Texte intégral
Interview dans le Figaro du 14 :
Le Figaro : En pleine période d'arbitrages budgétaires, Bercy vous reproche de ne pas respecter votre budget pour 2004. Les services de Nicolas Sarkozy parlent même de "dérapage"...
Michèle Alliot-Marie : C'est faux. Je comprends bien les contraintes de Bercy, mais il est difficile de ne pas voir dans ce procès un peu de mauvaise foi. Un "dérapage" ? Le ministère de l'Économie s'appuie sur le fait que la Défense a dépensé au premier semestre 2004 12 % de plus qu'au cours du premier semestre 2003. Pour 2003, 13,6 milliards d'euros d'investissements étaient inscrits à notre budget. Pour 2004, 14,9 milliards. Il était donc bien prévu que nous dépensions 10 % de plus pour remettre notre équipement à niveau après les cinq années de dégradation du budget sous le gouvernement socialiste. Si nous avons accru nos dépenses de 12 %, donc 2 % de plus, c'est parce que l'an dernier, en fin d'année, Bercy nous a demandé de reporter à début 2004 certaines dépenses inscrites au budget 2003. Bref, on retient aujourd'hui contre nous les efforts que nous avons faits hier. Tout cela n'est pas sérieux.
Le Figaro : Pour 2005, les Finances vous demandent de stabiliser vos dépenses en volume par rapport à 2004. Ne jugez-vous pas légitime que votre ministère participe à l'effort de rigueur demandé à tout le gouvernement ?
Michèle Alliot-Marie : Croyez bien que je n'ai pas attendu les conseils de Bercy pour faire des économies ! Dès 2002, au moment même où la loi de programmation militaire était décidée, j'ai signifié à mes subordonnés qu'à cet effort de la nation envers les armées devait correspondre un effort des armées pour utiliser au mieux chaque euro mis à notre disposition. En 2003, nous n'avons pas renouvelé 40 % des postes des personnels civils qui partaient en retraite, 50 % en 2004 ! En matière de fonctionnement, un certain nombre de réformes, comme la création de l'économat des armées, une meilleure gestion des indemnités du personnel ou la gestion active de notre patrimoine immobilier nous ont permis de faire des économies sensibles. En 2003, ces économies ont représenté 17,5 millions d'euros. 198,6 millions en 2004 ! Quel ministère peut en dire autant ?
Le Figaro : Cependant, le premier ministre lui-même vient d'inviter le ministère de la Défense à "des efforts de gestion"...
Michèle Alliot-Marie : Il a raison : ces efforts, nous continuerons de les faire. Nous préparons pour les années à venir la fusion des services d'infrastructures et le regroupement des services d'archives des armées. J'ai décidé d'externaliser la gestion des véhicules de la gamme commerciale et aussi la formation initiale des pilotes d'hélicoptères ; nous étudions un projet similaire pour la gestion des logements de la gendarmerie... tout ceci doit nous permettre de dégager des marges de manuvre, aussi bien en fonctionnement qu'en termes d'effectifs. Voilà des économies réelles et substantielles. Mais que l'on ne compte pas sur moi pour remettre en cause les investissements prévus par la loi de programmation militaire. Le président de la République vient d'ailleurs de réaffirmer qu'elle serait entièrement respectée. Ce serait rendre un mauvais service à la sécurité de nos concitoyens. Ce serait aussi rendre un mauvais service à l'économie française.
Le Figaro : C'est-à-dire ?
Michèle Alliot-Marie : La Défense, on l'oublie trop souvent, est aujourd'hui le premier investisseur public du pays. Nous sommes le seul ministère dans lequel les dépenses du personnel sont inférieures aux dépenses d'investissement. Nous réinjectons près de quinze milliards d'euros chaque année dans l'économie. Cet argent fait tourner des entreprises, il permet un développement de la recherche. Nous rapportons en TVA deux milliards et demi d'euros à Bercy. Nous sommes à l'origine de quatre à cinq milliards d'euros d'exportations. Au total, 2,5 millions d'emplois dans les grandes entreprises, mais aussi dans beaucoup de PME sur l'ensemble du territoire, sont concernés par la Défense. Méfions-nous des économies à courte vue. Elles auraient un impact direct sur le niveau du chômage ainsi que sur notre dynamisme industriel.
Le Figaro : Certains demandent qu'un effort de réduction des coûts s'exerce notamment sur le dispositif français de dissuasion nucléaire. Qu'en pensez-vous ?
Michèle Alliot-Marie : N'oublions pas que nous vivons dans un monde dangereux. Ce n'est pas au moment où certains pays comme le Pakistan, l'Inde, la Corée du Nord sont dotés, ou cherchent à se doter d'un armement nucléaire que l'on peut lever ce qui est notre ultime protection. En matière de nucléaire militaire, nous essayons toujours d'être dans la logique de la stricte suffisance - c'est la raison pour laquelle nous avons démantelé la composante terrestre. Il serait aujourd'hui peu raisonnable d'aller au-delà et de supprimer, comme certains le proposent, la composante aérienne pour nous en remettre aux seuls sous-marins.
Le Figaro : Finalement, que demanderez-vous au Premier ministre pour le budget 2005 ?
Michèle Alliot-Marie : Nous demanderons bien sûr que la loi de programmation militaire votée par le Parlement soit intégralement respectée. Nous demanderons ensuite que les Opex (opérations extérieures) soient financées de manière significative dans le budget initial ainsi que le chef de l'État l'a demandé. Et nous poursuivrons l'effort d'économie dans la mesure où il ne mettra pas en danger le budget des équipements. Nous demandons une enveloppe limitée par rapport à l'étendue des besoins.
Le Figaro : Entre Nicolas Sarkozy et vous, la discussion risque d'être animée...
Michèle Alliot-Marie : J'ai d'excellentes relations personnelles avec Nicolas Sarkozy. Mais il me connaît assez pour savoir que je ne suis pas du genre à me laisser marcher sur les pieds lorsque la mission qui m'est confiée est en jeu.
(/)
Le Figaro : Allez-vous vous engager dans la bataille pour la présidence de l'UMP ?
Michèle Alliot-Marie : Évidemment ! J'ai trop à cur le destin des militants issus de l'ex-RPR et de l'ensemble de la majorité pour ne pas dire mon mot. Mais, je le répète, je ne serai pas candidate. Mon travail à la Défense me passionne par la diversité des domaines concernés : stratégie, économie, social, formation... Je veux mener à bien les différents chantiers de la LPM, de la réforme du statut des militaires, des réserves, de la DGA, de l'Europe de la défense. C'est la raison pour laquelle j'ai décliné le ministère des Affaires étrangères. On ne peut pas tout faire à la fois.
