Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à RMC le 22 novembre 2004 et tribune dans "Les Echos" du 26, sur la ratification du traité constitutionnel, le projet de cohésion sociale, notamment les accompagnements au chômage.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - La Tribune - RMC

Texte intégral

RMC Le 22 novembre 2004
Q- Voteriez-vous oui au Traité constitutionnel ?
R- Oui, je voterai oui, évidemment. Simplement, parce que ce Traité rappelle les grandes valeurs fondatrices de l'Europe, qui sont la solidarité, la lutte contre les discriminations, l'égalité, et puis ce Traité constitutionnel intègre la Charte des droits fondamentaux que nous avions souhaitée, nous, les syndicats européens. Cette Charte des droits fondamentaux parle de droit à l'emploi, de droit au logement, d'économie sociale de marché, de droits syndicaux, de droit de représentation, d'égalité entre les hommes et les femmes, enfin toutes les valeurs et toutes les démarches qui doivent aller au syndicalisme européen.
Q-Parlons de l'emploi et des chômeurs et du chômage. J.-L. Borloo entend, dans son projet de cohésion sociale, renforcer le contrôle des chômeurs. Son texte prévoit notamment que l'inadéquation avec le projet professionnel et l'éloignement géographique ne soient plus reconnus comme motif légitime de refus d'une offre d'emploi. Allez-vous jusque-là ?
R-Je ne vais pas jusque-là. M. Borloo, on ne sait pas trop de quoi il parle. On sait que le texte de loi, actuellement, est très difficile pour les chômeurs, c'est-à-dire que si on refuse un emploi, ou on supprime les allocations-chômage ou on ne fait rien. Et globalement, comme le texte n'est pas précis, on ne fait pas grand-chose. Ce dont nous voudrions discuter avec le Gouvernement, c'est qu'est-ce qu'on appelle "emploi qui correspond aux qualifications du salarié", et qu'appelle "une distance" ? On comprend très bien qu'un salarié qui est au chômage, à qui on propose un emploi à 100 km de chez lui, s'il est marié...
Q-J'imagine un Marseillais qui est au chômage, on lui propose un poste à Paris, il refuse, il n'a plus d'indemnités.
R-Mais ce n'est pas concevable, bien évidemment.
Q-Ce n'est pas concevable ?
R-Je ne pense pas que la loi aille jusque-là. Donc, on manque totalement de précision. Mais je crois que l'élément essentiel du débat aujourd'hui, c'est "quel accompagnement pour le chômeur ?". C'est-à-dire que l'élément essentiel de la discussion, c'est "comment accompagne-t-on un chômeur jusqu'à l'emploi pour qu'il trouve un emploi, de formation, d'aide individuelle et derrière, quels sont ses devoirs vis-à-vis de cet emploi ?
Q-Mais faut-il rendre la loi un peu plus sévère ? Faut-il vraiment inciter, obliger le chômeur à accepter un emploi ?
R-La loi est déjà très sévère aujourd'hui, mais elle est inapplicable. Donc, le débat - c'est ce que les syndicats, et en particulier la CFDT, avaient fait avec ce fameux PARE en 2000 -, c'est de faire en sorte que chaque chômeur ait un accord avec l'Unedic ou avec l'ANPE en termes de formation, d'accompagnement, de mise à niveau professionnelle, par exemple, pour ensuite l'accompagner jusqu'à l'emploi. Bien évidemment, il y a quelques contreparties, c'est le fait d'accepter un emploi qui corresponde à sa formation ou à son niveau professionnel, et qui soit dans un périmètre, bien évidemment, acceptable.
Q-L'exemple danois, dont on parle beaucoup, vous le connaissez : en l'espace de dix ans, le Danemark a réduit son chômage de moitié, passant de 12 % en 1993 à moins de 6 % aujourd'hui. Son taux d'emploi est le plus élevé dans toute l'Europe. Le système du "miracle danois" - entre guillemets - s'articule autour de deux mots : flexibilité et sécurité ; sécurité pour le demandeur d'emploi qui bénéficie d'une indemnisation qui représente 90 % de son salaire. Mais, en cas de non-respect d'un certain nombre d'aides et de formations - on l'oblige à se former -, le chômeur est très lourdement pénalisé. On lui demande une très forte flexibilité en termes d'embauche, de conditions d'embauche. Le Danemark se place en tête des pays européens, loin devant la France. La liberté de licencier est quasi totale pour l'employeur.
