs, l'un des principaux axes de mon travail comme ministre français sera d'uvrer à l'unité politique des Européens sur ce conflit israélo-palestinien, à une action commune des Européens. Je suis déterminé à cela et je voudrais que cela soit bien compris car j'ai le sentiment que ce n'est pas bien compris en Israël. L'autre jour, le ministre des Affaires étrangères israélien me disait qu'il avait besoin de l'Union européenne pour reconstruire Gaza, ce n'est pas la première fois que nous entendons cela dans le passé, mais, a-t-il poursuivi, vous n'avez pas de rôle pour la sécurité, et je lui ai dit qu'il se trompait. Israël, l'Autorité palestinienne, les États-Unis, les pays de cette région ont besoin, auront besoin de l'Union européenne pour l'économie, comme pour la sécurité et la stabilité. Je pense que les Européens doivent être en mesure d'exprimer ensemble, comme nous le faisons, d'exprimer cette disponibilité et c'est en tout cas ce à quoi correspond la proposition que vient à nouveau de faire, en notre nom, M. Javier Solana. Dire aussi que, sans donner de leçon, ce que nous sommes en train de faire sur ce continent, à l'échelle de notre continent peut être utile pour montrer que c'est possible. Ces nations, qui restent des nations, chacune avec leur identité, leur langue, leurs différences, leurs institutions, ces nations qui ont été ennemies, et avec quelles tragédies, en un siècle deux guerres mondiales - Victor Hugo disait des guerres européennes qu'elles étaient des guerres civiles - ces nations sont en train, depuis 50 ans, d'associer leur destin, de partager leur souveraineté, de faire des choses ensemble. Elles sont en train de se mettre ensemble, dans une communauté politique, une union politique, pacifiquement et démocratiquement, sans avoir l'usage des armes et en ayant définitivement renoncé, d'ailleurs, aux violences entre elles. Voilà ce qu'est le projet européen depuis que Jean Monnet, Robert Schuman et d'autres l'ont imaginé. Cela marche, nos nations se tiennent bien les unes vis-à-vis des autres, elles fabriquent de la paix et de la stabilité, du progrès partagé plutôt que d'entretenir des conflits. Voilà ce qu'est le projet européen en lui-même et pour lui-même en même temps qu'il affirme et affiche l'ambition, notamment à travers sa nouvelle Constitution - j'ai été l'un des rédacteurs de cette Constitution -, de ne pas se contenter d'être un supermarché mais d'être aussi une communauté solidaire et davantage encore, une puissance politique.
Je voudrais que cette expérience-là, je ne parle pas de modèle parce que je trouve ce mot prétentieux, que l'expérience européenne de nations qui se mettent ensemble, alors même qu'elles étaient des ennemies il y a un demi-siècle et qui fabriquent cette stabilité, ce progrès partagé, qui de plus veulent être ensemble, en tant que continent, un acteur dans le monde, que cette expérience-là puisse être bien comprise dans cette région du Proche et du Moyen-Orient, notamment en Israël.
Voilà, Mesdames et Messieurs, je suis conscient d'avoir très peu de temps, je vous prie de m'en excuser mais il se trouve qu'il y a, cet après-midi, un long débat à l'Assemblée nationale sur les négociations avec la Turquie. Je dois donc être entièrement mobilisé tout l'après-midi, notamment pour répondre aux orateurs qui seront très nombreux. Je vous prie donc de m'excuser de la brièveté de ma présence. Elle ne signifie aucune indifférence au travail que vous faites ensemble de confrontation et de dialogue et je serai, par les yeux et les oreilles, attentif aux remarques, aux critiques, aux suggestions, aux idées que vous exprimerez notamment pour renforcer cette compréhension mutuelle, ce dialogue, ce respect mutuel entre nos deux sociétés, nos deux pays.
En tout cas, c'est dans cet état d'esprit que je me rends en Israël, pour un premier voyage bilatéral ; il n'y a pas eu depuis très longtemps de vrais voyages bilatéraux de la France en Israël.
Je me rends dans ce pays que je connais déjà un peu, pour un voyage qui, pour moi, est très important.
Je vous remercie de votre attention et je suis prêt maintenant à répondre à certaines remarques, à certaines questions si vous le souhaitez.