(/)
Le Figaro : Un départ de Nicolas Sarkozy n'affaiblirait-il pas le gouvernement ?
Michèle Alliot-Marie : La vie politique enseigne que nul n'est propriétaire de son ministère, et que personne n'a vocation à être ministre à vie. Il y avait un ministre de l'Economie avant Nicolas Sarkozy. Il y en aura d'autres après. Il y avait un ministre de la Défense avant moi. Il y en aura un après moi.
Propos recueillis par Philippe Migault et Alexis Brézet
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juillet 2004)
Interview à LCI le 14 juillet :
Vincent Hervouet : Le 14 juillet, on fête la nation et son armée défile. C'est l'occasion aussi de s'interroger sur la Défense. Mieux, on peut même interroger le ministre de la Défense. Bonjour Madame. Merci d'être venue jusqu'ici pour répondre à nos questions. C'est la troisième année que vous assistez au défilé depuis la tribune de la place de la Concorde aux côtés du chef de l'État. Est-ce que votre regard a changé sur cette parade militaire et sur l'armée depuis deux ans que vous êtes dans ce poste ?
Michèle Alliot-Marie : Oui, bien sûr. Je dirais d'abord que c'est un regard un peu plus critique parce que l'on apprend aussi beaucoup de choses dans un poste comme celui-ci ; juger la précision, l'exactitude des mouvements, c'est une chose, mais au-delà de cela, c'est aussi un regard très admiratif pour ces hommes et ces femmes qui ont tant de qualités et professionnelles et humaines, et que je vois depuis sur le terrain.
Vincent Hervouet : Beau défilé aujourd'hui.
Michèle Alliot-Marie : C'était un beau défilé. La présence des Britanniques dans le cadre de l'Entente cordiale avait beaucoup d'allure. C'était de plus, une façon de montrer les liens très étroits que nous avons avec les Britanniques puisque nous sommes côte à côte dans beaucoup de théâtres d'opérations extérieures ; je pense à l'Afghanistan, je pense aux Balkans aussi. C'était également une façon de montrer que la défense européenne, c'est une réalité.
Vincent Hervouet : Alors il y a un rituel, il y a une tradition qui n'est pas si ancienne que ça finalement de faire défiler les troupes et pourtant il y a une curiosité parce que quand on regarde les grands pays occidentaux, aucun n'a de parade militaire le jour de la fête nationale. Il n'y a que dans les dictatures ou dans les pays du tiers-monde que l'on a droit à ce genre de revue. Comment est-ce que vous expliquez cet anachronisme français ?
Michèle Alliot-Marie : D'abord ce n'est pas un anachronisme uniquement français ; à Madrid, c'est aussi le cas, vous ne l'avez pas cité, il y a un certain nombre de pays qui font ainsi.
Vincent Hervouet : Héritage de dictature
Michèle Alliot-Marie : Je ne suis pas sûre que ce soit de " dictature ". Je crois que c'était une grande tradition que certains pays ont oubliée. Pour moi, c'est surtout un moment de rapprochement privilégié entre les Français et leur armée et je pense que c'est bon pour les uns comme pour les autres. Les Français sont fiers de leur armée ; ils le disent - à 85 % d'entre eux - qu'ils adhèrent et qu'ils l'aiment. Les militaires ont besoin aussi d'avoir ce soutien et de sentir, peut-être aussi disons, l'affection des Français. On le verra avec ce qui se passera cet après-midi et ce soir dans les arrondissements.
Vincent Hervouet : Il y a des parachutistes qui sautent sur le cur de Paris, il y a tous les régiments qui vont au devant des Parisiens dans les différents arrondissements
Michèle Alliot-Marie : Oui, effectivement ils vont au devant des Parisiens. Ce sera une grande rencontre et c'est une chose à laquelle je tiens beaucoup parce que depuis la suspension du service militaire, il ne faut pas qu'il y ait de coupure entre l'armée et les Français.
Vincent Hervouet : Et ce n'est pas artificiel, cela suffit une journée d'intégration ? Cela suffit une promenade du moins de rencontrer des militaires en chair et en os le 14 juillet pour que ce lien entre l'armée et la nation ne soit pas rompu ?
Michèle Alliot-Marie : Non, cela ne suffit pas et il faut bien entendu sans arrêt renouveler ce lien. Il y a le 14 juillet et aussi ces rencontres. Puis il y aura celles qui auront lieu en 2005, comme je l'avais fait en 2003 aux alentours du 8 mai, où les armées présenteront leur matériel. Il y a de plus en plus de contacts et notamment à travers les réservistes qui jouent un grand rôle.
Vincent Hervouet : Même si on a une grande curiosité à imaginer qu'il y a encore des réservistes puisqu'il n'y a plus de conscription.
Michèle Alliot-Marie : Il peut y avoir des réservistes qui n'auront pas fait leur service national ; c'est même ce qui va se passer dorénavant et c'est d'ailleurs ce qui commence à se passer. Je suis heureuse de voir qu'il y a beaucoup de jeunes qui sont intéressés par la réserve et qui en font partie. J'en ai reçu hier à l'Hôtel de Brienne, deux qui avaient 19 et 20 ans.
Vincent Hervouet : On ne va pas dire que le chômage a du bon mais c'est vrai que l'armée continue d'employer énormément de personnel et on va parler évidemment du financement de la défense. Mais avant pour les touristes, pour les badauds qui regardent passer le matériel et qui applaudissent la légion, finalement l'armée n'a pas changé ; or pourtant tout a changé : l'armée n'est plus une armée de conscription, c'est une armée professionnelle et la menace elle-aussi a changé. Alors pour vous aujourd'hui, quel est - c'est une question traditionnelle, presque une question de cours pour un militaire - mais où est l'ennemi, quel est l'ennemi ?
Michèle Alliot-Marie : Vous avez plusieurs types d'ennemis. Je dirais que le premier ennemi, c'est bien entendu le terrorisme. Le président de la République l'a d'ailleurs rappelé hier devant les militaires. Il est vrai que notre pays est l'un des pays menacés, que l'ensemble des pays européens le sont aussi et qu'il faut prévenir cela. L'armée a bien évidemment un grand rôle dans la lutte et dans la prévention du terrorisme.
Vincent Hervouet : Mais ce n'est pas avec des chars Leclerc qu'on se bat contre Al Qaïda ?
