Texte intégral
Ce débat sur la laïcité au sein de l'école est un débat majeur pour l'avenir de la communauté nationale et pour les valeurs de la République. Il faut lui donner sens en évitant le piège de passions excessives. Ce qui sous-tend la démarche du Président de la République, c'est en effet la volonté de promouvoir un modèle de société fondé sur la tolérance et tendu vers la cohésion.
Pour mesurer l'enjeu, rappelons les grands principes qui fondent notre citoyenneté. Celle-ci s'est édifiée sur le respect des consciences, visant à donner à tous la chance d'une libre adhésion à des convictions religieuses ou philosophiques. Elle a pour fondement la pratique collective d'une authentique tolérance. Et c'est bien ce respect des convictions de chacun qui fonde le refus des discriminations pour motifs sociaux et religieux. Cet idéal républicain implique le respect de la liberté d'autrui et la pratique de la fraternité. Il exige aussi une égale dignité de la femme et de l'homme, vers laquelle notre société s'est mise progressivement en marche, suivant en cela le principe fondamental de l'égalité.
La communauté française trouve son unité et sa fierté dans le partage de ces valeurs, et c'est pourquoi nous sommes souvent regardés dans le monde avec admiration. Cela nous rappelle que l'affirmation de ces valeurs ne s'est pas faite sans un long cheminement, parfois douloureux, ce qui confère encore plus de sens à ces idéaux.
Notre société a su distinguer clairement ce qui relève de l'Etat et ce qui procède de la religion. Il fallu pour cela s'affranchir à la fois d'une tentation cléricale hégémonique et d'une volonté de cantonner le fait religieux dans la sphère strictement privée... En se séparant de l'Etat, en acceptant la laïcité, l'Eglise catholique de France a gagné en liberté et en authenticité... Elle a fait l'effort d'intégrer la nouvelle donne du concile Vatican II... qui a reconnu officiellement que la foi ne doit être l'objet d'aucune contrainte. Je suis heureux de rappeler ici l'apport conciliaire car il converge vers l'idéal du respect de la liberté religieuse. De son côté, l'Etat a permis l'épanouissement d'une société où ceux qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas se sont retrouvés pour résister aux idéologies qui bafouaient le respect de la personne humaine. Je comprends mal certains sourires, moi qui suis né dans une famille où la Résistance a fait se rencontrer ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas !
C'est cet attachement profond à une société pluraliste, respectueuse des familles spirituelles et religieuses, que nous entendons affirmer aujourd'hui dans la défense de la laïcité. C'est pour nous tous un devoir, face à des menaces que nous ne pouvons pas ignorer. Tout se passe comme si, mettant à profit les fragilités d'une société trop individualiste, où les plus faibles sont voués à la solitude, les tentations communautaristes se faisaient plus pressantes, notamment parmi nos compatriotes les moins favorisés et insuffisamment enracinés dans notre pays. Sans doute avons-nous mis trop de temps à prendre conscience de l'influence croissante de minorités tentées de prêcher à leurs coreligionnaires le repli communautariste. Sans doute sous-estimons-nous encore aujourd'hui la dimension internationale d'un fondamentalisme qui entend ébranler les sociétés occidentales, en prenant le prétexte - pas toujours faux mais dangereux - d'une mondialisation qui creuse les fossés entre les peuples au lieu de les unir.
Nous devons nous rendre à l'évidence. Il existe aujourd'hui des menaces concrètes pesant sur le " vivre ensemble " républicain et le principe de laïcité. Ces menaces, les élus que nous sommes les connaissent bien, surtout ceux - je pense notamment à une intervention de M. Gerin - qui les affrontent dans nos banlieues : refus par des maris ou des pères de voir leurs femmes ou leurs filles soignées par des médecins de sexe masculin ; montée des pressions prosélytes dans les prisons ; multiplication des violences racistes au prétexte de motifs religieux... L'école peut ainsi devenir le lieu de cristallisation de ces revendications, notamment par des demandes de dispense de certains cours, de gymnastique, de sciences naturelles ou d'histoire. Il faut entendre ces professeurs d'histoire nous expliquer qu'il est devenu très difficile d'évoquer la Shoah et de parler du devoir de mémoire universel !