Q - Monsieur le Ministre, merci de l'honneur que vous nous faites en venant participer à nos débats. Je voudrais attirer votre attention sur un élément très actuel. L'anti-judaïsme qui se déchaîne dans les dictatures arabo-musulmanes est certainement le plus virulent que le monde ait connu depuis le déchaînement de l'anti-judaïsme de l'Allemagne hitlérienne. Il est même plus venimeux, plus haineux, plus sanglant. Et cet anti-judaïsme n'est pas condamné, ni par les politiques françaises, ni par les médias. Ce qui veut dire que pour les Arabes, coupables de ce discours, leur discours est licite. Il est décent sur la scène internationale et il est exportable. Et pour une partie de la population arabo-musulmane de France, le relais est légitime, il est importable et reconductible. Comme l'a dit une grande psychanalyste israélienne, Mme Rachel Israël, "la France accepte des Arabes, ce qu'elle appellerait "fascisme venant de fachos". Alors nous pensons qu'il y a quelque abus à appeler Israël à faire la paix avec ceux qui, tous les jours, crient à sa porte. Nous souhaiterions que la France, dans sa grande tradition, dise "il y a un préalable essentiel à la paix, c'est l'éradication de la haine". Et ce discours de la grande tradition française n'est pas tenu. Est-ce que vous êtes prêt, Monsieur le Ministre, à le tenir ?
Monsieur le Ministre, vous avez présenté les intérêts de la France au Moyen-Orient, au Proche-Orient, mais pas encore en Israël. Quelle est la relation entre le gouvernement de la France et la communauté juive ? La question d'un antisémitisme en France a-t-elle une influence sur votre visite en Israël ?
R - J'apprécie la force des questions qui me sont posées, leur franchise ne me déplaît pas. Elle prouve que nous avons besoin de nous parler.
Au sujet de la première question d'abord. Non, le discours antisémite de certains médias ou d'autres, pour moi, n'est pas licite, il n'est pas acceptable. Nous n'acceptons pas l'antisémitisme, pas plus que toutes les autres formes de racisme, de xénophobie chez nous. Je ne les justifie pas et je ne les accepte pas ailleurs. Chaque fois que je me rends dans des pays arabes, on constate de tels excès, de tels propos inadmissibles, dans d'autres pays aussi. Dans beaucoup de pays dans le monde, il y a directement des actes, des violences antisémites, des choses inacceptables sur Internet par exemple. Je parle, lorsque j'ai des entretiens, de notre refus de l'antisémitisme. Et nous agissons ! Je continuerai d'agir en général contre l'exportation de cet antisémitisme, de manière tout à fait intransigeante.
Maintenant, vous parlez d'éradication de la haine. Oui, il faut éradiquer la haine, par des pressions, par des paroles, par une prise de position. Il faut l'éradiquer aussi à la racine, par la lutte déterminée contre tous les terreaux, toutes les sources sur lesquelles se développe cette haine. Voilà pourquoi, il faut, me semble-t-il, combattre partout dans le monde les sources des conflits régionaux, la violence, la faim, la pauvreté, la guerre. Sur toutes ces réalités-là, dans le monde d'aujourd'hui, se développe cette haine. Sa plus grave expression se situe dans cette région, mais elle existe partout ailleurs.
Vous m'avez également interrogé sur la chronologie de mes visites. Les choses se sont faites comme cela. Je regrette que vous y voyiez une sorte de priorité. J'ai voulu faire deux vraies visites bilatérales. Je ne voulais pas aller en Israël, en allant ailleurs, ou en revenant d'ailleurs. Et je n'ai pas voulu aller dans les Territoires palestiniens, en allant ailleurs ou en revenant d'ailleurs. Après c'est une question d'organisation de mon emploi du temps. L'essentiel c'est que j'attache de l'importance à ces visites. Alors, je connais les reproches qu'on me fait d'être allé rencontrer Yasser Arafat, je n'accepte pas ces reproches. On ne fait pas la paix sans les Palestiniens, sans les écouter, sans respecter leurs institutions, sans essayer de les convaincre. Quand je vais voir Yasser Arafat, je lui parle naturellement, je lui dis des choses, y compris celles qui ne sont pas forcément faciles à entendre pour lui, sur ce que nous pensons nécessaire comme réforme, comme adaptation. Je sais bien que je ne suis pas le seul. Mais je pense qu'il faut lui parler, parce qu'il est le chef légitime de l'Autorité palestinienne, reconnu comme tel par les Palestiniens. Il y a encore des désaccords, je le sais, y compris avec les États-Unis, sur ce sujet. On verra bien comment les choses vont se faire dans les mois qui viennent. Il y a ceux qui pensent qu'on ne fait rien avec Yasser Arafat. Moi, je pense qu'on ne fait rien sans lui, ni contre lui. Et voilà pourquoi, je pense aussi que le traitement qui lui est réservé, même au Qatar, à moyen et à long terme est une erreur. Nous continuerons à avoir ce dialogue, parce que je pense qu'il est utile pour la paix et qu'il faut faire la paix avec les Palestiniens.
