Texte intégral
Q- S. Paoli : La question du service minimum est-elle engagée ce matin en France ? Près d'un an après le tour d'Europe que le ministre des Transports, G. de Robien, avait effectué avec plusieurs syndicats pour observer les différentes formes de service minimum, appliqué en Italie, en Belgique, en Allemagne ou au Portugal, quel pourrait être le service minimum à la française, et les syndicats y sont-ils prêts ? Le premier à être reçu ce matin au ministère des Transports sera la CFDT et l'invité de " Question directe " ce matin, est F. Chérèque, le secrétaire général de la CFDT, qui était déjà là avec nous en studio juste avant le journal de 8H00, rebonjour F. Chérèque.
F. Chérèque : Rebonjour.
Q- Vous me disiez d'ailleurs au passage une information importante, la CFDT dit "oui" à la Constitution européenne, comme la plupart des syndicats européens.
R- La Confédération européenne des syndicats, à l'unanimité, a décidé de soutenir cette Constitution européenne, je proposerai au bureau national de la CFDT à la fin du mois de faire de même. Donc n'allons pas trop vite sur la décision du bureau national, mais c'est un débat qui je crois fait consensus dans la CFDT.
Q- Alors l'Europe justement, après ce voyage à travers l'Europe pour voir un peu comment font nos partenaires européens en matière de service minimum, avez-vous le sentiment que - on a longtemps considéré que c'était un peu le serpent de mer quand même le service minimum. Sommes-nous aujourd'hui en France au pied du mur ? Etes-vous au pied du mur ?
R-Le débat est relancé et je crois qu'il faut l'aborder d'une façon sereine. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de concilier deux droits qui sont essentiels. Le droit des usagers, qui est légitime, de pouvoir utiliser les services publics comme ils en ont besoin, et le droit des salariés de services publics d'avoir des moyens d'expression de conflictualité, si c'est nécessaire. Donc il faut essayer de concilier ces deux droits. Ce que je voudrais expliquer aux usagers aujourd'hui qui - et je suis très préoccupé par le droit des usagers, c'est quelque chose qui est très important pour nous la CFDT -, c'est que ce n'est pas en créant le service minimum qu'on réglera et qu'on fera évoluer le droit des usagers, mais en tout cas on remettra en cause celui de salariés. Nous, nous sommes persuadés, c'est une culture que l'on a à la CFDT, qu'il faut rediscuter du dialogue social dans les services publics. Le dialogue social dans les services publics est archaïque dans notre pays. On utilise la grève pour déclencher le dialogue social, alors que ça devrait être le dialogue social qui anticipe sur les problèmes et qu'éventuellement la grève vienne régler un conflit qui n'a pas pu être réglé par le dialogue social. Voilà la démarche qu'on fait. La RATP l'a fait, on a réduit par six le nombre des conflits à la RATP. C'est un bon exemple, il n'y a pas de raison de ne pas le faire ailleurs.
Q-Mais qu'est-ce qui conditionne quoi ? Est-ce que c'est le dialogue social et la qualité du dialogue social qui va avoir un effet sur la continuité du service public ou est-ce que vous êtes de toute façon opposé à cette continuité là ?
R-Ah non, nous ne sommes pas opposés à la continuité du service public. La continuité du service public c'est vers quoi on doit tendre. Mais c'est le dialogue social qui doit le permettre. J'entendais moi dans vos présentations ce matin, ce qui pour moi me semble aberrant, c'est de dire qu'il y a des syndicats dans les services publics qui disent : on a besoin de la grève pour déclencher le dialogue, parce que soi-disant les directions de ces services publics attendent que la grève ou le rapport de force pour déclencher le dialogue. Mais il faut changer la logique. On est dans un pays assez extraordinaire, on a toujours besoin de lois pour régler les problèmes qui sont des problèmes du dialogue.
Q-Mais on a déjà mis en place, F. Chérèque, des choses qui ne fonctionnent pas si mal. La veille sociale à la RATP
R-Eh bien voilà, c'est un très bon exemple.
Q-Eh bien pourquoi on ne le fait pas partout ?
