Texte intégral
Interview de Michèle Alliot-Marie à France 2, le 6 novembre 2004 :
Béatrice Schonberg - Face à cette escalade de la violence, faut-il envisager, dans les heures, ou peut-être dans les jours qui viennent, l'évacuation des ressortissants français ? Que dites-vous à des familles qui sont peut-être inquiètes, ce soir ?
Michèle Alliot-Marie - Je pense, si vous permettez, d'abord à nos militaires tués et blessés, et à leurs familles. Et puis, bien entendu, nous pensons également aux Français et à la communauté internationale qui se trouvent à Abidjan, parce qu'ils sont inquiets. Il y a, effectivement et depuis longtemps déjà, un certain nombre de mouvements qui se produisent dans la capitale ivoirienne, qui sont actionnés par des groupes de jeunes ou par certains qui ont une attitude anti-française. Ce que je rappelle, c'est que nous ne faisons pas la guerre à la Côte d'Ivoire, et nous faisons encore moins la guerre aux Ivoiriens. Nous sommes là, au contraire, pour permettre à la paix et à la stabilité de revenir dans ce pays. J'y suis allée à plusieurs reprises, j'ai vu les effets de la guerre sur les populations civiles. Aujourd'hui, ces populations ont besoin de retrouver une unité. Cela fait des mois et des semaines que nous appelons les uns et les autres à se remettre autour de la table des négociations, à remplir les obligations de Marcoussis, que les uns et les autres avaient acceptées.
Q - Mais est-ce qu'il n'est pas trop tard, est-ce que ces accords n'ont pas volé définitivement en éclats, ce soir ?
R - Je crois que, au contraire, ces accords sont de plus en plus nécessaires. Ce que nous avons constaté, c'est que c'est parce que les accords n'étaient pas mis en oeuvre suffisamment rapidement que des extrémistes, d'un camp et de l'autre, qui ne rêvent que d'en découdre, réussissaient à créer un certain nombre d'incidents.
Q - Alors, si vous le voulez bien, quelques questions très concrètes ; d'abord sur l'évacuation des ressortissants français, est-ce qu'elle est envisagée ?
R - Non, il n'en est pas question aujourd'hui. La situation n'en est pas là. Il y a eu un bombardement des forces françaises à Bouaké. Le président de la République a demandé qu'il y ait une réponse immédiate avec la destruction des aéronefs ivoiriens qui, depuis plusieurs jours, violaient le cessez-le-feu. Cette opération est en cours.
Il s'agit simplement d'une réponse. Aujourd'hui, ce qui est important, c'est que les choses se calment, c'est que l'on revienne aux accords de Marcoussis qui sont la seule solution pour la Côte d'Ivoire.
Il y a quelques agitations aujourd'hui à Abidjan et aux alentours d'Abidjan, il y a eu des affrontements qui sont en train de se terminer.
Q - Les combats ne se poursuivent pas à Abidjan ou ailleurs ?
R - Je ne parlerais pas de combat, il y a eu un certain nombre d'actions qui sont en train de se terminer, il y a eu des incidents à Abidjan, comme malheureusement c'est arrivé au cours de ces derniers mois à plusieurs reprises. Je rappelle que la force " Licorne " mettra en oeuvre tout ce qui est nécessaire pour garantir la sécurité de nos ressortissants et de ceux de la communauté internationale. Cela fait d'ailleurs partie du mandat qui lui a été confié par l'ONU. Mais j'appelle surtout le Président GBAGBO à assurer la sécurité publique à Abidjan, c'est de sa responsabilité, c'est ce qu'attend la communauté internationale, et c'est ce que nous attendons.
Q - Une dernière question, Michèle ALLIOT-MARIE, est-ce que vous avez eu des contacts, est-ce que la France, est-ce que Paris a eu des contacts avec la présidence, avec Laurent GBAGBO ? Est-ce que vous avez reçu des explications de la situation ?
R - Il y a eu énormément de contacts aujourd'hui. Il y a trois ou quatre jours, le président CHIRAC avait téléphoné au président GBAGBO en le mettant en garde contre toute entreprise qui risquerait de mettre le feu aux poudres. Malheureusement le président GBAGBO ne l'avait pas entendu. Aujourd'hui nous avons tous à déplorer une situation qui est dramatique puisqu'il y a eu mort d'hommes. Je crois qu'il est temps que cela cesse.
Q - Merci Michèle ALLIOT-MARIE d'avoir répondu en direct à nos questions.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 novembre 2004)
Conférence de presse de Michèle Alliot-Marie, à Paris le 7 novembre 2004 :
Mesdames, Messieurs,
La situation en Côte d'Ivoire et à Abidjan est toujours critique.
Au cours de la nuit dernière et dans la journée, nous avons eu à déplorer de nombreuses exactions à l'égard de ressortissants français mais également de ressortissants d'autres nationalités, allemands, belges, libanais en particulier.
Il s'agit pour l'essentiel d'actions de pillage, il s'agit aussi de débordements de foules notamment aux alentours de l'aéroport.
La force Licorne a dû faire usage de ses armes pour des tirs de prévention et d'intimidation.
En ce qui concerne la situation de nos militaires blessés, je rappelle que nous déplorons 9 morts, il y a aujourd'hui 34 blessés. Les plus graves sont opérés dans les antennes médicales de la force Licorne sur place.
Nous avons acheminé un certain nombre de renforts médicaux avec notamment un neurochirurgien, un réanimateur, des urgentistes et des infirmiers.
Les évacuations sanitaires sont en cours avec notamment 3 avions que nous avons envoyés : 2 Falcon et 1 Airbus.
