Déclaration de M. Michel Barnier, ministres des affaires étrangères, sur les relations franco-ukrainiennes et les rapports entre l'Ukraine et l'Union européenne, à Kiev le 5 février 2005.

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Circonstance : Déplacement en Ukraine, le 5 février 2005

Texte intégral

Je suis heureux de retrouver l'Ukraine dans une autre époque qui commence après y être venu il y a une dizaine d'années dans d'autres circonstances comme ministre français de l'Environnement. Et je voudrais remercier très sincèrement mon collègue Borys Tarassiouk, après l'entretien que nous venons d'avoir, de la cordialité de son accueil, comme j'ai été très heureux de pouvoir longuement ce matin dialoguer avec le président Iouchtchenko et avec le nouveau Premier ministre de votre pays.
Je leur ai dit à tous les deux à quel point en France, dans l'Union européenne, nous avons été impressionnés par le courage politique et personnel dont ils ont fait preuve et par la formidable mobilisation du peuple ukrainien, par son aspiration à la démocratie et à quel point nous avons été heureux en tant que membre de l'Union européenne, d'accompagner ce mouvement vers la démocratie. Naturellement, vous devez comprendre cette visite aujourd'hui, au cours de cette journée symbolique, la première journée de travail du nouveau gouvernement, comme le signal de ce soutien que la France, un ministre français mais aussi un ministre européen veulent apporter à ce grand mouvement de réforme, de démocratie, et de développement économique de votre pays. Et c'est la marque d'un nouvel élan que nous allons donner à nos relations bilatérales. Sur le plan économique, une délégation d'entrepreneurs français va venir le mois prochain à Kiev. Concernant les relations culturelles et universitaires, j'ai indiqué que nous avions, nous Français, attribué des visas gratuits aux étudiants ukrainiens. Il y en a déjà près de mille aujourd'hui, qui viennent faire leurs études en France. Nous avons parlé également de notre coopération technique, pour accompagner l'organisation administrative ou le travail des différents ministères.
Je vais dire maintenant quelques mots des relations entre l'Union européenne et l'Ukraine, au-delà des relations entre l'Ukraine et la France, qui vont connaître ce nouveau départ, ce nouvel élan. Je ne le dirai pas seulement comme ministre français mais aussi comme quelqu'un qui vient de passer cinq ans à Bruxelles comme commissaire européen. Evidemment et naturellement l'Ukraine est sur le continent européen. Légitimement, les Ukrainiens ont exprimé une aspiration et nous avons à en tenir compte. L'Ukraine a devant elle un grand chantier de réformes et de développement. De son côté, l'Europe elle-même a beaucoup de choses à faire pour s'organiser et c'est l'objet notamment de cette nouvelle Constitution qui est en débat, qui n'est pas encore ratifiée par les 25 pays de l'Union européenne.
Donc, nous avons, l'Union européenne, l'Ukraine, des tâches chacun de notre côté et puis nous avons aussi des choses à faire ensemble. Et ce que nous pouvons faire ensemble nous avons décidé de le faire à travers cet instrument important de voisinage qui est une nouvelle politique de l'Union européenne. Et cette politique de voisinage, de partenariat, comporte beaucoup de potentialités, beaucoup d'opportunités, que nous devons toutes utiliser et mettre en oeuvre pour accompagner l'Ukraine dans son propre mouvement. Et nous avons parlé naturellement de l'économie de marché, de l'Organisation mondiale du Commerce, des visas, des échanges économiques, de la coopération. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne étaient unanimes lundi à Bruxelles, je me trouvais parmi eux, pour considérer que c'est une priorité de notre politique de voisinage que de réussir, non pas des discours, mais concrètement, ce nouveau contrat entre l'Union européenne et l'Ukraine. Nous devons utiliser toutes les possibilités de ce plan d'action et nos progrès dépendront naturellement aussi des progrès que votre gouvernement, que l'Ukraine va faire dans sa propre volonté de réforme en tenant compte de l'équilibre social, économique, du territoire ukrainien et des différentes dimensions de l'économie ukrainienne. Voilà la tache qui est devant nous pour les années qui viennent. En Ukraine, la tâche est très grande, en Europe, la tâche est très grande, et nous avons une tâche commune à faire ensemble qui est également passionnante et importante.
