Interview de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, à France 2 le 18 décembre 2004, sur la décision du Conseil européen concernant l'ouverture de négociations en vue de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

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Circonstance : Décision du Conseil européen des 25 de donner son aval à l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie, à Bruxelles le 17 décembre 2004

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

En France, la question turque continue de diviser l'opinion publique et la classe politique ; selon ce nouveau sondage à paraître demain dans le JDD, 33 % des Français se disent favorables à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, contre 62 %, une forte majorité qui y sont opposés. Photo instantanée de l'opinion publique réalisée par l'IFOP. Nicolas SARKOZY, bonsoir.
Bonsoir.
Q- C'est donc fait, un accord a été trouvé, hier à Bruxelles. Est-ce que vous considérez que Jacques CHIRAC ayant défini la position de la France, le président de l'UMP, que vous êtes, peut marquer sa différence, avoir une autre voix ?
R- Ecoutez, en démocratie, moi je n'ai pas échangé ma loyauté au président de la République, et mes convictions. Le président de la République a des convictions, il les exprime avec force, elles sont éminemment respectables. J'ai aussi des convictions. Nous avons des points d'accord, et un point qui est un point de désaccord. Les points d'accord, quels sont-ils ? Oui, il fallait ouvrir des négociations parce qu'il faut sortir de l'indécision. Et je soutiens la procédure qui a été retenue par Jacques CHIRAC, il a eu raison. Deuxième point d'accord, oui ce sont les Français qui doivent décider, on a un devoir de vérité vis à vis des Français. Chaque fois que l'Europe n'a pas demandé au peuple leurs opinions, l'Europe s'est trompée. Et donc Jacques CHIRAC a dit au peuple français " C'est vous qui aurez le dernier mot par le référendum ". Et puis il y a un point qui doit être discuté, personne ne veut rejeter la Turquie, et moi moins qu'un autre. La Turquie, c'est un grand peuple, une grande civilisation
Q- Y compris lorsque vous dites " Je suis en fait contre l'adhésion par en tout cas par ce procédé, je suis pour le partenariat.
R- Je suis pour le partenariat privilégié
Q- Vous n'avez pas changé d'avis.
R- Pas du tout, je suis pour le partenariat privilégié, et je suis réservé sur l'adhésion, pourquoi ? Parce que déjà l'Europe à 25, on a beaucoup de mal à la faire fonctionner, on a déjà engagé la Bulgarie et la Roumanie, 27, sans doute la Croatie. Si nous faisons l'adhésion de la Turquie, qu'est-ce qu'on dira demain aux autres peuples de la Méditerranée, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie ? Donc je suis très clairement pour un partenariat
Q- Ça, vous l'aviez dit.
R- Avec la Turquie, pas pour une adhésion.
Q- Moi, j'ai des questions très concrètes, d'abord entre vos convictions et vos responsabilités de patron de l'UMP, est-ce que vous n'êtes pas dans une situation d'équilibriste, un peu sur un chemin de crête ?
R- Ecoutez, il faut essayer de s'en sortir, d'ailleurs la position de l'UMP, elle a été définie à l'époque où Alain JUPPE était le président de l'UMP, c'est exactement celle que j'ai indiquée.
Q- Précisément, cette position c'était en mai dernier, est-ce que, avec le nouvel conseil que vous allez réunir, je crois, en février prochain.
R- Exactement.
Q- Le conseil de l'UMP, est-ce que vous allez demander un nouveau vote sur la question turque ?
R- En tout cas au minimum un nouveau débat, pas simplement sur la question turque, parce que je répondrai oui à la question qui sera posée sur la Constitution européenne par Jacques CHIRAC. Je ferai campagne pour le oui parce que je crois à l'Europe.
Q- Donc vous craignez aussi cet amalgame, on parle d'un risque d'amalgame entre, précisément, la question du référendum sur la Constitution, et la question turque.
R- Ecoutez, les choses sont simples
Q- Vous allez vous engager
