Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames, Messieurs les Députés,
le Conseil des ministres a été profondément choqué par l'affaire de Douvres et le décès de 58 ressortissants chinois dans des conditions dramatiques.
Cette affaire traduit l'aggravation de la pression migratoire sur l'Europe occidentale, à laquelle nous sommes sensibles depuis quelque temps. Le renforcement marqué de la solidarité européenne est une réponse indispensable à une situation extrêmement préoccupante pour notre continent. Il convient d'abord de relever avec force que l'existence de filières organisées, ainsi que l'extension du métier méprisable, mais hélas rémunérateur, de passeur joue un rôle primordial dans l'immigration clandestine, aussi bien dans l'augmentation des flux eux-mêmes que dans les modalités de passage dont le drame de Douvres fournit une illustration extrême. On sait que la majorité de l'immigration clandestine parvient en Europe de l'Ouest, grâce à des passeurs, notamment pour les personnes en provenance de destinations lointaines comme la Chine. Ce point doit être souligné en réponse à ceux qui disent que ce serait le contrôle de l'immigration qui engendrerait des clandestins.
L'aggravation de l'immigration irrégulière résulte, au contraire, de l'activité croissante des filières d'entrées illégales. Il est bien évident que cette activité est favorisée par les insuffisances législatives ou opérationnelles des États d'immigration et par tout ce qui permet aux clandestins d'entrer et de se maintenir sur les territoires en violation des lois.
Mais il y a plus encore: derrière les passeurs, se profilent de plus en plus les mafias. Les responsables policiers ont identifié une mafia russe, exploitant Sri Lankais et Chinois; une mafia turque prenant en charge des Kurdes, des Afghans ou des Iraniens. On sait aussi que des clandestins des Balkans sont pris en main par les mafias albanaises. La concentration à Calais, point de passage vers l'Angleterre, d'un grand nombre de ces clandestins - plus de 10 000 ont été interpellés depuis août 1999 - a démontré le caractère particulièrement actif des passeurs: 400 ont été arrêtés depuis août 1999. Aussi convient-il de ne plus se dissimuler le fait que l'immigration illégale est devenue l'objet d'un véritable trafic d'êtres humains qui, comme tel, entre dans la criminalité, voire dans la grande criminalité organisée. Plus facile, plus rémunérateur, moins risqué que certains autres trafics, comme le trafic de drogue par exemple, le trafic des entrées illégales devient un enjeu majeur de l'action et de la coopération policière et judiciaire. La traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle représente l'un des aspects les plus odieux de ce trafic. À ce niveau d'organisation, il ne s'agit plus seulement de lutter contre l'immigration illégale, mais bel et bien de lutter contre la criminalité. Les vrais coupables sont les organisateurs d'entrées clandestines, entre les mains desquels les aspirants à l'immigration ne sont que les jouets d'un scénario pouvant aller jusqu'au drame.
C'est donc contre ces passeurs, en tout premier lieu, qu'il convient de lutter. L'immigration irrégulière ou le trafic des êtres humains est une nouvelle forme d'esclavagisme que nos sociétés démocratiques ne peuvent tolérer. On sait ce qu'il en coûte, par exemple, à un ressortissant chinois, de recourir aux services d'un passeur: de l'ordre de 10 000 à 20 000 euros et des années de travail au noir pour rembourser cette dette, privé de tous les droits, de toute protection, dans des conditions souvent effroyables et sous la menace permanente.
La démagogie qui consiste à revendiquer une réouverture massive de l'immigration du travail ou le droit automatique au séjour pour tout immigrant, ne fait qu'alimenter ce rêve d'Europe et contribue à jeter chaque année des centaines de milliers de personnes, dans les griffes de filières d'immigration clandestine.
L'Union européenne ne doit donc pas se tromper, et elle n'entend pas se tromper, de cible, en concentrant la répression sur ceux qui organisent ce trafic des êtres humains, trafic qui figure désormais parmi les plus lâches et les plus odieux.