Je voulais dire un dernier mot d'un sujet dont j'ai parlé avec le président Iouchtchenko à la suite de sa visite à Moscou. Nous sommes sur ce continent européen et nous sommes tous comptables ou responsables de la démocratie, de la stabilité, du progrès, de la paix sur ce continent, là où nous nous trouvons les uns et les autres. Et cette stabilité, cette paix, dépendent des relations que nous avons les uns avec les autres. Ce sont des exigences qui sont au coeur même du projet européen pour nous depuis 50 ans. Voilà pourquoi nous sommes si attentifs, je pense que chacun doit le comprendre, aux relations entre l'Ukraine et la Russie, comme nous sommes attentifs aux relations entre l'Union européenne et la Russie. La Russie est un grand peuple, c'est un grand pays, c'est un Etat-continent qui va de l'Europe à l'Asie et nous avons tous besoin d'avoir des relations confiantes et constructives avec ce grand pays. En tous cas, je voudrais redire mes remerciements au ministre des Affaires étrangères, mes voeux pour sa nouvelle mission et lui dire que, à la place où je me trouve, je suis heureux d'être venu aujourd'hui pour apporter ce message d'encouragement à l'Ukraine et dire encore une fois au peuple ukrainien et aux jeunes de ce pays que nous avons été très impressionnés par la dignité et la mobilisation dont ils ont fait preuve dans les semaines passées. Merci beaucoup.
Q - (Au sujet de la modification du plan d'action concernant l'amélioration de la politique européenne de voisinage avec l'Ukraine lancé le 21 février prochain lors du Conseil Union européenne - Ukraine)
R - Madame, mettez les choses dans l'ordre. Ne les mettez pas dans le désordre. Il y a une nouvelle période qui s'ouvre, pour votre pays, après ces élections, qui va être exigeante, passionnante, difficile, de réforme, de mouvement, de démocratie. Oui, nous allons accompagner votre pays pour réussir cette période. C'est précisément pourquoi, je dis que nous, Français, Européens, allons proposer cette politique de partenariat et de voisinage avec l'Ukraine avec ce plan d'action. Et nous comprenons l'aspiration européenne. J'ai dit qu'elle était légitime. Mais mettons les choses dans l'ordre et franchissons les étapes les unes après les autres. Réussissons ce contrat de partenariat et de voisinage qui va être le premier pour nous dans l'Union européenne avec un grand pays ami et voisin. Ce que je vous dis là, c'est la position unanime des vingt-cinq ministres des Affaires étrangères qui étaient réunis à Bruxelles.
Q - (Au sujet de l'influence de la Russie.)
R - Ce n'est pas à la France de déterminer les relations entre l'Ukraine et la Russie, entre la Russie et l'Ukraine. Vous êtes des pays souverains. Il y a l'histoire, il y a la géographie, il y a la culture, il y a l'économie aussi, l'énergie. Et le président lui-même m'a dit que c'était l'intérêt stratégique de l'Ukraine d'avoir de bonnes relations avec la Russie. Comme c'est notre intérêt à nous, Union européenne, d'avoir des relations stratégiques et ce partenariat stratégique avec la Russie. Je n'imagine pas que l'Ukraine puisse être un enjeu au milieu de la Russie et de l'Union européenne, ce n'est pas comme cela que nous voyons les choses. C'est le peuple ukrainien, et le gouvernement qu'il se donne, qui doit choisir le chemin et le destin de votre pays, personne d'autre. Ce dont je suis sûr, c'est que la Russie est un grand pays, un peuple qu'il faut respecter et que nous avons tous intérêt à le respecter comme il doit nous respecter et avoir des relations intelligentes, stratégiques et confiantes avec la Russie.