Les blessés devraient être à Paris dans la matinée de lundi.
Ils seront alors acheminés vers les différents hôpitaux militaires et en particulier, vers les hôpitaux parisiens de Percy et du Val de Grâce notamment.
Notre préoccupation prioritaire bien entendue est la sécurité de nos ressortissants et des ressortissants de la communauté étrangère.
A cette fin, nous avons envoyé un certain nombre de renforts, en particulier 600 militaires de l'armée de terre et un escadron de gendarmerie mobile.
Ces éléments et un certain nombre d'éléments militaires vont se déployer à Abidjan et en particulier dans les quartiers où sont regroupés nos ressortissants et les ressortissants de la communauté étrangère.
Ces différents déploiements ont pour but essentiellement d'assurer la sécurité des ressortissants contre les différentes exactions et également d'assurer la liberté d'accès à l'aéroport pour permettre les évacuations sanitaires.
Elles n'ont aucun autre but et certainement pas pour objet de déstabiliser les institutions ivoiriennes ; au contraire. Nos forces sont là pour permettre à ce pays de retrouver la paix, c'est à dire pour permettre que se renoue le dialogue entre les différentes parties ivoiriennes.
Je crois d'ailleurs que cette volonté et cette attitude qui correspondent à la volonté de la communauté internationale sont particulièrement bien comprises et totalement soutenues par la communauté internationale.
Réponses aux Questions
- La situation est sous contrôle mais demeure tendue, il ne faut pas se le cacher.
- Il n'est pas question de rapatrier les ressortissants français ; nous déployons les éléments qui peuvent être nécessaires pour assurer leur protection. Il y a eu notamment au cours de la nuit dernière un certain nombre d'extractions de personnes qui étaient particulièrement menacées ou qui se sentaient particulièrement menacées. Une centaine de personnes ont ainsi été mises en sécurité par les forces françaises.
- Il y a un double mouvement, c'est à dire que nous regroupons un certain nombre d'éléments qui étaient notamment dans la zone de confiance et qui sont actuellement en train de descendre vers Abidjan. Et bien entendu, il y a les éléments en provenance notamment de Libreville, de Dakar mais également de France et qui vont venir conforter cette situation.
- Nous nous efforçons que ceci [le maintien de l'ordre dans Abidjan avec les forces armées ivoiriennes] se fasse effectivement en liaison avec elles parce qu'il en va et de la responsabilité des forces ivoiriennes et de l'efficacité pour bien montrer notre volonté commune, c'est à dire tout simplement la volonté de ramener le calme. Il est temps aujourd'hui que le calme soit ramené et qu'effectivement, le processus politique reprenne.
- Les 600 hommes dont j'ai parlé, plus l'escadron de gendarmerie mobile, sont des éléments supplémentaires qui viennent de Libreville, de Dakar et de France.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 10 novembre 20004)
Interview de Michèle Alliot-Marie à Europe 1, le 8 novembre 2004 :
Jean-Pierre ELKABBACH - Michèle ALLIOT-MARIE, merci d'être avec nous ce matin, et en direct.
Michèle ALLIOT-MARIE - Bonjour.
Jean-Pierre ELKABBACH - Vous rendiez Laurent GBAGBO personnellement responsable de l'ordre public en Côte d'Ivoire. Il a lancé un appel, tardif, au calme, cette nuit, est-ce que ça vous suffit ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Le président GBAGBO a l'autorité nécessaire pour que son appel au calme soit entendu. Depuis déjà hier après-midi, nous avons effectivement constaté un certain apaisement. Même s'il y a encore des bandes de pillards dans Abidjan, la nuit a été beaucoup plus calme. Il y a eu beaucoup moins d'incidents par rapport à la nuit précédente et la journée d'hier.
Jean-Pierre ELKABBACH - A quelles conditions la France aura-t-elle confiance dans la parole de Laurent GBAGBO qui n'a déjà pas tenu certains de ses engagements, comme de désarmer les milices et les forces nouvelles ?
Michèle ALLIOT-MARIE - La première des choses que nous jugerons, c'est d'abord bien entendu la protection de nos ressortissants et la protection des membres de la communauté internationale qui ont été menacés et attaqués par des pillards, notamment au cours de ces derniers jours. Je parle des Français et des membres de la communauté internationale puisque nous avons vu que d'une façon quasi-générale, les incidents étaient dirigés contre les étrangers, des Allemands, des Belges, des Libanais. Deuxième chose, ce qui est indispensable aujourd'hui et maintenant que le retour au calme semble revenir, c'est que l'on reprenne les discussions, que tout le monde se remette autour de la table et que les engagements politiques qui ont été pris par chacun des protagonistes ivoiriens soient tenus.
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais rarement appliqués, rarement tenus et rarement appliqués.
Michèle ALLIOT-MARIE - Absolument. Je pense que c'est même la raison de la dégradation de la situation au cours de ces derniers temps. Lorsque les choses n'avancent pas sur le plan politique, cela favorise les extrémismes de tous bords. Il y a des gens en Côte d'Ivoire qui ne rêvent que d'une seule chose, c'est d'en découdre et ils profitent de cet immobilisme. Aujourd'hui, les responsabilités sont partagées ; les uns et les autres doivent résolument s'engager dans la solution de ce problème comme cela a été envisagé par les accords de Marcoussis et les accords d'Accra. Je rappelle que ces accords ont été signés et paraphés par l'ensemble des chefs d'Etats africains de la région.
