Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la présentation du projet de loi de finances pour 1999 à l'Assemblée nationale, Paris le 13 octobre 1998.

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Texte intégral

Un an après...
Il y a un an, je venais devant vous pour vous présenter, avec Christian Sautter, le premier budget du gouvernement de Lionel Jospin.
Il y a un an, l'économie française n'avait pas encore émergé d'une longue période d'atonie marquée par une faible croissance et la montée inexorable du chômage. Elle n'était pas encore assurée d'être qualifiée pour l'euro, et nous étions venus vous proposer un budget pour une croissance solidaire et pour l'emploi. Où en sommes-nous un an après ? Certes, nous avons encore beaucoup à faire. Ce qui a été réalisé est très insuffisant pour tous ceux qui souffrent : pour les chômeurs, pour les travailleurs précaires, pour les exclus, pour les habitants des quartiers en difficulté. Mais nous avançons, nous sommes, j'en suis convaincu, sur le bon chemin.
*nous escomptions une croissance de 3 %. Nous l'avons tenu : la croissance sera, selon les dernières prévisions, de l'ordre de 3,1 % ;
*nous prévoyions la création de 200.000 emplois marchands. Nous ferons certainement mieux : l'Insee en annonce plus de 280.000 ;
*nous annoncions la baisse du chômage. Elle est en cours : en un an, il a baissé de près de 200.000 personnes ;
*nous comptions sur une hausse de 2,3 % du pouvoir d'achat du revenu des ménages. Elle devrait atteindre 2,8 % ;
*nous affirmions que le déficit des finances publiques serait réduit à 3 %. Il l'a été plus que prévu, et en 1998 il ne dépassera pas 2,9 % du PIB ;
*nous nous engagions à stabiliser les prélèvements obligatoires, ou à entamer leur décrue. Ils baisseront en 1998 de 0,2 % ;
*nous nous fixions pour objectif de maîtriser la dépense publique. En 1998, sa part dans le PIB baissera de près d'un point ;
J'ai voulu énumérer ces résultats parce que je crois nécessaire que la discussion que nous allons mener se fonde sur des faits. Je pourrais sans peine continuer, tant l'évidence s'impose : nous vous avons présenté l'an dernier un budget sincère, un budget de mouvement, un budget de progrès, un budget de réussite économique, un budget de justice sociale.
Certains d'entre vous pensent peut-être que nous avons eu de la chance. Nous avons bénéficié, c'est vrai, d'un environnement porteur. Mais nous avons aussi fait les bons choix pour inverser la tendance de ces dernières années : chaque année, depuis 1993, la croissance française a été inférieure à celle des 15 de l'Union européenne ; et en cinq ans, de 1993 à 1997, nous avons accumulé exactement 1,7 point de croissance de retard. 1,7 point, cela représente au moins 300.000 emplois perdus. En 1998, notre croissance sera, à l'inverse, supérieure de 0,2 point à la moyenne européenne. Nous avons commencé à rattraper notre retard, et cela n'est dû ni à la chance, ni à l'environnement extérieur. C'est le fruit d'une politique que vous avez majoritairement soutenue et enrichie, qui s'est fixé cet objectif, et qui l'a atteint.
Un budget longuement mûri et concerté
Nous avons utilisé le temps que nous donnait cette année un calendrier normal pour préparer de manière méthodique et surtout concertée nos choix budgétaires.
*nous avons fixé dès le printemps les grandes orientations budgétaires, nous en avons débattu avec les commissions des finances, puis avec le Parlement dans son ensemble.
*nous avons mené une concertation avec les acteurs économiques et sociaux et avec les associations d'élus locaux sur les orientations fiscales, et nous avons avancé le calendrier de présentation des grandes orientations fiscales, en juillet, et du budget, en septembre ;
*nous vous présentons, avec ce projet de loi de finances, un rapport économique, social et financier sensiblement enrichi, qui explicite nos orientations et les analyses qui les fondent.
Un contexte international perturbé
Mais, je ne le cacherai pas, le temps n'a pas fait que travailler pour nous et depuis un an, plus encore depuis quelques mois ou quelques semaines, le contexte international s'est singulièrement assombri. J'étais récemment, vous le savez, à Washington, où j'ai examiné avec mes collègues du G7 les moyens de redresser la croissance mondiale, et où j'ai présenté, au nom de la France, nos propositions pour un nouveau Bretton Woods.
