Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur le rôle, le financement et les priorités du réseau des Alliances françaises, à Paris le 25 janvier 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque annuel de l'Alliance française, à Paris le 25 janvier 2005

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Alliance française de Paris,
Mesdames et Messieurs les Membres du conseil d'administration,
Mesdames les Présidentes, Messieurs les Présidents des comités,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Rentrant ce matin même de New York, j'ai tenu à être aujourd'hui parmi vous ici, à cette fameuse adresse du boulevard Raspail, qui est un signe de ralliement pour des générations d'étudiants étrangers ayant fréquenté ces lieux.
Mes premiers mots sont pour vous saluer tous. Vous qui, dans la diversité de vos nationalités et de vos cultures, dans la diversité de vos compétences, partagez avec nous, cet amour de la culture française et de sa langue, dont vous portez si bien les couleurs dans vos pays respectifs. Je voudrais d'abord rendre hommage au travail que vous accomplissez ensemble, Français et étrangers, dans des circonstances parfois difficiles, au service de ce formidable réseau, qui n'a pas d'équivalent, je crois, dans le monde. J'associe bien évidemment à cet hommage l'ensemble des agents recrutés locaux, qui sont, partout, la cheville ouvrière de nos Alliances à l'étranger.
Je voudrais saluer aussi votre nouveau Président, mon ami Jean-Pierre de Launoit, dont j'ai pu mesurer le dynamisme et l'esprit d'entreprise lorsqu'il était Président de l'Alliance française de Belgique.
C'est la première fois, je crois, qu'il revient à un président d'Alliance à l'étranger, n'ayant pas la nationalité française, de prendre la direction de cette maison. Certains y ont vu, pour cette vénérable institution - je n'oublie pas que l'Alliance a plus de 120 ans - une véritable révolution ! Personnellement, je considère ce choix plutôt comme un signe de maturité. J'y vois la reconnaissance de sa vocation première, qui est d'être une fédération mondiale au service du dialogue des cultures et de la francophonie.
Je sais que Jean-Pierre de Launoit saura vous faire partager cette ambition d'ouverture et de modernité qui l'a animé à Bruxelles, au coeur de l'Europe. C'est désormais à l'échelle du monde que cette ambition va s'exprimer.
Je connais les difficultés que traverse l'Alliance française de Paris qui doit affronter une concurrence accrue en matière d'offre de cours de langue. Je sais aussi que son président et son conseil d'administration sont déterminés à conduire son redressement en proposant des évolutions en profondeur. Je comprends qu'il pourrait être envisagé de séparer, d'une part, le fonctionnement de l'école de langues et, d'autre part, la conduite de l'action internationale, et que l'idée d'une fondation est à l'étude.
Naturellement, la décision vous appartient. Sachez seulement que le ministère des Affaires étrangères est favorable à ces évolutions et qu'il est prêt à les accompagner.
Concrètement, ceci se traduira, dès 2005, par un effort particulier en termes de soutien financier puisque la subvention à l'alliance française de Paris augmentera de 60%.
Mon ambition, Mesdames et Messieurs, à la tête de ce ministère que j'ai l'honneur de diriger, est de mettre l'influence au coeur de l'action extérieure et donner à la diplomatie une dimension plus citoyenne, plus proche des sociétés.
J'ai la conviction que ce réseau des Alliances françaises est une pièce maîtresse dans cette ambition, car il porte en lui le dynamisme de ce mouvement associatif international. Mouvement associatif qui est l'émanation même des forces vives, ces mêmes forces qui dans chaque société, refusent le laminage culturel.
Dans ce monde globalisé, où la menace d'uniformisation est réelle, nous avons à promouvoir ensemble la francophonie et la diversité culturelle. Ce sont pour moi les deux faces de la même médaille. C'est un engagement au service des valeurs universelles de la culture, au service de l'humanisme et de ses corollaires : le respect de l'autre et la connaissance mutuelle de nos cultures.