Le Conseil est résolu à tout mettre en oeuvre pour combattre cet odieux trafic. La coopération européenne doit se fonder sur les moyens dont disposent les États. Il est clair que ceux-ci ont décidé de se doter de moyens pour combattre efficacement ce fléau. La France dispose depuis 1995 d'un Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et le travail illégal, qui a fortement développé ses actions de démantèlement de filières depuis deux ans. Cet organisme a ainsi réussi à casser et arrêter une quinzaine de filières chaque année.
Face à la réalité de la traite des êtres humains et au trafic lié à l'immigration illégale, la présidence française souhaite donc promouvoir une solidarité européenne, fondée sur les conclusions du Sommet de Tampere et sur les principes suivants: co-développement, intégration des étrangers, lutte contre l'immigration illégale, politique commune de l'Asie.
Le premier point concerne donc la prise en compte de la situation des pays d'origine. Comment dissuader des personnes de vouloir quitter leur pays pour gagner l'Europe dans n'importe quelles conditions et de remettre ainsi souvent leur sort entre les mains de filières esclavagistes? Le Conseil doit fonder son action sur les orientations adoptées à Tampere, je cite: "L'Union européenne a besoin d'une approche globale d'immigration qui aborde des aspects politiques des droits de l'homme et les questions de développement dans les pays et les régions d'origine et de transit".
En effet, les mouvements migratoires s'expliquent par de nombreux facteurs: différentiel démographique entre le Nord et le Sud, aggravation permanente des inégalités de revenus et de richesses entre les pays les plus riches et les plus pauvres, instabilité de certaines situations politiques, image, souvent fausse, que se font les immigrants de leur avenir en Europe.
L'immigration irrégulière et le trafic des êtres humains ne sont pourtant pas des fatalités. Ils peuvent être combattus au prix d'une volonté politique forte. Dans un monde profondément tourmenté, la maîtrise des flux à long terme passe par la politique en faveur du codéveloppement et la stabilisation des pays d'origine de l'immigration. Le codéveloppement est justement destiné à lier les politiques en faveur du développement de ces pays pour permettre la maîtrise des flux migratoires.
La France s'efforcera de donner une impulsion nouvelle à cette démarche du codéveloppement, en mettant à profit son expérience dans ce domaine. Un accord a notamment déjà été signé avec le Sénégal et d'autres sont en négociation avec le Mali et le Maroc.
Deux questions sont posées: comment favoriser l'essor de projets locaux, notamment par une aide à la formation et à l'implantation d'étrangers désireux de revenir dans leur pays d'origine pour contribuer à leur développement économique, et comment ce développement local peut-il contribuer à la maîtrise des flux en stabilisant les populations? La réflexion sur ces deux thèmes permettra d'enrichir les travaux futurs du groupe de haut niveau sur l'asile et l'immigration qui s'efforce aujourd'hui de mettre en oeuvre les mesures concrètes de cinq plans d'action qui concernent notamment le Maroc et le Sri Lanka. La mise en oeuvre de cette priorité donne lieu à l'organisation d'un séminaire, les 6 et 7 juillet à Paris, auquel participeront les experts et plusieurs personnalités ayant rang de ministre. L'objectif est de préparer le texte d'orientation pour les travaux de l'Union européenne, sur la base de quelques expériences pilotes menées avec des pays qui ont coopéré dans ce domaine et qui disposent de structures étatiques stables, je pense notamment au Maroc.
La deuxième grande priorité de l'Union européenne, exprimée à Tampere, est l'intégration des étrangers en situation régulière. Ce point est important au regard de la lutte contre le trafic des êtres humains qui se nourrit de la marginalité et de l'exclusion d'une partie des étrangers dans l'Union européenne. L'intégration passe par une politique résolue en faveur de l'égalité des droits économiques et sociaux et une lutte aussi résolue contre toute forme de discrimination notamment par rapport à l'emploi.
La présidence française prévoit d'organiser un séminaire en octobre sur ce thème et son intention est de présenter au Conseil un projet de texte sur l'harmonisation des titres de long séjour, qui est un instrument essentiel de l'intégration. L'accès à la nationalité des États membres constitue aussi un aspect fondamental de l'intégration des étrangers en Europe, mais l'on sait que sur ce plan chaque pays conserve ses propres règles.
