Point de presse de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères avec la présidente de la du Sri Lanka, et entretiens avec la presse française les 28, 29 et 30 décembre 2004, sur le séisme dans l'océan Indien.

Prononcé le

Circonstance : Voyage de Michel Barnier au Sri Lanka et en Thaïlande les 28 et 29 décembre 2004 suite au raz de marée (tsunami) du 26 décembre 2004

Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Presse française - Radio France Internationale - Radios télévisions françaises - Télévision - Télévisions françaises

Texte intégral

(Point de presse conjoint de Michel Barnier et de Mme Chandrika Bandaranaike-Kumaratunga à Colombo le 28 décembre 2004) :
C'est un effort très rapide, très naturel que nous avons fait pour le peuple du Sri Lanka qui est tragiquement touché puisque l'on compte sans doute plus de 12.000 victimes ici, parmi lesquelles plusieurs citoyens français, sans parler de ceux qui n'ont pas été retrouvés.
C'est une tragédie pour ce pays puisque des millions d'habitants sont privés de logement, que des constructions publiques ont été détruites, des voies ferrées, un train a été emporté par la vague, avec 800 morts au moins, sans doute, qui sont découverts au fur et à mesure. On trouve difficilement les mots pour expliquer cette tragédie et cela justifie l'effort exceptionnel, qu'à la demande du président de la République et du gouvernement nous avons fait pour le Sri Lanka avec un premier avion qui est arrivé hier, une centaine de personnels pour secourir, pour aider, pour soigner, 18 tonnes de matériels d'urgence et un autre avion qui arrive demain.
Parmi toutes ces victimes, bien sûr, nous nous préoccupons des Français qui recherchent encore des proches, qui veulent repartir, qui ont été tragiquement touchés par cette catastrophe.
Nous avons également évoqué avec la présidente les leçons qu'il faut tirer d'une telle catastrophe en termes de prévention dans cette région et en quoi l'Union européenne pourrait, devra aider à l'avenir les pays de cette région dans des systèmes d'alerte et de prévention.
Q - Confirmez-vous le bilan actuel de 13.000 morts en Indonésie ?
R - La présidente sri lankaise - C'est à peu près cela, oui, environ 12.000 et nous pensons que ce chiffre pourra augmenter au fur et à mesure que l'on retrouvera les cadavres.
Q - Et combien y a-t-il de disparus ?
R - La présidente sri lankaise - On ne sait pas encore, il y a des chiffres qui viennent de partout mais, très probablement, les disparus seront probablement bientôt comptabilisés parmi les morts.
Q - Qu'attendez-vous encore comme soutien humanitaire ?
R - La présidente sri lankaise - Pour le moment, nous avons eu beaucoup de soutien humanitaire sous forme de nourriture, de vêtements, de médicaments, des médecins. Maintenant, ce dont nous avons besoin, ce dont nous aurons besoin très vite, c'est d'une aide à la reconstruction. Il y a beaucoup de chemins de terre, des écoles, des bâtiments, des hôpitaux qui ont été détruits, des maisons appartenant à des gens et nous aurons à reconstruire tout cela. Nous serons donc obligés, nous pensons en tout cas demander une assistance à la communauté internationale pour certaines de ces choses.
Nous avons aussi besoin d'aide psychiatrique pour les gens qui sont traumatisés, il y a beaucoup de personnes qui ont quitté leur maison au bord de la mer et qui ont peur de nouvelles répliques en mer. Nous avons besoin de soigner ces gens, nous avons un manque énorme de psychiatres dans le pays. Mais, nous ne pouvons pas demander cela à la communauté internationale car nous avons besoin de personnes qui parlent notre langue.
Q - Et quelle est la grande urgence ?
R - La présidente sri lankaise - Pour le moment, les choses dont nous avons besoin de manière très urgente sont ce que je viens d'énoncer. Pour le reste, nous avons assez d'aide pour le moment.
Maintenant, nous avons vraiment besoin d'une aide très rapide à la reconstruction des maisons, des résidences, de certaines routes principales qui sont mal dégagées. Nous devons également reconstruire très vite des hôpitaux et les chemins de fer qui ont été détruits.
Q - A ce jour donc, l'aide humanitaire est suffisante donc ?