Q - Dans quelle mesure les relations traditionnellement chaleureuses entre la France et la Russie vont-elles déterminer la politique française vis-à-vis de l'Ukraine ?
R - Mais je viens de vous répondre.
Q - Vous avez surtout axé votre réponse pour dire que l'Ukraine est libre de déterminer l'avenir de ses relations avec la Russie, mais quelle est la position, la politique française vis-à-vis de l'Ukraine ? Est-ce que la France est prête à faire abstraction de la Russie pour définir sa politique vis-à-vis de l'Ukraine ?
R - Mais comment faire abstraction de la Russie ? Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est un immense pays, majeur, dans le monde, c'est un Etat-continent, une des grandes puissances du monde, en elle-même. Et, encore une fois, ce qui compte si vous mettez les choses en perspective, c'est que vous puissiez réussir votre développement démocratique et économique - et nous allons vous aider, je suis venu aujourd'hui pour le dire ! - mais en même temps, il faut établir des relations intelligentes, confiantes, durables, entre nous tous sur ce continent et donc naturellement avec la Russie ; et je parle là en tant que ministre français. Et la France va, comme l'un des membres fondateurs de l'Union européenne - je suis venu aujourd'hui pour le dire, ce n'est pas un jour indifférent, c'est quand même un jour assez particulier aujourd'hui -, elle va tout faire pour que vous réussissiez ce partenariat qui vous est proposé par les 25 pays de l'Union, pour vous accompagner dans votre développement. Je reviendrai pour faire le point.
Q - Voyez-vous l'Ukraine au sein de l'Union européenne et de l'OTAN ?
R - Je vous ai déjà répondu. Je considère que l'Ukraine se trouve évidemment sur le continent européen et de manière légitime il y a une aspiration européenne que vous exprimez. Je pense que le modèle démocratique européen a été très important pour les citoyens ukrainiens et pour les jeunes en particulier qui se sont mobilisés et qu'il faut prendre les choses dans l'ordre comme tous les pays européens l'ont fait dans le passé et pas dans le désordre. Donc franchir les étapes une à une et la première étape qui est devant vous pour les années qui viennent, c'est, d'une part, de réussir votre développement démocratique et économique en faisant attention à l'équilibre, au tissu social, humain, industriel de votre pays qui est un grand pays et d'autre part que nous réussissions ensemble ce partenariat et cette politique de voisinage. Voilà ce dont il est question aujourd'hui et je recommande que l'on aborde ce pas de manière ambitieuse, mais pragmatique et réaliste.
Q - Avez-vous le sentiment que la France voit de façon réaliste les ambitions déclarées par le gouvernement ukrainien, notamment l'adhésion à partir de l'an 2007 ?
R - L'Union européenne ne s'est pas faite en un jour. C'est à côté de mon bureau, si un jour vous venez faire une visite en France et vous êtes les bienvenus, je le dis aux journalistes ukrainiens, que Robert Schuman a lancé son appel le 9 mai 1950 pour la CECA et puis ensuite en 1957, il y a eu le marché commun. Donc, il faut prendre le temps pour réussir les étapes une à une, c'est ce que je dis simplement.
Je voudrai ajouter un dernier mot. L'Ukraine est un grand pays : par sa superficie, par sa population, par son économie, son histoire et sa culture, par le nombre de ses voisins. C'est un pays qui a une action extérieure. Nous avons parlé par exemple de l'engagement de l'Ukraine pour la stabilité du Kosovo et nous avons donc des choses à nous dire et des choses à faire ensemble pour la stabilité, la paix et le progrès. Encore une fois, au-delà de ce que la France souhaite faire dans ce nouvel élan, ce nouveau départ dans nos relations bilatérales, il y a la réussite de ce partenariat entre l'Union européenne et l'Ukraine et c'est la tâche qui doit nous occuper maintenant. Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2005)