Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Le 17 décembre 2004, le Conseil européen débattra de l'ouverture et des conditions des négociations relatives à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
La question fait légitimement débat.
Ce débat n'est pas nouveau puisqu'il a été ouvert il y a quarante-cinq ans, le 31 juillet 1959, quand la Turquie a formulé sa première demande aux dirigeants du Marché commun de l'époque.
Un accord d'association a été signé le 12 septembre 1963 aux termes duquel, après deux décennies de phases transitoires, la Turquie pourrait demander son adhésion pleine et entière à l'Europe. La demande de la Turquie n'est donc pas illégitime.
Tout au long de cette période, la réponse de la France a toujours été la même :
Les plus grandes réserves, voire des refus spectaculaires, quand il s'est agi de la construction européenne.
Ce fut le cas lors du Conseil des ministres européens des 26 et 27 septembre 1961.
De réelles ouvertures quand la Turquie est devenue un élément majeur de la politique méditerranéenne et proche-orientale du général De Gaulle.
Après le rapprochement en juin 1964 à propos de Chypre, puis lors des voyages présidentiels de 1967 et 1968 par exemple. On peut présenter les choses ainsi : c'était plutôt NON quand on pensait à la construction de l'Europe et plutôt OUI quand on pensait aux équilibres du monde.
Le débat n'a guère changé. Mais, au siècle de la globalisation, cette dialectique a vieilli.
On ne peut plus penser l'Europe sans débattre de son ambition dans le monde.
Le débat n'est pas médiocre.
Il mérite que nous nous écoutions les uns et les autres, que nous écoutions les Françaises et les Français, que nous écoutions aussi nos partenaires européens.
Mais, en tout état de cause, le Président de la République s'est engagé, la volonté de la Nation sera respectée puisque le peuple de France aura, par référendum, le dernier mot.
L'espoir du peuple turc doit être aussi pris en considération pour que les forces de progrès qui l'animent, beaucoup plus puissantes que ce que certains croient, ne soient pas désespérées par ce qui risquerait d'apparaître comme une incompréhension, voire une exclusion.
Mais ne mentons pas au peuple turc.
Affirmons clairement que son adhésion à l'Union européenne n'est pas possible aujourd'hui, ni demain, ni dans les prochaines années.
Affirmons tout aussi clairement que, puisque les Françaises et les Français pourront être appelés à voter par référendum sur le sujet, il est de notre devoir de poser honnêtement, sereinement, les termes de ce débat.
La France doit prendre le débat au sérieux et ne doit donc pas chercher à le clore avant qu'il ne soit ouvert.
Nous devons le mener dans un esprit d'ouverture, avec la passion de l'avenir, mais sans le dévoyer, dans le strict respect de l'esprit et de la lettre de la Constitution française.
Ni l'Europe ni la Turquie ne sont prêtes à l'adhésion
Non, la Turquie n'est pas prête pour l'adhésion
Aujourd'hui, la Turquie est très loin de l'Europe sur les plans politique, économique et social. Certes, depuis le combat victorieux de Mustafa Kemal Atatürk pour l'indépendance nationale et la laïcité, la Turquie a fait le choix de l'Europe et de l'Occident.
Cet arrimage s'est confirmé au sortir de la seconde guerre mondiale avec l'entrée de la Turquie au Conseil de l'Europe et plus encore à l'OTAN.
La Turquie nous est donc déjà liée par des traités qui nous engagent.
Mais, malgré les progrès économiques, les efforts doivent se poursuivre.
Le déséquilibre entre la partie occidentale et la partie orientale du pays reste criant.
Si un tiers des Turcs, ceux de la région d'Istanbul et de la façade égéenne, ont un niveau de vie moyen proche de celui d'autres pays de l'Union lors de leur adhésion, le chemin sera long avant que les campagnes turques atteignent un niveau de développement qui permettrait à la Turquie d'entrer dans l'Union européenne.
Le PIB par habitant de la Turquie représente 10 % du niveau moyen de l'Union à Vingt-Cinq.
Le fossé économique est donc très important.
Sur le plan politique, la Turquie a fait récemment de grands progrès - et il faut saluer le courage du chef du gouvernement turc, M. ERDOGAN - mais il faut aussi que les évolutions législatives soient intégrées par la société turque.