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais vous avez bien le sentiment que tout reste en place ce matin encore, même si le calme revient tout doucement à Abidjan, pour une guerre civile et ethnique en Côte d'Ivoire.
Michèle ALLIOT-MARIE - La situation est extrêmement fragile. Nous voulons éviter les conséquences d'une guerre civile pour la Côte d'Ivoire et surtout pour les Ivoiriens. La Côte d'Ivoire ne peut être partagée en deux ; elle n'est pas vivable si elle est partagée. Les populations ont besoin de vivre en paix. Il ne faut pas oublier que la Côte d'Ivoire était l'un des pays les plus riches d'Afrique, les plus développés et les plus démocratiques du continent.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et aussi le plus allié et le plus ami de la France.
Michèle ALLIOT-MARIE - L'un de ceux-là. Ce qui est dramatique, c'est de voir comment ce pays s'est appauvri et notamment comment il s'est appauvri à cause des luttes ethniques. Nous avons une même volonté qui est d'y voir de nouveau le calme et le développement parce que nous aimons ce pays. Ce pays a un grand rôle à jouer en Afrique. Il faut que chacun le comprenne et je crois que le président GBAGBO a l'autorité nécessaire pour que le processus politique reprenne.
Jean-Pierre ELKABBACH - C'est-à-dire que l'ordre et le désordre dépendent bien de lui, Laurent GBAGBO. Ce matin, est-ce que vous prévoyez pour les Français qui veulent quitter la Côte d'Ivoire, une évacuation ou un rapatriement ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Non, il n'y a pas d'évacuation prévue. Un certain nombre de Français avaient quitté ce pays au moment des événements il y a deux ans. Ceux qui sont aujourd'hui en Côte d'Ivoire y ont très largement fait leur vie. Ce sont pour une bonne part des binationaux, des gens qui ne souhaitent pas quitter la Côte d'Ivoire. Bien entendu, il faut que nous garantissions leur sécurité.
Jean-Pierre ELKABBACH - Il y a combien de soldats français aujourd'hui en Côte d'Ivoire, avec les renforts que vous avez envoyés ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Il y avait 4 000 soldats français en soutien des casques bleus de l'ONU. A la demande du président de la République, j'ai renvoyé 800 soldats, dont un peu plus de 600 soldats de l'armée de terre et un escadron de gendarmerie mobile.
Jean-Pierre ELKABBACH - Ce matin, il y a des blindés dans Abidjan. L'armée française, est-ce qu'elle peut intervenir madame ALLIOT-MARIE, longtemps dans la capitale libre d'un Etat indépendant ? En fait ma question, c'est quelle est la politique africaine et la politique en Côte d'Ivoire, de la France, aujourd'hui ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Ce que je veux dire tout d'abord, c'est que les véhicules blindés qui se trouvent dans Abidjan, y sont avec l'accord des autorités ivoiriennes. Ils sont dans deux lieux : essentiellement à l'endroit où est rassemblée la plus forte partie de la communauté française et internationale, et d'autre part, aux abords de l'aéroport de façon à pouvoir permettre notamment les évacuations sanitaires nécessaires.
Jean-Pierre ELKABBACH - Est-ce qu'ils sont en état de légitime défense ce matin encore ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Le Conseil de sécurité des Nations Unies a donné de nouveaux moyens à la force internationale - l'ONUCI - et également à la force LICORNE, pour intervenir si besoin est. J'espère que l'on n'en aura pas besoin puisque la situation semble revenir au calme. Ce que nous voulons pour l'Afrique, puisque vous me posiez la question, c'est que ce grand continent, qui a énormément de possibilités, des possibilités humaines mais également des richesses, puisse enfin trouver la stabilité, puisse trouver une paix qui lui permette de se développer, car le développement de l'Afrique, c'est aussi un élément de la stabilisation et de l'équilibre du monde.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et c'est le rôle de la France de s'en occuper directement ?
Michèle ALLIOT-MARIE - La France est l'une des parties prenantes, mais c'est bien entendu la communauté internationale qui intervient.
Jean-Pierre ELKABBACH - Puisque les Nations Unies sont engagées...
Michèle ALLIOT-MARIE - Les Nations Unies sont effectivement engagées. Et elles soutiennent totalement l'action et les positions de principe de la France. C'est vrai que la France qui a des liens privilégiés, spécifiques, affectifs je dirais même, avec de nombreux pays africains, a un rôle à jouer. La communauté internationale attend de la France qu'elle puisse jouer ce rôle. Nous le faisons avec nos amis africains et l'Union africaine soutient totalement cette action. C'est dans le sens de la préparation de l'avenir que nous agissons.
Jean-Pierre ELKABBACH - Michèle ALLIOT-MARIE, est-ce qu'il fallait que la France riposte aussi vite et aussi fort en détruisant au sol tous les moyens aériens de la Côte d'Ivoire ? Est-ce qu'il s'agissait de représailles ou d'une frappe préventive ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Il s'agissait d'une réponse parfaitement adaptée et proportionnelle à ce qui s'est passé. Ce qui s'est passé est extrêmement grave. Nous avons perdu neuf militaires, nous avons 38 blessés, parce que des avions violaient le cessez-le-feu, toutes les règles et les engagements internationaux.
Jean-Pierre ELKABBACH - Ils les ont bombardés par inadvertance, dit l'aviation ivoirienne. Est-ce qu'il y a eu à votre avis préméditation ou même provocation ?