Maintenant, je voudrais appeler votre attention sur le fait qu'ayant passé une nuit à Ramallah, ce qui m'a été beaucoup reproché, j'ai eu la possibilité ainsi, le lendemain matin très tôt, d'aller inaugurer le centre culturel franco-allemand de Ramallah, et d'avoir un dialogue qui, pour moi, était très important avec des jeunes Palestiniens et des jeunes Palestiniennes. Et je continuerai à consacrer du temps à connaître, à rencontrer, les jeunes qui, dans les Territoires palestiniens, vont à avoir à diriger ce futur État palestinien. C'est cela qui m'intéresse, au-delà et à côté de Yasser Arafat, qui est le dirigeant d'aujourd'hui. Et si on regarde les choses à moyen et à long terme, il faut rencontrer, connaître, comprendre, les jeunes futurs dirigeants de cet État. Et cela, c'est un des soucis que j'ai.
Vous m'avez interrogé sur les Français juifs, avec lesquels, naturellement nous avons un dialogue. La République française que j'ai évoquée tout à l'heure, n'est pas communautariste, vous le savez. Je vous remercie de comprendre cette réalité-là, ce qu'est notre pays et, naturellement, chacun individuellement, collectivement, a ses amitiés et ses relations particulières ou singulières. Moi, je pense que les Français juifs sont un lien irremplaçable entre nos deux pays. Je sais, en discutant avec beaucoup d'amis juifs en France - ils sont très proches de moi - qu'ils sont attachés à cette relation, mais je sais aussi leurs critiques. Quand je suis allé voir Yasser Arafat, j'ai reçu un certain nombre de lettres de gens qui sont très proches de moi et qui m'ont dit leur émotion, leur incompréhension. Je pense qu'avec le temps et les explications, les choses seront mieux comprises, puisque, encore une fois, comme ministre français, comme ministre européen, je veux faire les choses utiles pour la relance du Processus de paix. Je pense que la communauté, puisque vous avez employé ce mot, les Français juifs, sont objectivement attentifs et reconnaissent objectivement les efforts que fait le gouvernement, auquel j'ai l'honneur d'appartenir, contre toutes les formes de racisme, d'antisémitisme et de xénophobie. J'attache une grande importance à écouter les Français juifs, à leur répondre, à prendre en compte ce qu'ils me disent, comme je m'attache le plus possible à avoir des relations extrêmement régulières, personnelles, avec les institutions qui les représentent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2004)
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député Léonetti,
Hier en effet, à l'issue du conseil des ministres franco-allemand, nous avons rencontré le Premier ministre turc, monsieur Erdogan, avec le Président Chirac, dans le bureau du Chancelier Schröder. Le Premier ministre turc nous a posé la question de la décision du 17 décembre et comment les choses allaient se passer. Le président de la république a répondu clairement.
Premièrement, c'est à l'unanimité que doit se prendre la décision - si elle se prend - de la démarche de négociation pour une adhésion. Et deuxièmement, il est évident que toute démarche de négociation se fait dans une perspective d'adhésion. Mais, a-t-il ajouté, nous demandons à la Turquie de bien voir que dans ce processus de négociation, il y a trois issues possibles.
La première issue, c'est l'issue du succès de la négociation. Succès de la négociation égale adhésion ; pour les Français, cela veut dire référendum. Deuxième voie de la négociation, c'est la rupture : nous sommes en désaccord complet, il n'y a pas d'entente possible. [Cette] deuxième hypothèse serait celle de la rupture. Hypothèse non souhaitable mais hypothèse possible. Troisième hypothèse - troisième issue - qu'il nous faut envisager : nous avons fait des progrès importants dans la négociation, mais sur des points clés, la Turquie ne veut pas céder, ou l'Union européenne ne veut pas céder, parce qu'il s'agit, là, de valeurs fondamentales. Dans cette hypothèse-là, il faudra trouver un lien nouveau entre les deux partenaires. Voilà les trois issues possibles de la négociation. Ce que nous avons dit clairement au Premier ministre de la Turquie, c'est qu'il n'y avait pas automaticité de la négociation avec l'adhésion.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 28 octobre 2004|N|N|N|N|Texte Intégral26473|Bonjour à chacune et chacun d'entre vous,
Je suis heureux de venir à un moment charnière, si j'ai bien compris, entre vos deux débats dont je veux dire quelques mots, en m'exprimant franchement. Vous me permettrez tout d'abord de dire à Messieurs les Ambassadeurs qui sont ici, le sentiment de reconnaissance que j'ai pour l'énergie que vous déployez l'un et l'autre, dans le cadre de ce Groupe de haut niveau, pour organiser de tels débats, de tels moments de confrontation d'idées, de dialogue et de compréhension mutuelle. Je pense que nous en avions vraiment besoin. Parmi vous, je voudrais notamment saluer, je crois qu'ils sont dix, les journalistes israéliens qui nous font l'amitié de répondre à cette invitation et d'être présents aujourd'hui à Paris et pour quelques jours.
