Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les traditions de rayonnement culturel des villes européennes, Créteil le 21 septembre 2000.

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Circonstance : Ouverture du deuxième festival international de la ville et de la jeunesse, à Créteil le 21 septembre 2000

Texte intégral

Monsieur le député-maire,
Monsieur le ministre,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Sénateur,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames, messieurs,
L. Cathala puis C. Bartolone, l'un à partir de son expérience de maire, l'autre à partir de son action de ministre - même si la réalité de la cité, il la connaît, il a lui-même été - jusqu'à ce que par le cumul des mandats je le freine un peu, maire d'une ville de banlieue parisienne - ils ont donc été à la fois éloquents et précis et je n'ai donc pas besoin d'être long. Je dirai simplement quelques mots. D'abord que c'est un plaisir pour moi que d'ouvrir avec vous ce deuxième Festival international de la ville en ayant en outre la chance, après ces quelques discours, d'aller voir un spectacle de P. Découflé. Pouvoir à la fois participer à une manifestation importante et utile et avoir cette joie de voir le résultat d'un travail créateur, d'un artiste et d'un homme que j'admire beaucoup est évidemment un mélange de genres précieux. C'est d'ailleurs ce mélange de genres qui fait que ma femme est à mes côtés, ce qu'elle ne fait pas souvent dans les manifestations officielles. Nous sommes un pays qui a eu longtemps la tradition d'un pays rural ; nous sommes un pays qui a longtemps été un pays de paysans et nous sommes en même temps un pays dans lequel, comme dans les autres pays d'Europe, a fleuri la civilisation urbaine. Les villes ont été des laboratoires sociaux. Ce sont créées les premières classes sociales qui ont ensuite, en s'épanouissant au XIXème siècle, créé les conflits, causé les problèmes, esquissés les solutions qui ont fait toute la trame de la vie politique, sociale, intellectuelle, idéologique du XIXème et du XXème siècle. Elles donc été des laboratoires sociaux, elles ont été aussi des lieux de création. L'art, particulièrement, à partir du XVème et du XVIème siècle - et même antérieurement - s'est épanoui fondamentalement dans la ville.
Ce n'est pas par hasard si un certain nombre de villes autour de la grande capitale rayonnante ont essayé de retrouver une identité, une fierté d'elles-mêmes à travers des manifestations artistiques autour de lieux de théâtre et de culture. Quand dans les dernières années, des hommes et des femmes comme nous, de différentes générations, avons pu ressentir certaines de nos plus belles émotions artistiques ou esthétiques à Bobigny, à Saint-Denis ou justement à Créteil ou encore à Sceaux, cela veut dire effectivement que ces villes ont su échapper à leur définition trop étroite à leurs difficultés sociales pour être aussi et désormais des lieux de référence. Les villes ont été parmi les premiers maillons qui ont fait naître l'économie internationale et mondiale. C'est souvent à partir du réseau des villes italiennes, flamandes, de France ou d'Allemagne que ce sont noués les premiers liens, les premiers réseaux qui ont fait qu'un monde multiple s'est créé. Un monde dominé par le capitalisme que nous nous sommes efforcés dans nos luttes - en tout cas ceux qui sont ici à cette tribune - de tempérer dans les formes trop brutales que prenait ce mode de production. Les villes ont aussi été les milieux de l'apprentissage de la démocratie - souvent, des formes de démocratie aristocratique. Progressivement ce fut le lieu des révoltes faubouriennes, ce furent les lieux des barricades, des luttes sociales des grand combats syndicaux. On voit donc à quel point la ville a toujours été un lieu d'énergie, d'échange, de création. Même aujourd'hui, où en raison des phénomènes d'urbanisation massive, où en raison des conditions dans lesquelles l'urbanisation s'est faite dans les années 60-70 en France, où en raison du poids qu'a pesé la crise depuis 15 ans avec la montée du chômage, où, pour toutes ces raisons, la ville apparaît comme désarticulée, comme souffrante. Même encore dans cette situation dont j'espère que nous sortirons progressivement, dont peut-être nous commençons à sortir, les villes sont restées, à travers leur habitants, leurs créateurs, leurs jeunes, les lieux de l'énergie, les lieux où la vibration était plus forte qu'ailleurs, les lieux d'inventivité. Elles ont donc tous les éléments, tous les attributs, toutes les traditions et toute la vitalité pour retrouver leur équilibre. Grâce au travail des élus, à la mobilisation des citoyens, aux acteurs sociaux, aux urbanistes et aux architectes, pour autant qu'elles s'efforcent de se rassembler autour de projet et d'une organisation de l'espace humain qui soit une organisation plus harmonieuse.