Michèle Alliot-Marie : Ce n'est effectivement pas avec des chars Leclerc mais je voudrais brièvement dire ce que fait l'armée. Elle agit d'abord pour notre protection ; il vaut mieux se protéger le plus tôt possible et le plus loin possible, cela limite le risque. Et c'est par exemple ce que font tous nos services de renseignement présents sur le terrain, qu'il s'agisse de la DGSE ou de la DRM, qui vont chercher l'information. Il y a ensuite la protection contre un attentat du type de celui du 11 septembre. Vous ne le savez pas mais vous avez en permanence au-dessus de votre tête des aviateurs qui sont là et qui surveillent tout ce qui se peut se passer, avec les gros ou les petits aéronefs. Vous avez aussi en permanence des avions de chasse prêts à décoller pour intercepter n'importe quel appareil. Vous avez en permanence la marine nationale, y compris nos sous-marins, qui veillent sur nos côtes. C'est donc le premier point en même temps que le renseignement. Deuxième point, il y a également la lutte directe contre le terrorisme. C'est par exemple ce que nous faisons en Afghanistan, et ce que font en particulier nos forces spéciales dans le Sud du pays, là où il peut y avoir des camps d'entraînement d'Al Qaïda ; c'est ce que nous faisons également dans la corne de l'Afrique avec nos navires présents là-aussi pour des interceptions. Il s'agit donc d'une veille permanente où nos avions, nos hélicoptères, nos navires sont constamment utilisés en même temps que, dans le cadre de VIGIPIRATE, sont aussi utilisés un certain nombre de véhicules blindés.
Vincent Hervouet : Alors on pourrait s'interroger sur l'efficacité de VIGIPIRATE ou des sous-marins dans la lutte quand même contre le terrorisme mais est-ce que vous n'avez pas quand même l'impression et c'est la question de fond, que l'armée française reste taillée notamment dans sa dimension nucléaire pour une guerre qui n'a pas eu lieu, qui était celle contre le pacte de Varsovie et qu'elle ne s'est pas véritablement redimensionnée, adaptée à cette menace immédiate qu'est le terrorisme, à cette guerre souterraine qui nous est faite ?
Michèle Alliot-Marie : Je voudrais d'abord vous rappeler une chose, c'est que l'armée a été redéfinie dans ses missions et dans son rôle en 1996 par le président de la République, en tenant compte justement de la nouvelle donne stratégique et notamment du terrorisme.
Vincent Hervouet : C'était avant le 11 septembre ?
Michèle Alliot-Marie : Oui. Mais n'oubliez pas une chose, c'est que le terrorisme de masse, nous, nous savions ce que c'était puisqu'à deux reprises, en 1986 et en 1995, notre territoire, notre capitale avait été frappée. C'était donc pris en compte.
Vincent Hervouet : C'est une autre guerre, non ? C'est mondial aujourd'hui, non ?
Michèle Alliot-Marie : Le terrorisme de masse est identique quant à ses objectifs et ses moyens. Mais vous me parliez du nucléaire. Alors parlons de la dissuasion nucléaire parce que c'est effectivement quelque chose que j'entends régulièrement. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de pays dont la permanence démocratique est incertaine, et qui se sont dotés ou qui essaient de se doter de l'armement nucléaire - je cite la Corée mais il y a bien d'autres pays que l'on pourrait citer, le Pakistan, l'Inde, nous avons des interrogations sur l'Iran, et d'autres. Est-ce que c'est au moment où un certain nombre de pays de ce genre se dotent de l'arme nucléaire qu'il faut supprimer notre dissuasion nucléaire qui est notre ultime protection contre une menace majeure contre notre pays ? C'est bien de la dissuasion que nous faisons.
Vincent Hervouet : Le principe de la dissuasion, c'est de mettre en joug, c'est de tenir en respect des Etats et des Etats plus forts que vous, c'est le crime gaulliste finalement on est au suicide en entraînant l'autre dans la tombe. Ca ne marche pas avec des pays plus petits, cela ne marche pas avec des organisations terroristes.
Michèle Alliot-Marie : Cela marche avec des pays plus petits dans la mesure où, bien entendu, nous adaptons en permanence notre armement et avons une précision de plus en plus grande ; ce qui fait qu'effectivement, certains petits Etats, petits pays ou même grands d'ailleurs, reculeront et, compte tenu de l'ampleur des dégâts qui seraient faits, n'oseront pas utiliser leurs moyens contre notre pays. Notre dissuasion est aussi utile contre l'utilisation d'autres armes telles que des armes biologiques ou chimiques.
Vincent Hervouet : C'est toujours très difficile de se projeter dans un avenir aussi lointain et aussi pathétique
Michèle Alliot-Marie : Oui mais le premier rôle d'un État, c'est de protéger ses citoyens ; et notre rôle, c'est justement d'imaginer tout ce qui peut se passer.
Vincent Hervouet : Alors on va écouter quand même le chef de l'État qui cet après-midi donc dans son allocution habituelle, a voulu marquer son autorité. Il a expliqué donc que les choix budgétaires sur la défense ne pouvaient être remis en cause il a expliqué aussi pourquoi la France avait besoin d'une armée forte.
(/)
Vincent Hervouet : Exister en Europe. La France existe par sa singularité, par son armée plus que par son économie ?
Michèle Alliot-Marie : La France existe aussi par son économie ; il est vrai que, sans elle, vous n'auriez pas la défense européenne qui existe aujourd'hui et que nous voyons sur le terrain avec des militaires qui portent le drapeau étoilé sur le bras, que ce soit en Macédoine, en Bosnie ou au Congo. C'est grâce à cet effort, et je l'ai moi-même constaté en deux ans, que nous avons pu convaincre un certain nombre de nos partenaires européens qu'il fallait effectivement mettre sur pied les éléments de l'Europe de la Défense.
Vincent Hervouet : Alors on va voir pendant que vous parlez, la carte justement des importations des forces françaises. Alors là on a vu les bases permanentes françaises, là on voit les opérations auxquelles les Français sont associés dans le cadre de l'ONU ou autre. On peut se demander d'ailleurs s'il n'y a pas un peu de saupoudrage parce que quand on voit Sahara occidental où le conflit est gelé depuis 25 ans, cent hommes, Liberia, cent hommes, Burundi cent hommes. On se demande parfois est-ce qu'il est vraiment utile d'envoyer aussi loin pour des périodes de six mois renouvelables éternellement ou de trois mois, cela dépend, autant d'hommes ?