Michèle ALLIOT-MARIE - L'enquête qui est en cours le dira. Ce dont je suis certaine, c'est qu'il n'y avait aucune raison pour que l'on puisse se tromper d'objectif. Il y avait certainement un climat propice à ce genre d'action. En tout état de cause, ce que je constate, c'est que des militaires français qui étaient là pour instaurer la paix, pour permettre à ce pays de se redresser et de sortir des affrontements, ont été tués. Il y a 38 blessés qui sont en train d'arriver. A l'heure où je vous parle, les corps de nos militaires viennent d'arriver et je crois que cela méritait effectivement que nous agissions de la façon dont l'a décidé le président de la République, et qui a été totalement approuvée par l'ensemble de l'Union africaine et de la communauté internationale.
Jean-Pierre ELKABBACH - Une cérémonie d'hommage est prévue après-demain aux Invalides, c'est ça ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Oui absolument. Mercredi aux Invalides, en présence du président de la République.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et donc vous renvoyez, pour la solution politique, aux accords de Marcoussis, qui ne vous semble pas caducs.
Michèle ALLIOT-MARIE - Ils ne sont pas caducs. Ils ont été renforcés par les accords d'Accra où tous les chefs d'Etats africains, en présence des parties ivoiriennes intéressées, ont signé et paraphé ces accords. C'est la seule voie de sortie, et c'est ce que dit la communauté internationale.
Jean-Pierre ELKABBACH - Encore une question, madame ALLIOT-MARIE, les trois dirigeants palestiniens les plus importants devaient venir à Paris. Il y a des bruits selon lesquels ils viendraient ou ils renonceraient. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire ce matin ?
Michèle ALLIOT-MARIE - A ma connaissance, il n'est plus prévu qu'ils viennent à Paris.
Jean-Pierre ELKABBACH - Ils ont renoncé.
Michèle ALLIOT-MARIE - C'est ce que je sais ce matin.
Jean-Pierre ELKABBACH - Quand on vous parle de rumeurs d'empoisonnement d'ARAFAT, avant d'arriver à Paris, à Ramallah, qu'est-ce que vous pouvez répondre ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Que je ne suis pas médecin.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et les médecins de l'hôpital militaire de Percy, est-ce qu'ils donnent suffisamment de précisions pour pas qu'il y ait un jour ou l'autre ici ou là des soupçons d'être tenus au secret par madame ARAFAT ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Les médecins militaires de Percy appliquent purement et simplement les règles qui sont les règles déontologiques applicables à tout médecin. Ils font des communiqués qui sont parfaitement exacts, mais il y a aussi un droit au secret médical, c'est-à-dire l'interdiction de dire des mensonges en la matière. Et ce droit au secret médical s'applique à monsieur ARAFAT comme à chacun.
Jean-Pierre ELKABBACH - Merci d'être venue, bonne journée.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 novembre 2004)
Entretien de Michèle Alliot-Marie avec "Le Monde", le 9 novembre 2004
Q - Quelques jours avant cette escalade militaire en Côte d'Ivoire, les présidents Chirac et Gbagbo se sont téléphoné. En tant que ministre de la Défense, avez-vous le sentiment que M. Gbagbo a trompé la France et excluez-vous que les soldats français aient pu être tués à la suite d'une erreur de cible ?
R - Le président Chirac avait mis le président Gbagbo en garde contre toute action qui risquerait de mettre le feu aux poudres. Celui-ci n'en a tenu aucun compte : le résultat est là. Pour ce qui est de la cible, nous verrons les conclusions de l'enquête, mais je considère, au vu de tout ce qui m'a été rapporté, qu'il est irréaliste de considérer cela comme une erreur. Le climat de haine anti-française alimenté par certains depuis plusieurs mois pèse lourdement sur la rationalité des positions et des réactions des uns et des autres.
Q - Paris souhaite renouer le dialogue politique avec le gouvernement du président Gbagbo, mais comment rétablir la confiance avec un pays dont on a détruit les forces aériennes ?
R - Des soldats français ont été l'objet d'une opération militaire qui a fait neuf morts et trente-huit blessés dans leurs rangs. Cette agression a entraîné une réponse militaire : la destruction des avions et des hélicoptères de combat de l'armée gouvernementale. C'est une riposte correspondant à la gravité de l'agression, limitée et sévère, mais indispensable et approuvée par l'ensemble de la communauté internationale. Nous étions non seulement dans une situation de violation de cessez-le-feu mais en position de légitime défense face à une agression caractérisée. Ce message très fort passé, nous avons fait savoir aux autorités ivoiriennes que notre objectif n'est nullement de déstabiliser les institutions de la Côte d'Ivoire. Bien au contraire, comme depuis deux ans maintenant, nos forces sont là pour contribuer à stabiliser la situation et permettre la reprise du dialogue politique entre Ivoiriens.
Q - Les Accords de Marcoussis n'ont pas été respectés parce que les parties n'ont pas la volonté politique de les respecter. Faut-il imaginer une autre solution politique et internationale ?
R - Il n'y a pas d'autre solution. Les Accords de Marcoussis (24 janvier 2003) ont été confortés par la réunion d'Accra, au cours de laquelle seize chefs d'États africains et les organisations régionales ont redit d'une façon très ferme aux différentes parties ivoiriennes que c'était la seule solution. Ils sont soutenus unanimement par la communauté internationale : il faut, d'un côté, démobiliser et désarmer et, de l'autre, progresser sur le plan institutionnel. Cette voie est la seule capable de garantir l'unité de la Côte d'Ivoire et la stabilisation du pays. C'est parce que ces accords n'ont pas été mis en oeuvre en temps et en heure que nous nous retrouvons aujourd'hui dans cette situation. Il n'est pas question de remettre en cause les Accords de Marcoussis.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 10 novembre 2004)
Béatrice Schonberg - Face à cette escalade de la violence, faut-il envisager, dans les heures, ou peut-être dans les jours qui viennent, l'évacuation des ressortissants français ? Que dites-vous à des familles qui sont peut-être inquiètes, ce soir ?
