Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, député PS, sur "RTL" et tribune dans le "Le Nouvel Observateur" le 9 décembre 2004 sur la victoire du "oui" lors du référendum organisé par le parti socialiste sur la Constitution européenne et sur la nécessité de continuer à convaincre les Français lors du référendum national.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - Le Nouvel Observateur - RTL

Texte intégral

Il faut dépersonnaliser le référendum
Le oui a convaincu une large majorité des 120 000 militants du Parti socialiste. Il lui reste maintenant à rassembler une majorité des 41 millions d'électeurs français. Ce n'est pas gagné d'avance. La campagne et le résultat du référendum organisé par le Parti socialiste le 1er décembre dernier doivent être, en effet, analysés avec rigueur. Le oui socialiste est très important. Il crée une dynamique politique. Il dessine un contour idéologique. Il instaure une antériorité chronologique. Il constitue un exemple démocratique. Le oui socialiste est donc là, ordonnant, structurant, rythmant le débat.
Mais il y a eu aussi, nul ne doit l'oublier, des non socialistes - 40 %, ce n'est pas rien. Chacun doit tirer les leçons du débat que nous venons de vivre. A gauche, certains peuvent être tentés par le non en raison de l'objet du texte : ils ne partagent pas son contenu. Ce débat-là est légitime. Il n'est pas un risque pour notre pays: voir la cause européenne susciter la controverse est même une chance. D'autres peuvent être tentés par le non en raison des effets du vote : ils ne veulent pas, disent-ils, " voter avec Jacques Chirac ".
On peut évidemment contester cet argument. Expliquer que c'est Jacques Chirac qui s'est converti à nos positions et non l'inverse. Rétorquer que le jeu des " mauvaises fréquentations " - le oui avec Jacques Chirac d'un côté, le non avec Jean-Marie Le Pen de l'autre - ne mène pas bien loin. Souligner que l'enjeu doit transcender les querelles politiciennes : avant-hier, nous avons eu raison de voter pour la libéralisation de l'avortement; hier, nous aurions eu raison de voter contre la participation des forces françaises à la guerre en Irak - et peu importe que, en ces deux occurrences, la droite ait fait le même choix que nous.
Il n'empêche. En arrière fond, cet argument existe. Or autant le débat sur le fond est une opportunité, autant le soupçon que le débat puisse être détourné à des fins personnelles serait un danger. Ce danger, le président de la République doit le mesurer: il faut dépersonnaliser le référendum. Voici donc une proposition pour y contribuer.
Comment faire ? Nous pourrions envisager d'utiliser les ressources de notre Constitution et notamment de son article 11 - celui qui est consacré au référendum. Cet article, en effet, évoque deux sources d'initiatives différentes: le gouvernement d'un côté, le Parlement, par une " proposition conjointe des deux Assemblées ", d'un autre côté. On pourrait donc concevoir que le groupe socialiste, seul ou avec d'autres, se saisisse de cette possibilité et prenne l'initiative d'une motion soumettant le traité constitutionnel au référendum. Cette initiative parlementaire n'a jamais été utilisée jusqu'alors ? Eh bien, innovons ! Un très large rassemblement est concevable : adversaires comme partisans du traité constitutionnel européen se retrouvent en effet pour considérer que, en dernier ressort, c'est au peuple français de prendre la décision. L'intérêt de l'Europe appelle l'initiative parlementaire pour dépersonnaliser le référendum.

(Source http://www.psinfo.net, le 9 décembre 2004)
Bonjour D. Strauss-Kahn.
Bonjour Monsieur Aphatie.
Vous souhaitez "dépersonnaliser" le prochain référendum sur l'Europe. Vous l'expliquez ce matin dans le Nouvel Observateur et "dépersonnaliser" le référendum, cela veut dire que vous demandez à J. Chirac de se mettre en retrait et de laisser le Parlement, comme le prévoit l'article 11 de la Constitution, convoquer les électeurs pour ce référendum. En quoi cette proposition est-elle utile dans ce débat européen, D. Strauss Kahn ?