Je suis heureux, à mon tour, comme nouveau ministre des Affaires étrangères français de participer à ces moments qu'avait voulus l'un de mes prédécesseurs et qu'organisent nos deux ministères des Affaires étrangères israélien et français.
Le souci reste de développer les relations entre Israël et la France, comme l'une de nos priorités, en tout cas, c'est l'un des axes de mon travail. Nous souhaitons aussi, et j'en dirai quelques mots tout à l'heure, renforcer, je crois que c'est nécessaire également, la relation forte qui unit Israël et l'Europe.
Je vous dis tout cela, à la veille ou à l'avant-veille de ma visite en Israël, pendant plus de deux jours, qui sera une vraie première visite bilatérale, pour Israël et pour les Israéliens, de ma part.
Je crois qu'à l'occasion du colloque Regards croisés" de mai dernier, dans le cadre du Groupe de haut niveau, nous avons réalisé un sondage sur la perception réciproque et mutuelle de nos deux sociétés, l'une à l'égard de l'autre. Ma première réflexion sera de dire qu'il faut regarder en face ces résultats, même si ce n'est qu'un sondage ou une photographie. Nos deux sociétés ne se comprennent pas et, d'un côté comme de l'autre, ces résultats interpellent puisqu'ils ne sont pas satisfaisants. En réalité, je serais tenté de dire que ces regards croisés se croisent très peu et il y a là, chacun restant ancré dans ses convictions, un véritable devoir de dialogue et de compréhension.
Comment réduire cet écart, comment faire pour que nos regards se croisent véritablement, dans toutes les dimensions de nos sociétés, qu'il s'agisse des hommes et des femmes du milieu politique, du milieu culturel, des journalistes, du milieu économique ou de nos peuples, sûrement ? L'explication et le dialogue, ce sera ma première réponse.
Se connaître, se comprendre, créer des liens, y compris des liens amicaux, en tout cas je suis déterminé, à la place où je me trouve aujourd'hui, à agir pour trouver des temps et des moments d'explication, prendre le temps de ce dialogue.
Je ferai tout cela pour convaincre qu'en ce qui nous concerne, nous Français, nous n'avons pas d'autre vu pour Israël que de voir ce pays vivre en paix et en sécurité. J'y reviendrai dans un instant, avec cette conviction simple, qui est puisée, construite dans l'expérience et dans l'histoire dans lesquelles l'une et l'autre de nos deux sociétés sont intimement liées.
Ce matin, vous avez abordé, je crois, la question du traitement médiatique de l'antisémitisme, vous allez consacrer tout à l'heure, un travail de réflexion et de dialogue au traitement du conflit au Proche-Orient.
Je voudrais évoquer, dans ces quelques réflexions ces deux sujets, encore une fois, aussi librement et franchement que vous le souhaitez et que j'en ai l'habitude.
L'antisémitisme touche au plus profond de nos consciences, ravive des souvenirs que l'on espérait confiner dans une histoire tragique. Je veux dire ma conviction qu'il n'y a pas d'excuses, il n'y a pas de justification à l'antisémitisme et m'appuyer sur cette phrase qu'a prononcée le président de la République, Jacques Chirac, et qui correspond à une conviction très profonde de sa part et de ma part : "S'en prendre à un Juif, c'est s'en prendre à la France tout entière".
C'est sur cette conviction que nous appuyons une action publique déterminée, intransigeante pour lutter contre ce fléau. Il me semble que cette action est aujourd'hui reconnue, y compris en Israël. J'ai eu une discussion à laquelle j'attachais beaucoup d'importance, il y a quinze jours ou trois semaines à New York, avec toutes les organisations juives américaines, un long dialogue, plusieurs dialogues d'ailleurs avec plusieurs de ces associations et j'ai entendu que l'on donnait acte en France aux autorités françaises de leur détermination sur cette question. Il ne se passe que très peu de Conseils des ministres - je ne suis pas là pour révéler ce que nous nous disons autour de la table de ce Conseil -, très peu de Conseils des ministres au cours desquels, à l'occasion de tel ou tel problème, affaire, le président de la République ne nous rappelle pas cette détermination. On en trouve la preuve dans la législation pénale de notre pays qui est la plus sévère et dans l'action que nous voulons conduire pour lutter contre toute forme d'antisémitisme moderne à travers Internet. J'ai moi-même présidé l'ouverture de la Conférence de l'OSCE sur Internet, ici même, dans cet immeuble, concernant la loi sur l'antisémitisme, dans les médias, y compris satellitaire.