R-L'exemple de la RATP est l'exemple sur lequel on s'appuie. Je l'ai dit, cela a divisé par six le nombre de conflits. Il y a eu une négociation à la SNCF sur ce sujet il y a deux ans, la CFDT était prête à signer cet accord. Le syndicat majoritaire, la CGT, avait refusé de le signer. C'est la raison pour laquelle la CFDT a dit, ça va, maintenant c'est au syndicat majoritaire un peu à s'engager. Résultat, aujourd'hui, si la CGT s'était engagée à ce moment-là, on n'en parlerait plus aujourd'hui. Donc on voit bien qu'il vaut mieux des compromis sur ce sujet là, même s'ils sont imparfaits, qu'une mauvaise loi, parce que le dialogue est toujours préférable. Donc je soutiens moi l'appel des cheminots CFDT de relancer le dialogue social à la SNCF en faisant un accord de prévention des conflits et ensuite dans cet accord de prévention des conflits, on peut imaginer par la négociation, d'organiser les conflits si c'est nécessaire, mais ce n'est pas à la loi de le prévoir, c'est dans cet accord qu'on peut le prévoir.
Q-Donc pas question pour vous de dire oui quand même à cette loi qui engagerait un processus consistant 48 heures avant à informer la direction qu'il va y avoir une grève ?
R-Mais, je suis toujours surpris moi. Les politiques aujourd'hui, en particulier ceux de la majorité, nous disent : le défaut de la loi des 35 heures c'est qu'on a imposé un modèle du haut pour toutes les entreprises. Et puis, une fois qu'ils ont dit ça, ils disent il faut imposer un modèle du haut pour toutes les entreprises publiques pour le dialogue social. Mais qu'est-ce que c'est que ces politiques qui se mêlent de tout ? Qu'ils nous disent : on vous obligé de négocier un accord de dialogue social, et si dans la négociation, on peut prévoir l'organisation des jours de grève pour permettre une meilleure utilisation des transports, par exemple la RATP - à la RATP il est écrit dans le texte qu'il faut permettre une meilleure utilisation possible pour les usagers. Résultat, beaucoup l'ont remarqué, à la RATP, les grèves se font beaucoup de 10H00 à 17H00 maintenant, c'est-à-dire que les syndicats ont intégré dans ce fait l'organisation de la grève et on essaye de gêner moins, on fait grève de 10H00 à 17H00. Pas toujours, s'il y a des conflits extrêmes, ce sera ailleurs, mais on se rend compte que dans les pays où il y a un service minimum, le jour où on a un vrai conflit comme en Italie dernièrement, eh bien le service minimum, il explose.
Q-Mais, est-ce que j'ai bien compris ? Vous êtes un peu sur la même ligne d'ailleurs que sur les 35 heures. Sur les 35 heures vous dites, il faut entreprises par entreprises voir un peu comment on peut adapter au fond, la souplesse, la modularité. Même chose pour le service minimum ?
R-C'est une culture à la CFDT, ce n'est pas pour rien. Nous on est pour un syndicalisme du dialogue, de la confrontation, du contractuel, qui est toujours préférable selon nous à un syndicalisme de la loi, celui qui attend que les politiques s'engagent par la loi pour mieux les contrer, mieux les critiquer. Nous, nous voulons prendre nos responsabilités. Parfois c'est difficile à assumer, mais je pense que, et on voit bien sur ce sujet là, beaucoup de syndicats, comme par hasard, se disent ce serait ça la meilleure solution. Alors engageons nous. Je fais un appel, là, je répète, aux syndicats, et aux employeurs des services publics, qui ont tendance aussi à utiliser ce système-là pour bloquer les négociations, faisons ce qu'on a à faire, c'est-à-dire ouvrons le dialogue.
Q-Alors, bon, et vous espérez qu'il va fonctionner ce dialogue ? Parce que c'est une question quand même qui engage tout le monde
R-Excusez-moi, un deuxième exemple. Je crois que c'est la semaine dernière, il y a eu un accord sur le dialogue social à La Poste, encore une fois signé par la CFDT, par la CFTC, par la CGC, et encore une fois refusé par les mêmes syndicats que sont la CGT et SUD, c'est-à-dire que là on est vraiment dans un débat sur le type de syndicalisme qu'on veut faire. Est-ce que le type de syndicalisme qu'on veut faire, c'est uniquement l'affrontement pour laisser ensuite les autres prendre des décisions à notre place, ou un syndicalisme qui privilégie le dialogue, qui privilégie la négociation, quitte de temps en temps à passer à l'action quand c'est nécessaire - la CFDT ne rejette pas la grève, mais la grève doit être, je dirais, l'utilisation à un dernier recours quand il y a échec du dialogue. La grève doit être un signe d'échec du dialogue, non pas un signe de demande du dialogue.