Michèle Alliot-Marie : D'abord, ce n'est pas renouvelable indéfiniment ; au contraire, lorsqu'il s'agit de grosses opérations comme celles du Congo l'été dernier ou en Macédoine, nous essayons de faire des opérations qui dureront trois mois ou peut-être six mois mais avec un terme précis. Même en Côte d'Ivoire, nous avons fixé un terme qui est celui de la prochaine élection présidentielle. Parfois, parmi ceux qui sont sur place et que vous comptez comme des hommes, on trouve des hommes qui ne sont pas des combattants au sens propre. Ils ne sont pas là pour mener les combats mais bien souvent pour soutenir des forces locales dans des pays avec lesquels nous avons des conventions.
Vincent Hervouet : Question de prestige là encore ? Il faut aider l'ONU
Michèle Alliot-Marie : Non, il ne s'agit pas de question de prestige. Il s'agit d'abord de solidarité avec un certain nombre de pays avec lesquels nous avons des relations privilégiées ; il s'agit de notre statut de membre permanent - vous avez raison - du conseil de sécurité de l'ONU, qui nous oblige effectivement à répondre à un certain nombre de demandes de l'ONU. Il s'agit également, dans des zones extrêmement sensibles, d'essayer de prévenir des crises dans lesquelles nos concitoyens ou nos intérêts pourraient être mis en cause ou essayer de prévenir lorsque c'est possible un certain nombre de massacres. Nous en voyons trop dans le monde.
Vincent Hervouet : Il nous reste très peu de temps. D'abord une question justement sur ces théâtres d'opérations extérieures. On va rester très longtemps au Kosovo, en Afghanistan, en Côte-d'Ivoire s'il faut attendre que naisse un Etat démocratique et qui respecte ses citoyens et éventuellement nos expatriés ?
Michèle Alliot-Marie : Je distinguerai ces trois cas de figure. La Côte d'Ivoire d'abord. Nous avons des liens depuis très longtemps avec ce pays et nous y avions des forces prépositionnées. Nous avons dit que nous resterions aux côtés de la force africaine qui est aujourd'hui plus nombreuse que nous pour que les élections présidentielles futures en 2005 puissent se dérouler dans des conditions normales. Il y a donc un terme. En ce qui concerne l'Afghanistan et le Kosovo, ce sont deux situations où nous sommes dans le cadre de l'OTAN et qui sont des situations beaucoup plus complexes.
Vincent Hervouet : Dans les deux cas, cela ne marche pas très bien
Michèle Alliot-Marie : Dans les deux cas, ce sont des situations extrêmement compliquées. Dans les Balkans, vous avez un espoir. En Macédoine, où nous étions, le problème est réglé. S'agissant de la Bosnie aujourd'hui, il y a eu des progrès : nous sommes là pour finir en quelque sorte de stabiliser cet Etat et l'on peut espérer qu'à relativement court terme, on y arrive. Au Kosovo, il y a encore un vrai problème. Nous l'avons vu au mois de mars dernier. Là, il faut que les politiques agissent ; ce n'est pas un problème militaire, c'est un problème politique et il faut régler le problème politique. Les militaires ne sont là que pour permettre ce règlement.
Vincent Hervouet : Oui ou non, sur l'Afghanistan, on va envoyer des renforts ?
Michèle Alliot-Marie : En Afghanistan, nous avons demandé à ce qu'il y ait des renforts. Il y en aura effectivement pour préparer les élections et parce que ce sera une période assez difficile.
Vincent Hervouet : La loi de programmation militaire, grand débat, grande querelle, grande bataille, vous avez visiblement gagné, vous avez eu le soutien du chef de l'Etat et on ne touchera pas à la loi de programmation militaire visiblement. La défense est le premier investisseur du pays.
Michèle Alliot-Marie : Oui, absolument. Il ne faut pas oublier que la majorité du budget de la défense va dans nos entreprises ; c'est donc du travail que nous leur donnons. Aujourd'hui, nous sommes le premier investisseur public et ces crédits vont non seulement vers les grandes entreprises mais également vers beaucoup de PME et de PMI sur l'ensemble du territoire national. Je viens d'ailleurs d'apprendre que plus de la moitié des PME d'Aquitaine, de ma région donc, travaillent depuis des années pour le ministère de la Défense. Et il y a bien d'autres régions qui sont dans la même situation. Ce sont au total deux millions et demi de salariés qui dépendent directement ou indirectement de la défense. La loi de programmation militaire, c'est d'abord nous permettre de faire en sorte que nos matériels marchent. Lorsque je suis arrivée, 50 % de nos avions et nos hélicoptères étaient cloués au sol faute de crédits pour payer les pièces détachées. Ils étaient donc inopérants.
Vincent Hervouet : Maintenant il y a un progrès à quel prix la question, c'est à quel prix. Jean Arthuis, président de la Commission des finances du Sénat, dit qu'il faudrait davantage de recherche de défense et moins de production d'armes historiquement datées qui maintiennent artificiellement l'emploi dans tel ou tel arsenal. Qu'est-ce que vous répondez à ce vu pieu ?
Michèle Alliot-Marie : Mais je dis à Jean Arthuis qu'il a tout à fait raison et que c'est vrai que si la précédente loi de programmation militaire avait été intégralement respectée, nous aurions aujourd'hui des armements nouveaux et qui sont en cours de fabrication. Cela nous coûterait infiniment moins cher que d'essayer de prolonger la vie d'armements anciens qui n'ont pas pu être renouvelés parce que justement la précédente loi de programmation n'était pas appliquée.
Vincent Hervouet : Quand vous regardez le spectacle absolument sidérant de la guerre en Irak et que vous voyez que la France n'a toujours pas de missiles de croisière, l'arme avec laquelle les Américains ont gagné la précédente guerre en Irak il y a maintenant treize ans, vous n'êtes pas un peu découragée quand même ?
Michèle Alliot-Marie : Non, parce que votre information n'est pas tout à fait exacte.
Vincent Hervouet : Nous avons des missiles de croisière ?
Michèle Alliot-Marie : Nous sommes en train d'en fabriquer un dans le cadre européen. Mon rôle, c'est justement de donner aux hommes et aux femmes de la défense les moyens qui leur sont nécessaires pour accomplir cette mission au bénéfice de la sécurité des Français, de nos intérêts mais également de nos engagements, que nous avons en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU.