La semaine prochaine, je rencontrerai le président Katsav qui a cité notre pays comme un exemple de ce que l'on peut faire et de ce que l'on doit faire contre l'antisémitisme. J'ai aussi entendu le ministre Shalom exprimer le même point de vue et pourtant, nous ne pouvons pas nous satisfaire de l'existence de cet arsenal juridique ; il est certes nécessaire d'avoir cet aspect juridique et de l'utiliser, mais je pense que c'est dans les esprits, et notamment parmi les plus jeunes dans nos sociétés que le mal peut se trouver. Et tant que l'on dira : "sale juif" dans certaines écoles, comme d'ailleurs on entend "sale arabe" mais aussi "sale Français" dans les cours de récréation, nous aurons des raisons, à la fois de punir sans relâche et de réprimer mais aussi d'expliquer ; expliquer que notre République ne tolèrera jamais une telle négation de ce qu'elle est au plus profond. Et puisque je parle de la République, je veux dire aussi un mot de cette loi française, républicaine, qui est la loi sur la laïcité que j'ai d'ailleurs dû expliquer il y a quelques semaines, dans des pays arabes et musulmans, dans le cadre des efforts que nous faisons pour obtenir la libération de nos deux otages et de leur chauffeur syrien ; j'ai dû expliquer dans ces pays, et il semble que cette explication était à la fois nouvelle et bienvenue, ce qu'est cette loi française qui date, pour une large part, d'assez longtemps, - 1905 - et que nous avons actualisée. Cette loi protège la liberté de conscience et de religion en même temps qu'elle rend, dans certains lieux, au moins l'école publique et certains lieux administratifs, la tolérance obligatoire, si je puis dire, telle une règle.
Je voulais vous dire ces quelques mots sur notre détermination et notre état d'esprit, s'agissant à la fois de la loi et du travail d'explication, d'éducation qui me paraît, sur le moyen et le long terme, au moins aussi important.
Maintenant, je voudrais dire quelques mots à propos du débat que vous allez avoir sur le conflit du Proche-Orient, dont j'ai dit, l'autre jour à la tribune des Nations unies, dans le discours que j'ai prononcé au nom de la France, qu'il était au coeur de tous les conflits et qu'il était au coeur de la responsabilité historique de notre génération politique de le régler ou de le faire progresser vers une solution.
Votre exigence, notre exigence, c'est naturellement, fondamentalement, l'existence et la sécurité d'Israël et nous ne transigerons jamais sur cette exigence. La garantie de cette exigence, l'existence et la sécurité d'Israël, il me semble encore qu'il y a un très large accord, c'est naturellement qu'il y ait un État palestinien viable et offrant aux jeunes Palestiniens un avenir et un futur. Il faut que cet État palestinien se trouve quelque part, il ne peut pas rester en l'air, en prospective. Il faudra donc le poser quelque part si je puis dire et c'est ainsi que nous nous attachons à dire, même si quelquefois, nous ne sommes pas nombreux, que la Feuille de route sur laquelle il y avait un accord général des parties israélienne, palestinienne et naturellement des grandes organisations et des grands pays, reste le document sur lequel nous devons travailler, que nous devons mettre en uvre et qui indique que cet État palestinien qui reste à créer ne peut être établi, et je cite la Feuille de route que : "s'il est mis fin à l'occupation qui a commencé en 1967".
Depuis le Sommet de Beyrouth en mars 2002, la paix avec tous les États arabes reste à portée de main, mais naturellement, le temps presse et les morts qui s'accumulent et accroissent les rancurs, les changements sur le terrain, les colonies, le mur, les routes rendent plus difficile une séparation, pourtant inscrite dans tous les plans de paix et encore, vous le savez, la démographie qui crée, à terme, une situation chaque année plus pressante.
Et puis il y a cette spirale de violence, d'inhumanité qui frappe aussi bien les enfants de Palestine que ceux d'Israël. Le terrorisme qui frappe le peuple israélien durement, très durement, n'est justifiable par aucun argument ni aucune cause et le seul objectif que l'on doit avoir est de le faire cesser en luttant contre les criminels naturellement. Nous faisons de même lorsque notre pays est touché par le terrorisme. Là, comme partout dans le monde, ce fléau dont personne n'est à l'abri, ne peut être traité que par ses racines.
Comment arriver à la paix ? Pour les Israéliens, la paix passe par la renonciation à l'occupation qui n'apporte que des difficultés en Israël. J'ai parlé du terrorisme, du ralentissement économique avec une chute du tourisme, une forme d'incompréhension internationale, du coût financier considérable de cette présence militaire, de la protection de 300.000 colons. Voilà pourquoi nous pensons, ayant entendu la promesse faite par le Premier ministre, M. Sharon, du retrait de Gaza, qu'il faut que cette promesse soit tenue, qu'elle soit une étape et qu'elle soit une promesse réussie. Nous sommes dans l'état d'esprit d'aider Israël à tenir cette promesse et à la réussir.