Q-Vous renvoyez à la grande question au fond qui occupe les syndicats aujourd'hui, qui est celle ou pas du réformisme d'ailleurs. Quand la CGT vous propose, je cite la formule utilisée, "des objectifs communs", notamment sur la grande question des délocalisations, là, qu'est-ce que la CFDT va répondre ? On entend là que vous êtes sur une ligne un peu différente, vous.
R-Nous on est toujours prêt à discuter d'objectifs communs, mais l'unité d'action ne peut pas être une plainte, c'est-à-dire que, B. Thibault, la CGT, s'est lancé dans une démarche du syndicalisme rassemblé. Mais on s'est rendu compte rapidement que c'était un syndicalisme rassemblé sur les idées de la CGT et sur les objectifs de la CGT. Et on le voit bien, vous l'avez dit, dans le problème des 35 heures. Nous, nous disons il y a une loi, et c'est aux délégués syndicaux de négocier dans les entreprises s'il y a nécessité d'adaptations, et on l'a vu à BOSCH, la responsabilité qu'a prise l'équipe de BOSCH. Donc on ne peut pas d'un côté critiquer les sections CFDT quand elles s'engagent pour défendre l'emploi, et puis après nous dire : "dialoguons". Le dialogue on ne le souhaite pas uniquement avec les directions d'entreprise, on le souhaite entre organisations syndicales, dans notre diversité. Affrontons, confrontons nos différents types de syndicalisme, et peut-être nous trouverons des orientations communes quand c'est nécessaire.
Q-Mais sur la question du service minimum, ça va être sévère, parce que beaucoup considèrent en effet que c'est une remise en cause du droit de grève. Vous le savez bien ça. Votre posture elle va pas être facile à défendre.
R-Non, je crois que notre posture elle est quand même partagée par beaucoup. La posture qui favorise le dialogue plutôt que la loi, je pense que sur ce sujet-là, elle est soutenue par beaucoup. Maintenant, il faut qu'on fasse preuve de responsabilités pour négocier ces accords de prévention et de faire en sorte qu'on passe plus par le dialogue. Mais il y a aussi, je le répète, une responsabilité des directions d'entreprises publiques. C'est les règles du dialogue dans la fonction publique et les services publics qu'il faut revoir. Les hommes politiques ont revu la loi pour le dialogue social dans le privé, mais ils n'ont pas revu la loi pour le dialogue social dans le public. Pourquoi ? Parce que les politiques se satisfont de ce système de dialogue social dans le service public, parce qu'ils sont satisfaits d'avoir des syndicats corporatistes avec eux, parce qu'ils évitent comme ça de dialoguer. Il vaut mieux de bons syndicats corporatistes avec lesquels on ne dialogue pas, qu'un syndicat comme la CFDT avec qui il faut dialoguer, mais qu'il faut écouter et avec lequel il faut s'engager. Il est plus difficile d'être négociateur avec la CFDT, plutôt que d'être opposant avec des syndicats avec lesquels on ne s'entendra jamais. C'est un vrai problème des politiques français qui veulent garder le pouvoir pour eux dans les services publics et qui n'acceptent pas de partager le dialogue.
Q-Alors la question c'est : ou le syndicalisme de négociation et d'adaptation, ou c'est le syndicalisme de combat. Vous avez entendu C. Brouillot tout à l'heure qui était en ligne et qui nous disait qu'en Allemagne maintenant les syndicats sont un petit peu débordés par la rue, par tous ceux qui s'inquiètent des délocalisations, qui manifestent toutes les semaines et qui disent "non, nous on ne marchera pas avec ça". La question de la représentativité syndicale, elle vous est perpétuellement posée aujourd'hui ?