C'est dans ce contexte qu'il faut aborder la question du port de signes religieux à l'école, et notamment du voile islamique. Nous ne nions pas le fait que le port du voile puisse parfois être l'affirmation d'une sincère conviction religieuse. Mais, dès lors que des jeunes filles mineures ont été pressées - pour ne pas dire forcées - de le porter, le voile peut aussi être l'étendard d'un refus de l'intégration dans la société française. Et il n'est rien de plus grave que de faire appel au sentiment religieux pour instrumentaliser des êtres sans défense au service de prises de positions idéologiques.
Au coeur des antagonismes d'aujourd'hui, se trouve également une certaine vision de la femme, profondément inégalitaire, et même incompatible avec notre conception de la dignité de la personne humaine. Bien sûr, certains de nos concitoyens de confession musulmane peuvent éprouver le sentiment douloureux que c'est leur religion dans son ensemble qui est montrée du doigt. Tel n'est pas le cas. L'islam est aujourd'hui traversé par un affrontement entre une minorité intégriste et l'immense majorité des musulmans, qui sont attachés à une pratique tolérante de leur religion. Nous devons permettre à ces croyants, qui comptent sur nous, de vivre sereinement leur foi musulmane et leur citoyenneté française. Nous devons soutenir ces jeunes femmes musulmanes, qui désirent s'intégrer dans la société française et qui nous adressent un appel à l'aide. Nous devons apporter un message d'espoir à ceux qui mènent avec courage ce combat pour la démocratie, pour la liberté religieuse, et pour l'égalité des femmes, dans les pays du monde musulman, du Maroc jusqu'à la Turquie en passant par l'Égypte.
L'heure est donc venue d'émettre ce signal, qui n'est en rien une stigmatisation de la communauté musulmane, mais qui doit au contraire garantir au fait religieux toute sa place, en le mettant à l'abri de ceux qui cherchent à l'instrumentaliser à des fins politiques. Et si nous doutions des tentatives de pression et de manipulation, les manifestations du 17 janvier sont là pour nous ouvrir les yeux. La manière dont leurs organisateurs ont contesté par avance la loi que la République entendait se donner démocratiquement, leurs emprunts à des slogans antisémites, ne laissent pas de doutes.
Pourquoi une loi est-elle nécessaire ? Pourquoi ce signal, ce coup d'arrêt aux dérives fondamentalistes, doit-il passer par la loi ? Parce qu'il s'agit de libertés publiques, et que le seul vrai fondement d'une interdiction ne peut être que législatif.
L'avis du Conseil d'Etat de 1989 est clair : " Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas lui-même incompatible avec le principe de laïcité. " Cet avis autorisait donc le port de signes religieux à l'école, y compris le voile islamique, et cette position était logique : la loi d'orientation sur l'école de 1989 avait affirmé le droit absolu des élèves à manifester leurs convictions, le Conseil d'Etat ne pouvant que prendre en compte l'état du droit. sur la base de cet avis, la jurisprudence du Conseil d'Etat a développé une application au cas par cas. Et ce fut seulement en fonction des circonstances - si le port de signes religieux générait des troubles à l'ordre public, dénotait un comportement prosélyte ou s'accompagnait du refus de suivre certains cours - que l'interdiction était possible. Ces critères n'ont pas été faciles à appliquer. Les chefs d'établissement et les professeurs ont couru le risque d'être livrés aux rapports de force locaux et de prendre des décisions divergentes.
Les circulaires des ministres de l'éducation nationale, notamment celle de 1994, n'ont pas davantage résolu le problème, comme l'ont souligné les chefs d'établissement auditionnés par la commission Stasi. Le Conseil d'Etat le relève d'ailleurs dans un arrêt de 1995 : " Par sa circulaire du 20 septembre 1994, le ministre de l'éducation nationale s'est borné à demander aux chefs d'établissement de proposer aux conseils d'administration une modification des règlements intérieurs. Une telle instruction ne contient aucune disposition directement opposable aux administrés ". C'est une façon aussi juridique que polie de dire que la circulaire de 1994 ne comporte pas de mesure directement applicable.
Nous sommes donc face à un choix clair : ou nous laissons subsister l'état du droit, et le port des signes religieux, quels qu'ils soient, est autorisé ; ou nous voulons changer l'état du droit, et il faut alors passer par la loi.
Mais la loi ne doit manifester que les exigences indispensables du " vivre ensemble " républicain. Elle doit donc définir des interdictions mesurées : une interdiction limitée à l'espace scolaire, parce qu'il s'agit de protéger des mineurs et parce qu'il faut soustraire l'école républicaine, ce creuset de l'intégration, aux affrontements. Une interdiction qui vise le port d'un signe religieux qualifié d'ostensible, parce qu'il risque de porter la tentation d'un comportement prosélyte visant à contraindre tous ceux qui appartiennent à une mouvance religieuse de se signaler, de se reconnaître, pour mieux se différencier, voire s'isoler, au risque de briser l'unité de la communauté éducative. On se reconnaît pour mieux se replier sur soi...