R- Plus l'Europe sera nombreuse, moins nous serons intégré, moins nous partagerons de valeurs communes, et plus nous serons fragiles. C'est la question essentielle : que voulons-nous que soit l'Europe ? L'Europe, ça n'est pas simplement un grand marché. Associer la Turquie au grand marché européen, c'est une excellente chose
Q- Mais parlons
R- Faire de la Turquie le premier Etat en droit de vote à l'intérieur de l'Europe, c'est un autre sujet et là-dessus, l'UMP avait pris une position à l'époque d'Alain JUPPE. En février, je demanderai deux choses : que nos instances débattent, est-ce qu'on répond oui à la réforme de la Constitution européenne ? Je ferai campagne pour cela. Et deuxièmement, il faut qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, il y a des femmes et des hommes, nombreux comme moi, qui voteront oui à la réforme de la Constitution et qui préfèrent un partenariat privilégié avec la Turquie. Juste un dernier mot ; dans la réforme de la Constitution, il est prévu dans l'article 54 qu'on peut faire des partenariats privilégiés. Que la Turquie soit un partenaire privilégié, c'est une excellente chose.
Q- Est-ce que vous allez demandé un vote au Parlement, par exemple, parce qu'il y aura donc un vote, si je vous comprends bien à l'UMP, est-ce qu'il y aura un vote, est-ce que vous souhaitez qu'il y ait un vote au Parlement ?
R- La question du vote au parlement, c'est un autre problème. Moi, je considère que la définition de la politique étrangère, c'est la responsabilité du président de la République et de l'exécutif. En revanche qu'il y ait un débat, je crois qu'un débat en démocratie, c'est toujours nécessaire.
Q- Est-ce que sur ce thème de la Turquie, vous avez des contacts, vous avez des rendez-vous avec l'Elysée ?
R- Bien sûr que j'en ai parlé au président de la République
Q- Actuellement, depuis hier ?
R- Mais il n'y a pas de délit d'opinion, j'en ai parlé avec lui, nous en avons discuté. D'ailleurs, vous savez que la Turquie fasse même des problèmes pour reconnaître l'un des membres de la Communauté européenne, en l'occurrence Chypre, c'est quand même une drôle de façon de demander à s'intégrer.
Q- Donc vous pensez qu'on n'aurait pas du signer l'accord, hier ?
R- Non, je pense que
Q- C'est un mauvais accord.
R- Absolument pas, je pense qu'on a bien fait d'ouvrir des discussions, et je ne suis pas de ceux qui regrettent que les discussions s'ouvrent, parce que si on ne se parle pas, si on ne discute pas, comment on trouve des solutions ? Et encore une fois
Q- Vous pensez que les Français vont arriver à s'y retrouver ?
R- Et pourquoi ? Vous croyez qu'ils ne comprennent pas quoi ? Au contraire, ils me semblent très concernés les Français. Personne ne veut rejeter la Turquie, personne ne veut condamner la Turquie. La question qui se pose, est-ce qu'on dit oui, est-ce qu'on dit non, ou est-ce qu'on dit partenariat privilégié ? Je pense comme Alain JUPPE, comme Valéry GISCARD d'ESTAING, comme un grand nombre de grandes voix que le partenariat privilégié permettrait à la Turquie de conforter ses choix démocratiques, de participer à la croissance européenne, mais en même temps qu'elle préserverait le fonctionnement d'une Europe qui a besoin d'être réformée grâce à la Constitution.
Q- Donc rien ni personne ne pourra changer ces convictions-là ?
R- Je ne dis pas ça, je n'ai pas la prétention d'avoir la vérité, mais enfin je suis un responsable politique, je suis un élu, j'ai été porté à la présidence d'un mouvement, il n'est pas tout à fait anormal que sur un sujet de cette importance, savoir si 71 millions de Turcs aujourd'hui
Q- Y compris quand c'est le parti de la majorité, le parti du président ?
R- Ecoutez, si la politique consiste à ne rien dire et à travestir ses convictions, alors à ce moment-là il ne faut pas s'étonner que les gens ne viennent pas voter. Je soutiens le président de la République, je soutiens la démarche d'ouverture des négociations, je soutiens le référendum, je voterai oui à la réforme de la Constitution, mais enfin quand même on a le droit de dire qu'on préfère un partenariat privilégié pour la Turquie, plutôt qu'une adhésion pure et simple. J'ajoute que si la Turquie était européenne, ça se saurait.
Merci Nicolas SARKOZY d'avoir
Merci de m'avoir invité.
(Source http://www.u-m-p.org, le 20 décembre 2004)