Je crois que le débat européen est très important, et je crois que la façon dont les socialistes ont voté récemment, à près de 60% pour le "oui", structure ce débat pour les semaines et les mois qui viennent. Et je ne voudrais pas qu'un des arguments que j'ai vu apparaître plusieurs fois dans la campagne que les socialistes ont menée en leur sein, et qui était de dire "finalement, le référendum ça a toujours un caractère un peu plébiscitaire ; le président de la République, lorsqu'il le propose, cherche toujours à s'acquérir des soutiens, au-delà de la question qu'il pose", je ne voudrais pas que ça vienne polluer une question qui concerne l'ensemble des Français. Et de ce point de vue, notre Constitution, dans son article 11, dispose d'une ressource possible qui consiste à mettre en oeuvre un référendum d'initiative parlementaire. Ca ne s'est jamais fait encore... mais enfin ça ne veut pas dire qu'il ne faille pas le faire... Si c'était le Parlement, qui par un vote majoritaire dans les deux chambres, décidait que la ratification du traité doit être faite par référendum, ça ne serait plus un référendum dont on pourrait dire qu'il émane de J. Chirac. Il faut bien reconnaître que dans le passé, il nous est arrivé plusieurs fois, et on a eu raison, de voter des textes qui pouvaient venir de la majorité. Je pense par exemple à la loi sur l'avortement. La gauche l'a votée et elle a eu raison. Elle n'a pas dit : parce que ça vient de la droite, il ne faut pas le faire. Néanmoins, puisque l'argument existe, et parce que le débat sur l'Europe à mon avis est d'une importance capitale, je pense que ce serait une bonne chose que nous tentions de mettre en oeuvre cette procédure, qui n'a jamais
été utilisée.
Dans le passé, J. Chirac aussi a appelé à voter pour le référendum de Maastricht, même si c'est F. Mitterrand qui l'avait convoqué.
C'est vrai... c'est vrai... c'est vrai, et ce référendum de Maastricht finalement ne l'a emporté que de 52 %. Il ne faut pas jouer avec le feu. Je pense que ce serait plus heureux que ce soit à l'initiative parlementaire que ce vote ait lieu. Si ça n'est pas possible, il ne faudra pas le faire, mais si c'est possible, je pense qu'il y a là une façon d'élever le débat de sortir d'une sorte de contrainte politicienne.
Ce n'est pas "si ce n'est pas possible". Vous savez très bien que J. Chirac n'accédera pas à cette demande. D'ailleurs on se demande bien pourquoi il le ferait !
Ca n'est pas sûr...
Ah bon ? Vous lui en avez parlé ?
Non, bien sûr que non ! Mais je pense que c'est son intérêt. Je pense que l'intérêt du président de la République est que ce texte soit adopté, parce que c'est l'intérêt de la France. Et dans ces conditions, tout ce qui peut conduire à en permettre l'adoption, à en faciliter l'adoption, doit être examiné.
Vous pensez sérieusement qu'il manquerait beaucoup de voix au "oui", si, comme c'est d'ailleurs très probable, c'est l'exécutif qui convoque le référendum ?
Ecoutez, moi je ne suis pas devin ! Ce que je sais c'est que je viens de vivre avec mes amis une campagne vive au sein du Parti socialiste, qui est le principal parti de la gauche, pendant trois mois et que j'ai entendu souvent cet argument. Alors, tous les arguments doivent être combattus sur le fond mais aussi doivent essayer d'éviter de provoquer des réactions épidermiques. Et moi, encore une fois, évidemment si le référendum est convoqué sur la voie traditionnelle, ça ne m'empêchera pas de voter oui. Je l'ai dit à plusieurs reprises : je crois que c'est très important que ce traité soit adopté. Mais si cela peut en faciliter l'adoption, je pense qu'il n'y a aucune raison que le chef de l'Etat ne considère pas cette possibilité.
Vous voyez, J. Chirac est fréquentable pour certains socialistes. Le 11 février prochain, il sera à Barcelone avec J.-L. Zapatero et G. Schröder. Vérité en deçà des Pyrénées et mensonge au-delà ?
Là, vous faites semblant de confondre deux choses...
Ah bon ? Et lesquelles ?
Le président de la République française a évidemment sa place dans les réunions où il rejoint les chefs de l'exécutif des autres pays, quelle qu'en soit la couleur politique. Ca a été le cas de tous les gouvernements et de tous les chefs d'Etat. Il n'y a aucun débat là dessus. La question qui est posée, là, est de savoir si nous devons chercher un moyen de faire en sorte que ce soit l'ensemble de la représentation nationale qui soumette ce texte aux Français. Et, encore une fois, je crois que dans un pays où on cherche à redonner du lustre et du poids à cette représentation nationale, il y a là un canal pour le faire.
Vous acceptez l'idée que les parlementaires socialistes qui ont appelé à voter "non" dans le référendum interne du Parti socialiste, soient obligés de voter "oui" quand la question sera posée au Parlement ?