Certains ont envisagé une interdiction de tous les signes visibles,...
La pensée peut progresser ! Une telle interdiction eût porté le risque de bannir de l'espace scolaire tout signe religieux, même porté avec discrétion, ce qui est contraire à notre conception d'une liberté individuelle respectueuse d'autrui et à cette laïcité d'ouverture que la République nous a appris à pratiquer les uns et les autres.
Enfin, la loi doit être appliquée avec discernement. L'exclusion doit rester l'ultime sanction. Il est essentiel que des efforts de dialogue et de médiation soient conduits avec toute la patience et la diligence voulues. L'amendement de notre commission des lois souligne cette nécessité de dialogue, laquelle s'inscrit d'ailleurs dans le cadre habituel de la politique éducative.
Mais la loi ne prendra tout son sens que si elle s'inscrit dans une démarche beaucoup plus large, destinée à convaincre collégiens et lycéens que notre idéal républicain est une chance pour eux. Et d'abord celle d'appartenir à une communauté nationale où chacun se voit reconnaître une égale dignité, où les croyants des grandes religions monothéistes apprennent à se respecter, où croyants et incroyants eux-mêmes adhèrent à un idéal de fraternité humaine, dont personne ne peut se sentir privé ou exclu. Il est vrai que d'autres sociétés occidentales ont choisi de laisser des groupes religieux coexister sur leur territoire, sans chercher à les aider à s'ouvrir les uns aux autres. Moyennant quoi, les chances d'épanouissement individuel se trouvent plus limitées, puisqu'elles ne se cultivent que dans un ensemble ethnique et religieux fermé sur lui-même. Mesurons-nous la chance que nous avons de pouvoir puiser dans ce pluralisme philosophique et religieux pour enrichir nos vies et nos cultures personnelles !
Enfin, et c'est là que nous sommes attendus, la loi ne pourra être comprise et notre idéal républicain partagé que si elle est accompagnée d'un effort sans relâche d'intégration. Le chemin de l'intégration reste encore difficile pour nombre de nos compatriotes issus de l'immigration. C'est pourquoi il est très important de valoriser leurs réussites économiques, culturelles, sportives... Ils sont à bien des égards des modèles, d'autant que c'est par leur seul travail, leur seul mérite personnel, qu'ils ont obtenu une pleine reconnaissance sociale.
Mais nous devons aussi pourchasser toutes les formes de discrimination, refuser la ségrégation urbaine qui crée des ghettos, lutter contre l'illettrisme mais aussi les difficultés d'accès à l'emploi. Ce seront nos armes les plus efficaces contre les tentations communautaristes et fondamentalistes. Un vigoureux effort a été engagé pour transformer certains quartiers dont l'architecture inhumaine n'a pas été sans conséquences, et construire davantage de logements pour permettre les mobilités indispensables à une plus grande mixité sociale. Il nous faut aussi combattre toutes les formes de violence à l'école et parvenir à pacifier l'espace scolaire dans les quartiers difficiles, où les maîtres éprouvent de grandes difficultés à éveiller les enfants au respect de l'autre.
La très grande majorité du groupe UMP votera cette loi pour mieux protéger les valeurs essentielles de la République et porter un coup d'arrêt aux menaces communautaristes et intégristes. Mais notre vote a valeur d'engagement au service d'une politique active de l'intégration. C'est pourquoi nous avons souhaité, dès mardi matin prochain, profiter du temps accordé à notre groupe pour débattre des efforts supplémentaires nécessaires pour lutter contre les discriminations et renforcer l'égalité des chances.
Le Premier ministre, je l'en remercie, a également fixé trois rendez-vous importants : la création d'une autorité administrative indépendante pour lutter contre les discriminations ; la mise en place d'un comité interministériel à l'intégration ; la tenue d'une conférence pour l'égalité des chances, associant les entreprises et les partenaires sociaux.
Loin des tentations individualistes et des solitudes du monde moderne, notre France se doit d'être une communauté unie, riche de ses différences, où l'on puise la fierté d'une identité reconnue et les chances d'une citoyenneté garantissant à chacun le droit à la réussite. Il est temps de retrouver foi et enthousiasme dans un modèle français et de cultiver cette fierté d'une France au visage fraternel. Tel sera le sens de notre vote.