R - La présidente sri lankaise - Nous avons beaucoup reçu, il y a assez d'aide, en tout cas suffisamment pour le moment et il se peut que, dans quelques semaines, nous ayons besoin de nourriture et de médicaments. Nous avons envoyé beaucoup de camions au Nord, à l'Est et dans le Sud. Au Nord-Est, comme vous le savez, c'est une région qui était en guerre, certaines régions du Nord et de l'Est sont très difficiles à atteindre car elles sont encore sous le contrôle des rebelles, mais nous y avons quand même envoyé des camions depuis hier matin. Nous aurons probablement besoin de ravitaillement car certaines régions agricoles auront des problèmes à cause de l'eau de mer qui est entrée dans les rizières et sur les terres. Nous ne pourrons pas cultiver le riz ou quoi que ce soit d'autre pendant quelques temps, surtout dans ces régions-là, à l'Est notamment. Nous aurons donc besoin bientôt de riz, de farine.
Q - Que pensez-vous de l'aide française ?
R - La présidente sri lankaise - Nous sommes très reconnaissants au gouvernement français pour toute cette aide qui a été envoyée très, très vite. La France est loin du Sri Lanka et pourtant, cette aide nous a été envoyée très rapidement, en 36 heures, après la catastrophe. Nous apprécions beaucoup ce signe de solidarité et cette assistance que la France nous a donnée.
Q - J'ai du mal à comprendre, vu l'ampleur de la catastrophe, comment a-t-on pu atteindre un seuil suffisant d'aide humanitaire ?
Vous dites que vous avez suffisamment d'aide, au moins à court terme ?
R - La présidente sri lankaise - Nous avons suffisamment de nourriture à court terme, parce que nous avons reçu beaucoup et aussi parce que nous avons utilisé les denrées de notre pays. Dans notre pays, nous avons assez de nourriture pour 2 ou 3 mois dans des conditions normales. C'est dans un mois que nous aurons très probablement besoin de ravitaillement. Ce dont nous avons encore besoin, c'est de médicaments. Il vous faut savoir qu'il y a environ une vingtaine de pays qui nous ont envoyé des choses, surtout des médicaments et des médecins et une partie de nourriture.
Le secteur privé de notre pays, les grandes compagnies, les individus eux-mêmes ont beaucoup aidé, d'une façon magnifique, ils récupèrent toutes sortes de choses pour aider.
R - Le ministre - Il y aura besoin d'une coopération pour aider à cette reconstruction et nous avons évoqué avec la présidente également cette idée de la prévention contre les risques de raz-de-marée ou de tremblements de terre. Nous ne pouvons pas empêcher ces catastrophes mais au moins on peut en limiter les conséquences. Et probablement, il y a là, dans cette région d'Asie, une raison encore plus urgente de créer un centre pour tous ces pays, financé par la communauté internationale, pour étudier les risques sismiques, les risques de tremblements de terre, de raz-de-marée, les prévenir par un système d'alerte et d'informations qui soit décentralisé dans chacun des pays.
Je pense que la communauté internationale, le Japon qui est habitué à de telles catastrophes, les Etats-Unis, l'Union européenne ont une responsabilité partagée dans la mise en place d'un tel système pour tous ces pays.
Nous travaillerons à cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 décembre 2004)
(Entretien avec France 2 à Colombo le 28 décembre 2004) :
Q - Vous qui êtes sur place comment évaluez-vous la situation sur place ?
R - C'est une tragédie et, vous le voyez, avec toutes ces images qui défilent sur votre antenne, une tragédie humaine, humanitaire, économique, écologique, qui a touché ce pays comme tous les autres de la région. Mais ici c'est un petit pays, il y a 19 millions d'habitants, dans lequel un million et demi d'habitants ont perdu leur logement, où les trains ne circulent plus, les écoles, les hôpitaux ont été détruits ; vous avez vu cette extraordinaire tragédie de ce train qui a été basculé par une vague, avec sans doute 1.500 personnes qui ont été tuées.
J'ai vu la présidente de la République tout à l'heure, j'ai vu les Français qui sont regroupés ici, à Colombo, que nous allons ramener demain vers Paris, j'ai vu des blessés aussi. C'est une vraie tragédie qui justifie le signal de solidarité que le président de la République et le gouvernement ont voulu donner, non seulement avec les mots que je peux prononcer ici, vis-à-vis des Sri Lankais, mais aussi avec des gestes, de l'action, du soutien humanitaire et du matériel.
Ce qui m'a beaucoup frappé en écoutant les Français que j'ai entendu raconter leur tragédie et leurs peurs, c'est l'extraordinaire leçon d'humilité et de responsabilité, de dignité qu'ils ont reçue de la part des Sri Lankais qui ont presque tout perdu et qui pourtant ont partagé le peu qui leur reste pour aider les touristes et les Français. Cela m'a beaucoup ému et beaucoup frappé.
Q - Que faut-il faire pour rendre l'aide internationale la plus efficace possible ?