Je crois pour ma part qu'il y a une forme de discipline du parti, qu'on ne peut pas, à la fois réclamer un vote militant, vouloir que celui-ci s'exprime, et ensuite ne pas le suivre dans l'expression d'un vote.
Depuis la victoire de ce "oui" au Parti socialiste, F. Hollande vous parait-il être entré dans la catégorie réduite des présidentiables ?
Mais il y était déjà !
Ah ! eh bien, voilà. Depuis longtemps ?
Certainement. Il y a de nombreux présidentiables possibles au Parti socialiste. La question se posera le moment venu, dans un an et demi peut-être. F. Hollande, évidemment, en faisait partie. Je pense que la victoire qu'il a remportée avec le "oui" est importante, et qu'elle lui a donné une assise nouvelle. Il faut maintenant que celle-ci puisse être confirmée. Et on verra dans les mois qui viennent comment les choses évoluent. Mais c'est un faux-semblant que de vouloir tout à coup dire que, à cause de ce vote, F. Hollande aurait émergé des ténèbres. Il n'y était pas...
Et L. Fabius, qui a perdu, en est-il sorti de ce cercle réduit ?
Je crois que personne ne sort jamais de la vie politique, en tout cas en France, où nous avons d'anciens présidents de la République, qui restent très longtemps dans le circuit politique. Ce qui n'est pas le cas en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis. Je crois donc que personne n'en sort jamais vraiment. Il me semble néanmoins que le Parti socialiste ayant choisi l'orientation que l'on sait sur la question européenne, il est difficile à quelqu'un qui a pris de façon aussi affirmée la position inverse de vouloir représenter les socialistes. Mais encore une fois, ce n'est pas le sujet du jour. Ce sera le sujet dans un an, un an et demi et si vous m'invitez à nouveau, à ce moment-là on en reparlera.
On vous invitera. Aujourd'hui la consigne c'est : y penser toujours, et n'en parler jamais. C'est ça ?
Non. Vous voulez absolument que ce soit la consigne. Non. Moi, je pense aujourd'hui à deux choses : je pense au référendum national sur le oui, et je pense à l'élaboration du projet des socialistes.
Que vous allez faire avec vos deux amis : M. Aubry, J. Lang... le trio magique parait-il. Extraordinaire !
C'est sûrement un trio. Je ne sais pas s'il est magique. C'est sûrement un trio.
Ah... c'est l'un des membres du trio qui l'a dit !
Ce n'est pas moi.
Non, c'est pas vous.
Mais je pense que c'est une bonne idée de réunir trois personnalités différentes, ayant de l'expérience, mais aussi ayant finalement une vision assez commune de ce qu'il faut faire pour élaborer quelque chose qui est un projet. Ce n'est pas un programme. Le programme électoral ça viendra bien plus tard. La question c'est : finalement qu'est-ce que c'est qu'être socialiste, en France, en Europe, au début du XXIème siècle ? C'est à la fois la même chose sur un certain nombre de valeurs que d'être socialiste il y a trente ans, il y a cinquante ans. Et c'est à la fois très différent, car il y a un monde qui a changé. Et nous avons besoin de re-réfléchir à cela, et de proposer aux Français un discours qui soit susceptible de les séduire. Moi je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu'il y a une sorte de balancier automatique qui obligerait que la gauche remporte les élections prochaines de 2007, parce qu'elle aurait perdu les précédentes. Je ne crois pas du tout que que nous soyons capables d'attirer à nouveau les électeurs. On l'a fait aux élections de 2004, régionales, cantonales, etc. Il faut le faire pour la présidentielle.
Q- C'est qui le meilleur adversaire de la gauche ? J. Chirac ou N. Sarkozy ?
R- Le meilleur adversaire de la gauche c'est celui qui perdra.
Q- Qu'est-ce que vous allez faire ce soir, D. Strauss-Kahn ?
R- Ce soir ?
Q- Oui.
R- Ce soir ? Ah, vous voulez savoir si je vais écouter François Hollande ?
Q- Il est malin...
R- Malheureusement, je ne pourrai pas l'écouter en direct parce que j'ai
une réunion du conseil de la communauté de l'agglomération que je
préside, mais je l'enregistrerai, et je l'écouterai.
Bien évidemment... D. Strauss-Kahn, qui écoutera le présidentiable
F. Hollande, mais avec un peu de retard... était l'invité d'RTL ce
matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 décembre 2004)