(Source http://www.u-m-p.org, le 9 février 2004)
Pour mesurer l'enjeu, rappelons les grands principes qui fondent notre citoyenneté. Celle-ci s'est édifiée sur le respect des consciences, visant à donner à tous la chance d'une libre adhésion à des convictions religieuses ou philosophiques. Elle a pour fondement la pratique collective d'une authentique tolérance. Et c'est bien ce respect des convictions de chacun qui fonde le refus des discriminations pour motifs sociaux et religieux. Cet idéal républicain implique le respect de la liberté d'autrui et la pratique de la fraternité. Il exige aussi une égale dignité de la femme et de l'homme, vers laquelle notre société s'est mise progressivement en marche, suivant en cela le principe fondamental de l'égalité.
La communauté française trouve son unité et sa fierté dans le partage de ces valeurs, et c'est pourquoi nous sommes souvent regardés dans le monde avec admiration. Cela nous rappelle que l'affirmation de ces valeurs ne s'est pas faite sans un long cheminement, parfois douloureux, ce qui confère encore plus de sens à ces idéaux.
Notre société a su distinguer clairement ce qui relève de l'Etat et ce qui procède de la religion. Il fallu pour cela s'affranchir à la fois d'une tentation cléricale hégémonique et d'une volonté de cantonner le fait religieux dans la sphère strictement privée... En se séparant de l'Etat, en acceptant la laïcité, l'Eglise catholique de France a gagné en liberté et en authenticité... Elle a fait l'effort d'intégrer la nouvelle donne du concile Vatican II... qui a reconnu officiellement que la foi ne doit être l'objet d'aucune contrainte. Je suis heureux de rappeler ici l'apport conciliaire car il converge vers l'idéal du respect de la liberté religieuse. De son côté, l'Etat a permis l'épanouissement d'une société où ceux qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas se sont retrouvés pour résister aux idéologies qui bafouaient le respect de la personne humaine. Je comprends mal certains sourires, moi qui suis né dans une famille où la Résistance a fait se rencontrer ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas !
C'est cet attachement profond à une société pluraliste, respectueuse des familles spirituelles et religieuses, que nous entendons affirmer aujourd'hui dans la défense de la laïcité. C'est pour nous tous un devoir, face à des menaces que nous ne pouvons pas ignorer. Tout se passe comme si, mettant à profit les fragilités d'une société trop individualiste, où les plus faibles sont voués à la solitude, les tentations communautaristes se faisaient plus pressantes, notamment parmi nos compatriotes les moins favorisés et insuffisamment enracinés dans notre pays. Sans doute avons-nous mis trop de temps à prendre conscience de l'influence croissante de minorités tentées de prêcher à leurs coreligionnaires le repli communautariste. Sans doute sous-estimons-nous encore aujourd'hui la dimension internationale d'un fondamentalisme qui entend ébranler les sociétés occidentales, en prenant le prétexte - pas toujours faux mais dangereux - d'une mondialisation qui creuse les fossés entre les peuples au lieu de les unir.
Nous devons nous rendre à l'évidence. Il existe aujourd'hui des menaces concrètes pesant sur le " vivre ensemble " républicain et le principe de laïcité. Ces menaces, les élus que nous sommes les connaissent bien, surtout ceux - je pense notamment à une intervention de M. Gerin - qui les affrontent dans nos banlieues : refus par des maris ou des pères de voir leurs femmes ou leurs filles soignées par des médecins de sexe masculin ; montée des pressions prosélytes dans les prisons ; multiplication des violences racistes au prétexte de motifs religieux... L'école peut ainsi devenir le lieu de cristallisation de ces revendications, notamment par des demandes de dispense de certains cours, de gymnastique, de sciences naturelles ou d'histoire. Il faut entendre ces professeurs d'histoire nous expliquer qu'il est devenu très difficile d'évoquer la Shoah et de parler du devoir de mémoire universel !
C'est dans ce contexte qu'il faut aborder la question du port de signes religieux à l'école, et notamment du voile islamique. Nous ne nions pas le fait que le port du voile puisse parfois être l'affirmation d'une sincère conviction religieuse. Mais, dès lors que des jeunes filles mineures ont été pressées - pour ne pas dire forcées - de le porter, le voile peut aussi être l'étendard d'un refus de l'intégration dans la société française. Et il n'est rien de plus grave que de faire appel au sentiment religieux pour instrumentaliser des êtres sans défense au service de prises de positions idéologiques.