C'est l'esprit des propositions que vient de faire, en notre nom, M. Javier Solana pour la réussite de cette première étape. Si je parle de l'Union européenne, vous ne m'en voudrez pas de dire, Mesdames et Messieurs, que vous avez devant vous le ministre français des Affaires étrangères mais aussi un ministre définitivement européen. Lorsque j'ai reçu M. Shalom il y a quelques semaines, lorsqu'il est venu me voir avec un préavis de quelques heures et que j'ai eu ce dialogue avec lui, - je ne le regrette pas -, j'ai compris qu'il fallait, vis-à-vis d'Israël et vis-à-vis de la société israélienne, peut-être des acteurs, des décideurs israéliens, prendre le temps d'expliquer ce qu'est l'Europe ou ce qu'elle est en train de devenir. Car j'ai eu le sentiment que cette réalité de la construction européenne n'était pas perçue comme nous-mêmes nous y travaillons et comme nous-mêmes nous le souhaitons.
J'ai le souci d'expliquer, au cours de ma prochaine visite et par la suite en quoi l'Union européenne est bien sûr le premier partenaire économique d'Israël, un débouché naturel consolidé par des accords d'association économique mais également un continent si proche d'Israël, avec lequel sont partagés un patrimoine culturel, des valeurs de liberté et de démocratie et un passé commun aussi, un passé tragique avec la Shoah mais aussi, dans d'autres circonstances, un passé brillant à travers la contribution apportée par le génie juif à cette culture européenne, à la science européenne, à son économie, à beaucoup de noms, à Jacques Derrida qui vient de nous quitter très récemment, je pourrais citer beaucoup d'autres noms. Je suis définitivement conscient de cela, en même temps que je voudrais que l'on comprenne mieux, en Israël, que l'Union européenne n'est pas seulement un grand marché avec lequel on peut faire des échanges, avec lequel Israël a besoin de faire des échanges pour son propre développement. Elle est aussi, elle va être aussi un acteur commercial.
Mesdames et Messieurs, l'un des principaux axes de mon travail comme ministre français sera d'uvrer à l'unité politique des Européens sur ce conflit israélo-palestinien, à une action commune des Européens. Je suis déterminé à cela et je voudrais que cela soit bien compris car j'ai le sentiment que ce n'est pas bien compris en Israël. L'autre jour, le ministre des Affaires étrangères israélien me disait qu'il avait besoin de l'Union européenne pour reconstruire Gaza, ce n'est pas la première fois que nous entendons cela dans le passé, mais, a-t-il poursuivi, vous n'avez pas de rôle pour la sécurité, et je lui ai dit qu'il se trompait. Israël, l'Autorité palestinienne, les États-Unis, les pays de cette région ont besoin, auront besoin de l'Union européenne pour l'économie, comme pour la sécurité et la stabilité. Je pense que les Européens doivent être en mesure d'exprimer ensemble, comme nous le faisons, d'exprimer cette disponibilité et c'est en tout cas ce à quoi correspond la proposition que vient à nouveau de faire, en notre nom, M. Javier Solana. Dire aussi que, sans donner de leçon, ce que nous sommes en train de faire sur ce continent, à l'échelle de notre continent peut être utile pour montrer que c'est possible. Ces nations, qui restent des nations, chacune avec leur identité, leur langue, leurs différences, leurs institutions, ces nations qui ont été ennemies, et avec quelles tragédies, en un siècle deux guerres mondiales - Victor Hugo disait des guerres européennes qu'elles étaient des guerres civiles - ces nations sont en train, depuis 50 ans, d'associer leur destin, de partager leur souveraineté, de faire des choses ensemble. Elles sont en train de se mettre ensemble, dans une communauté politique, une union politique, pacifiquement et démocratiquement, sans avoir l'usage des armes et en ayant définitivement renoncé, d'ailleurs, aux violences entre elles. Voilà ce qu'est le projet européen depuis que Jean Monnet, Robert Schuman et d'autres l'ont imaginé. Cela marche, nos nations se tiennent bien les unes vis-à-vis des autres, elles fabriquent de la paix et de la stabilité, du progrès partagé plutôt que d'entretenir des conflits. Voilà ce qu'est le projet européen en lui-même et pour lui-même en même temps qu'il affirme et affiche l'ambition, notamment à travers sa nouvelle Constitution - j'ai été l'un des rédacteurs de cette Constitution -, de ne pas se contenter d'être un supermarché mais d'être aussi une communauté solidaire et davantage encore, une puissance politique.