Le troisième point fort de Tampere est la lutte contre les filières que j'évoquais tout à l'heure, contre le trafic des êtres humains et cet aspect est évidemment au coeur des préoccupations de la présidence française. Le Conseil de Tampere mettait en effet en exergue cette priorité, je cite: "le Conseil européen souligne qu'il est nécessaire d'assurer à toutes les étapes une gestion plus efficace des flux migratoires. Le Conseil est déterminé à combattre à sa source l'immigration clandestine, notamment en s'attaquant à ceux qui se livrent à la traite des êtres humains. Nous demandons qu'il y ait une coopération plus étroite entre les services de contrôle aux frontières des États membres".
À la suite des événements de Douvres, le Conseil européen de Feira a lancé un nouvel appel à une action rapide de l'Union européenne. Ce Conseil, je le cite, "a condamné les actes criminels perpétrés par ceux qui tirent profit de la traite des êtres humains et a exprimé la détermination de l'Union européenne à intensifier la coopération pour faire échec à cette criminalité transfrontalière qui a causé tant d'autres décès en Europe". Le Conseil a lancé un appel à la future présidence française et à la Commission pour que les conclusions de Tampere dans ce domaine soient mises en oeuvre de toute urgence.
La présidence française a d'ores et déjà proposé quatre initiatives au Conseil. Tout d'abord, un projet de directive instituant des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent des passagers en situation irrégulière. Prolongeant ainsi des dispositions qui sont inscrites dans la convention d'application de Schengen, ce projet de texte aura pour objectif de doter l'Union d'un dispositif commun en matière de sanctions. Il réaffirme l'obligation faite aux transporteurs de prendre toutes les mesures pour que les personnes qu'ils transportent soient munies de documents de voyage et, le cas échéant, des visas nécessaires, ainsi que l'obligation de réacheminer ou de prendre à leur charge le réacheminement des étrangers non admis pour les raisons précitées. Il prévoit en outre des sanctions à l'encontre de ceux qui ont transporté des passagers ne disposant pas des documents ou des visas exigés. Le texte proposé prévoit une sanction minimale de 2000 euros.
Un deuxième projet de décision-cadre vise à renforcer la répression pénale de l'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier. Là encore, dans le prolongement des dispositions de la convention d'application de Schengen qui comportent l'obligation pour les États parties à la convention de prévoir des sanctions à l'encontre de quiconque aide à l'entrée ou au séjour irrégulier, la France a présenté un projet de décision-cadre dont l'objectif est de tendre à l'harmonisation des législations nationales en ce qui concerne la définition des infractions. C'est donc un texte important vers un renforcement de la répression du trafic des êtres humains.
Troisième initiative, la présidence française a également présenté un projet de directive sur la coopération en matière d'éloignement. Son objectif est de faciliter la mise en oeuvre d'une mesure d'éloignement prononcée par un État membre à l'encontre d'un étranger en situation irrégulière, lorsque cette mesure est prise par tout autre État ayant interpellé l'étranger sur son territoire.
Quatrièmement, enfin, l'amélioration de la solidarité européenne en matière de maîtrise des flux et de contrôle aux frontières extérieures est l'une des priorités du Conseil de ministres. La France a présenté, au titre de sa présidence, de nouvelles propositions dans ce domaine, notamment un plan d'action dont la discussion va commencer au sein des instances européennes.
Il est tout d'abord urgent de renforcer la coopération policière en matière d'échanges d'informations sur les flux d'immigration irrégulière et sur les filières. La centralisation et le recoupement de ces données, leur analyse et leur exploitation doivent s'inscrire dans le cadre du groupe de travail existant. Il est particulièrement important, comme le soulignent les conclusions de Feira, de développer le rôle d'Europol dans la répression du trafic des êtres humains. La présidence française a donc l'intention de demander sans délai à Europol de présenter un bilan des actions entreprises dans ce domaine.