R - Nous sommes arrivés hier avec un premier avion, une centaines de secouristes, 18 tonnes de matériel, demain un autre avion affrété par les ONG arrive ; maintenant, le plus important, comme vous l'avez compris, c'est que cette aide arrive là où on en a besoin : vers les côtes, là où les pêcheurs ont perdu leurs bateaux, là où les touristes ne viendront plus avant un certain temps, donc il faut apporter cette aide par des hélicoptères, par des transports, c'est ce que font les autorités du Sri Lanka, et c'est ce qui doit se faire un peu partout. Demain je vais me rendre à Phuket pour voir d'autres Français et d'autres habitants de Thaïlande qui ont été touchés par cette tragédie.
Q - Monsieur Barnier, très rapidement, avez-vous des informations très précises sur le nombre de Français qui sont décédés, qui sont portés disparus notamment à Phuket, à Khao Lak ?
R - Au moment où je vous parle il y a 14 Français qui sont morts dans cette tragédie sûrement, à peu près 35 ou 37 que nous recherchons, qui ont disparu, 105 Français sont blessés et d'ailleurs j'en ramènerai un certain nombre demain soir vers Paris et puis probablement il y a plusieurs dizaines de Français qui sont recherchés, dont nous ne savons pas où ils sont. Beaucoup de Français, beaucoup d'Européens étaient partis en vacances sans dire ni quand ni où ils allaient ; donc il faudra malheureusement considérer, que ces chiffres que je vous donne avec beaucoup de précaution, sont des chiffres provisoires.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 décembre 2004)
(Entretien avec RFI à Colombo le 29 décembre 2004) :
Q - On parle d'une catastrophe d'une ampleur incroyable en Asie du Sud, vous diriez cela ?
R - Oui, je peux absolument dire cela et maintenant que je suis arrivé dans cette région, franchement, tout ce que l'on voit, tout ce que l'on entend, tous les témoignages qui sont apportés sont à la fois très émouvants et montrent bien qu'il s'agit, dans l'histoire des 40 ou 50 dernières années, d'une catastrophe sans commune mesure : on en est à 23.000 victimes sans parler de tous les disparus, les infrastructures sont totalement détruites dans beaucoup de régions du Sri Lanka, de la Thaïlande, des Maldives. Des économies déjà très faibles, qui vivaient par le tourisme, se trouvent en grande partie déstructurées ; il y a beaucoup de raisons à la solidarité, aux mouvements de soutien que nous témoignons tous, les uns et les autres, l'Europe, les Etats-Unis et naturellement la France qui a été, ici, la première à envoyer un avion avec une centaine de secouristes et 18 tonnes de matériel de première urgence. Demain, un deuxième avion arrivera et tous nos compatriotes qui ont pu être regroupés dans les hôtels, dans lesquels je suis allé les saluer tout à l'heure, vont repartir demain pour Paris.
Q - Qu'est ce qui vous paraît aujourd'hui la priorité des priorités en matière d'aide?
R - La présidente du Sri Lanka, que j'ai longuement rencontrée tout à l'heure, Mme Kumaratunga, m'a dit qu'au niveau des vivres, ils pouvaient maintenant faire face pour les jours qui viennent avec tout ce qu'ils ont reçu du monde entier. Ils ont besoin de médecins, de psychologues. Ils vont avoir besoin d'argent aussi, pour reconstruire les infrastructures, les écoles, les voies ferrées. Ici au Sri Lanka, on a appris ce drame épouvantable, parmi d'autres, d'un train qui longeait la côte et qui a été emporté par cette vague. Probablement il y a 800, 900 morts dans ce train sous les eaux, puisque le train a basculé de l'autre côté de la voie ferrée puis a été englouti. Il faut beaucoup d'argent donc pour reconstruire et probablement aussi, nous en avons parlé, une aide particulière pour aider cette région à mieux prévenir ces catastrophes, qu'il s'agisse de tremblements de terre ou de raz de marée, avec des systèmes dans chaque pays pour donner l'alerte quand on le peut.
Q - Cela, ce sera dans un deuxième temps, j'imagine qu'effectivement l'aide aujourd'hui que la France dégage, va devoir se poursuivre dans les semaines ou les mois qui viennent.
R - Je veux dire deux choses à propos de cette aide : tous les Français qui m'ont parlé - et ils ont besoin de parler, de raconter le drame qu'ils ont vécu - de la peur qui a été la leur ; ils m'ont dit qu'ils ont été frappés par la leçon d'humanité et d'humilité qui leur a été donnée par les personnes ici, par les Sri Lankais, qui n'ont pourtant pas grand chose, et qui ont partagé, qui les ont soutenus, qui les ont accompagnés. Même quand ils n'avaient pas d'essence, ils en ont trouvé pour ramener les Français vers l'ambassade à Colombo.