Encore faut-il s'assurer de leur application effective et rigoureuse.
Et beaucoup reste à faire pour l'adhésion à la laïcité, pour les droits des minorités ou pour l'égalité entre les hommes et les femmes qui est loin d'être assurée...
La Turquie est aussi confrontée à des conflits qu'il est bien difficile d'importer au sein de l'Union européenne.
Je pense évidemment au problème kurde ou aux tensions de voisinage pour le contrôle de l'eau.
L'Europe n'est pas prête pour la Turquie
Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les députés,
Je ne crois pas que l'Europe soit prête pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
L'Europe vient de s'élargir, elle doit accueillir ses nouveaux membres, réussir leur intégration avant de penser à un autre élargissement.
Mais surtout, la priorité aujourd'hui pour les Européens, c'est le vote de la Constitution, c'est donc l'approfondissement de l'idée d'Europe politique.
N'oublions pas que, parmi les critères de Copenhague définis en 1993, il y avait " la capacité à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne ".
Avons-nous cette capacité aujourd'hui ?
la réponse est clairement non.
Ni l'Europe ni la Turquie ne sont prêtes aujourd'hui pour l'adhésion.
Ne l'oublions pas, ne faisons pas comme si tel n'était pas le cas.
Les termes du débat
Devons-nous pour autant avoir une attitude figée ?
L'Europe doit penser à demain, sa responsabilité est historique.
Prenons donc ensemble le temps du débat et posons sereinement les termes de la discussion.
Les points en débat : histoire et géographie
Et d'abord, la géographie.
La Turquie se trouve à la charnière de deux continents. Est-elle européenne ?
Ne l'est-elle pas ?
On peut débattre à l'infini de ces questions.
Pour Edgar Morin, l'Europe n'est pas une géographie, c'est d'abord une civilisation.
D'autres parlent des 3 % d'espace européen du territoire turc comme d'un " confetti ".
En tout cas, la géographie ne suffit pas à définir l'Europe.
L'histoire aussi est riche d'enseignements.
Le destin de la Turquie a toujours été en effet profondément lié à celui de l'Europe.
Durant une grande partie de son histoire, l'Empire ottoman a été un allié.
La Turquie est l'un des berceaux de notre civilisation européenne, riche des héritages de l'Empire romain d'Orient, avec une culture gréco-latine et judéo-chrétienne très présentes.
A d'autres périodes de notre histoire, je ne l'oublie pas, l'empire ottoman ou la Turquie a été au contraire un adversaire.
Mais, sachons prendre le recul nécessaire.
L'histoire de l'Europe a longtemps été celle des conflits entre ses nations.
Les conflits entre la France et l'Allemagne ne nous ont pas empêchés de faire l'Europe ensemble. Au total, l'histoire et la géographie ne nous permettent pas aujourd'hui de donner une réponse pertinente à la question de l'adhésion la Turquie.
Les risques
Pour beaucoup aujourd'hui, l'intégration de la Turquie serait un risque pour l'Europe.
Risque d'apparition d'un déséquilibre démographique, même si la diminution du taux de fécondité en Turquie doit conduire à relativiser les choses.
Risque de voir l'ambition de l'Europe politique diluée dans un ensemble si vaste et si disparate qu'il serait impossible d'avancer ensemble.
Risque d'incompréhension entre deux mondes, deux cultures profondément différents.
Les problèmes d'intégration que nous connaissons aujourd'hui en France renforcent ce sentiment, je le sais, j'en suis conscient.
Face à ces deux objections et à d'autres encore, nous ne pouvons répondre aujourd'hui : c'est pourquoi il faut laisser le temps au débat et à la réflexion.
Les avantages
L'admission de la Turquie ouvrirait des perspectives nouvelles pour l'Europe.
Il est dans l'intérêt de la France et de l'Europe d'avoir une Turquie stable, moderne, démocratique qui partage nos valeurs et nos objectifs.
Une Turquie adhérant aux principes de la démocratie et de la laïcité.
Une Turquie qui serait une référence, peut-être demain un modèle pour l'ensemble des pays qui l'entourent.