Vincent Hervouet : Il faut tenir aussi son rang. Merci Madame la Ministre.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juillet 2004)
Le Figaro : En pleine période d'arbitrages budgétaires, Bercy vous reproche de ne pas respecter votre budget pour 2004. Les services de Nicolas Sarkozy parlent même de "dérapage"...
Michèle Alliot-Marie : C'est faux. Je comprends bien les contraintes de Bercy, mais il est difficile de ne pas voir dans ce procès un peu de mauvaise foi. Un "dérapage" ? Le ministère de l'Économie s'appuie sur le fait que la Défense a dépensé au premier semestre 2004 12 % de plus qu'au cours du premier semestre 2003. Pour 2003, 13,6 milliards d'euros d'investissements étaient inscrits à notre budget. Pour 2004, 14,9 milliards. Il était donc bien prévu que nous dépensions 10 % de plus pour remettre notre équipement à niveau après les cinq années de dégradation du budget sous le gouvernement socialiste. Si nous avons accru nos dépenses de 12 %, donc 2 % de plus, c'est parce que l'an dernier, en fin d'année, Bercy nous a demandé de reporter à début 2004 certaines dépenses inscrites au budget 2003. Bref, on retient aujourd'hui contre nous les efforts que nous avons faits hier. Tout cela n'est pas sérieux.
Le Figaro : Pour 2005, les Finances vous demandent de stabiliser vos dépenses en volume par rapport à 2004. Ne jugez-vous pas légitime que votre ministère participe à l'effort de rigueur demandé à tout le gouvernement ?
Michèle Alliot-Marie : Croyez bien que je n'ai pas attendu les conseils de Bercy pour faire des économies ! Dès 2002, au moment même où la loi de programmation militaire était décidée, j'ai signifié à mes subordonnés qu'à cet effort de la nation envers les armées devait correspondre un effort des armées pour utiliser au mieux chaque euro mis à notre disposition. En 2003, nous n'avons pas renouvelé 40 % des postes des personnels civils qui partaient en retraite, 50 % en 2004 ! En matière de fonctionnement, un certain nombre de réformes, comme la création de l'économat des armées, une meilleure gestion des indemnités du personnel ou la gestion active de notre patrimoine immobilier nous ont permis de faire des économies sensibles. En 2003, ces économies ont représenté 17,5 millions d'euros. 198,6 millions en 2004 ! Quel ministère peut en dire autant ?
Le Figaro : Cependant, le premier ministre lui-même vient d'inviter le ministère de la Défense à "des efforts de gestion"...
Michèle Alliot-Marie : Il a raison : ces efforts, nous continuerons de les faire. Nous préparons pour les années à venir la fusion des services d'infrastructures et le regroupement des services d'archives des armées. J'ai décidé d'externaliser la gestion des véhicules de la gamme commerciale et aussi la formation initiale des pilotes d'hélicoptères ; nous étudions un projet similaire pour la gestion des logements de la gendarmerie... tout ceci doit nous permettre de dégager des marges de manuvre, aussi bien en fonctionnement qu'en termes d'effectifs. Voilà des économies réelles et substantielles. Mais que l'on ne compte pas sur moi pour remettre en cause les investissements prévus par la loi de programmation militaire. Le président de la République vient d'ailleurs de réaffirmer qu'elle serait entièrement respectée. Ce serait rendre un mauvais service à la sécurité de nos concitoyens. Ce serait aussi rendre un mauvais service à l'économie française.
Le Figaro : C'est-à-dire ?
Michèle Alliot-Marie : La Défense, on l'oublie trop souvent, est aujourd'hui le premier investisseur public du pays. Nous sommes le seul ministère dans lequel les dépenses du personnel sont inférieures aux dépenses d'investissement. Nous réinjectons près de quinze milliards d'euros chaque année dans l'économie. Cet argent fait tourner des entreprises, il permet un développement de la recherche. Nous rapportons en TVA deux milliards et demi d'euros à Bercy. Nous sommes à l'origine de quatre à cinq milliards d'euros d'exportations. Au total, 2,5 millions d'emplois dans les grandes entreprises, mais aussi dans beaucoup de PME sur l'ensemble du territoire, sont concernés par la Défense. Méfions-nous des économies à courte vue. Elles auraient un impact direct sur le niveau du chômage ainsi que sur notre dynamisme industriel.
Le Figaro : Certains demandent qu'un effort de réduction des coûts s'exerce notamment sur le dispositif français de dissuasion nucléaire. Qu'en pensez-vous ?
Michèle Alliot-Marie : N'oublions pas que nous vivons dans un monde dangereux. Ce n'est pas au moment où certains pays comme le Pakistan, l'Inde, la Corée du Nord sont dotés, ou cherchent à se doter d'un armement nucléaire que l'on peut lever ce qui est notre ultime protection. En matière de nucléaire militaire, nous essayons toujours d'être dans la logique de la stricte suffisance - c'est la raison pour laquelle nous avons démantelé la composante terrestre. Il serait aujourd'hui peu raisonnable d'aller au-delà et de supprimer, comme certains le proposent, la composante aérienne pour nous en remettre aux seuls sous-marins.
Le Figaro : Finalement, que demanderez-vous au Premier ministre pour le budget 2005 ?
Michèle Alliot-Marie : Nous demanderons bien sûr que la loi de programmation militaire votée par le Parlement soit intégralement respectée. Nous demanderons ensuite que les Opex (opérations extérieures) soient financées de manière significative dans le budget initial ainsi que le chef de l'État l'a demandé. Et nous poursuivrons l'effort d'économie dans la mesure où il ne mettra pas en danger le budget des équipements. Nous demandons une enveloppe limitée par rapport à l'étendue des besoins.
Le Figaro : Entre Nicolas Sarkozy et vous, la discussion risque d'être animée...
Michèle Alliot-Marie : J'ai d'excellentes relations personnelles avec Nicolas Sarkozy. Mais il me connaît assez pour savoir que je ne suis pas du genre à me laisser marcher sur les pieds lorsque la mission qui m'est confiée est en jeu.
(/)
Le Figaro : Allez-vous vous engager dans la bataille pour la présidence de l'UMP ?
Michèle Alliot-Marie : Évidemment ! J'ai trop à cur le destin des militants issus de l'ex-RPR et de l'ensemble de la majorité pour ne pas dire mon mot. Mais, je le répète, je ne serai pas candidate. Mon travail à la Défense me passionne par la diversité des domaines concernés : stratégie, économie, social, formation... Je veux mener à bien les différents chantiers de la LPM, de la réforme du statut des militaires, des réserves, de la DGA, de l'Europe de la défense. C'est la raison pour laquelle j'ai décliné le ministère des Affaires étrangères. On ne peut pas tout faire à la fois.