Je veux donner aussi un coup de chapeau à tous les secouristes de la Sécurité civile, de Secouristes sans frontières, du Samu, de Télécom sans frontières, de la Croix-Rouge, de Handicap International, j'en oublie sans doute, qui étaient déjà là pour aider ce pays dans son développement et d'autres qui sont arrivés, et qui font un formidable travail.
Il y a trois équipes françaises qui vont aller dans le Nord, l'Est, le Sud du Sri Lanka, et puis d'autres équipes qui sont avec moi dans l'avion, qui vont rejoindre Phuket, où, là aussi, il y a de nouveaux drames et d'autres drames, notamment cet hôtel qui s'est effondré.
Q - Est-ce que l'aide française va rester spécifiquement destinée au Sri Lanka ou à la Thaïlande? Ou est-ce que vous envisagez également de dégager des fonds pour les autres pays qui ont été touchés, je pense au bassin asiatique et aux trois pays africains ?
R - L'ambassade et nos consulats sont partout disponibles. Nous aidons autant que nous le pouvons, notamment tous les pays qui sont touchés par cette catastrophe. Nous sommes ici parce que c'est probablement ici qu'a eu lieu, avec ces 23.000 victimes, la plus sérieuse tragédie et puis nous sommes partout solidaires des pays qui sont touchés, des habitants de ces pays et de nos compatriotes quand nous en avons sur place.
La cellule d'urgence fonctionne aussi de manière parfaite et impeccable au Quai d'Orsay. Vraiment, il y a un mouvement de solidarité qui prouve que le mot de fraternité, qui est sur le fronton de nos mairies, veut dire quelque chose.
Q - Est-ce que la présidente du Sri Lanka vous a fait part d'une inquiétude particulière concernant les épidémies, les risques d'épidémie ?
R - Oui, il y a ce risque d'épidémie parce que dans beaucoup d'endroits il y a des corps qui sont découverts progressivement, et dans des conditions difficiles. Il y a ces risques d'épidémie, ces risques de maladies et donc, il faut des médecins, m'a-t-elle dit. Ils ont besoin de médecins. C'est ce que nous avons en partie pris en compte dans les besoins qui nous ont été exprimés par le Sri Lanka.
Q - Plus spécifiquement, le Sri Lanka a aussi à faire face à une rébellion dans le Nord du pays, ça complique la tâche dans cette période si difficile?
R - Il y a bien sûr cette instabilité politique et ce conflit que nous connaissons bien. Le sentiment que j'ai eu en discutant avec la présidente de la République et en discutant ici avec les gens qui sont chargés des secours est que Dieu merci, on ne tient pas compte de cette instabilité politique, de ce conflit, pour apporter des secours. On les apporte là où il y en a besoin et, par exemple, l'essentiel des équipes françaises qui sont arrivées hier vont aller dans le Nord du pays et une autre équipe ira dans le Sud.
Q - Là-bas dans le Nord, l'eau a déterré les mines, donc cela pose un autre problème en terme de soutien aux populations.
R - Nous en avons effectivement parlé avec les gens de Handicap International qui font un formidable travail contre les mines antipersonnel, partout dans le monde, qui sont très vigilants et apporteront également cette aide spécifique dont le Nord a besoin.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez visité l'hôpital de Colombo, est-ce que vous pouvez décrire ce que l'on y voit?
R - C'est un hôpital moderne qui est très bien tenu et j'ai voulu remercier les personnes que j'ai rencontrées. J'y ai vu un Français qui a été accidenté et qui est sans nouvelles de sa famille pour l'instant, et à qui je voulais dire un mot de solidarité.
Ici, à Colombo, on n'a pas vraiment un sentiment de catastrophe parce qu'elle ne s'est pas produite, ni autour de la ville, ni dans la ville qui est la capitale. Elle s'est produite sur les côtes, donc on a le sentiment un peu paradoxal d'une ville qui fonctionne, qui tourne et où la solidarité est organisée. Mais en même temps, c'est dans les campagnes et vers les côtes que les secours et les vivres doivent être apportés.
Une fois encore, les Sri Lankais font un formidable travail de solidarité. Cela sera peut-être le sentiment que j'emporterai d'ici, et qui a beaucoup touché tous les Français qui ont été concernés par cette tragédie.
Q - Et vous avez l'impression qu'en retour le déplacement d'un ministre français sur place, le soutien international, les fonds, le matériel qui commencent à arriver, tout cela réconforte les populations sinistrées ?