Je voudrais que cette expérience-là, je ne parle pas de modèle parce que je trouve ce mot prétentieux, que l'expérience européenne de nations qui se mettent ensemble, alors même qu'elles étaient des ennemies il y a un demi-siècle et qui fabriquent cette stabilité, ce progrès partagé, qui de plus veulent être ensemble, en tant que continent, un acteur dans le monde, que cette expérience-là puisse être bien comprise dans cette région du Proche et du Moyen-Orient, notamment en Israël.
Voilà, Mesdames et Messieurs, je suis conscient d'avoir très peu de temps, je vous prie de m'en excuser mais il se trouve qu'il y a, cet après-midi, un long débat à l'Assemblée nationale sur les négociations avec la Turquie. Je dois donc être entièrement mobilisé tout l'après-midi, notamment pour répondre aux orateurs qui seront très nombreux. Je vous prie donc de m'excuser de la brièveté de ma présence. Elle ne signifie aucune indifférence au travail que vous faites ensemble de confrontation et de dialogue et je serai, par les yeux et les oreilles, attentif aux remarques, aux critiques, aux suggestions, aux idées que vous exprimerez notamment pour renforcer cette compréhension mutuelle, ce dialogue, ce respect mutuel entre nos deux sociétés, nos deux pays.
En tout cas, c'est dans cet état d'esprit que je me rends en Israël, pour un premier voyage bilatéral ; il n'y a pas eu depuis très longtemps de vrais voyages bilatéraux de la France en Israël.
Je me rends dans ce pays que je connais déjà un peu, pour un voyage qui, pour moi, est très important.
Je vous remercie de votre attention et je suis prêt maintenant à répondre à certaines remarques, à certaines questions si vous le souhaitez.
Q - Monsieur le Ministre, merci de l'honneur que vous nous faites en venant participer à nos débats. Je voudrais attirer votre attention sur un élément très actuel. L'anti-judaïsme qui se déchaîne dans les dictatures arabo-musulmanes est certainement le plus virulent que le monde ait connu depuis le déchaînement de l'anti-judaïsme de l'Allemagne hitlérienne. Il est même plus venimeux, plus haineux, plus sanglant. Et cet anti-judaïsme n'est pas condamné, ni par les politiques françaises, ni par les médias. Ce qui veut dire que pour les Arabes, coupables de ce discours, leur discours est licite. Il est décent sur la scène internationale et il est exportable. Et pour une partie de la population arabo-musulmane de France, le relais est légitime, il est importable et reconductible. Comme l'a dit une grande psychanalyste israélienne, Mme Rachel Israël, "la France accepte des Arabes, ce qu'elle appellerait "fascisme venant de fachos". Alors nous pensons qu'il y a quelque abus à appeler Israël à faire la paix avec ceux qui, tous les jours, crient à sa porte. Nous souhaiterions que la France, dans sa grande tradition, dise "il y a un préalable essentiel à la paix, c'est l'éradication de la haine". Et ce discours de la grande tradition française n'est pas tenu. Est-ce que vous êtes prêt, Monsieur le Ministre, à le tenir ?
Monsieur le Ministre, vous avez présenté les intérêts de la France au Moyen-Orient, au Proche-Orient, mais pas encore en Israël. Quelle est la relation entre le gouvernement de la France et la communauté juive ? La question d'un antisémitisme en France a-t-elle une influence sur votre visite en Israël ?
R - J'apprécie la force des questions qui me sont posées, leur franchise ne me déplaît pas. Elle prouve que nous avons besoin de nous parler.
Au sujet de la première question d'abord. Non, le discours antisémite de certains médias ou d'autres, pour moi, n'est pas licite, il n'est pas acceptable. Nous n'acceptons pas l'antisémitisme, pas plus que toutes les autres formes de racisme, de xénophobie chez nous. Je ne les justifie pas et je ne les accepte pas ailleurs. Chaque fois que je me rends dans des pays arabes, on constate de tels excès, de tels propos inadmissibles, dans d'autres pays aussi. Dans beaucoup de pays dans le monde, il y a directement des actes, des violences antisémites, des choses inacceptables sur Internet par exemple. Je parle, lorsque j'ai des entretiens, de notre refus de l'antisémitisme. Et nous agissons ! Je continuerai d'agir en général contre l'exportation de cet antisémitisme, de manière tout à fait intransigeante.