(/)
Le Figaro : Un départ de Nicolas Sarkozy n'affaiblirait-il pas le gouvernement ?
Michèle Alliot-Marie : La vie politique enseigne que nul n'est propriétaire de son ministère, et que personne n'a vocation à être ministre à vie. Il y avait un ministre de l'Economie avant Nicolas Sarkozy. Il y en aura d'autres après. Il y avait un ministre de la Défense avant moi. Il y en aura un après moi.
Propos recueillis par Philippe Migault et Alexis Brézet
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juillet 2004)
Interview à LCI le 14 juillet :
Vincent Hervouet : Le 14 juillet, on fête la nation et son armée défile. C'est l'occasion aussi de s'interroger sur la Défense. Mieux, on peut même interroger le ministre de la Défense. Bonjour Madame. Merci d'être venue jusqu'ici pour répondre à nos questions. C'est la troisième année que vous assistez au défilé depuis la tribune de la place de la Concorde aux côtés du chef de l'État. Est-ce que votre regard a changé sur cette parade militaire et sur l'armée depuis deux ans que vous êtes dans ce poste ?
Michèle Alliot-Marie : Oui, bien sûr. Je dirais d'abord que c'est un regard un peu plus critique parce que l'on apprend aussi beaucoup de choses dans un poste comme celui-ci ; juger la précision, l'exactitude des mouvements, c'est une chose, mais au-delà de cela, c'est aussi un regard très admiratif pour ces hommes et ces femmes qui ont tant de qualités et professionnelles et humaines, et que je vois depuis sur le terrain.
Vincent Hervouet : Beau défilé aujourd'hui.
Michèle Alliot-Marie : C'était un beau défilé. La présence des Britanniques dans le cadre de l'Entente cordiale avait beaucoup d'allure. C'était de plus, une façon de montrer les liens très étroits que nous avons avec les Britanniques puisque nous sommes côte à côte dans beaucoup de théâtres d'opérations extérieures ; je pense à l'Afghanistan, je pense aux Balkans aussi. C'était également une façon de montrer que la défense européenne, c'est une réalité.
Vincent Hervouet : Alors il y a un rituel, il y a une tradition qui n'est pas si ancienne que ça finalement de faire défiler les troupes et pourtant il y a une curiosité parce que quand on regarde les grands pays occidentaux, aucun n'a de parade militaire le jour de la fête nationale. Il n'y a que dans les dictatures ou dans les pays du tiers-monde que l'on a droit à ce genre de revue. Comment est-ce que vous expliquez cet anachronisme français ?
Michèle Alliot-Marie : D'abord ce n'est pas un anachronisme uniquement français ; à Madrid, c'est aussi le cas, vous ne l'avez pas cité, il y a un certain nombre de pays qui font ainsi.
Vincent Hervouet : Héritage de dictature
Michèle Alliot-Marie : Je ne suis pas sûre que ce soit de " dictature ". Je crois que c'était une grande tradition que certains pays ont oubliée. Pour moi, c'est surtout un moment de rapprochement privilégié entre les Français et leur armée et je pense que c'est bon pour les uns comme pour les autres. Les Français sont fiers de leur armée ; ils le disent - à 85 % d'entre eux - qu'ils adhèrent et qu'ils l'aiment. Les militaires ont besoin aussi d'avoir ce soutien et de sentir, peut-être aussi disons, l'affection des Français. On le verra avec ce qui se passera cet après-midi et ce soir dans les arrondissements.
Vincent Hervouet : Il y a des parachutistes qui sautent sur le cur de Paris, il y a tous les régiments qui vont au devant des Parisiens dans les différents arrondissements
Michèle Alliot-Marie : Oui, effectivement ils vont au devant des Parisiens. Ce sera une grande rencontre et c'est une chose à laquelle je tiens beaucoup parce que depuis la suspension du service militaire, il ne faut pas qu'il y ait de coupure entre l'armée et les Français.
Vincent Hervouet : Et ce n'est pas artificiel, cela suffit une journée d'intégration ? Cela suffit une promenade du moins de rencontrer des militaires en chair et en os le 14 juillet pour que ce lien entre l'armée et la nation ne soit pas rompu ?
Michèle Alliot-Marie : Non, cela ne suffit pas et il faut bien entendu sans arrêt renouveler ce lien. Il y a le 14 juillet et aussi ces rencontres. Puis il y aura celles qui auront lieu en 2005, comme je l'avais fait en 2003 aux alentours du 8 mai, où les armées présenteront leur matériel. Il y a de plus en plus de contacts et notamment à travers les réservistes qui jouent un grand rôle.
Vincent Hervouet : Même si on a une grande curiosité à imaginer qu'il y a encore des réservistes puisqu'il n'y a plus de conscription.
Michèle Alliot-Marie : Il peut y avoir des réservistes qui n'auront pas fait leur service national ; c'est même ce qui va se passer dorénavant et c'est d'ailleurs ce qui commence à se passer. Je suis heureuse de voir qu'il y a beaucoup de jeunes qui sont intéressés par la réserve et qui en font partie. J'en ai reçu hier à l'Hôtel de Brienne, deux qui avaient 19 et 20 ans.
Vincent Hervouet : On ne va pas dire que le chômage a du bon mais c'est vrai que l'armée continue d'employer énormément de personnel et on va parler évidemment du financement de la défense. Mais avant pour les touristes, pour les badauds qui regardent passer le matériel et qui applaudissent la légion, finalement l'armée n'a pas changé ; or pourtant tout a changé : l'armée n'est plus une armée de conscription, c'est une armée professionnelle et la menace elle-aussi a changé. Alors pour vous aujourd'hui, quel est - c'est une question traditionnelle, presque une question de cours pour un militaire - mais où est l'ennemi, quel est l'ennemi ?
Michèle Alliot-Marie : Vous avez plusieurs types d'ennemis. Je dirais que le premier ennemi, c'est bien entendu le terrorisme. Le président de la République l'a d'ailleurs rappelé hier devant les militaires. Il est vrai que notre pays est l'un des pays menacés, que l'ensemble des pays européens le sont aussi et qu'il faut prévenir cela. L'armée a bien évidemment un grand rôle dans la lutte et dans la prévention du terrorisme.
Vincent Hervouet : Mais ce n'est pas avec des chars Leclerc qu'on se bat contre Al Qaïda ?