R-D'abord, le Danemark est un pays de 8 millions d'habitants, avec des syndicats - 80 % de salariés qui sont syndiqués - réformistes qui ressemblent beaucoup à la CFDT, qui ont la capacité de négocier. Là, vous parliez de flexibilité et sécurité ; ce que nous propose aujourd'hui le Gouvernement français, c'est que la flexibilité, pas la sécurité. C'est-à-dire qu'au Danemark, vous l'avez dit, il y a un investissement fort, c'est-à-dire qu'il y a des indemnités de chômage beaucoup plus longues et beaucoup plus élevées qu'en France, mais un système de formation et d'accompagnement du chômeur vers l'emploi très fort. La flexibilité dont se réclame M. Borloo, elle est exceptionnelle, c'est-à-dire que ce sont quelques chômeurs qui n'acceptent pas le système. Mais on voit bien que...
Q-Mais la liberté de licencier est quasi totale pour l'employeur ?
R-Ce n'est pas aussi simple que ça...
Q-Il n'a aucune indemnité à payer pour les salariés de moins de 12 ans d'ancienneté.
R-Oui, mais ce n'est pas aussi simple que cela. C'est-à-dire qu'il faut bien voir que l'on est dans un système où l'Etat investit énormément. En France, que fait-on ? On veut copier l'exemple danois sur la flexibilité, mais on est en train de baisser les moyens de l'Etat et les impôts qui vont nous priver de moyens pour accompagner le chômeur. Discutons actuellement en France sur l'accompagnement des chômeurs, sur des nouveaux droits, pour faire en sorte que chaque salarié qui perde son emploi ait une aide pour retourner à un autre emploi, et à ce moment-là, on pourra discuter du reste. On est en train de voir que la moitié de l'exemple danois en disant : "c'est fantastique, ça marche !". Mais ça marche parce qu'il y a d'un côté l'accompagnement du chômeur, et de l'autre côté, du devoir. Il faut négocier les deux.
Q-Dans tous les cas, un Français sans qualification a 24 fois plus de chances d'être au chômage qu'un Danois sans qualification.
R-Et voilà, vous avez un des problèmes de fond, c'est que l'on n'investit pas assez sur la formation scolaire et universitaire, mais surtout sur la formation tout au long de la vie qui fait en sorte qu'un salarié, quand il a une difficulté, retrouve un emploi. Cela, c'est le modèle danois.
Q-En Grande-Bretagne, après 13 semaines d'inactivité, les chômeurs britanniques indemnisés sont contraints d'accepter le premier emploi qui se présente, même éloigné de sa qualification, de son domicile, et plus ou moins mal payé...
R-Tout le monde sait qu'en Angleterre, on est dans un système très flexible. Et je le répète, et je n'arrête pas de le redire : travaillons dans notre pays sur l'accompagnement du chômeur ; quels sont les nouveaux droits que l'on va créer pour ces chômeurs, pour les salariés, pour qu'ils puissent avoir une formation, une aide pour retrouver un emploi le plus rapidement possible. Et je fais remarquer...
Q-Et là, vous seriez prêts à plus de flexibilité, vous, la CFDT ?
R-A condition qu'il y ait une contrepartie. Mais là, on a négocié pendant deux ans avec le patronat sur ce sujet-là, et le patronat a refusé d'aller sur ce terrain-là. C'est-à-dire que l'on a un patronat français qui ne veut que la flexibilité et qui refuse la sécurité. Au Danemark, vous avez donné l'exemple, il y a l'un contre l'autre.
Q-Rencontre avec le Gouvernement dans la fonction publique, demain, à propos du salaire des fonctionnaires. Il y a désaccord persistant entre les syndicats et le ministre ; qu'attendez-vous de cette rencontre ? Des accords sur le niveau de vie et sur les salaires de ces dernières années ?
R-Je demande simplement au ministre de sortir de discours qui est faux et qui est déplacé. Je prends l'exemple...
Q-Le pouvoir d'achat a-t-il augmenté ou baissé ?
R-Je prends un exemple : que fait le ministre en ce moment ? Il fait comme si il était patron d'une entreprise de 100 salariés, et il en augmente la moitié de 5 %. Et il dit : j'en ai augmenté la moitié de 5 %, cela veut dire que tout le monde a eu 2,5. Donc, si je propose 0,5 % d'augmentation, tout le monde va être content. Sauf que le résultat c'est que vous en aurez la moitié qui auront 5,5 et l'autre moitié qui aura 0,5. Donc, vous aurez la moitié des gens qui seront en désaccord. C'est ce qui se passe exactement dans la fonction publique, c'est qu'au prétexte que certains ont eu une augmentation, on ne donne pas aux autres. Donc, je crois que le ministre - et cela existe dans toutes les entreprises ce n'est pas uniquement dans la fonction publique -, il faut arrêter de dire aux fonctionnaires...