Je pense que c'est autour de tout cela que vous allez faire de ce festival un lieu de rencontres, de débats, de réflexion. Je suis heureux de voir que vous pourrez ainsi, pendant ces journées, faire avancer des idées nouvelles. Vous le ferez en même temps à travers des expressions créatrices dont nous allons profiter ce soir. Vous avez placé ce festival sous le signe de l'Europe, peut-être parce que nous avons la présidence de l'Union européenne pour ce semestre. Aussi parce que, de tout façon, les villes européennes ont besoin de se parler, de se regarder vivre, d'échanger leur expérience. La Commission est ici représentée : il y a cet audit qui a été fait sur plus d'une cinquantaine de ville européenne. Je pense que ce sera un matériau précieux surtout pour nous les Français qui sommes toujours très universalistes mais pas toujours curieux de se qui se fait dans le champ de l'universel. Or celui-ci n'est pas un pur universel abstrait, on voit sévir encore ces dernière semaine - mais ne changeons pas de sujet. Je pense que ce réseau des villes européennes, ce qui fait que quand on était de jeunes étudiants ou de jeunes ouvriers, on prenait son sac, on allait dans les auberges de jeunesses, on le faisait en allant d'une ville à l'autre, d'un musée à l'autre, d'un espace à l'autre, d'une jeunesse à l'autre. Je pense que ce travail précieux qui a été conduit, il va falloir que nous l'exploitions, notamment les responsables nationaux.
Je ne vais pas revenir sur ce qu'à dit C. Bartolone. C'est vrai que dans les contrats de plan, dans les programmes pour la ville et les grands projets de ville, nous avons voulu redonner une priorité à l'action pour la ville. Et je remercie C. Bartolone de porter cette priorité avec le sens du concret issu de son expérience sur le terrain et en même temps, avec la flamme militante qui est la sienne et la capacité de concevoir avec d'autres de véritables projets. Vous avez voulu faire que la jeunesse soit ici présente au premier rang, à travers cette initiative "place publique junior". Elles vous rendront compte de leur expérience, de leurs activités dans la ville, de leurs aspirations, de leurs revendications, de leurs suggestions. C'est vrai que la ville, c'est eux qui vont la faire finalement dans les années et les décennies qui viennent. Comme je le disais à Strasbourg où nous étions ensemble aux côtés de C. Trautmann - alors que nous inaugurions la nouvelle ligne de tramway et que nous allions dans le quartier du Neuhof qui est un quartier qui connaît des difficultés -, je disais à ces jeunes : "vous avez la chance de vous trouver maintenant dans un cycle historique, notamment économique dans lequel la croissance est là, dans lequel le chômage recule, dans lequel, vous avez des chances, si vous vous formez bien, si vous êtes citoyen, de trouver à la fois un emploi et à être des acteurs conscients. Quant à votre force, à votre énergie, parfois votre révolte - parce que les conditions concrètes d'existence de beaucoup de jeunes dans un certain nombre de quartier sont très difficile -, essayez simplement, non pas de la tarir, non pas de la ternir, de la tamiser pour qu'elle se perde, mais de l'orienter de façon positive. En exprimant effectivement des revendications, voire une révolte, mais en ne tournant pas cette énergie et cette force contre vous dans un processus qui pourrait être autodestructeur, mais au contraire, en essayant de bâtir à partir de cela. Je pense que cela s'exprimera sans doute dans ce Festival de la ville et de la jeunesse.
Je suis en tout cas heureux d'être avec vous ce soir, et dans un moment où se fait une rentrée peut-être un peu plus difficile, parce que les vacances sont derrière nous, parce que la croissance est là et crée des impatiences mais en même temps, la crise ancienne est encore présente par les deux millions de chômeurs qui restent dans notre pays et qu'il ne faut pas oublier. Il ne faut pas tourner la page sur ces chômeurs qui ont besoin de trouver un emploi. Je pense que la capacité à montrer qu'à partir de l'action des élus, l'action des acteurs et de la population et des citoyens et j'espère, à partir de l'action du Gouvernement, on peut bâtir des projets, on peut avancer. Et c'est cela le sens même de la ville et de tous projets. Je vous remercie."
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 29 septembre 2000)