R - C'est le sentiment que je peux emporter. Naturellement, je suis le moins bien placé pour dire cela mais prenons en considération le fait que, comme l'ont souhaité le président de la République et le Premier ministre en me demandant de venir immédiatement, le premier avion gouvernemental est arrivé hier avec une centaine de secouristes et 18 tonnes de vivre. Des organisations non-gouvernementales enverront un deuxième avion demain ; toutes ces équipes, cette présence, ces mots qu'on prononce - il y a de l'argent qui est en jeu, il y a de la technique, il y a du matériel - mais il faut aussi parler avec les gens quand ils sont dans le malheur. Je crois qu'il est important qu'on le fasse les uns et les autres.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 décembre 2004)
(Entretien avec des télévisions et la presse françaises à l'issue du vol en hélicoptère à Phuket le 29 décembre 2004) :
C'est très émouvant de voir ce lieu de vacances qui est devenu un linceul en quelque sorte, avec tous ces corps allongés, le long de cet hôtel qui s'est effondré. Je pense en effet à toutes les familles qui ont été décimées, amputées, que nous essayons d'accompagner maintenant pour ceux qui restent là. C'est un moment de solidarité, un moment d'émotion partagé. Au-delà de cela, il y a aussi toute cette économie qu'il va falloir reconstruire, dans ces pays comme dans tous les autres de la région.
Q - Et l'aide pour l'instant qui va rester ici, c'est surtout pour rapatrier les corps, les blessés, identifier les corps. Vous pensez que cela va prendre du temps ?
R - On agit sur plusieurs plans, naturellement. Il y a d'abord toutes les victimes ici. On ne les connaît pas encore toutes. Il y a beaucoup de corps qui ne sont pas identifiés. Donc nous avons emmené des équipes spécialisées pour procéder à ce travail très particulier, très difficile, d'identification. Puis, il y a des familles qui ont perdu l'un des leurs, il faut les accompagner psychologiquement, c'est une deuxième aide qu'apporte la France, avec des équipes de psychiatres et de psychologues. Il y a plus de 165 blessés qui ont été rapatriés sur Bangkok et bientôt sur Paris. Certains d'ailleurs vont partir avec nous dans un instant. Nous essayons d'apporter une aide sur tous ces plans, à la fois pour accompagner les autorités thaïlandaises et pour aider nos compatriotes.
Q - Et pensez-vous que les secours thaïlandais sont bien organisés ?
R - J'ai vraiment eu le sentiment, en rencontrant le ministre de l'Intérieur thaïlandais, en visitant un hôpital tout à l'heure où se trouvent des blessés français, que les autorités de ce pays avaient bien et rapidement réagi. C'est un pays qui est assez bien organisé par rapport à d'autres, comme le Sri Lanka, où nous étions hier, qui est dépourvu de tout. J'ai eu le sentiment d'une réaction très rapide et d'une grande solidarité dans ce pays, comme dans tous les autres, de la population locale à l'égard des touristes. Cela m'a beaucoup frappé, au Sri Lanka comme ici, que tous les Français qui sont touchés me disent qu'ils ont été émus par l'humilité, la solidarité, le respect des habitants du pays, alors même que ces personnes étaient elles-mêmes touchées.
Q - Avez-vous une idée du temps qu'il faudra pour avoir un bilan un peu plus précis des victimes françaises ?
R - Au moment où je vous parle, nous savons qu'il y a une vingtaine de Français décédés et 165 blessés. Il y a des centaines et des centaines de Français qui ont disparu dont nous n'avons pas de nouvelles. Un certain nombre d'entre eux ont malheureusement été tués. On va le savoir au fur et à mesure des jours qui viennent. D'autres probablement sont rentrés par leurs propres moyens dimanche ou lundi. Nous demandons donc à ces Français de se faire connaître pour nous aider à faire un recensement le plus rapide et le plus objectif possible, en téléphonant à notre cellule d'urgence au Quai d'Orsay.
Q - Une centaine, vous avez dit. Une centaine de milliers ?
R - Plusieurs centaines de Français sont portés disparus. Cela ne veut pas dire qu'ils aient été des victimes. Mais nous ne savons pas où ils sont. Donc, cela fait beaucoup de Français dont nous voulons avoir des nouvelles. Alors, encore une fois, ceux qui sont rentrés doivent nous le dire, afin que l'on puisse travailler ici, que nos équipes puissent travailler ici dans de bonnes conditions.
Q - Que vous inspire cette désolation ?