Q-Mais cela ce sont des augmentations au mérite, ce sont des augmentations... des primes ?
R-Des primes. Donc, il n'y a qu'une partie qui a généralement ces primes.
Q-C'est-à-dire que, ces derniers temps, dans la fonction publique, on a augmenté les fonctionnaires avec des primes ?
R-Il y a deux types d'augmentation : pour certains, les primes - ce sont surtout les fonctionnaires de l'Etat et certains hauts fonctionnaires -, et puis l'augmentation à l'ancienneté. Vous savez que dans les salaires, on augmente à l'ancienneté. Mais cela arrive une fois tous les trois ans par exemple, sauf qu'au bout de 20 ans de carrière ou 25 ans dans la fonction publique, vous n'avez plus d'augmentation à l'ancienneté. Donc, il y a une grande partie des fonctionnaires qui n'est pas augmentée, et en particulier dans les collectivités locales, où on a beaucoup de bas salaires qui subissent directement ces difficultés. C'est-à-dire qu'ils ne sont pas augmentés. Et l'on voit bien que ces salariés dans les collectivités locales ont parfois des salaires en dessous du Smic et on est obligé de leur donner une prime pour arriver au Smic.
Q-Alors quelle augmentation demandez-vous ?
R-Simplement...
Q-Combien ?
R-Les syndicats, collectivement, demandent 5 % d'augmentation pour récupérer la perte du pouvoir d'achat.
Q-Vous vous contenteriez de combien ?
R-Je ne peux pas vous dire aujourd'hui, je ne dis pas à la radio...
Q-Vous ne voulez pas tuer la négociation...
R-Exactement. Mais surtout, on demande un rattrapage du pouvoir d'achat avec des négociations pour les bas salaires.
Q-C'est-à-dire qu'à 2,5 vous seriez content ?
R-Je ne vous dirai pas !
Q-D'accord...
R- Non, mais en plus, ce n'est pas moi qui négocie, ce sont les fédérations de fonctionnaires. Mais c'est un rattrapage du pouvoir d'achat et des mesures pour les bas salaires, parce qu'on a beaucoup de bas salaires dans les fonctions publiques à l'inverse de ce que l'on pense.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 novembre 2004)
Les Échos 26 novembre 2004
La CFDT se sent pleinement concernée et partie prenante du débat ouvert à propos du Traité constitutionnel. À la question posée de sa ratification, nous répondons " oui ". " Oui " pour progresser vers une Europe politique et des institutions qui, pour peu que nous sachions nous mobiliser pour les faire vivre, permettront aux citoyens et aux salariés d'avoir une plus grande maîtrise de leur destin collectif.
Ce " oui " ne découle pas seulement de notre attachement ancien à l'idée européenne. Il n'est pas non plus le fruit d'une réflexion isolée sur la scène syndicale. C'est aussi la position de la Confédération européenne des syndicats (CES), dont nous sommes partie prenante et solidaires. Ce " oui " est donc aussi le " oui " du DGB allemand, de l'UGT espagnole, de la CGIL italienne, des TUC britanniques, du polonais Solidarnosc, du CMKOS tchèque (entre autres) et, à travers eux, de millions de travailleurs.
Nous ne rêvons pas d'une " Europe-France ", où, réunis dans le creuset de notre génie national, l'ensemble des peuples européens partageraient avec nous nos exceptions. Comme syndicalistes engagés depuis longtemps dans l'aventure européenne, nous avons appris les bienfaits de la modestie en ce domaine. On ne peut être européens convaincus en se contentant de préconiser la construction d'un ensemble à vingt-cinq calqué sur le modèle qui nous est familier.
L'Europe n'a certes pas connu que des heures faciles ces dernières années. Les politiques européennes n'ont pas toutes produit les meilleurs effets et, en tout cas, n'ont pas fait preuve de toute l'efficacité souhaitable, en particulier en matière d'emploi. On peut ainsi se montrer critique sur l'application du Pacte de stabilité et de croissance qui ne fut guère tourné vers la croissance. On peut encore regretter le manque d'ambition de l'Europe sur les questions fiscales. On peut également réclamer une plus grande coordination des politiques économiques. On peut souligner que les efforts en matière de recherche et de développement restent très en dessous de ce qu'il faudrait réaliser. On doit aussi déplorer une stratégie de Lisbonne plus faite de promesses que d'engagements de moyens concrets. Tout cela est vrai. Mais ce n'est pas le cur du débat qui nous est proposé.
