Interview de M. Olivier Besancenot, porte-parole de la Ligue communiste révolutionaire, à "France Info" le 21 septembre 2004, sur les réactions à la fermeture des bureaux de poste remplacés par des points Poste, sur la rentrée sociale et sur le "non" à la Constitution européenne défendu par Laurent Fabius au PS.

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Média : France Info

Texte intégral

Q- Vous êtes l'un des porte-parole de la LCR, vous êtes facteur et donc gréviste aujourd'hui, parce que la plupart des syndicats de La Poste appellent à un mouvement social. Il y a des revendications salariales, et aussi ce problème de réorganisation : la Poste a décidé de fermer certains bureaux en milieu rural pour ouvrir des points Poste. Et vous êtes tout à fait contre.
R- La Direction de La Poste et le Gouvernement ont décidé, avec un contrat de plan et une loi postale qui doit passer au Parlement courant octobre, de réorganiser La Poste, c'est-à-dire, d'un côté, de filialiser les différentes activités pour laisser à l'Etat ce qui n'est pas rentable, offrir aux opérateurs privés les parts les plus juteuses - donc, concrètement, par exemple, ouvrir le capital de la Banque postale - et par ailleurs, en effet, fermer la moitié des bureaux de Poste. Actuellement, il y a 17 000 points de contact. Il y en aura, d'après la direction de La Poste, 17 000 demain. Mais il faut savoir que sur ces 17 000 là, il y a 12 000 vrais bureaux de Poste, j'ai envie de dire, ouverts le matin, l'après-midi et qui offrent l'entièreté des prestations postales, et sur ces 12000 là, le Gouvernement propose d'en supprimer la moitié, et de les transformer en points Poste, c'est-à-dire soit en antennes municipales qui vont ouvrir deux à trois heures par jour, soit par des prestations qui seront assurées par des petits commerçants.
Q- Mais O. Besancenot, je ne sais pas si vous avez entendu le reportage qui a été diffusé tout l'heure, dans une petite commune rurale où il y a un point Poste qui existe, cela ne fonctionne pas si mal. Et puis juste un chiffre : un rapport de la Cour des comptes établit que 60 % des points de contact de La Poste sont situés dans des communes de moins de 2 000 habitants qui représentent 26 % seulement de la population. 60 % pour 26 % de la population ! N'y a-t-il pas moyen de réformer La Poste ?
R- Mais si, mais l'assurer dans un sens de service public qui est encore plus égalitaire. On ne peut pas d'un côté, dire, par exemple, que l'on va réduire la fracture géographique entre les régions les plus riches et les régions les plus pauvres, comme le prétend le Gouvernement et, en même temps, amputer la plupart des communes des quartiers populaires et des zones rurales où La Poste ne sera pas jugée rentable, parce qu'il s'agit de cela, d'un service public essentiel. Il y a effectivement cet élément de démographie dont vous parlez. L'argument du Gouvernement, c'est de nous expliquer que le réseau postal a été calibré sur l'Après-guerre, ce qui est vrai pour partie. Mais l'autre élément de démographie depuis l'Après-guerre, c'est qu'il y a 20 millions d'habitants supplémentaires. Il faut nous expliquer comment, aujourd'hui, on peut satisfaire un service pour 20 millions d'habitants supplémentaires, avec un réseau postal amputé de la moitié.
Q- La grève, c'est vraiment le seul moyen d'action que vous avez ? Votre mouvement va encore faire les gras de toutes les entreprises privées de coursiers, DHL et autres ?
R- Je pense que c'est d'abord qu'une première étape et surtout la spécificité, c'est qu'il ne s'agit pas simplement que l'on soit un mouvement de salariés aujourd'hui. Et à la différence peut-être des dernières mobilisations, on a la possibilité de construire un mouvement de l'opinion. Et ce qui m'intéresse actuellement, ce sont tous ces collectifs qui naissent un petit peu partout dans les régions, qui associent les salariés bien sûr, les associations d'usagers et puis les maires. Il y a un petit vent de désobéissance qui est en train de s'introniser aujourd'hui, qui inquiète un peu le Gouvernement à la veille des sénatoriales, parce qu'il y a plus de 5 200 avis de conseils municipaux qui ont été rendus et qui réclament un moratoire sur la fermeture des bureaux. Moi, j'invite toute la gauche sociale et politique à construire ce mouvement de désobéissance, parce qu'il s'agit d'un vrai choix de société. Pour moi, un bureau de Poste, c'est comme une école, comme un hôpital, ce n'est pas fait pour faire des bénéfices, c'est fait pour rendre un service public.
