Entretiens de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, avec "Frankfurter Allgemeine Zeitung" et "El Païs" du 10 février 2005, sur l'OTAN et la Défense européenne.

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Circonstance : Réunion informelle des ministres de la défense de l'OTAN, à Nice le 10 février 2005

Média : El Pais - Frankfurter Allgemeine Zeitung - Presse étrangère

Texte intégral

(Entretien de Michèle Alliot-Marie avec "Frankfurter Allgemeine Zeitung", le 10 février 2005)
FAZ : Quel sens accordez-vous à cette réunion informelle de l'OTAN à Nice ?
Michèle Alliot-Marie : Cette rencontre a une double signification. Il s'agit d'abord de faire reconnaître l'engagement de la France au sein de l'OTAN. Nous sommes le deuxième plus grand contributeur de troupes de l'Alliance. Nous conduisons actuellement deux missions importantes, l'une en Afghanistan, l'autre au Kosovo, et allons considérablement contribuer à la Force d'Intervention rapide de l'OTAN. Il s'agit ensuite de souligner que cette rencontre s'inscrit dans un climat nouveau, comme l'ont montré les récentes déclarations de Condoleezza Rice. Nous n'avons pas ménagé nos efforts pour clarifier les objectifs de la Défense européenne à notre partenaire américain. La Défense européenne ne doit pas faire de concurrence à l'OTAN : elle doit être complémentaire. Nous voulons une Union européenne forte et une OTAN forte. C'est une incontestable victoire pour l'OTAN lorsque, comme en Afghanistan, l'Eurocorps peut prendre la direction du commandement, ou encore lorsque les Européens sont en mesure, comme en Bosnie, de prendre la relève de l'OTAN.
Q - Est-ce que le désaccord sur l'intervention en Irak est aujourd'hui réellement surmonté ?
R - Il ne faut pas oublier que, aux pires heures des tensions, la coopération militaire entre nos pays dans la lutte contre le terrorisme, comme par exemple en Afghanistan, n'a cessé de fonctionner. Mais les choses ont aujourd'hui une nouvelle tonalité. Condoleezza Rice en a fait la démonstration. Nous contribuerons à la formation des forces de sécurité irakiennes. Un accord est en préparation avec le Qatar, et nous souhaitons également former, en France, des officiers de la gendarmerie irakienne. Nous sommes toujours prêts à contribuer à la reconstruction de l'Irak. Néanmoins, nous ne prévoyons toujours pas d'intervenir directement en Irak avec des soldats [français] en uniforme.
Q - Le président Bush a révisé à la hausse le budget de la Défense américaine. Cela ne va-t-il pas à contre-courant de la politique budgétaire de la majorité des États de l'Union ?
R - Il n'y a pas de fossé technologique entre les États-Unis et l'Europe ; le nouveau programme de satellite de reconnaissance Hélios II et prochainement Syracuse III, ainsi que le niveau des hélicoptères et des avions de combat, le démontrent. Mais l'Europe a des lacunes en termes d'armement, notamment s'agissant des moyens de transport. Notre capacité d'armement est à compléter. C'est la raison pour laquelle il est absolument indispensable que les budgets de la Défense européens soient révisés à la hausse, en particulier de la part des États membres de l'UE qui ont les budgets les plus faibles dans ce domaine. Presque à chaque rencontre des ministres européens de la Défense, je propose que les programmes d'acquisitions inclus dans les dépenses de Défense n'entrent pas dans le Pacte de stabilité. Cette proposition suit son chemin, tout le monde s'accordant à reconnaître que le Pacte de stabilité est trop rigide.
Q - Quels seront les points de discussions essentiels à Nice ?
R - Les missions de l'OTAN au Kosovo et en Afghanistan seront deux thèmes majeurs. La situation demeure tendue au Kosovo, et cela risque de durer tant que la question du statut ne sera pas résolue. A Nice, je vais m'employer à rappeler que la crise au Kosovo n'est pas réglée, même si elle ne fait plus les gros titres. Nous devons prendre conscience qu'un retrait des troupes n'est pas possible à moyen terme et qu'un regain de violence est possible au Kosovo et peut rejaillir sur l'ensemble de la région, en particulier en Bosnie. L'indépendance du Kosovo n'est pas envisageable actuellement. Concernant l'Afghanistan, nous pensons que l'effet de synergie entre les deux missions de l'OTAN est souhaitable. Mais l'opération de lutte contre le terrorisme Liberté Immuable [Enduring Freedom] et le mandat des forces de protection, la FIAS, sont tellement différents, que fusionner ces deux missions ne semble pas approprié, ni possible.