L'autre objectif en matière de coopération policière est de renforcer le dispositif d'alerte rapide, qui doit devenir suffisamment efficace pour permettre aux États membres d'être informés et de réagir en temps utile face à des phénomènes liés à l'immigration clandestine. Ce dispositif passe notamment par la désignation de points de contact entre les pays membres. Il confie à la présidence du Conseil le soin d'organiser la concertation nécessaire pour la mise en oeuvre de mesures adaptées à la situation.
Le renforcement de cette coordination passe aussi par la mise en place d'un réseau d'officiers de liaison des États membres dans les pays d'origine de l'immigration, de manière à améliorer la connaissance des situations, la maîtrise de l'immigration à la source, notamment par le contrôle des documents de voyage lors des embarquements dans les aéroports. L'ensemble de ces projets destinés à renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière fera l'objet d'un séminaire sur les filières qui doit se tenir à Paris les 20 et 21 juillet, dans quelques jours donc. Ce séminaire réunira des représentants de haut niveau des États membres, des pays de l'Europe centrale et orientale, des États-Unis, de l'Australie, du Canada et du Mexique.
Plusieurs ministres des États membres, des directeurs de divers services et des polices des frontières des États membres participeront à ce colloque.
Je veux aussi souligner que l'un des points essentiels de Tampere est le principe d'harmonisation du droit d'asile des États membres. C'est aussi un outil important de lutte contre l'immigration irrégulière. Nous constatons, en effet, que les demandes d'asile sont en forte hausse dans la plupart des pays de l'Union européenne. Cette augmentation reflète la hausse des entrées irrégulières, puisque 80 % à 90 % des demandes d'asile sont rejetées par les différents pays auprès desquels elles ont été déposées.
Le droit d'asile est fréquemment utilisé par les filières comme un outil juridique pour favoriser l'entrée et le séjour des clandestins. Toute la difficulté de notre tâche tient donc à la nécessité de concilier ce droit fondamental de l'asile, reconnu par les conventions internationales, et la lutte contre la fraude. Là encore, je ferai référence au Sommet de Tampere, où le Conseil européen a réaffirmé l'importance que l'Union et les États membres attachent au respect absolu du droit d'asile. Ce régime, disent les conclusions du Sommet, devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile, des normes communes pour une procédure d'asile équitable et efficace et des conditions communes minimales d'accueil des demandeurs d'asile.
Il est donc d'abord essentiel de progresser dans les travaux visant à d'améliorer le fonctionnement de la Convention de Dublin, en ce qui concerne la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile. La France suit de près les travaux en cours menés par la Commission. Un pas en avant important sera réalisé si l'on obtient que l'État qui est à l'origine de l'entrée d'un étranger dans l'Union européenne soit effectivement seul responsable de l'examen de sa demande d'asile. La mise en place prochaine du système Eurodac, qui permet la centralisation des empreintes des demandeurs d'asile, doit contribuer à la lutte contre la fraude aux demandes multiples.
Il faut aussi rapidement aboutir à l'objectif d'une procédure d'asile équitable et efficace en Europe. Ainsi, il y a urgence à harmoniser les conditions d'accueil des demandeurs d'asile pour limiter les flux internes au territoire de l'Union européenne et donc tendre à une répartition plus harmonieuse entre les États membres. C'est pourquoi la présidence française a présenté un projet de texte d'orientation destiné à faciliter les travaux de la Commission et l'élaboration du futur statut de directive.
Nous souhaitons aboutir à des premières conclusions au Conseil de décembre prochain, de façon à contribuer à la préparation du projet de directive de la Commission, prévu pour le début de 2001. Le Conseil est donc déterminé à lutter par tous les moyens nécessaires contre la traite des êtres humains et cela, conformément aux conclusions de Tampere et de Feira.
Son analyse est que la question des voies et moyens des entrées clandestines n'est plus une question qui relève uniquement de la problématique de l'immigration, mais bien une question qui concerne aussi la lutte contre la criminalité organisée.
C'est dans cette perspective qu'il faut travailler et la présidence française souhaite mobiliser tous les moyens - nationaux, communautaires, intergouvernementaux - pour y parvenir.