R-Bien évidemment, mais en Allemagne il y a deux problèmes. Il y a le problème de l'écart au niveau social entre l'Est et l'Ouest qui n'est toujours pas réglé, ce qui veut dire que tous les exemples allemands sur le social, on ne les voit jamais à travers ce filtre là qui pèse, et puis d'autre part il y a un problème de représentativité du syndicalisme, qui se pose en France comme à l'étranger, où de plus en plus les syndicats sont implantés dans les fonctions publiques, les services publics et les grandes entreprises, ce qui est bien, mais qui sont moins implantés dans les petites entreprises alors que c'est là que se crée le développement et les emplois, et c'est pour ça que notre attitude à la CFDT c'est de ne pas lâcher notre représentativité dans les services publics et fonctions publiques, mais d'insister aussi sur notre représentativité dans le privé.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2004)
F. Chérèque : Rebonjour.
Q- Vous me disiez d'ailleurs au passage une information importante, la CFDT dit "oui" à la Constitution européenne, comme la plupart des syndicats européens.
R- La Confédération européenne des syndicats, à l'unanimité, a décidé de soutenir cette Constitution européenne, je proposerai au bureau national de la CFDT à la fin du mois de faire de même. Donc n'allons pas trop vite sur la décision du bureau national, mais c'est un débat qui je crois fait consensus dans la CFDT.
Q- Alors l'Europe justement, après ce voyage à travers l'Europe pour voir un peu comment font nos partenaires européens en matière de service minimum, avez-vous le sentiment que - on a longtemps considéré que c'était un peu le serpent de mer quand même le service minimum. Sommes-nous aujourd'hui en France au pied du mur ? Etes-vous au pied du mur ?
R-Le débat est relancé et je crois qu'il faut l'aborder d'une façon sereine. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de concilier deux droits qui sont essentiels. Le droit des usagers, qui est légitime, de pouvoir utiliser les services publics comme ils en ont besoin, et le droit des salariés de services publics d'avoir des moyens d'expression de conflictualité, si c'est nécessaire. Donc il faut essayer de concilier ces deux droits. Ce que je voudrais expliquer aux usagers aujourd'hui qui - et je suis très préoccupé par le droit des usagers, c'est quelque chose qui est très important pour nous la CFDT -, c'est que ce n'est pas en créant le service minimum qu'on réglera et qu'on fera évoluer le droit des usagers, mais en tout cas on remettra en cause celui de salariés. Nous, nous sommes persuadés, c'est une culture que l'on a à la CFDT, qu'il faut rediscuter du dialogue social dans les services publics. Le dialogue social dans les services publics est archaïque dans notre pays. On utilise la grève pour déclencher le dialogue social, alors que ça devrait être le dialogue social qui anticipe sur les problèmes et qu'éventuellement la grève vienne régler un conflit qui n'a pas pu être réglé par le dialogue social. Voilà la démarche qu'on fait. La RATP l'a fait, on a réduit par six le nombre des conflits à la RATP. C'est un bon exemple, il n'y a pas de raison de ne pas le faire ailleurs.
Q-Mais qu'est-ce qui conditionne quoi ? Est-ce que c'est le dialogue social et la qualité du dialogue social qui va avoir un effet sur la continuité du service public ou est-ce que vous êtes de toute façon opposé à cette continuité là ?
R-Ah non, nous ne sommes pas opposés à la continuité du service public. La continuité du service public c'est vers quoi on doit tendre. Mais c'est le dialogue social qui doit le permettre. J'entendais moi dans vos présentations ce matin, ce qui pour moi me semble aberrant, c'est de dire qu'il y a des syndicats dans les services publics qui disent : on a besoin de la grève pour déclencher le dialogue, parce que soi-disant les directions de ces services publics attendent que la grève ou le rapport de force pour déclencher le dialogue. Mais il faut changer la logique. On est dans un pays assez extraordinaire, on a toujours besoin de lois pour régler les problèmes qui sont des problèmes du dialogue.
Q-Mais on a déjà mis en place, F. Chérèque, des choses qui ne fonctionnent pas si mal. La veille sociale à la RATP
R-Eh bien voilà, c'est un très bon exemple.
Q-Eh bien pourquoi on ne le fait pas partout ?
R-L'exemple de la RATP est l'exemple sur lequel on s'appuie. Je l'ai dit, cela a divisé par six le nombre de conflits. Il y a eu une négociation à la SNCF sur ce sujet il y a deux ans, la CFDT était prête à signer cet accord. Le syndicat majoritaire, la CGT, avait refusé de le signer. C'est la raison pour laquelle la CFDT a dit, ça va, maintenant c'est au syndicat majoritaire un peu à s'engager. Résultat, aujourd'hui, si la CGT s'était engagée à ce moment-là, on n'en parlerait plus aujourd'hui. Donc on voit bien qu'il vaut mieux des compromis sur ce sujet là, même s'ils sont imparfaits, qu'une mauvaise loi, parce que le dialogue est toujours préférable. Donc je soutiens moi l'appel des cheminots CFDT de relancer le dialogue social à la SNCF en faisant un accord de prévention des conflits et ensuite dans cet accord de prévention des conflits, on peut imaginer par la négociation, d'organiser les conflits si c'est nécessaire, mais ce n'est pas à la loi de le prévoir, c'est dans cet accord qu'on peut le prévoir.