Maintenant, vous parlez d'éradication de la haine. Oui, il faut éradiquer la haine, par des pressions, par des paroles, par une prise de position. Il faut l'éradiquer aussi à la racine, par la lutte déterminée contre tous les terreaux, toutes les sources sur lesquelles se développe cette haine. Voilà pourquoi, il faut, me semble-t-il, combattre partout dans le monde les sources des conflits régionaux, la violence, la faim, la pauvreté, la guerre. Sur toutes ces réalités-là, dans le monde d'aujourd'hui, se développe cette haine. Sa plus grave expression se situe dans cette région, mais elle existe partout ailleurs.
Vous m'avez également interrogé sur la chronologie de mes visites. Les choses se sont faites comme cela. Je regrette que vous y voyiez une sorte de priorité. J'ai voulu faire deux vraies visites bilatérales. Je ne voulais pas aller en Israël, en allant ailleurs, ou en revenant d'ailleurs. Et je n'ai pas voulu aller dans les Territoires palestiniens, en allant ailleurs ou en revenant d'ailleurs. Après c'est une question d'organisation de mon emploi du temps. L'essentiel c'est que j'attache de l'importance à ces visites. Alors, je connais les reproches qu'on me fait d'être allé rencontrer Yasser Arafat, je n'accepte pas ces reproches. On ne fait pas la paix sans les Palestiniens, sans les écouter, sans respecter leurs institutions, sans essayer de les convaincre. Quand je vais voir Yasser Arafat, je lui parle naturellement, je lui dis des choses, y compris celles qui ne sont pas forcément faciles à entendre pour lui, sur ce que nous pensons nécessaire comme réforme, comme adaptation. Je sais bien que je ne suis pas le seul. Mais je pense qu'il faut lui parler, parce qu'il est le chef légitime de l'Autorité palestinienne, reconnu comme tel par les Palestiniens. Il y a encore des désaccords, je le sais, y compris avec les États-Unis, sur ce sujet. On verra bien comment les choses vont se faire dans les mois qui viennent. Il y a ceux qui pensent qu'on ne fait rien avec Yasser Arafat. Moi, je pense qu'on ne fait rien sans lui, ni contre lui. Et voilà pourquoi, je pense aussi que le traitement qui lui est réservé, même au Qatar, à moyen et à long terme est une erreur. Nous continuerons à avoir ce dialogue, parce que je pense qu'il est utile pour la paix et qu'il faut faire la paix avec les Palestiniens.
Maintenant, je voudrais appeler votre attention sur le fait qu'ayant passé une nuit à Ramallah, ce qui m'a été beaucoup reproché, j'ai eu la possibilité ainsi, le lendemain matin très tôt, d'aller inaugurer le centre culturel franco-allemand de Ramallah, et d'avoir un dialogue qui, pour moi, était très important avec des jeunes Palestiniens et des jeunes Palestiniennes. Et je continuerai à consacrer du temps à connaître, à rencontrer, les jeunes qui, dans les Territoires palestiniens, vont à avoir à diriger ce futur État palestinien. C'est cela qui m'intéresse, au-delà et à côté de Yasser Arafat, qui est le dirigeant d'aujourd'hui. Et si on regarde les choses à moyen et à long terme, il faut rencontrer, connaître, comprendre, les jeunes futurs dirigeants de cet État. Et cela, c'est un des soucis que j'ai.
Vous m'avez interrogé sur les Français juifs, avec lesquels, naturellement nous avons un dialogue. La République française que j'ai évoquée tout à l'heure, n'est pas communautariste, vous le savez. Je vous remercie de comprendre cette réalité-là, ce qu'est notre pays et, naturellement, chacun individuellement, collectivement, a ses amitiés et ses relations particulières ou singulières. Moi, je pense que les Français juifs sont un lien irremplaçable entre nos deux pays. Je sais, en discutant avec beaucoup d'amis juifs en France - ils sont très proches de moi - qu'ils sont attachés à cette relation, mais je sais aussi leurs critiques. Quand je suis allé voir Yasser Arafat, j'ai reçu un certain nombre de lettres de gens qui sont très proches de moi et qui m'ont dit leur émotion, leur incompréhension. Je pense qu'avec le temps et les explications, les choses seront mieux comprises, puisque, encore une fois, comme ministre français, comme ministre européen, je veux faire les choses utiles pour la relance du Processus de paix. Je pense que la communauté, puisque vous avez employé ce mot, les Français juifs, sont objectivement attentifs et reconnaissent objectivement les efforts que fait le gouvernement, auquel j'ai l'honneur d'appartenir, contre toutes les formes de racisme, d'antisémitisme et de xénophobie. J'attache une grande importance à écouter les Français juifs, à leur répondre, à prendre en compte ce qu'ils me disent, comme je m'attache le plus possible à avoir des relations extrêmement régulières, personnelles, avec les institutions qui les représentent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2004)