Au retour de ces réunions, je résumerai mon état d'esprit en quelques mots : préoccupation, mobilisation, espoir.
*préoccupation, parce que l'économie mondiale ne va pas bien. L'Europe a renoué avec la croissance, elle est encore vigoureuse aux Etats-Unis. Mais le Japon est en récession, l'Asie a connu une dépression profonde, la Russie est en crise, l'Amérique latine est menacée. Et il y a un peu partout un sentiment d'insécurité financière qui pèse sur les décisions d'emprunt et de crédit ;
*mobilisation, parce que face à cette crise, les responsables des grands pays ont clairement fait le choix de la croissance. Ils ont défini un programme d'action, qui combine des politiques économiques orientées vers la croissance, des moyens de financement pour les économies émergentes, et des mesures de surveillance des marchés financiers. Dans ce contexte, comme l'a dit le Premier ministre, les politiques monétaires ont un rôle à jouer de part et d'autre de l'Atlantique ;
*espoir, parce que pour la première fois depuis des décennies, nous avons une vraie chance de maîtriser la mondialisation. Alors que, depuis longtemps, une conception libérale semblait l'emporter, l'option du " tout marché " est apparue impuissante à maîtriser la crise. Les partisans d'une régulation de la mondialisation, dont je suis, ont marqué des points. L'alternative n'est pas aujourd'hui entre des marchés libres et des économies administrées. Elle est entre des marchés qui fonctionnent au bénéfice du développement, parce qu'ils sont organisés, et le rejet d'une libéralisation perçue comme porteuse d'instabilité. Je veux une économie de marché régulée et solidaire, solidaire parce que régulée. C'est pour cela que j'ai fait des propositions au nom de la France et de l'Europe. Mais soyons lucides, la réforme de l'architecture internationale prendra du temps. C'est une uvre de longue haleine, comparable à la construction européenne.
Pour résister aux difficultés, garantir la croissance, et inventer de nouvelles régulations, il faut que les Européens parlent d'une seule voix. Et il faut que la gauche prenne sans complexe ses responsabilités. Parce que c'est vers elle, et non vers les libéraux, que se tournent tous ceux que la spéculation alarme, et que l'instabilité déroute. Parce que c'est elle, et non les libéraux, qui peut inventer les nouvelles régulations dont l'économie mondiale a besoin.
Ce combat là tient à cur à Lionel Jospin et à tous ceux qui ne veulent pas soumettre l'économie mondiale aux foucades d'un nouvel Ubu. Je le mène en son nom, dans les enceintes internationales, parce que c'est un enjeu majeur pour la croissance et le développement. Dans ce contexte, je compte bien que la nouvelle cordée franco-allemande ouvre la voie.
Pour une économie de marché régulée et solidaire
Quelles conclusions faut-il tirer de cette incertitude internationale ? Quelle stratégie faut-il adopter ? Je voudrais défendre trois convictions.
La première est que cette incertitude valide nos choix européens. J'ai entendu ici ou là un peu d'ironie sur le rôle de bouclier qu'avec d'autres j'ai prêté à l'euro. Comme si un bouclier dispensait de livrer bataille ! Que l'euro nous ait protégés et nous protège, c'est un fait. Il suffit pour s'en convaincre d'observer ce qui s'est passé sur les marchés des changes ces derniers jours. Entre le 7 et le 8 octobre, sans motif apparent, le yen est passé en 36 heures de 135 yens pour un dollar à 112 yens pour un dollar : une variation d'environ 20 %. Voilà la réalité des changes flottants. Et voilà ce dont l'euro nous protège, dès maintenant. A preuve, la crise politique italienne et la démission du gouvernement Prodi ont eu pour effet une baisse de la lire de... 1 pour 1000. 20 % d'un côté, 1 % de l'autre, voilà qui en dit long sur ce que nous apporte l'euro. Alors, certes, il ne nous épargne ni les conséquences de la crise asiatique, ni les soubresauts sur les marchés d'actions et d'obligations. Mais il évite aux industriels de se réveiller chaque matin en se demandant si, dans la nuit, quelques transactions aventureuses ont annulé l'effort de plusieurs mois ou de plusieurs années : 90 % de notre activité économique est désormais à l'abri des variations de change.