Michèle Alliot-Marie - Je pense, si vous permettez, d'abord à nos militaires tués et blessés, et à leurs familles. Et puis, bien entendu, nous pensons également aux Français et à la communauté internationale qui se trouvent à Abidjan, parce qu'ils sont inquiets. Il y a, effectivement et depuis longtemps déjà, un certain nombre de mouvements qui se produisent dans la capitale ivoirienne, qui sont actionnés par des groupes de jeunes ou par certains qui ont une attitude anti-française. Ce que je rappelle, c'est que nous ne faisons pas la guerre à la Côte d'Ivoire, et nous faisons encore moins la guerre aux Ivoiriens. Nous sommes là, au contraire, pour permettre à la paix et à la stabilité de revenir dans ce pays. J'y suis allée à plusieurs reprises, j'ai vu les effets de la guerre sur les populations civiles. Aujourd'hui, ces populations ont besoin de retrouver une unité. Cela fait des mois et des semaines que nous appelons les uns et les autres à se remettre autour de la table des négociations, à remplir les obligations de Marcoussis, que les uns et les autres avaient acceptées.
Q - Mais est-ce qu'il n'est pas trop tard, est-ce que ces accords n'ont pas volé définitivement en éclats, ce soir ?
R - Je crois que, au contraire, ces accords sont de plus en plus nécessaires. Ce que nous avons constaté, c'est que c'est parce que les accords n'étaient pas mis en oeuvre suffisamment rapidement que des extrémistes, d'un camp et de l'autre, qui ne rêvent que d'en découdre, réussissaient à créer un certain nombre d'incidents.
Q - Alors, si vous le voulez bien, quelques questions très concrètes ; d'abord sur l'évacuation des ressortissants français, est-ce qu'elle est envisagée ?
R - Non, il n'en est pas question aujourd'hui. La situation n'en est pas là. Il y a eu un bombardement des forces françaises à Bouaké. Le président de la République a demandé qu'il y ait une réponse immédiate avec la destruction des aéronefs ivoiriens qui, depuis plusieurs jours, violaient le cessez-le-feu. Cette opération est en cours.
Il s'agit simplement d'une réponse. Aujourd'hui, ce qui est important, c'est que les choses se calment, c'est que l'on revienne aux accords de Marcoussis qui sont la seule solution pour la Côte d'Ivoire.
Il y a quelques agitations aujourd'hui à Abidjan et aux alentours d'Abidjan, il y a eu des affrontements qui sont en train de se terminer.
Q - Les combats ne se poursuivent pas à Abidjan ou ailleurs ?
R - Je ne parlerais pas de combat, il y a eu un certain nombre d'actions qui sont en train de se terminer, il y a eu des incidents à Abidjan, comme malheureusement c'est arrivé au cours de ces derniers mois à plusieurs reprises. Je rappelle que la force " Licorne " mettra en oeuvre tout ce qui est nécessaire pour garantir la sécurité de nos ressortissants et de ceux de la communauté internationale. Cela fait d'ailleurs partie du mandat qui lui a été confié par l'ONU. Mais j'appelle surtout le Président GBAGBO à assurer la sécurité publique à Abidjan, c'est de sa responsabilité, c'est ce qu'attend la communauté internationale, et c'est ce que nous attendons.
Q - Une dernière question, Michèle ALLIOT-MARIE, est-ce que vous avez eu des contacts, est-ce que la France, est-ce que Paris a eu des contacts avec la présidence, avec Laurent GBAGBO ? Est-ce que vous avez reçu des explications de la situation ?
R - Il y a eu énormément de contacts aujourd'hui. Il y a trois ou quatre jours, le président CHIRAC avait téléphoné au président GBAGBO en le mettant en garde contre toute entreprise qui risquerait de mettre le feu aux poudres. Malheureusement le président GBAGBO ne l'avait pas entendu. Aujourd'hui nous avons tous à déplorer une situation qui est dramatique puisqu'il y a eu mort d'hommes. Je crois qu'il est temps que cela cesse.
Q - Merci Michèle ALLIOT-MARIE d'avoir répondu en direct à nos questions.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 novembre 2004)
Conférence de presse de Michèle Alliot-Marie, à Paris le 7 novembre 2004 :
Mesdames, Messieurs,
La situation en Côte d'Ivoire et à Abidjan est toujours critique.
Au cours de la nuit dernière et dans la journée, nous avons eu à déplorer de nombreuses exactions à l'égard de ressortissants français mais également de ressortissants d'autres nationalités, allemands, belges, libanais en particulier.
Il s'agit pour l'essentiel d'actions de pillage, il s'agit aussi de débordements de foules notamment aux alentours de l'aéroport.
La force Licorne a dû faire usage de ses armes pour des tirs de prévention et d'intimidation.
En ce qui concerne la situation de nos militaires blessés, je rappelle que nous déplorons 9 morts, il y a aujourd'hui 34 blessés. Les plus graves sont opérés dans les antennes médicales de la force Licorne sur place.
Nous avons acheminé un certain nombre de renforts médicaux avec notamment un neurochirurgien, un réanimateur, des urgentistes et des infirmiers.
Les évacuations sanitaires sont en cours avec notamment 3 avions que nous avons envoyés : 2 Falcon et 1 Airbus.