(source http://www.presidence-europe.fr, le 8 septembre 2000)
Monsieur le Commissaire,
Mesdames, Messieurs les Députés,
le Conseil des ministres a été profondément choqué par l'affaire de Douvres et le décès de 58 ressortissants chinois dans des conditions dramatiques.
Cette affaire traduit l'aggravation de la pression migratoire sur l'Europe occidentale, à laquelle nous sommes sensibles depuis quelque temps. Le renforcement marqué de la solidarité européenne est une réponse indispensable à une situation extrêmement préoccupante pour notre continent. Il convient d'abord de relever avec force que l'existence de filières organisées, ainsi que l'extension du métier méprisable, mais hélas rémunérateur, de passeur joue un rôle primordial dans l'immigration clandestine, aussi bien dans l'augmentation des flux eux-mêmes que dans les modalités de passage dont le drame de Douvres fournit une illustration extrême. On sait que la majorité de l'immigration clandestine parvient en Europe de l'Ouest, grâce à des passeurs, notamment pour les personnes en provenance de destinations lointaines comme la Chine. Ce point doit être souligné en réponse à ceux qui disent que ce serait le contrôle de l'immigration qui engendrerait des clandestins.
L'aggravation de l'immigration irrégulière résulte, au contraire, de l'activité croissante des filières d'entrées illégales. Il est bien évident que cette activité est favorisée par les insuffisances législatives ou opérationnelles des États d'immigration et par tout ce qui permet aux clandestins d'entrer et de se maintenir sur les territoires en violation des lois.
Mais il y a plus encore: derrière les passeurs, se profilent de plus en plus les mafias. Les responsables policiers ont identifié une mafia russe, exploitant Sri Lankais et Chinois; une mafia turque prenant en charge des Kurdes, des Afghans ou des Iraniens. On sait aussi que des clandestins des Balkans sont pris en main par les mafias albanaises. La concentration à Calais, point de passage vers l'Angleterre, d'un grand nombre de ces clandestins - plus de 10 000 ont été interpellés depuis août 1999 - a démontré le caractère particulièrement actif des passeurs: 400 ont été arrêtés depuis août 1999. Aussi convient-il de ne plus se dissimuler le fait que l'immigration illégale est devenue l'objet d'un véritable trafic d'êtres humains qui, comme tel, entre dans la criminalité, voire dans la grande criminalité organisée. Plus facile, plus rémunérateur, moins risqué que certains autres trafics, comme le trafic de drogue par exemple, le trafic des entrées illégales devient un enjeu majeur de l'action et de la coopération policière et judiciaire. La traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle représente l'un des aspects les plus odieux de ce trafic. À ce niveau d'organisation, il ne s'agit plus seulement de lutter contre l'immigration illégale, mais bel et bien de lutter contre la criminalité. Les vrais coupables sont les organisateurs d'entrées clandestines, entre les mains desquels les aspirants à l'immigration ne sont que les jouets d'un scénario pouvant aller jusqu'au drame.
C'est donc contre ces passeurs, en tout premier lieu, qu'il convient de lutter. L'immigration irrégulière ou le trafic des êtres humains est une nouvelle forme d'esclavagisme que nos sociétés démocratiques ne peuvent tolérer. On sait ce qu'il en coûte, par exemple, à un ressortissant chinois, de recourir aux services d'un passeur: de l'ordre de 10 000 à 20 000 euros et des années de travail au noir pour rembourser cette dette, privé de tous les droits, de toute protection, dans des conditions souvent effroyables et sous la menace permanente.
La démagogie qui consiste à revendiquer une réouverture massive de l'immigration du travail ou le droit automatique au séjour pour tout immigrant, ne fait qu'alimenter ce rêve d'Europe et contribue à jeter chaque année des centaines de milliers de personnes, dans les griffes de filières d'immigration clandestine.
L'Union européenne ne doit donc pas se tromper, et elle n'entend pas se tromper, de cible, en concentrant la répression sur ceux qui organisent ce trafic des êtres humains, trafic qui figure désormais parmi les plus lâches et les plus odieux.