Michèle Alliot-Marie : Ce n'est effectivement pas avec des chars Leclerc mais je voudrais brièvement dire ce que fait l'armée. Elle agit d'abord pour notre protection ; il vaut mieux se protéger le plus tôt possible et le plus loin possible, cela limite le risque. Et c'est par exemple ce que font tous nos services de renseignement présents sur le terrain, qu'il s'agisse de la DGSE ou de la DRM, qui vont chercher l'information. Il y a ensuite la protection contre un attentat du type de celui du 11 septembre. Vous ne le savez pas mais vous avez en permanence au-dessus de votre tête des aviateurs qui sont là et qui surveillent tout ce qui se peut se passer, avec les gros ou les petits aéronefs. Vous avez aussi en permanence des avions de chasse prêts à décoller pour intercepter n'importe quel appareil. Vous avez en permanence la marine nationale, y compris nos sous-marins, qui veillent sur nos côtes. C'est donc le premier point en même temps que le renseignement. Deuxième point, il y a également la lutte directe contre le terrorisme. C'est par exemple ce que nous faisons en Afghanistan, et ce que font en particulier nos forces spéciales dans le Sud du pays, là où il peut y avoir des camps d'entraînement d'Al Qaïda ; c'est ce que nous faisons également dans la corne de l'Afrique avec nos navires présents là-aussi pour des interceptions. Il s'agit donc d'une veille permanente où nos avions, nos hélicoptères, nos navires sont constamment utilisés en même temps que, dans le cadre de VIGIPIRATE, sont aussi utilisés un certain nombre de véhicules blindés.
Vincent Hervouet : Alors on pourrait s'interroger sur l'efficacité de VIGIPIRATE ou des sous-marins dans la lutte quand même contre le terrorisme mais est-ce que vous n'avez pas quand même l'impression et c'est la question de fond, que l'armée française reste taillée notamment dans sa dimension nucléaire pour une guerre qui n'a pas eu lieu, qui était celle contre le pacte de Varsovie et qu'elle ne s'est pas véritablement redimensionnée, adaptée à cette menace immédiate qu'est le terrorisme, à cette guerre souterraine qui nous est faite ?
Michèle Alliot-Marie : Je voudrais d'abord vous rappeler une chose, c'est que l'armée a été redéfinie dans ses missions et dans son rôle en 1996 par le président de la République, en tenant compte justement de la nouvelle donne stratégique et notamment du terrorisme.
Vincent Hervouet : C'était avant le 11 septembre ?
Michèle Alliot-Marie : Oui. Mais n'oubliez pas une chose, c'est que le terrorisme de masse, nous, nous savions ce que c'était puisqu'à deux reprises, en 1986 et en 1995, notre territoire, notre capitale avait été frappée. C'était donc pris en compte.
Vincent Hervouet : C'est une autre guerre, non ? C'est mondial aujourd'hui, non ?
Michèle Alliot-Marie : Le terrorisme de masse est identique quant à ses objectifs et ses moyens. Mais vous me parliez du nucléaire. Alors parlons de la dissuasion nucléaire parce que c'est effectivement quelque chose que j'entends régulièrement. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de pays dont la permanence démocratique est incertaine, et qui se sont dotés ou qui essaient de se doter de l'armement nucléaire - je cite la Corée mais il y a bien d'autres pays que l'on pourrait citer, le Pakistan, l'Inde, nous avons des interrogations sur l'Iran, et d'autres. Est-ce que c'est au moment où un certain nombre de pays de ce genre se dotent de l'arme nucléaire qu'il faut supprimer notre dissuasion nucléaire qui est notre ultime protection contre une menace majeure contre notre pays ? C'est bien de la dissuasion que nous faisons.
Vincent Hervouet : Le principe de la dissuasion, c'est de mettre en joug, c'est de tenir en respect des Etats et des Etats plus forts que vous, c'est le crime gaulliste finalement on est au suicide en entraînant l'autre dans la tombe. Ca ne marche pas avec des pays plus petits, cela ne marche pas avec des organisations terroristes.
Michèle Alliot-Marie : Cela marche avec des pays plus petits dans la mesure où, bien entendu, nous adaptons en permanence notre armement et avons une précision de plus en plus grande ; ce qui fait qu'effectivement, certains petits Etats, petits pays ou même grands d'ailleurs, reculeront et, compte tenu de l'ampleur des dégâts qui seraient faits, n'oseront pas utiliser leurs moyens contre notre pays. Notre dissuasion est aussi utile contre l'utilisation d'autres armes telles que des armes biologiques ou chimiques.
Vincent Hervouet : C'est toujours très difficile de se projeter dans un avenir aussi lointain et aussi pathétique
Michèle Alliot-Marie : Oui mais le premier rôle d'un État, c'est de protéger ses citoyens ; et notre rôle, c'est justement d'imaginer tout ce qui peut se passer.
Vincent Hervouet : Alors on va écouter quand même le chef de l'État qui cet après-midi donc dans son allocution habituelle, a voulu marquer son autorité. Il a expliqué donc que les choix budgétaires sur la défense ne pouvaient être remis en cause il a expliqué aussi pourquoi la France avait besoin d'une armée forte.
(/)
Vincent Hervouet : Exister en Europe. La France existe par sa singularité, par son armée plus que par son économie ?
Michèle Alliot-Marie : La France existe aussi par son économie ; il est vrai que, sans elle, vous n'auriez pas la défense européenne qui existe aujourd'hui et que nous voyons sur le terrain avec des militaires qui portent le drapeau étoilé sur le bras, que ce soit en Macédoine, en Bosnie ou au Congo. C'est grâce à cet effort, et je l'ai moi-même constaté en deux ans, que nous avons pu convaincre un certain nombre de nos partenaires européens qu'il fallait effectivement mettre sur pied les éléments de l'Europe de la Défense.
Vincent Hervouet : Alors on va voir pendant que vous parlez, la carte justement des importations des forces françaises. Alors là on a vu les bases permanentes françaises, là on voit les opérations auxquelles les Français sont associés dans le cadre de l'ONU ou autre. On peut se demander d'ailleurs s'il n'y a pas un peu de saupoudrage parce que quand on voit Sahara occidental où le conflit est gelé depuis 25 ans, cent hommes, Liberia, cent hommes, Burundi cent hommes. On se demande parfois est-ce qu'il est vraiment utile d'envoyer aussi loin pour des périodes de six mois renouvelables éternellement ou de trois mois, cela dépend, autant d'hommes ?