Il est dans l'intérêt de la France et de l'Europe que la Turquie, qui a fait des efforts considérables pour évoluer et se rapprocher de l'Union européenne, ne soit pas rejetée dans les bras de ceux qui prônent la confrontation entre l'Islam et l'Occident.
Ne soyons pas ceux qui dénoncent la thèse du choc des civilisations à l'extérieur et qui défendent cette thèse dangereuse à l'intérieur.
Ne laissons pas caricaturer la politique de la France.
Nous sommes prêts au contraire à accompagner la Turquie sur la voie des réformes.
N'oublions jamais que l'Europe, c'est d'abord la paix.
Avec la Turquie, nous avons une preuve de la force d'attraction considérable de l'Europe qui, autour de son projet, autour de ses valeurs, peut transformer en profondeur une société.
Les sociétés des anciens pays communistes ont adopté en très peu de temps la démocratie, l'économie de marché et le respect des droits de l'homme.
La Turquie change parce qu'elle manifeste un vrai désir d'Europe.
Laissons lui du temps.
L'heure est au débat, au dialogue, au rapprochement nécessaire pour une proximité qui reste encore à définir.
C'est tout l'enjeu de la période de dialogue qui va s'ouvrir bientôt avec la Turquie.
L'histoire tranchera
Le processus de décision
Le processus sera long.
Comme le lui avait demandé le Conseil européen, la Commission a présenté le 6 octobre sa recommandation concernant la Turquie.
Elle considère que " la Turquie remplit suffisamment les critères politiques de Copenhague et recommande l'ouverture de négociations d'adhésion ".
Comme l'a souligné la Commission, il s'agit d'un " oui conditionnel ", qui repose largement sur les progrès que doit faire la Turquie et dont l'application devra être soigneusement vérifiée.
Les Chefs d'Etat et de gouvernement devront se prononcer le 17 décembre sur l'opportunité d'ouvrir des négociations d'adhésion avec ce pays.
Si elles sont ouvertes, les négociations seront complexes et difficiles.
Comme le souligne la Commission, elles ne devraient pouvoir être conclues avant que l'Union européenne n'ait défini ses perspectives financières pour l'après 2014.
Le rythme des négociations dépendra donc aussi des préparatifs qui seront nécessaires dans l'Union européenne pour permettre une intégration en douceur de ce pays.
Quoi qu'il arrive, la Turquie ne sera pas membre de l'Union avant 2015.
Enfin, ce processus de négociation pourra s'arrêter à tout moment.
C'était l'une des exigences françaises. Soit parce que la Turquie elle-même renonce à cette perspective, soit parce que certains Etats membres ne souhaitent pas poursuivre les négociations.
Le processus est maîtrisé. Il s'arrêtera si la société turque arrête son évolution.
Il pourra aussi ne pas se conclure si les peuples des différents pays de l'Union considèrent qu'il est de leur devoir d'interrompre le processus.
Il pourra déboucher sur une forme d'association nouvelle le cas échéant en plein accord avec nos partenaires turcs.
Aujourd'hui, il n'y a pas de fatalité.
Nous avons la maîtrise du destin de l'Europe.
L'avenir n'est pas écrit : l'Union européenne peut décider qu'il y aura une adhésion turque, l'Union européenne peut décider qu'il y aura un partenariat renforcé avec la Turquie, l'Union européenne peut décider d'en rester là où nous sommes aujourd'hui.
L'histoire tranchera
Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les députés,
Je salue la sagesse des parlementaires qui ne succombent pas au piège de la diabolisation et de l'amalgame.
Le débat qui se tient aujourd'hui donne de la hauteur et doit aider les Français à prendre conscience des enjeux de l'histoire.
Ne privons pas la France de ces choix d'avenir par un non sans discussion, anticipé et prématuré.
Offrons au contraire à la France la chance d'un débat démocratique, car référendaire, sur la Constitution européenne en refusant l'amalgame entre deux questions que plus d'une décennie séparent.
Ayons confiance en l'Europe, en sa sagesse, en sa puissance et adressons aux Françaises et aux Français un message clair sur la Turquie en Europe : si un jour la question est posée, le peuple est souverain, il décidera.