La seconde est que les périls extérieurs valident notre choix de miser sur la demande intérieure. En France, et plus largement dans la zone euro, le moteur de la croissance est aujourd'hui extrêmement robuste : la consommation alimente la production, la production crée des emplois, le recul du chômage stimule la consommation, les entreprises investissent pour répondre à la demande. C'est sur ces enchaînements que nous avons choisi de miser il y a dix-huit mois. C'est grâce à eux que le choc très violent que nous avons subi n'a pas enrayé la croissance. Je l'illustrerai par un chiffre : au deuxième trimestre 1997, la croissance des exportations, appréciée sur un an, était de 15 % ; un an après, au deuxième trimestre 1998, elle était de 5 %. Dans le même temps, la demande intérieure est passée d'un rythme de 0,5 % l'an à un rythme de plus de 3 %. Ces chiffres montrent que mon prétendu optimisme ne repose pas sur un aveuglement, mais sur des réalités : oui, la crise internationale est sérieuse ; mais oui aussi, la capacité de croissance de notre économie est robuste. A condition de lui en donner les moyens - ceux que la majorité précédente lui avait refusés - elle est capable de tenir bon dans les turbulences.
La troisième conviction est qu'il faut garder le cap sur le moyen terme. Je l'ai répété depuis quelques mois, nous devons viser une croissance durable. Notre but doit être de briser cette fatalité qui veut qu'en France, depuis une vingtaine d'années, les période d'expansion soient plus courtes et les périodes de stagnation plus longues qu'ailleurs. Pour cela, deux conditions doivent être remplies :
*il faut d'abord que nous poursuivions la modernisation de notre économie. Pour cela, nous devons miser sur l'innovation, sur la formation, sur l'investissement : sur ce qui prépare la croissance de demain. La France a, en matière d'investissement et d'innovation, un retard à combler. Il doit être rattrapé dans les années qui viennent. Et j'invite les chefs d'entreprise à penser aux concurrents auxquels ils auront à faire face demain, lorsque les économies d'Asie se redresseront : c'est maintenant qu'il faut moderniser notre appareil productif.
*il faut en second lieu, et c'est notre responsabilité propre, que nous cessions d'obérer l'avenir par une gestion à courte vue des finances publiques. Je vous l'ai dit dès juillet 1997 : nous pourrons en l'an 2000, pour la première fois depuis des décennies, inverser la spirale de la dette. Au-delà, nous devons poursuivre la réduction du déficit, pour reconstituer nos marges de manuvre budgétaires. Je travaille actuellement, avec Christian Sautter, à préparer pour les finances publiques des orientations de moyen terme que je viendrai vous présenter dans quelques semaines.
La prévision pour 1999
Mais je veux aussi répondre à une question que certains d'entre vous, surtout dans l'opposition, se posent, et que j'énoncerai simplement : ce budget est-il fiable ? est-il fondé sur une prévision trop optimiste ?
Le ministère des Finances a publié sa prévision pour 1999 il y a exactement un mois en se fondant sur l'ensemble des informations dont il disposait. Depuis, cette prévision a été confortée par celle du FMI et elle est qualitativement analogue à celle du consensus des instituts de la place. L'OCDE et la Commission européenne vont bientôt publier leurs chiffres et je pense qu'ils seront également voisins des nôtres. Alors, bien sûr, chacun peut élaborer des scénarios-catastrophe. Mais la dramatisation n'est pas un mode sérieux de conduite des affaires de ce pays. La responsabilité des décideurs politiques est d'être lucides dans l'analyse et sereins dans l'action.
Ma mission, c'est de conduire la politique économique, avec un objectif en tête : sauvegarder la croissance, au service de l'emploi. Je me fonde sur la meilleure prévision disponible. Et lorsqu'il faut la changer pour prendre en compte les évolutions internationales, je la change. A preuve, j'ai retenu une prévision de croissance à 2,7 %, en retrait sur ce que nous ferons en 1998 et sur ce que j'estime être la capacité de croissance de l'économie française. En avril dernier, la prévision pour 1999 était de 2,8 %. Ce retrait de 0,1 point traduit en réalité deux mouvements de sens contraire. D'une part, une dégradation de l'environnement extérieur assez sensible puisqu'elle est estimée à -0,4 point, mais d'autre part une amélioration de la demande interne de 0,3.