Q-Donc pas question pour vous de dire oui quand même à cette loi qui engagerait un processus consistant 48 heures avant à informer la direction qu'il va y avoir une grève ?
R-Mais, je suis toujours surpris moi. Les politiques aujourd'hui, en particulier ceux de la majorité, nous disent : le défaut de la loi des 35 heures c'est qu'on a imposé un modèle du haut pour toutes les entreprises. Et puis, une fois qu'ils ont dit ça, ils disent il faut imposer un modèle du haut pour toutes les entreprises publiques pour le dialogue social. Mais qu'est-ce que c'est que ces politiques qui se mêlent de tout ? Qu'ils nous disent : on vous obligé de négocier un accord de dialogue social, et si dans la négociation, on peut prévoir l'organisation des jours de grève pour permettre une meilleure utilisation des transports, par exemple la RATP - à la RATP il est écrit dans le texte qu'il faut permettre une meilleure utilisation possible pour les usagers. Résultat, beaucoup l'ont remarqué, à la RATP, les grèves se font beaucoup de 10H00 à 17H00 maintenant, c'est-à-dire que les syndicats ont intégré dans ce fait l'organisation de la grève et on essaye de gêner moins, on fait grève de 10H00 à 17H00. Pas toujours, s'il y a des conflits extrêmes, ce sera ailleurs, mais on se rend compte que dans les pays où il y a un service minimum, le jour où on a un vrai conflit comme en Italie dernièrement, eh bien le service minimum, il explose.
Q-Mais, est-ce que j'ai bien compris ? Vous êtes un peu sur la même ligne d'ailleurs que sur les 35 heures. Sur les 35 heures vous dites, il faut entreprises par entreprises voir un peu comment on peut adapter au fond, la souplesse, la modularité. Même chose pour le service minimum ?
R-C'est une culture à la CFDT, ce n'est pas pour rien. Nous on est pour un syndicalisme du dialogue, de la confrontation, du contractuel, qui est toujours préférable selon nous à un syndicalisme de la loi, celui qui attend que les politiques s'engagent par la loi pour mieux les contrer, mieux les critiquer. Nous, nous voulons prendre nos responsabilités. Parfois c'est difficile à assumer, mais je pense que, et on voit bien sur ce sujet là, beaucoup de syndicats, comme par hasard, se disent ce serait ça la meilleure solution. Alors engageons nous. Je fais un appel, là, je répète, aux syndicats, et aux employeurs des services publics, qui ont tendance aussi à utiliser ce système-là pour bloquer les négociations, faisons ce qu'on a à faire, c'est-à-dire ouvrons le dialogue.
Q-Alors, bon, et vous espérez qu'il va fonctionner ce dialogue ? Parce que c'est une question quand même qui engage tout le monde
R-Excusez-moi, un deuxième exemple. Je crois que c'est la semaine dernière, il y a eu un accord sur le dialogue social à La Poste, encore une fois signé par la CFDT, par la CFTC, par la CGC, et encore une fois refusé par les mêmes syndicats que sont la CGT et SUD, c'est-à-dire que là on est vraiment dans un débat sur le type de syndicalisme qu'on veut faire. Est-ce que le type de syndicalisme qu'on veut faire, c'est uniquement l'affrontement pour laisser ensuite les autres prendre des décisions à notre place, ou un syndicalisme qui privilégie le dialogue, qui privilégie la négociation, quitte de temps en temps à passer à l'action quand c'est nécessaire - la CFDT ne rejette pas la grève, mais la grève doit être, je dirais, l'utilisation à un dernier recours quand il y a échec du dialogue. La grève doit être un signe d'échec du dialogue, non pas un signe de demande du dialogue.