(Source http://www.premier-ministre, le 15 octobre 2004)
Mesdames et messieurs les députés,
Le 17 décembre 2004, le Conseil européen débattra de l'ouverture et des conditions des négociations relatives à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
La question fait légitimement débat.
Ce débat n'est pas nouveau puisqu'il a été ouvert il y a quarante-cinq ans, le 31 juillet 1959, quand la Turquie a formulé sa première demande aux dirigeants du Marché commun de l'époque.
Un accord d'association a été signé le 12 septembre 1963 aux termes duquel, après deux décennies de phases transitoires, la Turquie pourrait demander son adhésion pleine et entière à l'Europe. La demande de la Turquie n'est donc pas illégitime.
Tout au long de cette période, la réponse de la France a toujours été la même :
Les plus grandes réserves, voire des refus spectaculaires, quand il s'est agi de la construction européenne.
Ce fut le cas lors du Conseil des ministres européens des 26 et 27 septembre 1961.
De réelles ouvertures quand la Turquie est devenue un élément majeur de la politique méditerranéenne et proche-orientale du général De Gaulle.
Après le rapprochement en juin 1964 à propos de Chypre, puis lors des voyages présidentiels de 1967 et 1968 par exemple. On peut présenter les choses ainsi : c'était plutôt NON quand on pensait à la construction de l'Europe et plutôt OUI quand on pensait aux équilibres du monde.
Le débat n'a guère changé. Mais, au siècle de la globalisation, cette dialectique a vieilli.
On ne peut plus penser l'Europe sans débattre de son ambition dans le monde.
Le débat n'est pas médiocre.
Il mérite que nous nous écoutions les uns et les autres, que nous écoutions les Françaises et les Français, que nous écoutions aussi nos partenaires européens.
Mais, en tout état de cause, le Président de la République s'est engagé, la volonté de la Nation sera respectée puisque le peuple de France aura, par référendum, le dernier mot.
L'espoir du peuple turc doit être aussi pris en considération pour que les forces de progrès qui l'animent, beaucoup plus puissantes que ce que certains croient, ne soient pas désespérées par ce qui risquerait d'apparaître comme une incompréhension, voire une exclusion.
Mais ne mentons pas au peuple turc.
Affirmons clairement que son adhésion à l'Union européenne n'est pas possible aujourd'hui, ni demain, ni dans les prochaines années.
Affirmons tout aussi clairement que, puisque les Françaises et les Français pourront être appelés à voter par référendum sur le sujet, il est de notre devoir de poser honnêtement, sereinement, les termes de ce débat.
La France doit prendre le débat au sérieux et ne doit donc pas chercher à le clore avant qu'il ne soit ouvert.
Nous devons le mener dans un esprit d'ouverture, avec la passion de l'avenir, mais sans le dévoyer, dans le strict respect de l'esprit et de la lettre de la Constitution française.
Ni l'Europe ni la Turquie ne sont prêtes à l'adhésion
Non, la Turquie n'est pas prête pour l'adhésion
Aujourd'hui, la Turquie est très loin de l'Europe sur les plans politique, économique et social. Certes, depuis le combat victorieux de Mustafa Kemal Atatürk pour l'indépendance nationale et la laïcité, la Turquie a fait le choix de l'Europe et de l'Occident.
Cet arrimage s'est confirmé au sortir de la seconde guerre mondiale avec l'entrée de la Turquie au Conseil de l'Europe et plus encore à l'OTAN.
La Turquie nous est donc déjà liée par des traités qui nous engagent.
Mais, malgré les progrès économiques, les efforts doivent se poursuivre.
Le déséquilibre entre la partie occidentale et la partie orientale du pays reste criant.
Si un tiers des Turcs, ceux de la région d'Istanbul et de la façade égéenne, ont un niveau de vie moyen proche de celui d'autres pays de l'Union lors de leur adhésion, le chemin sera long avant que les campagnes turques atteignent un niveau de développement qui permettrait à la Turquie d'entrer dans l'Union européenne.
Le PIB par habitant de la Turquie représente 10 % du niveau moyen de l'Union à Vingt-Cinq.
Le fossé économique est donc très important.
Sur le plan politique, la Turquie a fait récemment de grands progrès - et il faut saluer le courage du chef du gouvernement turc, M. ERDOGAN - mais il faut aussi que les évolutions législatives soient intégrées par la société turque.