Au coeur des antagonismes d'aujourd'hui, se trouve également une certaine vision de la femme, profondément inégalitaire, et même incompatible avec notre conception de la dignité de la personne humaine. Bien sûr, certains de nos concitoyens de confession musulmane peuvent éprouver le sentiment douloureux que c'est leur religion dans son ensemble qui est montrée du doigt. Tel n'est pas le cas. L'islam est aujourd'hui traversé par un affrontement entre une minorité intégriste et l'immense majorité des musulmans, qui sont attachés à une pratique tolérante de leur religion. Nous devons permettre à ces croyants, qui comptent sur nous, de vivre sereinement leur foi musulmane et leur citoyenneté française. Nous devons soutenir ces jeunes femmes musulmanes, qui désirent s'intégrer dans la société française et qui nous adressent un appel à l'aide. Nous devons apporter un message d'espoir à ceux qui mènent avec courage ce combat pour la démocratie, pour la liberté religieuse, et pour l'égalité des femmes, dans les pays du monde musulman, du Maroc jusqu'à la Turquie en passant par l'Égypte.
L'heure est donc venue d'émettre ce signal, qui n'est en rien une stigmatisation de la communauté musulmane, mais qui doit au contraire garantir au fait religieux toute sa place, en le mettant à l'abri de ceux qui cherchent à l'instrumentaliser à des fins politiques. Et si nous doutions des tentatives de pression et de manipulation, les manifestations du 17 janvier sont là pour nous ouvrir les yeux. La manière dont leurs organisateurs ont contesté par avance la loi que la République entendait se donner démocratiquement, leurs emprunts à des slogans antisémites, ne laissent pas de doutes.
Pourquoi une loi est-elle nécessaire ? Pourquoi ce signal, ce coup d'arrêt aux dérives fondamentalistes, doit-il passer par la loi ? Parce qu'il s'agit de libertés publiques, et que le seul vrai fondement d'une interdiction ne peut être que législatif.
L'avis du Conseil d'Etat de 1989 est clair : " Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas lui-même incompatible avec le principe de laïcité. " Cet avis autorisait donc le port de signes religieux à l'école, y compris le voile islamique, et cette position était logique : la loi d'orientation sur l'école de 1989 avait affirmé le droit absolu des élèves à manifester leurs convictions, le Conseil d'Etat ne pouvant que prendre en compte l'état du droit. sur la base de cet avis, la jurisprudence du Conseil d'Etat a développé une application au cas par cas. Et ce fut seulement en fonction des circonstances - si le port de signes religieux générait des troubles à l'ordre public, dénotait un comportement prosélyte ou s'accompagnait du refus de suivre certains cours - que l'interdiction était possible. Ces critères n'ont pas été faciles à appliquer. Les chefs d'établissement et les professeurs ont couru le risque d'être livrés aux rapports de force locaux et de prendre des décisions divergentes.
Les circulaires des ministres de l'éducation nationale, notamment celle de 1994, n'ont pas davantage résolu le problème, comme l'ont souligné les chefs d'établissement auditionnés par la commission Stasi. Le Conseil d'Etat le relève d'ailleurs dans un arrêt de 1995 : " Par sa circulaire du 20 septembre 1994, le ministre de l'éducation nationale s'est borné à demander aux chefs d'établissement de proposer aux conseils d'administration une modification des règlements intérieurs. Une telle instruction ne contient aucune disposition directement opposable aux administrés ". C'est une façon aussi juridique que polie de dire que la circulaire de 1994 ne comporte pas de mesure directement applicable.
Nous sommes donc face à un choix clair : ou nous laissons subsister l'état du droit, et le port des signes religieux, quels qu'ils soient, est autorisé ; ou nous voulons changer l'état du droit, et il faut alors passer par la loi.
Mais la loi ne doit manifester que les exigences indispensables du " vivre ensemble " républicain. Elle doit donc définir des interdictions mesurées : une interdiction limitée à l'espace scolaire, parce qu'il s'agit de protéger des mineurs et parce qu'il faut soustraire l'école républicaine, ce creuset de l'intégration, aux affrontements. Une interdiction qui vise le port d'un signe religieux qualifié d'ostensible, parce qu'il risque de porter la tentation d'un comportement prosélyte visant à contraindre tous ceux qui appartiennent à une mouvance religieuse de se signaler, de se reconnaître, pour mieux se différencier, voire s'isoler, au risque de briser l'unité de la communauté éducative. On se reconnaît pour mieux se replier sur soi...