Certains, à droite, semblent se délecter par avance des difficultés supposées de l'économie française et semblent, pour reprendre le mot de Chateaubriand, " mettre le malheur de leur pays au nombre de leurs espérances " . Ils trouvent dans la critique de notre prévision un terrain facile de contestation du budget. Je comprends ce qui les motive : il est évidemment moins fatiguant de critiquer nos prévisions que de formuler des propositions alternatives. Il suffit de reprendre, à l'identique, les discours de l'an dernier. Le papier n'en a pas encore jauni, même si les formules à l'emporte-pièce ont déjà servi : " le gouvernement va droit dans le mur ! " disait déjà M. Madelin il y a un an.
Les faits ont tranché et je ne résiste pas au plaisir de rappeler à M. Auberger le pari que nous avions fait, ici même il y a presque un an jour pour jour ! Cela ne garantit certes pas la validité de nos prévisions pour l'avenir. Mais cela devrait inciter l'opposition à davantage de retenue et de modération dans ses critiques !
La vérité est que ce budget correspond bien à la conjoncture incertaine que nous vivons. C'est un budget solide, qui ne met pas l'économie en porte-à-faux par des prélèvements massifs, qui ne mise pas sur la conjoncture pour engager une expansion débridée des dépenses. C'est un budget ambitieux qui sélectionne des priorités et qui les finance, un budget qui soutient la croissance par des baisses de prélèvements obligatoires.
Un budget pour la croissance
Le budget 1999 que nous avons voulu tout à la fois raisonnable et ambitieux poursuit la route tracée en 1998. Elle a donné les bons résultats que je vous ai rappelés : nous allons les consolider, grâce à une architecture budgétaire qui soutient la croissance, développe l'emploi et réduit les inégalités.
La croissance n'est pas seulement une prévision, c'est aussi un objectif de politique économique. Les choix budgétaires et fiscaux que nous faisons pour encourager le développement de l'emploi, de la demande intérieure, nous permettent d'afficher des prévisions réalistes :
*la création de 230.000 emplois marchands en 1999. La croissance sera certes un peu moins forte que l'an dernier, mais elle sera plus riche en emplois grâce, notamment, à la montée en puissance de la réduction du temps de travail. J'ajoute qu'une autre montée en puissance, celle des emplois jeunes, nous autorise à prévoir au total 300.000 créations d'emplois dans l'ensemble de l'économie l'an prochain.
*la croissance du revenu des ménages de 2,5 % en 1999, après 2,8 % cette année, soit des niveaux inconnus depuis le début de la décennie qui contribuent, eux aussi, à consolider la croissance.
*une augmentation de l'investissement qui devrait approcher les 6 %, en 1999 comme en 1998, soit une accélération très notable comparée à 1997, où il était en baisse de 0,1 point.
Et si nous ne raisonnons plus au niveau du seul budget de l'État, mais à celui de l'ensemble des administrations publiques, quelles conclusions pouvons nous tirer ?
*le déficit public sera ramené à 2,3 % en 1999. C'est un effort considérable, qui représente une baisse de l'ordre de 50 MdF. J'entends parfois que la France ne fait pas assez dans son effort de réduction des déficits. Revenons-en encore une fois aux faits : le déficit aura été réduit de 0,5 point en 1998 (si l'on met de côté la soulte de France Télécom en 1997, qui était une " recette de poche " de près de 40 MdF), et encore de 0,7 point l'an prochain. Cela me semble un bon rythme. Il est, soit dit en passant, l'un des plus élevés parmi nos partenaires européens. J'ajoute que nous atteindrons l'an prochain deux " équilibres " dont nous nous étions éloignés depuis des années : l'équilibre primaire pour le budget de l'État, et l'équilibre tout court pour le régime général de la sécurité sociale.
*comme le veulent nos concitoyens et fidèles à nos engagements, les prélèvements obligatoires devraient à nouveau baisser de 2 dixièmes de points en 1999, alors que les impôts n'avaient fait qu'augmenter depuis 1993 pour atteindre un maximum absolu en 1997. Là encore, nous confirmons le cap, qui est à l'opposé du précédent. Alors qu'entre 1993 et 1996, la part du surplus de richesse créé pendant l'année qui était prélevé par la sphère publique était de 60 % en moyenne, avec un pic de 87 % en 1996, cette part sera ramenée à 40 %, en 1998 comme en 1999.