Encore faut-il s'assurer de leur application effective et rigoureuse.
Et beaucoup reste à faire pour l'adhésion à la laïcité, pour les droits des minorités ou pour l'égalité entre les hommes et les femmes qui est loin d'être assurée...
La Turquie est aussi confrontée à des conflits qu'il est bien difficile d'importer au sein de l'Union européenne.
Je pense évidemment au problème kurde ou aux tensions de voisinage pour le contrôle de l'eau.
L'Europe n'est pas prête pour la Turquie
Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les députés,
Je ne crois pas que l'Europe soit prête pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
L'Europe vient de s'élargir, elle doit accueillir ses nouveaux membres, réussir leur intégration avant de penser à un autre élargissement.
Mais surtout, la priorité aujourd'hui pour les Européens, c'est le vote de la Constitution, c'est donc l'approfondissement de l'idée d'Europe politique.
N'oublions pas que, parmi les critères de Copenhague définis en 1993, il y avait " la capacité à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne ".
Avons-nous cette capacité aujourd'hui ?
la réponse est clairement non.
Ni l'Europe ni la Turquie ne sont prêtes aujourd'hui pour l'adhésion.
Ne l'oublions pas, ne faisons pas comme si tel n'était pas le cas.
Les termes du débat
Devons-nous pour autant avoir une attitude figée ?
L'Europe doit penser à demain, sa responsabilité est historique.
Prenons donc ensemble le temps du débat et posons sereinement les termes de la discussion.
Les points en débat : histoire et géographie
Et d'abord, la géographie.
La Turquie se trouve à la charnière de deux continents. Est-elle européenne ?
Ne l'est-elle pas ?
On peut débattre à l'infini de ces questions.
Pour Edgar Morin, l'Europe n'est pas une géographie, c'est d'abord une civilisation.
D'autres parlent des 3 % d'espace européen du territoire turc comme d'un " confetti ".
En tout cas, la géographie ne suffit pas à définir l'Europe.
L'histoire aussi est riche d'enseignements.
Le destin de la Turquie a toujours été en effet profondément lié à celui de l'Europe.
Durant une grande partie de son histoire, l'Empire ottoman a été un allié.
La Turquie est l'un des berceaux de notre civilisation européenne, riche des héritages de l'Empire romain d'Orient, avec une culture gréco-latine et judéo-chrétienne très présentes.
A d'autres périodes de notre histoire, je ne l'oublie pas, l'empire ottoman ou la Turquie a été au contraire un adversaire.
Mais, sachons prendre le recul nécessaire.
L'histoire de l'Europe a longtemps été celle des conflits entre ses nations.
Les conflits entre la France et l'Allemagne ne nous ont pas empêchés de faire l'Europe ensemble. Au total, l'histoire et la géographie ne nous permettent pas aujourd'hui de donner une réponse pertinente à la question de l'adhésion la Turquie.
Les risques
Pour beaucoup aujourd'hui, l'intégration de la Turquie serait un risque pour l'Europe.
Risque d'apparition d'un déséquilibre démographique, même si la diminution du taux de fécondité en Turquie doit conduire à relativiser les choses.
Risque de voir l'ambition de l'Europe politique diluée dans un ensemble si vaste et si disparate qu'il serait impossible d'avancer ensemble.
Risque d'incompréhension entre deux mondes, deux cultures profondément différents.
Les problèmes d'intégration que nous connaissons aujourd'hui en France renforcent ce sentiment, je le sais, j'en suis conscient.
Face à ces deux objections et à d'autres encore, nous ne pouvons répondre aujourd'hui : c'est pourquoi il faut laisser le temps au débat et à la réflexion.
Les avantages
L'admission de la Turquie ouvrirait des perspectives nouvelles pour l'Europe.
Il est dans l'intérêt de la France et de l'Europe d'avoir une Turquie stable, moderne, démocratique qui partage nos valeurs et nos objectifs.
Une Turquie adhérant aux principes de la démocratie et de la laïcité.
Une Turquie qui serait une référence, peut-être demain un modèle pour l'ensemble des pays qui l'entourent.