R - Cela m'inspire une immense compassion, beaucoup de chagrin partagé. Tout à l'heure, à Phuket, j'ai rencontré des hommes qui ont perdu leur femme, leur enfant. Là, sur l'un des sites de cette tragédie, qui était un lieu de vacances il y a quelques jours encore, un lieu de joie familiale, qui est devenu une sorte de linceul, franchement, j'ai été très ému. On voit bien la force de cette catastrophe, puisque des dizaines et des dizaines de bungalows d'hôtels ont été totalement détruits et cette vague a pris par surprise des familles entières. J'ai donc été très ému et je pense à toutes ces familles. C'est aussi ce que je suis venu porter ici, au nom du gouvernement français, un message de solidarité et de compassion.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 décembre 2004)
(Entretien avec des télévision françaises à Phuket le 29 décembre 2004) ;
Q . Concernant les victimes françaises, est-ce que vous pouvez aussi nous donner un bilan un peu plus précis ce matin ?
R . Au moment où je vous parle, ici en Thaïlande, nous déplorons 19 morts français. Je dois dire ici qu'il y a eu 165 blessés dont quelques-uns reviendront avec moi à Paris tout à l'heure. Il y a plusieurs centaines de personnes dont nous n'avons pas de nouvelles qui ont disparu ou qui n'ont pas donné de nouvelles et que nous voulons rechercher. Voilà pourquoi je souhaiterais que tous les Français qui sont revenus chez eux, sains et saufs, par des vols commerciaux dimanche ou lundi, après cette catastrophe, puissent nous le signaler, notamment en appelant la cellule de crise du ministère des Affaires étrangères, dont le numéro est le suivant : 0 800 174 174, simplement pour que nous puissions faire ces vérifications. Et vous me permettrez d'ajouter, en présence du ministre de l'Intérieur thaïlandais, un témoignage de solidarité que j'ai voulu apporter au nom du gouvernement français à ce pays qui est touché, comme tous les autres pays de la région, très gravement. Il y a beaucoup de victimes, beaucoup d'installations détruites. Nous sommes solidaires, pas seulement avec des mots, nous le sommes avec des moyens, pour aider les Thaïlandais, pour aider nos compatriotes. Une équipe d'identification spécialisée arrive aujourd'hui ici à Phuket. Nous avons également mis à la disposition du gouvernement thaïlandais un avion spécialement équipé, avec tous les équipements nécessaires pour l'observation des côtes. Nous sommes solidaires et c'est ce que je suis venu dire ici à Phuket au gouvernement et à la population thaïlandaise.
Q . Est-ce que le problème aujourd'hui à Phuket en ce qui concerne les ressortissants français est plus un problème de blessés ou un problème d'identification des cadavres ?
R . Il y a trois problèmes ici-même à Phuket et dans les îles environnantes : d'abord, aider les familles, et des équipes de soutien psychologiques et psychiatriques sont arrivées, y compris dans l'avion qui me conduisait de Paris, et qui vont rester ici. Les blessés sont de moins en moins présents à Phuket. Beaucoup ont été ramenés vers Bangkok avant de revenir en France. Il y a aussi en effet un vrai problème, pas seulement pour les Français, d'identification de beaucoup de victimes. Voilà pourquoi une équipe spécialisée arrive également de Paris aujourd'hui pour aider les autorités thaïlandaises à cette identification. Je veux redire que nous avons besoin de savoir, pour vérifier le nombre de victimes, qui est revenu en France depuis deux ou trois jours. Tous ceux qui sont revenus en France par leurs propres moyens, dimanche et lundi, après cette tragédie, nous avons besoin qu'ils nous le disent, qu'ils téléphonent à la cellule d'urgence du Quai d'Orsay au 0 800 174 174. Que l'on retienne ce numéro et qu'on nous signale si on est revenu par ses propres moyens, cela nous permettra de préciser le nombre de victimes françaises ou de personnes disparues.
Q . (A propos de la coordination de l'aide et de la prévention des risques)
R . Je pense qu'on voit un formidable élan de solidarité et je pense que des leçons devront être tirées. Franchement, tous ces pays, y compris les plus pauvres, ont été très rapidement aidés par la communauté internationale. Il y a probablement une leçon à tirer qui concerne la prévention d'une telle catastrophe qui n'avait pas été imaginée et je pense que - j'en ai parlé avec la présidente de la République du Sri Lanka, je viens d'en parler avec le ministre de l'Intérieur -, dans cette région, tous ces pays qui ont été touchés devraient être dotés d'un centre permanent d'étude et d'observation des risques sismiques avec, dans chacun des pays, des antennes de prévention pour donner l'alerte. On le fait bien pour les typhons ! Bien sûr, nous sommes ici devant un autre risque, celui de tremblements de terre et de raz-de-marée, mais on voit bien que cela peut provoquer une tragédie humaine, humanitaire et écologique avec ces dizaines de milliers de morts en quelques heures. Je pense que la communauté internationale doit aider ces pays à se doter d'un tel de recherche et de prévention des risques sismiques et d'alerte pour chacun des pays.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2005)
(Entretien avec France 2 à l'émission Les Quatre Vérités à Paris le 30 décembre 2004) :
Q - Vous êtes rentré cette nuit de Thaïlande avec douze Français, gravement blessés, qu'il fallait rapatrier d'urgence. Quel bilan ce matin, peut-on faire du nombre de Français qui ont été tués, blessés ou qui ont disparu dans cette catastrophe ?