Voilà pourquoi les Alliances françaises sont des partenaires à part entière, et des partenaires privilégiés du ministère des Affaires étrangères.
Dès 1884, le ministère des Affaires étrangères donnait instruction aux ambassadeurs à l'étranger de soutenir localement la démarche des comités d'Alliance : "Eu égard au caractère patriotique de l'oeuvre entreprise par cette association, je vous autorise volontiers à en seconder le développement par les démarches officieuses que vous jugerez convenables". Ce soutien aujourd'hui repose sur un rapport de partenariat fondé sur des objectifs partagés et sur l'affectation de moyens pour les atteindre, dont je voudrais rappeler l'importance.
Le ministère des affaires étrangères met à la disposition des Alliances plus de trois cents cadres expatriés et volontaires internationaux dans le réseau, qui assurent la liaison quotidienne entre les comités et les responsables de nos postes à l'étranger.
L'augmentation significative des crédits immobiliers cette année permettra de mieux répondre aux besoins de rénovation, et d'extension des locaux des Alliances. Des projets ambitieux concerneront notamment les Etats-Unis, où le French Institute Alliance de New York va faire peau neuve, tout comme l'Alliance de Miami.
Enfin, les Alliances bénéficient, tout comme les Centres culturels, des différents instruments d'action culturelle du ministère des Affaires étrangères.
Au total, c'est près de 43 millions d'euros, qui sont alloués aux activités des Alliances françaises. C'est une somme considérable à l'aune des crédits de l'action culturelle extérieure de ce ministère.
Mais ce partenariat qui doit être constamment adapté aux réalités contemporaines
Sur ce sujet, je voudrais attirer votre attention sur trois points :
1. L'adaptation du réseau culturel
En 2004, ce ministère a conduit un vaste exercice de rationalisation de son réseau consulaire et culturel, qui a concerné, de façon assez limitée d'ailleurs, les Alliances : des postes ont été fermés, d'autres ouverts, comme en Chine par exemple. Des Alliances ont absorbé l'activité d'un Institut culturel et vice versa
Je sais que cet exercice a suscité des interrogations, moins sur sa finalité d'ailleurs que sur la méthode. Sur ce sujet, je souhaiterais m'exprimer clairement.
L'adaptation permanente du réseau culturel est une nécessité. Le monde change, et il est de la responsabilité des Affaires étrangères d'accompagner, ou mieux d'anticiper les évolutions, de favoriser l'essor des pôles les plus dynamiques ou d'enrayer le déclin quand il menace.
Par-delà les différences de statuts, les Alliances, associations autonomes, comme les Centres culturels, qui dépendent directement des ambassades, exercent les mêmes missions, servent les mêmes objectifs. La cohérence commande de les englober dans la même stratégie. Réciproquement, ils doivent être traités sur le même pied d'égalité, et c'est pourquoi à l'unité d'action répond un principe d'équité, en vertu duquel les Alliances ne sauraient être les parents pauvres du réseau.
C'est pourquoi j'entends que les adaptations futures se fassent toujours dans le cadre d'une réflexion commune avec l'Alliance française, et dans la concertation et la transparence. Soyez convaincus que j'y veillerai personnellement.
S'agissant de la carte de nos implantations, je crois que la conquête de nouveaux publics et l'européanisation sont les deux grandes directions sur lesquelles nos efforts doivent porter.
2. D'abord la conquête de nouveaux publics
L'Alliance française a ses terres d'élection traditionnelles, je pense aux Amériques, à l'Europe de l'Est, à l'Afrique anglophone. Elle continue à s'y développer comme en témoignent les inaugurations récentes de nouveaux bâtiments, à La Paz, à La Havane et à Jacmel (Haïti), à Montevideo et à Assomption, ou encore à Tirana.
L'Alliance française sait aussi saisir les opportunités liées à la libéralisation de pays autrefois fermés à son influence. En Russie, depuis 1990, six Alliances ont été ouvertes, une devrait l'être en 2005 à Kazan. En Chine, les neuf implantations attirent déjà plus de 16 000 élèves, le plus souvent des étudiants désireux de poursuivre leur formation en France. Le développement et la consolidation des Alliances dans les pays à fort potentiel est fondamentale pour attirer vers la France les jeunes générations.