*enfin, la part de la dépense publique dans le PIB diminuera encore de près d'un point en 1999. Cela ne nous empêche pas de financer nos priorités, comme vous allez le voir, mais un tel schéma apparaît comme globalement vertueux.
Le budget de l'État s'inscrit pleinement dans cette stratégie globale. Je dirais même qu'il y contribue très activement :
*pour la baisse du déficit, l'État effectue à lui seul plus de la moitié de l'effort, avec une diminution de 0,4 point sur les 0,7 points que j'évoquais tout à l'heure. Sur la période 1997-1999, le déficit de l'État aura diminué de 60 MdF, soit trois fois plus que sur la période 1993-1996.
*la hausse des dépenses est fixée à 1 % en volume, ce qui permet de financer les priorités du Gouvernement, en particulier toutes les lois que vous avez adoptées depuis l'été 1997, par exemple sur l'exclusion, les emplois-jeunes ou encore la réduction du temps de travail.
*la baisse des prélèvements obligatoires de 0,2 point est enfin due à l'impulsion des réformes fiscales de ce projet de loi de finances.
Au total, nous avons opté pour une approche équilibrée, adaptée, pragmatique, en partageant nos marges de manuvre en trois tiers à peu près égaux pour financer nos priorités (16MdF), baisser les impôts (16 MdF) et baisser le déficit (21 MdF).
Le refus du dogmatisme
En tout état de cause, je ne peux pas adhérer aux approches dogmatiques, qui ne tiennent pas compte de notre environnement économique et social. Depuis les propositions de Messieurs Méhaignerie et Madelin, nous savons ce que serait un budget de droite, bien qu'il y ait des divergences notables entre les deux. Ce serait tout simplement un budget déflationniste, avec une baisse des dépenses en francs courants, extrêmement brutale. Je pense qu'il faut remonter à 1935, au gouvernement Laval, pour trouver l'exemple d'une telle politique.
Monsieur Méhaignerie préconise la " croissance zéro " des dépenses. Par rapport au projet de budget pour 1999, cela signifie 37 MdF de dépenses en moins. Pour y parvenir, il faudrait remettre en cause l'accord salarial de février dernier, stopper le programme des emplois-jeunes, le programme de lutte contre les exclusions, geler les minima sociaux, réduire les aides au logement, entre autres, c'est-à-dire revenir sur l'ensemble des mesures adoptées depuis un an et demi, et encore, avec tout ce que j'ai énoncé, je suis loin de saturer l'enveloppe des 37 MdF. En un mot, il faudrait revenir sur le choix exprimé par les Français au printemps 1997 pour remettre au goût du jour les procédés qu'ils ont clairement écartés et dont les résultats, tant sur le moral des ménages que celui des entreprises, tant sur le plan social qu'économique, sont connus de tous.
Monsieur Madelin fait encore mieux, puisqu'il propose une baisse des dépenses de 55 MdF. Mais quand je dis " fait " , je m'avance beaucoup, car j'ai souvenir qu'il a fait exactement le contraire quand il était au pouvoir, en accroissant les impôts de 60 MdF au seul titre de la hausse de TVA.
En un mot, je vois que vous êtes plus créatifs quand vous êtes dans l'opposition, si j'en juge par les budgets que vous avez réalisés entre 1993 et 1996, qui ne sont pas tout à fait ceux que vous appelez de vos vux aujourd'hui. En fait, vous nous demandez de défaire aujourd'hui ce que vous aviez fait quand vous étiez au pouvoir.
Vous nous demandez ainsi de baisser les impôts en invoquant maintenant à l'appui l'exemple de nos amis allemands. On pourrait sourire de voir Gerhardt Schroeder devenir votre nouvel héraut, après Tony Blair l'année dernière ! En vérité, les Allemands viennent d'annoncer une baisse d'impôts sur quatre ans dont le volume n'est pas - loin de là - supérieur à ce que nous engageons, et dont le contenu s'explique facilement : là-bas, le rendement de l'impôt sur le revenu est équivalent à celui de la TVA ; ici, il est plus de deux fois moindre, notamment après l'augmentation à laquelle vous avez procédé en 1995. C'est pourquoi les Allemands commencent par baisser l'impôt sur le revenu quand nous commençons par diminuer la TVA. Mais, ici comme là-bas, nous réduisons les impôts pour soutenir la croissance.