Le Conseil est résolu à tout mettre en oeuvre pour combattre cet odieux trafic. La coopération européenne doit se fonder sur les moyens dont disposent les États. Il est clair que ceux-ci ont décidé de se doter de moyens pour combattre efficacement ce fléau. La France dispose depuis 1995 d'un Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et le travail illégal, qui a fortement développé ses actions de démantèlement de filières depuis deux ans. Cet organisme a ainsi réussi à casser et arrêter une quinzaine de filières chaque année.
Face à la réalité de la traite des êtres humains et au trafic lié à l'immigration illégale, la présidence française souhaite donc promouvoir une solidarité européenne, fondée sur les conclusions du Sommet de Tampere et sur les principes suivants: co-développement, intégration des étrangers, lutte contre l'immigration illégale, politique commune de l'Asie.
Le premier point concerne donc la prise en compte de la situation des pays d'origine. Comment dissuader des personnes de vouloir quitter leur pays pour gagner l'Europe dans n'importe quelles conditions et de remettre ainsi souvent leur sort entre les mains de filières esclavagistes? Le Conseil doit fonder son action sur les orientations adoptées à Tampere, je cite: "L'Union européenne a besoin d'une approche globale d'immigration qui aborde des aspects politiques des droits de l'homme et les questions de développement dans les pays et les régions d'origine et de transit".
En effet, les mouvements migratoires s'expliquent par de nombreux facteurs: différentiel démographique entre le Nord et le Sud, aggravation permanente des inégalités de revenus et de richesses entre les pays les plus riches et les plus pauvres, instabilité de certaines situations politiques, image, souvent fausse, que se font les immigrants de leur avenir en Europe.
L'immigration irrégulière et le trafic des êtres humains ne sont pourtant pas des fatalités. Ils peuvent être combattus au prix d'une volonté politique forte. Dans un monde profondément tourmenté, la maîtrise des flux à long terme passe par la politique en faveur du codéveloppement et la stabilisation des pays d'origine de l'immigration. Le codéveloppement est justement destiné à lier les politiques en faveur du développement de ces pays pour permettre la maîtrise des flux migratoires.
La France s'efforcera de donner une impulsion nouvelle à cette démarche du codéveloppement, en mettant à profit son expérience dans ce domaine. Un accord a notamment déjà été signé avec le Sénégal et d'autres sont en négociation avec le Mali et le Maroc.
Deux questions sont posées: comment favoriser l'essor de projets locaux, notamment par une aide à la formation et à l'implantation d'étrangers désireux de revenir dans leur pays d'origine pour contribuer à leur développement économique, et comment ce développement local peut-il contribuer à la maîtrise des flux en stabilisant les populations? La réflexion sur ces deux thèmes permettra d'enrichir les travaux futurs du groupe de haut niveau sur l'asile et l'immigration qui s'efforce aujourd'hui de mettre en oeuvre les mesures concrètes de cinq plans d'action qui concernent notamment le Maroc et le Sri Lanka. La mise en oeuvre de cette priorité donne lieu à l'organisation d'un séminaire, les 6 et 7 juillet à Paris, auquel participeront les experts et plusieurs personnalités ayant rang de ministre. L'objectif est de préparer le texte d'orientation pour les travaux de l'Union européenne, sur la base de quelques expériences pilotes menées avec des pays qui ont coopéré dans ce domaine et qui disposent de structures étatiques stables, je pense notamment au Maroc.
La deuxième grande priorité de l'Union européenne, exprimée à Tampere, est l'intégration des étrangers en situation régulière. Ce point est important au regard de la lutte contre le trafic des êtres humains qui se nourrit de la marginalité et de l'exclusion d'une partie des étrangers dans l'Union européenne. L'intégration passe par une politique résolue en faveur de l'égalité des droits économiques et sociaux et une lutte aussi résolue contre toute forme de discrimination notamment par rapport à l'emploi.
La présidence française prévoit d'organiser un séminaire en octobre sur ce thème et son intention est de présenter au Conseil un projet de texte sur l'harmonisation des titres de long séjour, qui est un instrument essentiel de l'intégration. L'accès à la nationalité des États membres constitue aussi un aspect fondamental de l'intégration des étrangers en Europe, mais l'on sait que sur ce plan chaque pays conserve ses propres règles.