Les blessés devraient être à Paris dans la matinée de lundi.
Ils seront alors acheminés vers les différents hôpitaux militaires et en particulier, vers les hôpitaux parisiens de Percy et du Val de Grâce notamment.
Notre préoccupation prioritaire bien entendue est la sécurité de nos ressortissants et des ressortissants de la communauté étrangère.
A cette fin, nous avons envoyé un certain nombre de renforts, en particulier 600 militaires de l'armée de terre et un escadron de gendarmerie mobile.
Ces éléments et un certain nombre d'éléments militaires vont se déployer à Abidjan et en particulier dans les quartiers où sont regroupés nos ressortissants et les ressortissants de la communauté étrangère.
Ces différents déploiements ont pour but essentiellement d'assurer la sécurité des ressortissants contre les différentes exactions et également d'assurer la liberté d'accès à l'aéroport pour permettre les évacuations sanitaires.
Elles n'ont aucun autre but et certainement pas pour objet de déstabiliser les institutions ivoiriennes ; au contraire. Nos forces sont là pour permettre à ce pays de retrouver la paix, c'est à dire pour permettre que se renoue le dialogue entre les différentes parties ivoiriennes.
Je crois d'ailleurs que cette volonté et cette attitude qui correspondent à la volonté de la communauté internationale sont particulièrement bien comprises et totalement soutenues par la communauté internationale.
Réponses aux Questions
- La situation est sous contrôle mais demeure tendue, il ne faut pas se le cacher.
- Il n'est pas question de rapatrier les ressortissants français ; nous déployons les éléments qui peuvent être nécessaires pour assurer leur protection. Il y a eu notamment au cours de la nuit dernière un certain nombre d'extractions de personnes qui étaient particulièrement menacées ou qui se sentaient particulièrement menacées. Une centaine de personnes ont ainsi été mises en sécurité par les forces françaises.
- Il y a un double mouvement, c'est à dire que nous regroupons un certain nombre d'éléments qui étaient notamment dans la zone de confiance et qui sont actuellement en train de descendre vers Abidjan. Et bien entendu, il y a les éléments en provenance notamment de Libreville, de Dakar mais également de France et qui vont venir conforter cette situation.
- Nous nous efforçons que ceci [le maintien de l'ordre dans Abidjan avec les forces armées ivoiriennes] se fasse effectivement en liaison avec elles parce qu'il en va et de la responsabilité des forces ivoiriennes et de l'efficacité pour bien montrer notre volonté commune, c'est à dire tout simplement la volonté de ramener le calme. Il est temps aujourd'hui que le calme soit ramené et qu'effectivement, le processus politique reprenne.
- Les 600 hommes dont j'ai parlé, plus l'escadron de gendarmerie mobile, sont des éléments supplémentaires qui viennent de Libreville, de Dakar et de France.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 10 novembre 20004)
Interview de Michèle Alliot-Marie à Europe 1, le 8 novembre 2004 :
Jean-Pierre ELKABBACH - Michèle ALLIOT-MARIE, merci d'être avec nous ce matin, et en direct.
Michèle ALLIOT-MARIE - Bonjour.
Jean-Pierre ELKABBACH - Vous rendiez Laurent GBAGBO personnellement responsable de l'ordre public en Côte d'Ivoire. Il a lancé un appel, tardif, au calme, cette nuit, est-ce que ça vous suffit ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Le président GBAGBO a l'autorité nécessaire pour que son appel au calme soit entendu. Depuis déjà hier après-midi, nous avons effectivement constaté un certain apaisement. Même s'il y a encore des bandes de pillards dans Abidjan, la nuit a été beaucoup plus calme. Il y a eu beaucoup moins d'incidents par rapport à la nuit précédente et la journée d'hier.
Jean-Pierre ELKABBACH - A quelles conditions la France aura-t-elle confiance dans la parole de Laurent GBAGBO qui n'a déjà pas tenu certains de ses engagements, comme de désarmer les milices et les forces nouvelles ?
Michèle ALLIOT-MARIE - La première des choses que nous jugerons, c'est d'abord bien entendu la protection de nos ressortissants et la protection des membres de la communauté internationale qui ont été menacés et attaqués par des pillards, notamment au cours de ces derniers jours. Je parle des Français et des membres de la communauté internationale puisque nous avons vu que d'une façon quasi-générale, les incidents étaient dirigés contre les étrangers, des Allemands, des Belges, des Libanais. Deuxième chose, ce qui est indispensable aujourd'hui et maintenant que le retour au calme semble revenir, c'est que l'on reprenne les discussions, que tout le monde se remette autour de la table et que les engagements politiques qui ont été pris par chacun des protagonistes ivoiriens soient tenus.
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais rarement appliqués, rarement tenus et rarement appliqués.
Michèle ALLIOT-MARIE - Absolument. Je pense que c'est même la raison de la dégradation de la situation au cours de ces derniers temps. Lorsque les choses n'avancent pas sur le plan politique, cela favorise les extrémismes de tous bords. Il y a des gens en Côte d'Ivoire qui ne rêvent que d'une seule chose, c'est d'en découdre et ils profitent de cet immobilisme. Aujourd'hui, les responsabilités sont partagées ; les uns et les autres doivent résolument s'engager dans la solution de ce problème comme cela a été envisagé par les accords de Marcoussis et les accords d'Accra. Je rappelle que ces accords ont été signés et paraphés par l'ensemble des chefs d'Etats africains de la région.
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais vous avez bien le sentiment que tout reste en place ce matin encore, même si le calme revient tout doucement à Abidjan, pour une guerre civile et ethnique en Côte d'Ivoire.