Michèle Alliot-Marie : D'abord, ce n'est pas renouvelable indéfiniment ; au contraire, lorsqu'il s'agit de grosses opérations comme celles du Congo l'été dernier ou en Macédoine, nous essayons de faire des opérations qui dureront trois mois ou peut-être six mois mais avec un terme précis. Même en Côte d'Ivoire, nous avons fixé un terme qui est celui de la prochaine élection présidentielle. Parfois, parmi ceux qui sont sur place et que vous comptez comme des hommes, on trouve des hommes qui ne sont pas des combattants au sens propre. Ils ne sont pas là pour mener les combats mais bien souvent pour soutenir des forces locales dans des pays avec lesquels nous avons des conventions.
Vincent Hervouet : Question de prestige là encore ? Il faut aider l'ONU
Michèle Alliot-Marie : Non, il ne s'agit pas de question de prestige. Il s'agit d'abord de solidarité avec un certain nombre de pays avec lesquels nous avons des relations privilégiées ; il s'agit de notre statut de membre permanent - vous avez raison - du conseil de sécurité de l'ONU, qui nous oblige effectivement à répondre à un certain nombre de demandes de l'ONU. Il s'agit également, dans des zones extrêmement sensibles, d'essayer de prévenir des crises dans lesquelles nos concitoyens ou nos intérêts pourraient être mis en cause ou essayer de prévenir lorsque c'est possible un certain nombre de massacres. Nous en voyons trop dans le monde.
Vincent Hervouet : Il nous reste très peu de temps. D'abord une question justement sur ces théâtres d'opérations extérieures. On va rester très longtemps au Kosovo, en Afghanistan, en Côte-d'Ivoire s'il faut attendre que naisse un Etat démocratique et qui respecte ses citoyens et éventuellement nos expatriés ?
Michèle Alliot-Marie : Je distinguerai ces trois cas de figure. La Côte d'Ivoire d'abord. Nous avons des liens depuis très longtemps avec ce pays et nous y avions des forces prépositionnées. Nous avons dit que nous resterions aux côtés de la force africaine qui est aujourd'hui plus nombreuse que nous pour que les élections présidentielles futures en 2005 puissent se dérouler dans des conditions normales. Il y a donc un terme. En ce qui concerne l'Afghanistan et le Kosovo, ce sont deux situations où nous sommes dans le cadre de l'OTAN et qui sont des situations beaucoup plus complexes.
Vincent Hervouet : Dans les deux cas, cela ne marche pas très bien
Michèle Alliot-Marie : Dans les deux cas, ce sont des situations extrêmement compliquées. Dans les Balkans, vous avez un espoir. En Macédoine, où nous étions, le problème est réglé. S'agissant de la Bosnie aujourd'hui, il y a eu des progrès : nous sommes là pour finir en quelque sorte de stabiliser cet Etat et l'on peut espérer qu'à relativement court terme, on y arrive. Au Kosovo, il y a encore un vrai problème. Nous l'avons vu au mois de mars dernier. Là, il faut que les politiques agissent ; ce n'est pas un problème militaire, c'est un problème politique et il faut régler le problème politique. Les militaires ne sont là que pour permettre ce règlement.
Vincent Hervouet : Oui ou non, sur l'Afghanistan, on va envoyer des renforts ?
Michèle Alliot-Marie : En Afghanistan, nous avons demandé à ce qu'il y ait des renforts. Il y en aura effectivement pour préparer les élections et parce que ce sera une période assez difficile.
Vincent Hervouet : La loi de programmation militaire, grand débat, grande querelle, grande bataille, vous avez visiblement gagné, vous avez eu le soutien du chef de l'Etat et on ne touchera pas à la loi de programmation militaire visiblement. La défense est le premier investisseur du pays.
Michèle Alliot-Marie : Oui, absolument. Il ne faut pas oublier que la majorité du budget de la défense va dans nos entreprises ; c'est donc du travail que nous leur donnons. Aujourd'hui, nous sommes le premier investisseur public et ces crédits vont non seulement vers les grandes entreprises mais également vers beaucoup de PME et de PMI sur l'ensemble du territoire national. Je viens d'ailleurs d'apprendre que plus de la moitié des PME d'Aquitaine, de ma région donc, travaillent depuis des années pour le ministère de la Défense. Et il y a bien d'autres régions qui sont dans la même situation. Ce sont au total deux millions et demi de salariés qui dépendent directement ou indirectement de la défense. La loi de programmation militaire, c'est d'abord nous permettre de faire en sorte que nos matériels marchent. Lorsque je suis arrivée, 50 % de nos avions et nos hélicoptères étaient cloués au sol faute de crédits pour payer les pièces détachées. Ils étaient donc inopérants.
Vincent Hervouet : Maintenant il y a un progrès à quel prix la question, c'est à quel prix. Jean Arthuis, président de la Commission des finances du Sénat, dit qu'il faudrait davantage de recherche de défense et moins de production d'armes historiquement datées qui maintiennent artificiellement l'emploi dans tel ou tel arsenal. Qu'est-ce que vous répondez à ce vu pieu ?
Michèle Alliot-Marie : Mais je dis à Jean Arthuis qu'il a tout à fait raison et que c'est vrai que si la précédente loi de programmation militaire avait été intégralement respectée, nous aurions aujourd'hui des armements nouveaux et qui sont en cours de fabrication. Cela nous coûterait infiniment moins cher que d'essayer de prolonger la vie d'armements anciens qui n'ont pas pu être renouvelés parce que justement la précédente loi de programmation n'était pas appliquée.
Vincent Hervouet : Quand vous regardez le spectacle absolument sidérant de la guerre en Irak et que vous voyez que la France n'a toujours pas de missiles de croisière, l'arme avec laquelle les Américains ont gagné la précédente guerre en Irak il y a maintenant treize ans, vous n'êtes pas un peu découragée quand même ?
Michèle Alliot-Marie : Non, parce que votre information n'est pas tout à fait exacte.
Vincent Hervouet : Nous avons des missiles de croisière ?
Michèle Alliot-Marie : Nous sommes en train d'en fabriquer un dans le cadre européen. Mon rôle, c'est justement de donner aux hommes et aux femmes de la défense les moyens qui leur sont nécessaires pour accomplir cette mission au bénéfice de la sécurité des Français, de nos intérêts mais également de nos engagements, que nous avons en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU.
Vincent Hervouet : Il faut tenir aussi son rang. Merci Madame la Ministre.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juillet 2004)