Le troisième point fort de Tampere est la lutte contre les filières que j'évoquais tout à l'heure, contre le trafic des êtres humains et cet aspect est évidemment au coeur des préoccupations de la présidence française. Le Conseil de Tampere mettait en effet en exergue cette priorité, je cite: "le Conseil européen souligne qu'il est nécessaire d'assurer à toutes les étapes une gestion plus efficace des flux migratoires. Le Conseil est déterminé à combattre à sa source l'immigration clandestine, notamment en s'attaquant à ceux qui se livrent à la traite des êtres humains. Nous demandons qu'il y ait une coopération plus étroite entre les services de contrôle aux frontières des États membres".
À la suite des événements de Douvres, le Conseil européen de Feira a lancé un nouvel appel à une action rapide de l'Union européenne. Ce Conseil, je le cite, "a condamné les actes criminels perpétrés par ceux qui tirent profit de la traite des êtres humains et a exprimé la détermination de l'Union européenne à intensifier la coopération pour faire échec à cette criminalité transfrontalière qui a causé tant d'autres décès en Europe". Le Conseil a lancé un appel à la future présidence française et à la Commission pour que les conclusions de Tampere dans ce domaine soient mises en oeuvre de toute urgence.
La présidence française a d'ores et déjà proposé quatre initiatives au Conseil. Tout d'abord, un projet de directive instituant des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent des passagers en situation irrégulière. Prolongeant ainsi des dispositions qui sont inscrites dans la convention d'application de Schengen, ce projet de texte aura pour objectif de doter l'Union d'un dispositif commun en matière de sanctions. Il réaffirme l'obligation faite aux transporteurs de prendre toutes les mesures pour que les personnes qu'ils transportent soient munies de documents de voyage et, le cas échéant, des visas nécessaires, ainsi que l'obligation de réacheminer ou de prendre à leur charge le réacheminement des étrangers non admis pour les raisons précitées. Il prévoit en outre des sanctions à l'encontre de ceux qui ont transporté des passagers ne disposant pas des documents ou des visas exigés. Le texte proposé prévoit une sanction minimale de 2000 euros.
Un deuxième projet de décision-cadre vise à renforcer la répression pénale de l'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier. Là encore, dans le prolongement des dispositions de la convention d'application de Schengen qui comportent l'obligation pour les États parties à la convention de prévoir des sanctions à l'encontre de quiconque aide à l'entrée ou au séjour irrégulier, la France a présenté un projet de décision-cadre dont l'objectif est de tendre à l'harmonisation des législations nationales en ce qui concerne la définition des infractions. C'est donc un texte important vers un renforcement de la répression du trafic des êtres humains.
Troisième initiative, la présidence française a également présenté un projet de directive sur la coopération en matière d'éloignement. Son objectif est de faciliter la mise en oeuvre d'une mesure d'éloignement prononcée par un État membre à l'encontre d'un étranger en situation irrégulière, lorsque cette mesure est prise par tout autre État ayant interpellé l'étranger sur son territoire.
Quatrièmement, enfin, l'amélioration de la solidarité européenne en matière de maîtrise des flux et de contrôle aux frontières extérieures est l'une des priorités du Conseil de ministres. La France a présenté, au titre de sa présidence, de nouvelles propositions dans ce domaine, notamment un plan d'action dont la discussion va commencer au sein des instances européennes.
Il est tout d'abord urgent de renforcer la coopération policière en matière d'échanges d'informations sur les flux d'immigration irrégulière et sur les filières. La centralisation et le recoupement de ces données, leur analyse et leur exploitation doivent s'inscrire dans le cadre du groupe de travail existant. Il est particulièrement important, comme le soulignent les conclusions de Feira, de développer le rôle d'Europol dans la répression du trafic des êtres humains. La présidence française a donc l'intention de demander sans délai à Europol de présenter un bilan des actions entreprises dans ce domaine.
