Texte intégral
QUESTION : Que pensez-vous de la proposition de Nicolas SARKOZY de faire trancher la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne par un référendum ?
François BAYROU (Réponse) : C'est une proposition illusoire.
La décision à prendre est une décision de principe : la Turquie a-t-elle ou non vocation à rejoindre l'Union européenne ? Cette question trouvera sa réponse, "oui" ou "non", avec la décision d'ouverture des négociations. S'il devait y avoir un référendum du peuple français, il devrait donc être organisé avant cette décision. Mais une fois les négociations d'adhésion ouvertes, le processus sera irréversible, et tout le monde le sait. L'ouverture des négociations, c'est purement et simplement la décision d'adhésion.
Donc une annonce de référendum dans dix ans - les négociations ayant définitivement abouti - est un leurre. Qui peut imaginer qu'après avoir négocié avec la Turquie pendant des années, lui avoir demandé des adaptations incessantes, on pourrait, au terme d'une décennie, lui dire non ? Peut-on se représenter le climat qui se créerait ainsi entre le peuple français et le peuple turc ? L'honnêteté et la franchise à l'égard de la Turquie exigent une réponse sans ambiguïté, tout de suite. Le gouvernement français doit dire ce qu'il veut et ne pas ruser. C'est pourquoi j'ai demandé un vote au Parlement.
QUESTION : Le débat sur le référendum constitutionnel vous paraît-il bien engagé ?
François BAYROU (Réponse) : En tout cas, il est engagé, et c'est bien. Les décisions essentielles en matière européenne doivent se prendre avec les peuples, et pas sans eux. Ce débat sera dominé par deux questions : l'Europe est-elle un atout ou un handicap pour notre modèle social ? L'Europe doit-elle devenir une démocratie où les citoyens ont leur mot à dire ? Pour moi, la réponse à ces deux questions est "oui". Si l'Europe connaissait un recul, la possibilité de régulations économiques et sociales serait réduite à néant. Et l'adoption d'une Constitution fait de nous, citoyens des pays de l'Union, des concitoyens européens.
QUESTION : Y a-t-il un risque que le "non" l'emporte ?
François BAYROU (Réponse) : Oui, et ce risque est important. C'est pourquoi le référendum demande l'engagement de tous. C'est une occasion unique pour que progresse, parmi les Français, la conscience de l'entreprise historique que représente l'Europe. Et c'est une occasion unique de montrer que ce projet n'est pas celui des élites, mais aussi celui des peuples.
QUESTION : Les partisans du "oui" doivent-ils conjuguer leurs efforts ?
François BAYROU (Réponse) : Oui. Il faudra faire campagne solidaire avec tous les défenseurs du "oui", sans distinction de bords politiques. L'UDF sous la direction de Valéry Giscard d'Estaing a déjà fait ce choix, au moment du débat sur le traité de Maastricht. Nous n'avions pas hésité à faire campagne avec une partie de la gauche. C'était un choix juste. Il est bon de montrer que les clivages secondaires peuvent s'effacer lorsque l'essentiel est en jeu.
QUESTION : L'impopularité du gouvernement peut-elle favoriser un rejet de la Constitution ?
François BAYROU (Réponse) : Je ne le crois pas. Ce n'est pas ce point qui sera déterminant. Les Français trancheront sur le fond, et non pas sur la conjoncture. Ils répondront "oui" ou "non" à l'Europe. En tout cas, pour ma part je me garderai de mélanger les genres.
QUESTION : Et la position de Jacques CHIRAC en faveur de la Turquie ?
François BAYROU (Réponse) : Là, en revanche, existe une vraie menace sur le résultat, parce que c'est une menace sur la nature de l'Europe. Avec l'adhésion de la Turquie, le projet européen change non pas de frontières, mais de nature. Une adhésion éventuelle de la Turquie signifie en fait le renoncement au projet d'union politique, poursuivi depuis un demi-siècle par tous ceux qui ont voulu l'Europe forte et active. C'est en cela que ce débat est historique. Ce ne sera plus le même projet, il faut avoir le courage de le dire.