Le débat qui nous est proposé porte sur un texte qui, en enrichissant l'énoncé de ses valeurs, réorganise les institutions européennes, non seulement pour les rendre compatibles avec une Europe à vingt-cinq, une Europe enfin réunifiée, mais aussi pour lui donner une personnalité politique qui la rende plus lisible pour les citoyens et qui renforce son efficacité pratique. Nous devons discuter d'un outil, d'un instrument. On peut certes considérer que l'outil n'est pas neutre et qu'il élargit le champ des usages et des pratiques possibles. C'est vrai, mais c'est précisément son principal intérêt. Il permettra justement d'accélérer et d'approfondir la construction d'une Europe sociale ou de lutter plus activement contre une Europe libérale. Il donne un nouvel élan en intégrant la Charte des droits fondamentaux et en actant le dispositif de dialogue social européen qui fixe clairement les prérogatives des partenaires sociaux pour contribuer à l'élaboration du droit social européen. Ce qui est certain, c'est que, sans lui, nous en resterions, faute de mieux, à l'Europe d'aujourd'hui, c'est-à-dire une Europe réduite aux acquêts du marché et de la libre concurrence. Bref, en disant " oui " à la Constitution, nous ne résolvons pas tous les problèmes, mais nous nous donnons les moyens de les dépasser dans les années qui viennent. D'autant qu'un nouveau droit d'initiative citoyenne, le droit de pétition, deviendra, pour une organisation comme la CES, un moyen de faire entendre ses revendications. Inversement, en disant " non ", nous nous coupons les mains et nous nous interdisons de les résoudre pour une période qui pourrait être très longue et dont, en tout cas, le terme est à ce jour totalement imprévisible.
En France, aujourd'hui, les nouveaux partisans du " non " posent les problèmes à l'envers. On entend dire, par exemple, qu'avec une telle Constitution, nous franchirions un pas supplémentaire en direction de la marchandisation généralisée des services publics et que, pour cette raison entre autres, il faudrait la rejeter. C'est faux. La vérité est que ce projet de Constitution reconnaît le statut particulier des services publics. Ce n'est donc pas en la rejetant, mais en l'adoptant, que nous nous donnerons les moyens de sécuriser certains biens et services non marchands. De ce point de vue, non seulement le " non " n'apporterait rien de bon, mais il cautionnerait gravement la tendance actuelle à la marchandisation. Sous couvert de résistance vertueuse, le " non " fait au fond objectivement les affaires de l'ordre actuel.
Les délocalisations, la menace qu'elles exercent, nous imposent de choisir un chemin d'efficacité. Aujourd'hui, dix nouveaux pays sont entrés dans l'Union européenne, et c'est tant mieux. Ils ont en commun d'avoir connu un système d'économie dirigée et planifiée, sans liberté, sans syndicalisme libre, sans les acquis du mouvement syndical européen. Leur plongée dans l'Union européenne coïncide pour eux avec une confrontation avec le seul capitalisme qu'ils aient connu : celui des marchés financiers et de la Bourse. Le Traité constitutionnel contient des dispositions qui constituent pour eux le seul chemin pour accéder à des garanties crédibles parce que s'imposant du fait de l'adhésion de leur pays et des obligations qu'elle implique. Différer le moment de l'application, c'est prendre le risque d'un bain plus long - irréversible s'il l'est trop - dans des garanties au rabais liées au nouveau mode de développement du capitalisme.
En somme, si nous voulons demain une Europe plus cohérente avec notre idée de la justice sociale, si nous voulons renforcer le contenu de la belle idée de " modèle social européen ", si nous voulons tenir notre place dans le monde et y diffuser aussi largement que possible les valeurs qui sont les nôtres, si nous voulons pouvoir affronter unis les défis géopolitiques qui nous attendent, alors ne nous laissons pas entraîner par les effets de tribune : dotons-nous d'une Constitution commune. C'est cette attitude qui a prévalu dans la réponse de la Confédération européenne des syndicats, au-delà des clivages et des désaccords qui, sur d'autres sujets, peuvent opposer certains syndicats. Nous aimerions que le même esprit de responsabilité soit partagé dans le monde politique. Aux yeux de l'histoire collective, la grandeur consiste souvent, tout simplement, à être à la hauteur des échéances. Serons-nous à la hauteur ? Le syndicalisme européen et la CFDT, en tout cas, n'auront pas à rougir de leur choix.
(Source http://www.cfdt.fr, le 29 novembre 2004)