Q-Vous renvoyez à la grande question au fond qui occupe les syndicats aujourd'hui, qui est celle ou pas du réformisme d'ailleurs. Quand la CGT vous propose, je cite la formule utilisée, "des objectifs communs", notamment sur la grande question des délocalisations, là, qu'est-ce que la CFDT va répondre ? On entend là que vous êtes sur une ligne un peu différente, vous.
R-Nous on est toujours prêt à discuter d'objectifs communs, mais l'unité d'action ne peut pas être une plainte, c'est-à-dire que, B. Thibault, la CGT, s'est lancé dans une démarche du syndicalisme rassemblé. Mais on s'est rendu compte rapidement que c'était un syndicalisme rassemblé sur les idées de la CGT et sur les objectifs de la CGT. Et on le voit bien, vous l'avez dit, dans le problème des 35 heures. Nous, nous disons il y a une loi, et c'est aux délégués syndicaux de négocier dans les entreprises s'il y a nécessité d'adaptations, et on l'a vu à BOSCH, la responsabilité qu'a prise l'équipe de BOSCH. Donc on ne peut pas d'un côté critiquer les sections CFDT quand elles s'engagent pour défendre l'emploi, et puis après nous dire : "dialoguons". Le dialogue on ne le souhaite pas uniquement avec les directions d'entreprise, on le souhaite entre organisations syndicales, dans notre diversité. Affrontons, confrontons nos différents types de syndicalisme, et peut-être nous trouverons des orientations communes quand c'est nécessaire.
Q-Mais sur la question du service minimum, ça va être sévère, parce que beaucoup considèrent en effet que c'est une remise en cause du droit de grève. Vous le savez bien ça. Votre posture elle va pas être facile à défendre.
R-Non, je crois que notre posture elle est quand même partagée par beaucoup. La posture qui favorise le dialogue plutôt que la loi, je pense que sur ce sujet-là, elle est soutenue par beaucoup. Maintenant, il faut qu'on fasse preuve de responsabilités pour négocier ces accords de prévention et de faire en sorte qu'on passe plus par le dialogue. Mais il y a aussi, je le répète, une responsabilité des directions d'entreprises publiques. C'est les règles du dialogue dans la fonction publique et les services publics qu'il faut revoir. Les hommes politiques ont revu la loi pour le dialogue social dans le privé, mais ils n'ont pas revu la loi pour le dialogue social dans le public. Pourquoi ? Parce que les politiques se satisfont de ce système de dialogue social dans le service public, parce qu'ils sont satisfaits d'avoir des syndicats corporatistes avec eux, parce qu'ils évitent comme ça de dialoguer. Il vaut mieux de bons syndicats corporatistes avec lesquels on ne dialogue pas, qu'un syndicat comme la CFDT avec qui il faut dialoguer, mais qu'il faut écouter et avec lequel il faut s'engager. Il est plus difficile d'être négociateur avec la CFDT, plutôt que d'être opposant avec des syndicats avec lesquels on ne s'entendra jamais. C'est un vrai problème des politiques français qui veulent garder le pouvoir pour eux dans les services publics et qui n'acceptent pas de partager le dialogue.
Q-Alors la question c'est : ou le syndicalisme de négociation et d'adaptation, ou c'est le syndicalisme de combat. Vous avez entendu C. Brouillot tout à l'heure qui était en ligne et qui nous disait qu'en Allemagne maintenant les syndicats sont un petit peu débordés par la rue, par tous ceux qui s'inquiètent des délocalisations, qui manifestent toutes les semaines et qui disent "non, nous on ne marchera pas avec ça". La question de la représentativité syndicale, elle vous est perpétuellement posée aujourd'hui ?
R-Bien évidemment, mais en Allemagne il y a deux problèmes. Il y a le problème de l'écart au niveau social entre l'Est et l'Ouest qui n'est toujours pas réglé, ce qui veut dire que tous les exemples allemands sur le social, on ne les voit jamais à travers ce filtre là qui pèse, et puis d'autre part il y a un problème de représentativité du syndicalisme, qui se pose en France comme à l'étranger, où de plus en plus les syndicats sont implantés dans les fonctions publiques, les services publics et les grandes entreprises, ce qui est bien, mais qui sont moins implantés dans les petites entreprises alors que c'est là que se crée le développement et les emplois, et c'est pour ça que notre attitude à la CFDT c'est de ne pas lâcher notre représentativité dans les services publics et fonctions publiques, mais d'insister aussi sur notre représentativité dans le privé.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2004)