Certains ont envisagé une interdiction de tous les signes visibles,...
La pensée peut progresser ! Une telle interdiction eût porté le risque de bannir de l'espace scolaire tout signe religieux, même porté avec discrétion, ce qui est contraire à notre conception d'une liberté individuelle respectueuse d'autrui et à cette laïcité d'ouverture que la République nous a appris à pratiquer les uns et les autres.
Enfin, la loi doit être appliquée avec discernement. L'exclusion doit rester l'ultime sanction. Il est essentiel que des efforts de dialogue et de médiation soient conduits avec toute la patience et la diligence voulues. L'amendement de notre commission des lois souligne cette nécessité de dialogue, laquelle s'inscrit d'ailleurs dans le cadre habituel de la politique éducative.
Mais la loi ne prendra tout son sens que si elle s'inscrit dans une démarche beaucoup plus large, destinée à convaincre collégiens et lycéens que notre idéal républicain est une chance pour eux. Et d'abord celle d'appartenir à une communauté nationale où chacun se voit reconnaître une égale dignité, où les croyants des grandes religions monothéistes apprennent à se respecter, où croyants et incroyants eux-mêmes adhèrent à un idéal de fraternité humaine, dont personne ne peut se sentir privé ou exclu. Il est vrai que d'autres sociétés occidentales ont choisi de laisser des groupes religieux coexister sur leur territoire, sans chercher à les aider à s'ouvrir les uns aux autres. Moyennant quoi, les chances d'épanouissement individuel se trouvent plus limitées, puisqu'elles ne se cultivent que dans un ensemble ethnique et religieux fermé sur lui-même. Mesurons-nous la chance que nous avons de pouvoir puiser dans ce pluralisme philosophique et religieux pour enrichir nos vies et nos cultures personnelles !
Enfin, et c'est là que nous sommes attendus, la loi ne pourra être comprise et notre idéal républicain partagé que si elle est accompagnée d'un effort sans relâche d'intégration. Le chemin de l'intégration reste encore difficile pour nombre de nos compatriotes issus de l'immigration. C'est pourquoi il est très important de valoriser leurs réussites économiques, culturelles, sportives... Ils sont à bien des égards des modèles, d'autant que c'est par leur seul travail, leur seul mérite personnel, qu'ils ont obtenu une pleine reconnaissance sociale.
Mais nous devons aussi pourchasser toutes les formes de discrimination, refuser la ségrégation urbaine qui crée des ghettos, lutter contre l'illettrisme mais aussi les difficultés d'accès à l'emploi. Ce seront nos armes les plus efficaces contre les tentations communautaristes et fondamentalistes. Un vigoureux effort a été engagé pour transformer certains quartiers dont l'architecture inhumaine n'a pas été sans conséquences, et construire davantage de logements pour permettre les mobilités indispensables à une plus grande mixité sociale. Il nous faut aussi combattre toutes les formes de violence à l'école et parvenir à pacifier l'espace scolaire dans les quartiers difficiles, où les maîtres éprouvent de grandes difficultés à éveiller les enfants au respect de l'autre.
La très grande majorité du groupe UMP votera cette loi pour mieux protéger les valeurs essentielles de la République et porter un coup d'arrêt aux menaces communautaristes et intégristes. Mais notre vote a valeur d'engagement au service d'une politique active de l'intégration. C'est pourquoi nous avons souhaité, dès mardi matin prochain, profiter du temps accordé à notre groupe pour débattre des efforts supplémentaires nécessaires pour lutter contre les discriminations et renforcer l'égalité des chances.
Le Premier ministre, je l'en remercie, a également fixé trois rendez-vous importants : la création d'une autorité administrative indépendante pour lutter contre les discriminations ; la mise en place d'un comité interministériel à l'intégration ; la tenue d'une conférence pour l'égalité des chances, associant les entreprises et les partenaires sociaux.
Loin des tentations individualistes et des solitudes du monde moderne, notre France se doit d'être une communauté unie, riche de ses différences, où l'on puise la fierté d'une identité reconnue et les chances d'une citoyenneté garantissant à chacun le droit à la réussite. Il est temps de retrouver foi et enthousiasme dans un modèle français et de cultiver cette fierté d'une France au visage fraternel. Tel sera le sens de notre vote.
(Source http://www.u-m-p.org, le 9 février 2004)