Il est dans l'intérêt de la France et de l'Europe que la Turquie, qui a fait des efforts considérables pour évoluer et se rapprocher de l'Union européenne, ne soit pas rejetée dans les bras de ceux qui prônent la confrontation entre l'Islam et l'Occident.
Ne soyons pas ceux qui dénoncent la thèse du choc des civilisations à l'extérieur et qui défendent cette thèse dangereuse à l'intérieur.
Ne laissons pas caricaturer la politique de la France.
Nous sommes prêts au contraire à accompagner la Turquie sur la voie des réformes.
N'oublions jamais que l'Europe, c'est d'abord la paix.
Avec la Turquie, nous avons une preuve de la force d'attraction considérable de l'Europe qui, autour de son projet, autour de ses valeurs, peut transformer en profondeur une société.
Les sociétés des anciens pays communistes ont adopté en très peu de temps la démocratie, l'économie de marché et le respect des droits de l'homme.
La Turquie change parce qu'elle manifeste un vrai désir d'Europe.
Laissons lui du temps.
L'heure est au débat, au dialogue, au rapprochement nécessaire pour une proximité qui reste encore à définir.
C'est tout l'enjeu de la période de dialogue qui va s'ouvrir bientôt avec la Turquie.
L'histoire tranchera
Le processus de décision
Le processus sera long.
Comme le lui avait demandé le Conseil européen, la Commission a présenté le 6 octobre sa recommandation concernant la Turquie.
Elle considère que " la Turquie remplit suffisamment les critères politiques de Copenhague et recommande l'ouverture de négociations d'adhésion ".
Comme l'a souligné la Commission, il s'agit d'un " oui conditionnel ", qui repose largement sur les progrès que doit faire la Turquie et dont l'application devra être soigneusement vérifiée.
Les Chefs d'Etat et de gouvernement devront se prononcer le 17 décembre sur l'opportunité d'ouvrir des négociations d'adhésion avec ce pays.
Si elles sont ouvertes, les négociations seront complexes et difficiles.
Comme le souligne la Commission, elles ne devraient pouvoir être conclues avant que l'Union européenne n'ait défini ses perspectives financières pour l'après 2014.
Le rythme des négociations dépendra donc aussi des préparatifs qui seront nécessaires dans l'Union européenne pour permettre une intégration en douceur de ce pays.
Quoi qu'il arrive, la Turquie ne sera pas membre de l'Union avant 2015.
Enfin, ce processus de négociation pourra s'arrêter à tout moment.
C'était l'une des exigences françaises. Soit parce que la Turquie elle-même renonce à cette perspective, soit parce que certains Etats membres ne souhaitent pas poursuivre les négociations.
Le processus est maîtrisé. Il s'arrêtera si la société turque arrête son évolution.
Il pourra aussi ne pas se conclure si les peuples des différents pays de l'Union considèrent qu'il est de leur devoir d'interrompre le processus.
Il pourra déboucher sur une forme d'association nouvelle le cas échéant en plein accord avec nos partenaires turcs.
Aujourd'hui, il n'y a pas de fatalité.
Nous avons la maîtrise du destin de l'Europe.
L'avenir n'est pas écrit : l'Union européenne peut décider qu'il y aura une adhésion turque, l'Union européenne peut décider qu'il y aura un partenariat renforcé avec la Turquie, l'Union européenne peut décider d'en rester là où nous sommes aujourd'hui.
L'histoire tranchera
Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les députés,
Je salue la sagesse des parlementaires qui ne succombent pas au piège de la diabolisation et de l'amalgame.
Le débat qui se tient aujourd'hui donne de la hauteur et doit aider les Français à prendre conscience des enjeux de l'histoire.
Ne privons pas la France de ces choix d'avenir par un non sans discussion, anticipé et prématuré.
Offrons au contraire à la France la chance d'un débat démocratique, car référendaire, sur la Constitution européenne en refusant l'amalgame entre deux questions que plus d'une décennie séparent.
Ayons confiance en l'Europe, en sa sagesse, en sa puissance et adressons aux Françaises et aux Français un message clair sur la Turquie en Europe : si un jour la question est posée, le peuple est souverain, il décidera.
(Source http://www.premier-ministre, le 15 octobre 2004)