R - Beaucoup de familles ont en effet frôlé la mort et d'autres l'ont rencontrée. Aujourd'hui, il y a vingt et un Français qui sont morts dans cette catastrophe, quatre-vingt dix Français ont disparu et on peut penser malheureusement que beaucoup d'entre eux sont décédés. Et puis, il y a eu 242 blessés, dont quelques-uns que j'ai pu ramener cette nuit depuis l'île de Phuket. D'autres sont dans les hôpitaux à Bangkok et dans d'autres centres.
Il y a aussi des centaines de Français dont nous n'avons pas de nouvelles. Il ne faut pas forcément craindre le pire pour eux, mais nous avons besoin de savoir. Et c'est la raison pour laquelle, j'ai lancé hier matin, depuis la Thaïlande, un appel à tous ceux qui sont rentrés par leurs propres moyens, pour qu'ils nous le disent. Que ceux qui sont rentrés par des vols charters, par des vols réguliers, veuillent bien téléphoner à la cellule d'urgence du Quai d'Orsay, au 0800 174 174 ; je répète : 0800 174 174. Qu'ils nous disent ce qu'ils sont devenus. S'ils sont revenus, nous pourrons ainsi travailler sur des chiffres plus fiables, et puis pouvoir faire des recherches plus efficaces.
Q - Dans quel état psychologique avez-vous trouvé les Français que vous avez rencontrés ?
R - Naturellement, cet état est différent selon les familles qui ont été victimes et amputées d'un membre, de deux membres. J'ai vu des pères, des mères de famille qui n'ont pas pu retenir leurs enfants. Ce sont des situations épouvantables, et franchement je veux dire ce matin, et la compassion et la solidarité, la peine partagée qui est celle du président de la République, du Premier ministre, celle de tous les membres du gouvernement avec ces familles. Et puis il y a ceux qui, comme on vient de l'entendre sur votre antenne, ont échappé parfois par miracle à ces eaux, à ces flots d'eau qui ont envahi leur chambre d'hôtel, qui ont tout bousculé, tout détruit.
A l'île de Phuket, j'ai survolé hier l'hôtel Sofitel où, malheureusement, il y a probablement beaucoup de Français qui ont été victimes de cet effondrement de l'hôtel. C'est comme s'il n'y avait plus rien. Je ne veux pas seulement qu'on pense aux Français ou aux Européens, parce qu'ils étaient là comme touristes ou comme visiteurs, il faut penser aussi à ces dizaines de milliers de Sri Lankais, d'Indonésiens, tous ces habitants de l'Asie qui ont été touchés par cette catastrophe.
Q - Vous vous êtes donc effectivement rendu sur place. Un véritable spectacle de désolation, on parle de "catastrophe du siècle" ; c'est le mot ?
R - Je pense que de mémoire d'homme, on n'a pas connu une telle catastrophe dans laquelle un tremblement de terre s'ajoute ou provoque des inondations, et un raz de marée, touche plusieurs pays à la fois, tous les pays riverains de l'Océan indien et provoque autant de morts d'un seul coup. Oui, c'est une catastrophe sans précédent, et cela explique qu'il faille une réponse sans précédent.
Q - Alors catastrophe sans précédent, moyens sans précédents ; qu'est-ce que la France peut faire immédiatement ?
R - Dans une telle catastrophe naturelle, écologique, mais d'abord humaine, humanitaire, il faut réparer tout ce que l'on peut réparer. Et tout n'est pas réparable, malheureusement. Donc, nous envoyons des secours, des équipes auxquelles je veux rendre hommage, qui sont sur place pour faire toute sorte de travaux : il y a des équipes psychologiques pour soutenir nos compatriotes, il y a des aides humanitaires pour aider les habitants de ces pays, par exemple des systèmes d'eau potable, d'assainissement, des rations pour les nourrir.
Q - Il y a des moyens financiers qui vont être dégagés aussi ?