L'autre objectif en matière de coopération policière est de renforcer le dispositif d'alerte rapide, qui doit devenir suffisamment efficace pour permettre aux États membres d'être informés et de réagir en temps utile face à des phénomènes liés à l'immigration clandestine. Ce dispositif passe notamment par la désignation de points de contact entre les pays membres. Il confie à la présidence du Conseil le soin d'organiser la concertation nécessaire pour la mise en oeuvre de mesures adaptées à la situation.
Le renforcement de cette coordination passe aussi par la mise en place d'un réseau d'officiers de liaison des États membres dans les pays d'origine de l'immigration, de manière à améliorer la connaissance des situations, la maîtrise de l'immigration à la source, notamment par le contrôle des documents de voyage lors des embarquements dans les aéroports. L'ensemble de ces projets destinés à renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière fera l'objet d'un séminaire sur les filières qui doit se tenir à Paris les 20 et 21 juillet, dans quelques jours donc. Ce séminaire réunira des représentants de haut niveau des États membres, des pays de l'Europe centrale et orientale, des États-Unis, de l'Australie, du Canada et du Mexique.
Plusieurs ministres des États membres, des directeurs de divers services et des polices des frontières des États membres participeront à ce colloque.
Je veux aussi souligner que l'un des points essentiels de Tampere est le principe d'harmonisation du droit d'asile des États membres. C'est aussi un outil important de lutte contre l'immigration irrégulière. Nous constatons, en effet, que les demandes d'asile sont en forte hausse dans la plupart des pays de l'Union européenne. Cette augmentation reflète la hausse des entrées irrégulières, puisque 80 % à 90 % des demandes d'asile sont rejetées par les différents pays auprès desquels elles ont été déposées.
Le droit d'asile est fréquemment utilisé par les filières comme un outil juridique pour favoriser l'entrée et le séjour des clandestins. Toute la difficulté de notre tâche tient donc à la nécessité de concilier ce droit fondamental de l'asile, reconnu par les conventions internationales, et la lutte contre la fraude. Là encore, je ferai référence au Sommet de Tampere, où le Conseil européen a réaffirmé l'importance que l'Union et les États membres attachent au respect absolu du droit d'asile. Ce régime, disent les conclusions du Sommet, devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile, des normes communes pour une procédure d'asile équitable et efficace et des conditions communes minimales d'accueil des demandeurs d'asile.
Il est donc d'abord essentiel de progresser dans les travaux visant à d'améliorer le fonctionnement de la Convention de Dublin, en ce qui concerne la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile. La France suit de près les travaux en cours menés par la Commission. Un pas en avant important sera réalisé si l'on obtient que l'État qui est à l'origine de l'entrée d'un étranger dans l'Union européenne soit effectivement seul responsable de l'examen de sa demande d'asile. La mise en place prochaine du système Eurodac, qui permet la centralisation des empreintes des demandeurs d'asile, doit contribuer à la lutte contre la fraude aux demandes multiples.
Il faut aussi rapidement aboutir à l'objectif d'une procédure d'asile équitable et efficace en Europe. Ainsi, il y a urgence à harmoniser les conditions d'accueil des demandeurs d'asile pour limiter les flux internes au territoire de l'Union européenne et donc tendre à une répartition plus harmonieuse entre les États membres. C'est pourquoi la présidence française a présenté un projet de texte d'orientation destiné à faciliter les travaux de la Commission et l'élaboration du futur statut de directive.
Nous souhaitons aboutir à des premières conclusions au Conseil de décembre prochain, de façon à contribuer à la préparation du projet de directive de la Commission, prévu pour le début de 2001. Le Conseil est donc déterminé à lutter par tous les moyens nécessaires contre la traite des êtres humains et cela, conformément aux conclusions de Tampere et de Feira.
Son analyse est que la question des voies et moyens des entrées clandestines n'est plus une question qui relève uniquement de la problématique de l'immigration, mais bien une question qui concerne aussi la lutte contre la criminalité organisée.
C'est dans cette perspective qu'il faut travailler et la présidence française souhaite mobiliser tous les moyens - nationaux, communautaires, intergouvernementaux - pour y parvenir.
(source http://www.presidence-europe.fr, le 8 septembre 2000)