Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à "Berliner Zeitung" du 5 juillet 2004, sur l'effort de défense en France et en Europe, la proposition de sortie des dépenses d'armement des contraintes budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance, le coût de la professionnalisation de l'armée et la dissuasion nucléaire.

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Média : Berliner Zeitung - Presse étrangère

Texte intégral

Berliner Zeitung :
Madame la Ministre, comment voyez-vous l'avenir de l'OTAN et de la politique européenne de la Défense dans les dix prochaines années ?
Michèle Alliot-Marie :
Comme nous le montre la situation actuelle en Afrique, le terrorisme et les conflits ethniques rendent le monde de plus en plus instable. Dans dix ans, les crises seront encore plus nombreuses qu'aujourd'hui. L'OTAN et l'Union européenne devront y faire face.
L'armement dont nous disposons est-il suffisant ?
Après la chute de l'Union Soviétique, de nombreux États européens ont cru que la paix s'installerait définitivement. Or, il apparaît que l'insécurité progresse dans le monde. Seuls trois pays d'Europe consacrent plus de 2 % de leur revenu national à la défense : la France, la Grande-Bretagne et la Grèce. Ce que font tous les autres pays de l'Union européenne est insuffisant.
L'Allemagne, qui est un grand pays, consacre 1,5% à sa défense. Selon vous, est-ce insuffisant ?
L'Allemagne n'est pas uniquement une grande puissance économique, c'est aussi un des noyaux durs de l'Europe. Elle doit être capable de répondre à toutes les situations, ce qui nécessite qu'elle investisse plus dans la défense que ce qu'elle a fait jusqu'à présent.
Mais l'Allemagne a des problèmes financiers ?
Tous les États connaissent des difficultés financières, mais la sécurité de leurs ressortissants reste leur priorité. Personne d'autre ne peut l'assurer. J'ai donc demandé que les dépenses d'armement soit déduites du calcul du déficit public dans le cadre du Pacte de stabilité. Il est anormal de sanctionner les États qui font des efforts pour protéger non seulement leurs ressortissants, mais aussi tous les Européens. En effet, cette protection bénéficie aussi aux États qui investissent peu pour leur sécurité.
En Allemagne, l'argumentation des partisans de la conscription consiste à dire qu'une armée de métier reviendrait encore plus cher. Or la France a justement supprimé la conscription. Quelle expérience en tirez-vous ?
La France possède aujourd'hui la deuxième ou la troisième armée au monde. Ce qui fait notre force, ce sont des professionnels réactifs, adaptables et très motivés, pouvant se déployer dans le monde entier. Nous pouvons être également le moteur de la politique européenne de Défense. Cela n'a été rendu possible que par l'instauration d'une armée de métier. Evidemment, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'une armée de métier coûte cher. Nous devons débourser plus pour rémunérer des spécialistes, venant parfois du secteur privé, ainsi que pour financer l'armement et la formation des soldats professionnels.
Recommanderiez-vous à votre homologue Peter Struck le modèle de l'Armée de métier ?
Je ne me permettrais pas de donner des conseils à d'autres pays. Je ne peux que parler de nos expériences, et elles sont extrêmement positives. Mais chaque pays a sa propre histoire et ses propres traditions. En outre, les structures sont très différentes [d'un pays à un autre]. L'Allemagne ne dispose pas, par exemple, d'arme nucléaire, et c'est sur ce point que la professionnalisation des armées est essentielle.
Il est intéressant que vous évoquiez les armes nucléaires. Quelle est l'utilité de telles armes pour la France, aujourd'hui ?
Pour nous, les armes nucléaires représentent une protection de dernier recours contre une menace extérieure. Il y a de plus en plus d'États qui, disons-le, ne sont pas des démocraties irréprochables, et essaient de se procurer des armes nucléaires. De tels États pourraient un jour être tentés de lancer leurs missiles contre la France ou ses voisins. Nous pouvons leur dire : " attention : lorsque vous mettrez votre menace à exécution, nous vous détruirons, et vous ne pourrez rien faire contre cela. Nous avons des sous-marins et des avions qui ne sont pas détectables ".
Vous ne vous serviriez donc de l'arme atomique que contre une autre puissance nucléaire ?
Ce que je dis, s'agissant de l'éventualité d'une menace nucléaire, est également valable pour une attaque par des armes de destruction massive, chimique ou biologique. Il s'agit d'une dissuasion face aux pays qui sont au banc de la démocratie et également en partie en marge du droit international. Je pense que cette protection est absolument indispensable.
Est-ce que cette protection concerne également les voisins de la France ? Que ce passerait-il si l'Allemagne se sentait menacée par ces armes de destruction
massive ?
Il faut envisager le contexte dans lequel une telle situation pourrait se dérouler. Mais si l'Allemagne devait solliciter notre aide, il est probable que la solidarité européenne se mettrait en action.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 juillet 2004)