Michèle ALLIOT-MARIE - La situation est extrêmement fragile. Nous voulons éviter les conséquences d'une guerre civile pour la Côte d'Ivoire et surtout pour les Ivoiriens. La Côte d'Ivoire ne peut être partagée en deux ; elle n'est pas vivable si elle est partagée. Les populations ont besoin de vivre en paix. Il ne faut pas oublier que la Côte d'Ivoire était l'un des pays les plus riches d'Afrique, les plus développés et les plus démocratiques du continent.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et aussi le plus allié et le plus ami de la France.
Michèle ALLIOT-MARIE - L'un de ceux-là. Ce qui est dramatique, c'est de voir comment ce pays s'est appauvri et notamment comment il s'est appauvri à cause des luttes ethniques. Nous avons une même volonté qui est d'y voir de nouveau le calme et le développement parce que nous aimons ce pays. Ce pays a un grand rôle à jouer en Afrique. Il faut que chacun le comprenne et je crois que le président GBAGBO a l'autorité nécessaire pour que le processus politique reprenne.
Jean-Pierre ELKABBACH - C'est-à-dire que l'ordre et le désordre dépendent bien de lui, Laurent GBAGBO. Ce matin, est-ce que vous prévoyez pour les Français qui veulent quitter la Côte d'Ivoire, une évacuation ou un rapatriement ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Non, il n'y a pas d'évacuation prévue. Un certain nombre de Français avaient quitté ce pays au moment des événements il y a deux ans. Ceux qui sont aujourd'hui en Côte d'Ivoire y ont très largement fait leur vie. Ce sont pour une bonne part des binationaux, des gens qui ne souhaitent pas quitter la Côte d'Ivoire. Bien entendu, il faut que nous garantissions leur sécurité.
Jean-Pierre ELKABBACH - Il y a combien de soldats français aujourd'hui en Côte d'Ivoire, avec les renforts que vous avez envoyés ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Il y avait 4 000 soldats français en soutien des casques bleus de l'ONU. A la demande du président de la République, j'ai renvoyé 800 soldats, dont un peu plus de 600 soldats de l'armée de terre et un escadron de gendarmerie mobile.
Jean-Pierre ELKABBACH - Ce matin, il y a des blindés dans Abidjan. L'armée française, est-ce qu'elle peut intervenir madame ALLIOT-MARIE, longtemps dans la capitale libre d'un Etat indépendant ? En fait ma question, c'est quelle est la politique africaine et la politique en Côte d'Ivoire, de la France, aujourd'hui ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Ce que je veux dire tout d'abord, c'est que les véhicules blindés qui se trouvent dans Abidjan, y sont avec l'accord des autorités ivoiriennes. Ils sont dans deux lieux : essentiellement à l'endroit où est rassemblée la plus forte partie de la communauté française et internationale, et d'autre part, aux abords de l'aéroport de façon à pouvoir permettre notamment les évacuations sanitaires nécessaires.
Jean-Pierre ELKABBACH - Est-ce qu'ils sont en état de légitime défense ce matin encore ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Le Conseil de sécurité des Nations Unies a donné de nouveaux moyens à la force internationale - l'ONUCI - et également à la force LICORNE, pour intervenir si besoin est. J'espère que l'on n'en aura pas besoin puisque la situation semble revenir au calme. Ce que nous voulons pour l'Afrique, puisque vous me posiez la question, c'est que ce grand continent, qui a énormément de possibilités, des possibilités humaines mais également des richesses, puisse enfin trouver la stabilité, puisse trouver une paix qui lui permette de se développer, car le développement de l'Afrique, c'est aussi un élément de la stabilisation et de l'équilibre du monde.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et c'est le rôle de la France de s'en occuper directement ?
Michèle ALLIOT-MARIE - La France est l'une des parties prenantes, mais c'est bien entendu la communauté internationale qui intervient.
Jean-Pierre ELKABBACH - Puisque les Nations Unies sont engagées...
Michèle ALLIOT-MARIE - Les Nations Unies sont effectivement engagées. Et elles soutiennent totalement l'action et les positions de principe de la France. C'est vrai que la France qui a des liens privilégiés, spécifiques, affectifs je dirais même, avec de nombreux pays africains, a un rôle à jouer. La communauté internationale attend de la France qu'elle puisse jouer ce rôle. Nous le faisons avec nos amis africains et l'Union africaine soutient totalement cette action. C'est dans le sens de la préparation de l'avenir que nous agissons.
Jean-Pierre ELKABBACH - Michèle ALLIOT-MARIE, est-ce qu'il fallait que la France riposte aussi vite et aussi fort en détruisant au sol tous les moyens aériens de la Côte d'Ivoire ? Est-ce qu'il s'agissait de représailles ou d'une frappe préventive ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Il s'agissait d'une réponse parfaitement adaptée et proportionnelle à ce qui s'est passé. Ce qui s'est passé est extrêmement grave. Nous avons perdu neuf militaires, nous avons 38 blessés, parce que des avions violaient le cessez-le-feu, toutes les règles et les engagements internationaux.
Jean-Pierre ELKABBACH - Ils les ont bombardés par inadvertance, dit l'aviation ivoirienne. Est-ce qu'il y a eu à votre avis préméditation ou même provocation ?