R - Nous avons d'ores et déjà décidé d'attribuer 22 millions pour faire face à cette catastrophe, simplement en tant que Français. 15 millions qui vont transiter par les Nations unies ; c'est ce que vient de décider le Premier ministre. Il faut aussi reconnaître les corps, et nous avons donc des équipes spécialisées de la gendarmerie qui sont parties, deux équipes, pour participer à la reconnaissance, à l'identification des corps, autant que c'est possible.
Q - Est-ce qu'il ne faudrait pas coordonner au niveau européen tous ces moyens ?
R - Après la réparation, et nous sommes dans l'urgence de cette réparation et de cette solidarité, il faut sans doute tirer des leçons d'une telle catastrophe pour l'avenir. Je pense en effet qu'on peut mieux coordonner. Par exemple, je pense vraiment que l'idée que j'avais soutenue, lorsque j'étais commissaire européen, d'une force européenne de protection civile, est une idée juste. Qu'il y ait quelque part en Europe, un état-major léger qui coordonne, qui mutualise des forces, avec des équipes, des unités spécialisées de chacun de nos 25 pays européens, de telle sorte que ces équipes, quand c'est nécessaire, partent ensemble. Qu'elles le fassent non seulement quand il y a une catastrophe en Europe - et il y en a eu : tremblement de terre en Grèce, en Turquie, ou inondations en Allemagne et en France, la tempête... -, mais qu'elles puissent partir à l'autre bout du monde, et sous le drapeau européen, avec le drapeau national. Je suis sûr que cette idée est juste, et je souhaiterais qu'on tire cette première leçon.
Q - Mais dans l'immédiat, comment la coordination va pouvoir se faire, parce que l'important, c'est que l'aide arrive là où il le faut, là où on en a besoin ?
R - Elle se fait cette coordination. Par exemple, au Sri Lanka, ce sont des équipes françaises qui ont été chargées par les Européens de la coordination. Les Nations unies le font également, les ONG qui font un formidable travail. Mais naturellement, on ne peut pas accéder partout, parce que physiquement c'est impossible. Il y a aussi des troubles politiques au Sri Lanka ou en Indonésie, qui peuvent provoquer des retards. Et puis, il y a des autorités gouvernementales dans chacun de ces pays qui ont la charge de la première coordination.
Je pense qu'il y a d'autres leçons à tirer, si vous me permettez d'ajouter un mot pour l'avenir, toujours : prévenir ; la prévention coûte toujours moins cher que la réparation. Or ici, il n'y a pas de système de prévention dans l'Océan indien, comme il en existe dans le Pacifique à propos des tremblements de terre.
Q - On a dit qu'avec un système d'alerte comme celui qui existe dans le Pacifique, le nombre des victimes aurait été sans doute beaucoup moins élevé.
R - C'est difficile de le garantir, mais je suis sûr que si on avait eu un système, un centre commun d'analyse et de prévision du risque sismique dans l'Océan indien, relayé dans chacun de ces pays à des systèmes d'alerte immédiate, y compris le long des côtes, il y aurait probablement eu moins de victimes. Donc, il faut que la communauté internationale finance un tel centre pour l'Océan indien, et l'Union européenne doit le faire avec les Etats-Unis ou le Japon. Et puis, permettez-moi d'ajouter un autre mot, parce que je viens de vivre cela pendant deux jours, ces catastrophes sont encore plus graves pour les pays pauvres qui n'ont rien comme le Sri Lanka ou l'Indonésie. Il faut donc, bien sûr, une coalition - comme vient de le proposer le président Bush - de l'action humanitaire. Mais il faut une autre coalition, une coalition internationale contre la pauvreté, pour le développement, et peut-être reprendre l'idée que le président de la République, M. Jacques Chirac, a émise devant les Nations unies, d'une fiscalité internationale qui donnerait enfin à l'aide au développement, à la lutte contre la pauvreté, les moyens dont nous avons besoin. Il va falloir reconstruire ces pays, il va falloir faire du développement durable dans ces pays. Cela exige des moyens que seules de nouvelles ambitions budgétaires peuvent résoudre.
Q - Sur un tout autre sujet - on l'entendait dans le journal -, une information judiciaire a été ouverte contre le député Didier Julia. Ce député qui avait mené une mission occulte pour tenter de libérer les otages français en Irak. Didier Julia parle d'une "opération politicienne", il dit qu'elle serait menée par vous. Comment réagissez-vous?
R - Franchement, je n'ai pas envie de réagir à de telles polémiques, avec tout ce que l'on voit en ce moment à la télévision. Cela ne m'intéresse pas, j'ai autre chose à faire, surtout s'agissant d'une instruction judiciaire qui vient d'être décidée, je n'ai pas de commentaire à faire. Franchement, j'ai autre chose en tête que cette polémique-là.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 décembre 2004)