QUESTION : Peut-on dire "non" à la Constitution et rester malgré tout un homme d'Etat ?
François BAYROU (Réponse) : Je ne conduis pas ce genre de procès. Face à un tel enjeu historique, je fais crédit à chacun de s'engager avec ce qu'il a de meilleur. Simplement, les conséquences sont immenses, en France, en Europe et dans le monde.
QUESTION : L'arrivée de Nicolas SARKOZY anticipe-t-elle de nouvelles relations au sein de la majorité ?
François BAYROU (Réponse) : Un nouveau style de relations, certainement. Il y a entre nous un respect que je crois mutuel. Et c'est positif. Mais cela ne suppose pas que nous dissimulions nos différences. Nous ne portons pas le même projet et, au bout du compte, ce sont les Français qui choisiront.
QUESTION : L'UDF a construit son identité sur sa résistance face au parti chiraquien. Ne craignez-vous pas qu'elle affadisse son image ?
François BAYROU (Réponse) : Le premier élément d'identité de l'UDF, c'est sa conception de la démocratie. Nous n'acceptons pas la véritable colonisation de l'Etat qui est pratiquée aujourd'hui, où l'on voit nommer des amis du pouvoir à tous les postes, sans aucune exception, afin que soient tenus par les mêmes mains tous les leviers de commande de l'exécutif, du législatif, des corps de contrôle, des entreprises publiques. Cela est inacceptable et profondément malsain. Nous n'aurons de cesse que s'établissent en France d'autres règles et d'autres murs.
QUESTION : Etes-vous choqué par le retour de Charles Pasqua au Sénat, et par sa nouvelle immunité ?
François BAYROU (Réponse) : Je ne vous suis pas sur ce sujet. Les parlementaires, contrairement à ce que l'on dit parfois, ne sont nullement à l'abri des procédures. L'immunité parlementaire n'est pas un asile judiciaire. Elle est faite seulement pour protéger les élus des pressions qui pourraient compromettre leur liberté de parole et de jugement.
QUESTION : Quel rôle jouera l'UDF dans la bataille pour la présidence du Sénat ?
François BAYROU (Réponse) : S'il y avait eu une pratique normale de la majorité, l'UMP et l'UDF auraient délibéré en commun. En délibérant à huis clos, l'UMP considère qu'elle représente la majorité à elle seule. Dont acte. Nous avons donc pleine liberté de vote. Mais je parie que le jour viendra où ce genre de comportements ne sera plus accepté.
QUESTION : Jean-Pierre RAFFARIN estime venu le temps des "réformes gratifiantes". Le plus indispensable a-t-il été fait ?
François BAYROU (Réponse) : Qu'est-ce qui a été fait ? Une demi-réforme : les retraites. Une fausse réforme, la prétendue refonte de la Sécurité sociale. Une réforme embrouillée et embrouillante, celle de la décentralisation. C'est un résultat terriblement insuffisant. Il y a pire que de ne pas faire les réformes, c'est de faire croire aux gens qu'on les a faites.
QUESTION : Il reste donc beaucoup de travail à faire...
François BAYROU (Réponse) : Oui. Et cela exige l'adhésion et la mobilisation des Français. L'idée qu'il y aurait désormais devant nous deux ans et demi faciles ne va pas dans le bon sens. C'est une idée de démobilisation.
QUESTION : Faut-il un autre type d'action ou un autre Premier ministre ?
François BAYROU (Réponse) : Je me suis toujours refusé à entrer dans le débat sur les personnes. Il y a unité entre le Premier ministre et le président de la République. C'est le président qui est le décideur majeur, pour le meilleur et pour le pire. Je ne fais pas porter à Jean-Pierre RAFFARIN plus de responsabilités qu'il n'en a.