3. L'européanisation ensuite
Je note avec satisfaction que l'un des ateliers de votre colloque porte sur la dimension européenne de l'action des Alliances françaises dans le monde. Je crois qu'il faut collectivement s'engager résolument dans cette voie : exporter l'Europe, hors de ses frontières, là où c'est pertinent, travailler en Europe pour bâtir ensemble une culture commune.
Je sais que les Alliances expérimentent déjà des coopérations avec le Goethe Institut, à Santa Cruz, en Bolivie, à Glasgow, à Lahore bientôt. Je vous invite vivement à approfondir cette relation avec l'Allemagne mais aussi à l'étendre à d'autres Etats européens, l'Espagne, la Grande-Bretagne, les nouveaux entrants. Il est important aussi de développer les relations avec la Commission et le Conseil de l'Europe, pour apprendre à mieux travailler avec ces institutions et s'insérer dans leurs programmes.
Il nous faut aussi mettre notre énergie au service du plurilinguisme en Europe, combat qui n'est pas gagné d'avance. Il est de ce point de vue décisif pour nous d'accompagner le processus d'élargissement en formant au français le plus grand nombre de fonctionnaires européens issus des nouveaux Etats membres, mais aussi les cadres de leurs administrations nationales, leurs journalistes, etc. Les Alliances françaises ont, à l'image du Centre d'études de la Langue française (CELF) établi à l'Alliance française de Bruxelles-Europe, un rôle fondamental à jouer.
Nous devons enfin, moderniser nos méthodes de travail.
Trois remarques à ce titre :
- La nécessité de poursuivre la professionnalisation des métiers exercés par les Alliances et en particulier l'enseignement du français: les Alliances ont, en ce domaine, un "label" synonyme de qualité, il est important de travailler sans trêve à le maintenir à haut niveau. Ceci passe par un effort accru de formation pour tous les personnels, en particulier les personnels locaux.
- Cette exigence de professionnalisation plaide aussi pour la diversification des profils des personnels de direction pour les rendre à même de diriger ces PME que sont les Alliances. Je souhaite que la politique de recrutement du ministère prenne en compte ces nouvelles exigences. Je souhaite également que des postes de responsabilité puissent être offerts à des nationaux, afin de renforcer le caractère multiculturel des équipes.
- S'agissant des méthodes de travail, nous avons à nous préparer dès maintenant à l'entrée en application de la nouvelle loi organique sur les lois de finances, qui nous oblige à entrer dans une logique d'objectifs, de programmes et de résultats. Ceci va nous conduire à généraliser les conventions de partenariat entre les comités d'Alliance française et nos ambassades, et à les transformer en véritables contrats d'objectifs et de moyens.
En conclusion, je voudrais exprimer ma sincère reconnaissance à tous nos nombreux amis, étrangers francophiles ou Français expatriés, que vous représentez à ce colloque et qui animent partout dans le monde la vaste constellation des Alliances françaises . Ils nous offrent ce qu'ils ont de plus précieux : leur passion. Qu'ils soient remerciés et qu'ils sachent que l'action qu'ils mènent pour maintenir vivant le lien qui unit la France et ses amis étrangers est ici appréciée à sa juste valeur.
Je terminerai en évoquant le formidable élan de solidarité qui s'est exprimé dans les Alliances françaises à la suite du cataclysme qui a frappé l'Asie du Sud et du Sud-Est. Les Alliances françaises se sont d'emblée portées au premier rang pour apporter aide, appui logistique et réconfort, partout où elles le pouvaient. Elles se sont ainsi montrées fidèles à l'esprit de leurs missions et à leur nature, faits de désintéressement, d'esprit d'initiative et de générosité
Je vous remercie et vous souhaite à tous, de bons travaux
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 janvier 2005)