Q- Parlons un peu de la rentrée sociale : beaucoup nous l'annonçaient comme brûlante, finalement, elle est assez tiédasse. Vous êtes déçu ?
R- Moi, je ne l'ai jamais annoncée comme brûlante, parce que je suis quelqu'un de plutôt raisonnable à ce niveau-là, et puis j'ai la tête sur les épaules, je sais qu'on a enregistré - on est obligé de le reconnaître - du côté du mouvement social plusieurs défaites ces derniers temps : que ce soit sur les retraites, sur EDF avec la privatisation, sur la Sécurité sociale. Maintenant, le Gouvernement devrait faire très attention, parce qu'à force de pousser les gens à bout comme cela, il risque d'y avoir un sacré retour de bâton à un moment ou à un autre. Il y a des choses qui se passent dans les entreprises du privé, il y a des salariés qui résistent aux licenciements, il y a des collectifs qui sont en train de voir le jour, et je crois qu'un jour où l'autre, le Gouvernement risque de provoquer cette petite goutte d'eau qui fera déborder le vase, et nous, on s'arrangera pour que le vase déborde à plein.
Q- J'imagine que vous avez écouté aussi J.-P. Raffarin dimanche soir, qui propose un contrat aux Français, et je subodore que vous ne signez pas des deux mains, ce contrat.
R- Vous subodorez bien. Je pense que c'est effectivement le énième contrat sponsorisé par le patronat, parce que ce contrat-là, à la vérité, c'est la confirmation d'une politique libérale qui va s'accentuer et puis surtout, c'est une vraie provocation d'un point de vue démocratique. On a un Gouvernement qui n'est pas simplement discrédité, mais qui est devenu illégitime. Le Gouvernement a expliqué au moment de la mobilisation des retraites, en mai-juin 2003, que "ce n'était pas la rue qui gouvernait". Il nous explique après une double raclée électorale que ce n'est finalement pas les électeurs non plus, puisqu'il garde le même personnel et la même orientation. Il nous explique, en gros, finalement, qu'il n'y a que le Medef qui a le droit de gouverner en France. Face à un Gouvernement comme celui-là, je persiste, et je pense que désobéir, c'est presque devenu un acte de citoyenneté.
Q- Juste un petit mot sur le feuilleton politique de cette rentrée : les bisbilles au PS autour de la Constitution européenne. A votre avis, L. Fabius ne serait-il pas en train d'essayer de courtiser votre électorat ?
R- Je ne sais pas s'il courtise en particulier notre électorat, c'est probable qu'il pense aussi, pas qu'à la Constitution, mais peut-être aussi aux élections présidentielles...
Q- Croyez-vous ?
R- ... Maintenant.... Je ne sais pas. Il y a quelque chose qui me fait dire cela. Maintenant, il y a quelque chose qui est réel et qui est un élément politique majeur, c'est que moi je ne vais pas bouder mon plaisir de voir la possibilité que le "non" devienne majoritaire à gauche, parce que ce projet de Constitution est effectivement libéral. C'est un super Traité, c'est Maastricht puissance 10. Cela va graver dans le marbre le droit des plus riches, des actionnaires. Il y a, par exemple, pas de problème pour le droit de propriété privée, pas de problème pour la liberté de circulation des capitaux, tant pis pour les immigrés, ils ne sont pas de têtes de capitaux, mais quand il s'agit des droits sociaux, cela devient des vux pieux qu'on renvoie, par exemple, au fait que vous n'avez même pas le droit à l'emploi en tant que tel, mais, je cite "le droit de rechercher un emploi". On a encore "le droit de
M. Fabius en anticapitaliste, je pense que personne n'y croit. Pas moi, bien entendu, pas même lui, à mon avis.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 septembre 2004)