Propos recueillis par Christiane CHOMBEAU et Philippe RIDET
(Source http://www.udf.org, le 30 septembre 2004)
François BAYROU (Réponse) : C'est une proposition illusoire.
La décision à prendre est une décision de principe : la Turquie a-t-elle ou non vocation à rejoindre l'Union européenne ? Cette question trouvera sa réponse, "oui" ou "non", avec la décision d'ouverture des négociations. S'il devait y avoir un référendum du peuple français, il devrait donc être organisé avant cette décision. Mais une fois les négociations d'adhésion ouvertes, le processus sera irréversible, et tout le monde le sait. L'ouverture des négociations, c'est purement et simplement la décision d'adhésion.
Donc une annonce de référendum dans dix ans - les négociations ayant définitivement abouti - est un leurre. Qui peut imaginer qu'après avoir négocié avec la Turquie pendant des années, lui avoir demandé des adaptations incessantes, on pourrait, au terme d'une décennie, lui dire non ? Peut-on se représenter le climat qui se créerait ainsi entre le peuple français et le peuple turc ? L'honnêteté et la franchise à l'égard de la Turquie exigent une réponse sans ambiguïté, tout de suite. Le gouvernement français doit dire ce qu'il veut et ne pas ruser. C'est pourquoi j'ai demandé un vote au Parlement.
QUESTION : Le débat sur le référendum constitutionnel vous paraît-il bien engagé ?
François BAYROU (Réponse) : En tout cas, il est engagé, et c'est bien. Les décisions essentielles en matière européenne doivent se prendre avec les peuples, et pas sans eux. Ce débat sera dominé par deux questions : l'Europe est-elle un atout ou un handicap pour notre modèle social ? L'Europe doit-elle devenir une démocratie où les citoyens ont leur mot à dire ? Pour moi, la réponse à ces deux questions est "oui". Si l'Europe connaissait un recul, la possibilité de régulations économiques et sociales serait réduite à néant. Et l'adoption d'une Constitution fait de nous, citoyens des pays de l'Union, des concitoyens européens.
QUESTION : Y a-t-il un risque que le "non" l'emporte ?
François BAYROU (Réponse) : Oui, et ce risque est important. C'est pourquoi le référendum demande l'engagement de tous. C'est une occasion unique pour que progresse, parmi les Français, la conscience de l'entreprise historique que représente l'Europe. Et c'est une occasion unique de montrer que ce projet n'est pas celui des élites, mais aussi celui des peuples.
QUESTION : Les partisans du "oui" doivent-ils conjuguer leurs efforts ?
François BAYROU (Réponse) : Oui. Il faudra faire campagne solidaire avec tous les défenseurs du "oui", sans distinction de bords politiques. L'UDF sous la direction de Valéry Giscard d'Estaing a déjà fait ce choix, au moment du débat sur le traité de Maastricht. Nous n'avions pas hésité à faire campagne avec une partie de la gauche. C'était un choix juste. Il est bon de montrer que les clivages secondaires peuvent s'effacer lorsque l'essentiel est en jeu.
QUESTION : L'impopularité du gouvernement peut-elle favoriser un rejet de la Constitution ?
François BAYROU (Réponse) : Je ne le crois pas. Ce n'est pas ce point qui sera déterminant. Les Français trancheront sur le fond, et non pas sur la conjoncture. Ils répondront "oui" ou "non" à l'Europe. En tout cas, pour ma part je me garderai de mélanger les genres.
QUESTION : Et la position de Jacques CHIRAC en faveur de la Turquie ?
François BAYROU (Réponse) : Là, en revanche, existe une vraie menace sur le résultat, parce que c'est une menace sur la nature de l'Europe. Avec l'adhésion de la Turquie, le projet européen change non pas de frontières, mais de nature. Une adhésion éventuelle de la Turquie signifie en fait le renoncement au projet d'union politique, poursuivi depuis un demi-siècle par tous ceux qui ont voulu l'Europe forte et active. C'est en cela que ce débat est historique. Ce ne sera plus le même projet, il faut avoir le courage de le dire.