Michèle ALLIOT-MARIE - L'enquête qui est en cours le dira. Ce dont je suis certaine, c'est qu'il n'y avait aucune raison pour que l'on puisse se tromper d'objectif. Il y avait certainement un climat propice à ce genre d'action. En tout état de cause, ce que je constate, c'est que des militaires français qui étaient là pour instaurer la paix, pour permettre à ce pays de se redresser et de sortir des affrontements, ont été tués. Il y a 38 blessés qui sont en train d'arriver. A l'heure où je vous parle, les corps de nos militaires viennent d'arriver et je crois que cela méritait effectivement que nous agissions de la façon dont l'a décidé le président de la République, et qui a été totalement approuvée par l'ensemble de l'Union africaine et de la communauté internationale.
Jean-Pierre ELKABBACH - Une cérémonie d'hommage est prévue après-demain aux Invalides, c'est ça ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Oui absolument. Mercredi aux Invalides, en présence du président de la République.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et donc vous renvoyez, pour la solution politique, aux accords de Marcoussis, qui ne vous semble pas caducs.
Michèle ALLIOT-MARIE - Ils ne sont pas caducs. Ils ont été renforcés par les accords d'Accra où tous les chefs d'Etats africains, en présence des parties ivoiriennes intéressées, ont signé et paraphé ces accords. C'est la seule voie de sortie, et c'est ce que dit la communauté internationale.
Jean-Pierre ELKABBACH - Encore une question, madame ALLIOT-MARIE, les trois dirigeants palestiniens les plus importants devaient venir à Paris. Il y a des bruits selon lesquels ils viendraient ou ils renonceraient. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire ce matin ?
Michèle ALLIOT-MARIE - A ma connaissance, il n'est plus prévu qu'ils viennent à Paris.
Jean-Pierre ELKABBACH - Ils ont renoncé.
Michèle ALLIOT-MARIE - C'est ce que je sais ce matin.
Jean-Pierre ELKABBACH - Quand on vous parle de rumeurs d'empoisonnement d'ARAFAT, avant d'arriver à Paris, à Ramallah, qu'est-ce que vous pouvez répondre ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Que je ne suis pas médecin.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et les médecins de l'hôpital militaire de Percy, est-ce qu'ils donnent suffisamment de précisions pour pas qu'il y ait un jour ou l'autre ici ou là des soupçons d'être tenus au secret par madame ARAFAT ?
Michèle ALLIOT-MARIE - Les médecins militaires de Percy appliquent purement et simplement les règles qui sont les règles déontologiques applicables à tout médecin. Ils font des communiqués qui sont parfaitement exacts, mais il y a aussi un droit au secret médical, c'est-à-dire l'interdiction de dire des mensonges en la matière. Et ce droit au secret médical s'applique à monsieur ARAFAT comme à chacun.
Jean-Pierre ELKABBACH - Merci d'être venue, bonne journée.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 novembre 2004)
Entretien de Michèle Alliot-Marie avec "Le Monde", le 9 novembre 2004
Q - Quelques jours avant cette escalade militaire en Côte d'Ivoire, les présidents Chirac et Gbagbo se sont téléphoné. En tant que ministre de la Défense, avez-vous le sentiment que M. Gbagbo a trompé la France et excluez-vous que les soldats français aient pu être tués à la suite d'une erreur de cible ?
R - Le président Chirac avait mis le président Gbagbo en garde contre toute action qui risquerait de mettre le feu aux poudres. Celui-ci n'en a tenu aucun compte : le résultat est là. Pour ce qui est de la cible, nous verrons les conclusions de l'enquête, mais je considère, au vu de tout ce qui m'a été rapporté, qu'il est irréaliste de considérer cela comme une erreur. Le climat de haine anti-française alimenté par certains depuis plusieurs mois pèse lourdement sur la rationalité des positions et des réactions des uns et des autres.
Q - Paris souhaite renouer le dialogue politique avec le gouvernement du président Gbagbo, mais comment rétablir la confiance avec un pays dont on a détruit les forces aériennes ?
R - Des soldats français ont été l'objet d'une opération militaire qui a fait neuf morts et trente-huit blessés dans leurs rangs. Cette agression a entraîné une réponse militaire : la destruction des avions et des hélicoptères de combat de l'armée gouvernementale. C'est une riposte correspondant à la gravité de l'agression, limitée et sévère, mais indispensable et approuvée par l'ensemble de la communauté internationale. Nous étions non seulement dans une situation de violation de cessez-le-feu mais en position de légitime défense face à une agression caractérisée. Ce message très fort passé, nous avons fait savoir aux autorités ivoiriennes que notre objectif n'est nullement de déstabiliser les institutions de la Côte d'Ivoire. Bien au contraire, comme depuis deux ans maintenant, nos forces sont là pour contribuer à stabiliser la situation et permettre la reprise du dialogue politique entre Ivoiriens.
Q - Les Accords de Marcoussis n'ont pas été respectés parce que les parties n'ont pas la volonté politique de les respecter. Faut-il imaginer une autre solution politique et internationale ?
R - Il n'y a pas d'autre solution. Les Accords de Marcoussis (24 janvier 2003) ont été confortés par la réunion d'Accra, au cours de laquelle seize chefs d'États africains et les organisations régionales ont redit d'une façon très ferme aux différentes parties ivoiriennes que c'était la seule solution. Ils sont soutenus unanimement par la communauté internationale : il faut, d'un côté, démobiliser et désarmer et, de l'autre, progresser sur le plan institutionnel. Cette voie est la seule capable de garantir l'unité de la Côte d'Ivoire et la stabilisation du pays. C'est parce que ces accords n'ont pas été mis en oeuvre en temps et en heure que nous nous retrouvons aujourd'hui dans cette situation. Il n'est pas question de remettre en cause les Accords de Marcoussis.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 10 novembre 2004)