J'en ai fini avec le cadrage global du budget pour 1999, mais il reste beaucoup à en dire, puisque je ne suis pas rentré dans le contenu même des mesures budgétaires et fiscales. Or nous n'avons pas modifié ce budget qu'à la marge, par des hausses de dépenses et des baisses d'impôts. Nous avons travaillé sur l'ensemble des dépenses et l'ensemble des recettes, pour modifier en profondeur la structure de l'action publique au profit de nos priorités.
Nous présentons aujourd'hui un budget de réformes qui tourne le dos au conservatisme. Il ne s'agit pas d'un " grand soir " fiscal dont l'ampleur même conduit à renoncer. Mais, avec la suppression de la taxe professionnelle sur les salaires, le rattrapage de la fiscalité du gazole sur la fiscalité de l'essence, les baisses ciblées de TVA, la baisse des droits de mutation, il s'agit de réformes profondes dont chacune, ou presque, aurait suffi par le passé à nourrir une loi de finances. Il en est de même de la révision des valeurs locatives qui vous sera présentée dans le collectif faute de place dans le PLF. Christian Sautter reviendra plus longuement sur ces réformes fiscales.
Nous présentons aujourd'hui un budget plus à l'écoute des attentes des Français. La réglementation est trop prégnante ? 15 millions de formulaires sont supprimés pour améliorer la vie quotidienne des Français et en particulier celle des commerçants, des artisans et des PME. Les prélèvements obligatoires sont excessifs ? Ils sont réduits de 0,2 point de PIB. Les impôts sont trop lourds ? Ils sont allégés de 16 milliards de francs. Les impôts sont trop nombreux ? Huit d'entre eux, et notamment les timbres sur les cartes d'identité et les droits d'examen pour le permis de conduire, sont purement et simplement supprimés.
Nous présentons enfin aujourd'hui un budget plus juste. Au total, si nous prenons en compte l'ensemble des mesures qui ont été adoptées depuis juin 1997, que constatons-nous ? D'une part, que les prélèvements sur les revenus du travail ont diminué de 20 MdF, quand les prélèvements sur le capital ont augmenté de 28 MdF. D'autre part, que les prélèvements sur les 90 % des ménages appartenant aux classes moyennes et populaires ont diminué de 7,5 MdF quand ceux pesant sur les 10 % des ménages les plus riches ont augmenté de 12,6 MdF.
Le projet de loi de finances dont nous commençons la discussion aujourd'hui n'est pas, ou pas exclusivement, celui du gouvernement de Lionel Jospin. Il est aussi celui de la majorité de l'Assemblée nationale. Pas seulement parce que la cohérence politique et la cohésion majoritaire y conduisent. Mais parce que la concertation a été engagée très en amont et que bien des réformes qui sont présentées au Parlement trouvent leur origine dans le Parlement lui-même.
Nous avons travaillé en liaison permanente avec le président et le rapporteur général de la commission des finances que je veux tous deux remercier.
Nous nous sommes inspirés largement des trois rapports de Didier Migaud sur la fiscalité du patrimoine, de Edmond Hervé sur la fiscalité locale, de Nicole Bricq sur la fiscalité écologique.
Nous avons retenu des propositions de chacune des composantes de la gauche plurielle et il suffit de se souvenir des programmes des uns ou des déclarations des autres pour retrouver la paternité de mesures comme la réforme de la taxe professionnelle, l'augmentation du rendement de l'ISF, la baisse ciblée de la TVA sur les abonnements EDF-GDF ou sur les déchets, l'augmentation de la TIPP sur le gazole ou la diminution des droits de mutation.
Si j'assume pleinement, entièrement, totalement la responsabilité de ce projet de loi de finances, je tenais à procéder à ce rappel pour souligner la part qui revenait à chacun et, avant d'examiner les amendements, pour affirmer que je suis prêt à l'améliorer dès lors que les propositions ne dénatureront ni son sens ni bien sûr son équilibre général. Ainsi, pour ne prendre qu'un seul exemple, le gouvernement soutient la proposition de la Commission des finances d'augmenter fortement le crédit d'impôt entretien créé l'année dernière à l'initiative de François Hollande.
Ensemble nous avons bâti un bon budget, un budget de réforme et de mouvement, le dernier budget du millénaire qui met, j'en suis convaincu, la France dans les meilleurs conditions pour rentrer dans le XXIème siècle en conjuguant efficacité économique et justice sociale.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 15 octobre 2001)