QUESTION : Peut-on dire "non" à la Constitution et rester malgré tout un homme d'Etat ?
François BAYROU (Réponse) : Je ne conduis pas ce genre de procès. Face à un tel enjeu historique, je fais crédit à chacun de s'engager avec ce qu'il a de meilleur. Simplement, les conséquences sont immenses, en France, en Europe et dans le monde.
QUESTION : L'arrivée de Nicolas SARKOZY anticipe-t-elle de nouvelles relations au sein de la majorité ?
François BAYROU (Réponse) : Un nouveau style de relations, certainement. Il y a entre nous un respect que je crois mutuel. Et c'est positif. Mais cela ne suppose pas que nous dissimulions nos différences. Nous ne portons pas le même projet et, au bout du compte, ce sont les Français qui choisiront.
QUESTION : L'UDF a construit son identité sur sa résistance face au parti chiraquien. Ne craignez-vous pas qu'elle affadisse son image ?
François BAYROU (Réponse) : Le premier élément d'identité de l'UDF, c'est sa conception de la démocratie. Nous n'acceptons pas la véritable colonisation de l'Etat qui est pratiquée aujourd'hui, où l'on voit nommer des amis du pouvoir à tous les postes, sans aucune exception, afin que soient tenus par les mêmes mains tous les leviers de commande de l'exécutif, du législatif, des corps de contrôle, des entreprises publiques. Cela est inacceptable et profondément malsain. Nous n'aurons de cesse que s'établissent en France d'autres règles et d'autres murs.
QUESTION : Etes-vous choqué par le retour de Charles Pasqua au Sénat, et par sa nouvelle immunité ?
François BAYROU (Réponse) : Je ne vous suis pas sur ce sujet. Les parlementaires, contrairement à ce que l'on dit parfois, ne sont nullement à l'abri des procédures. L'immunité parlementaire n'est pas un asile judiciaire. Elle est faite seulement pour protéger les élus des pressions qui pourraient compromettre leur liberté de parole et de jugement.
QUESTION : Quel rôle jouera l'UDF dans la bataille pour la présidence du Sénat ?
François BAYROU (Réponse) : S'il y avait eu une pratique normale de la majorité, l'UMP et l'UDF auraient délibéré en commun. En délibérant à huis clos, l'UMP considère qu'elle représente la majorité à elle seule. Dont acte. Nous avons donc pleine liberté de vote. Mais je parie que le jour viendra où ce genre de comportements ne sera plus accepté.
QUESTION : Jean-Pierre RAFFARIN estime venu le temps des "réformes gratifiantes". Le plus indispensable a-t-il été fait ?
François BAYROU (Réponse) : Qu'est-ce qui a été fait ? Une demi-réforme : les retraites. Une fausse réforme, la prétendue refonte de la Sécurité sociale. Une réforme embrouillée et embrouillante, celle de la décentralisation. C'est un résultat terriblement insuffisant. Il y a pire que de ne pas faire les réformes, c'est de faire croire aux gens qu'on les a faites.
QUESTION : Il reste donc beaucoup de travail à faire...
François BAYROU (Réponse) : Oui. Et cela exige l'adhésion et la mobilisation des Français. L'idée qu'il y aurait désormais devant nous deux ans et demi faciles ne va pas dans le bon sens. C'est une idée de démobilisation.
QUESTION : Faut-il un autre type d'action ou un autre Premier ministre ?
François BAYROU (Réponse) : Je me suis toujours refusé à entrer dans le débat sur les personnes. Il y a unité entre le Premier ministre et le président de la République. C'est le président qui est le décideur majeur, pour le meilleur et pour le pire. Je ne fais pas porter à Jean-Pierre RAFFARIN plus de responsabilités qu'il n'en a.
Propos recueillis par Christiane CHOMBEAU et Philippe RIDET
(Source http://www.udf.org, le 30 septembre 2004)