Q - Qu'est ce qui caractérise l'armée française depuis que le Général De Gaulle a claqué la porte à la structure intégrée de l'OTAN il y a quarante ans ?
R - L'armée de métier répond en tous points aux normes de l'OTAN. À la différence de la situation d'il y a dix ans, la question de l'interopérabilité ne se pose plus. L'armée de métier se distingue par sa disponibilité opérationnelle améliorée. Elle est capable de réagir rapidement à un large éventail de menaces, couvrant sa sécurité intérieure et des opérations extérieures.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 14 février 2005)
(Entretien de Michèle Alliot-Marie avec "El Païs", le 10 février 2005)
El Païs : La tenue de la réunion de l'OTAN en France signifie-t-elle que nous entrons dans une phase plus constructive concernant l'Europe de la Défense ou en sommes-nous encore au stade d'établir des liens de confiance ?
Michèle Alliot-Marie : Cette réunion a une double signification. D'abord, elle marque une reconnaissance de la part importante que prend la France dans les opérations de l'OTAN : nous sommes en effet le deuxième contributeur en troupes. Ensuite, cette réunion se déroule dans un autre climat, différent du climat de méfiance qu'il y avait s'agissant de la construction européenne. Les déclarations de Mme Rice semblent également aller en ce sens. C'est aussi le résultat de nombreux efforts personnels d'explication, des efforts pédagogiques - avec le secrétaire d'Etat à la Défense, Donald Rumsfeld, et d'autres responsables - pour démontrer que le renforcement de l'Europe de la Défense, c'est aussi le renforcement de l'OTAN. En termes très pragmatiques, je crois que la défense européenne constitue une aide formidable pour l'OTAN. Dans les années à venir, nous allons devoir faire face à une multiplicité de crises. Nous venons d'entrer dans une nouvelle phase. Nous avons accepté d'aider à la reconstruction de l'Irak, en particulier à la formation des forces de sécurité. Après la visite à Paris du président irakien, nous avons étudié comment il serait possible de contribuer à la formation des officiers de police et de gendarmerie, et nous avons aussi demandé à l'émirat du Qatar la possibilité de réaliser cette formation sur son sol. Nous sommes également disposés à accueillir des officiers en France.
Q - Cela ne marque-t-il pas un changement de la position française ?
R - Non. Dés le départ, nous avons affirmé que c'est à leur demande que nous aiderions les autorités irakiennes, mais que l'on ne verrait aucun militaire français, aucun uniforme français en Irak.
Q - Pour réaliser certaines missions, la défense européenne dépend quelque peu de la technologie ou, tout au moins, de la logistique militaire des Etats-Unis ou de l'OTAN. Est-ce pour cette raison que vous avez émis la possibilité de créer des groupes industriels européens dans le domaine des chantiers navals militaires ou dans l'industrie de l'armement terrestre, sur le modèle d'EADS dans le secteur aéronautique ?
R - Sur le plan technologique, il n'y a aucun fossé entre l'Europe et les Etats-Unis ; en revanche, il est vrai que les Européens ont certaines lacunes en termes de capacité. II est nécessaire que les Européens décident d'acheter du matériel en quantité suffisante pour répondre à leurs besoins d'intervention. C'est la raison pour laquelle les pays dont les budgets 'Défense' sont les plus faibles doivent réaliser un effort supplémentaire, sinon nous aurons des problèmes.
Q - S'agit-il d'une question de masse critique ?
R - En effet. Nous avons la technologie et les entreprises qui peuvent fabriquer ce dont nous avons besoin. Je soutiens la création de grands groupes européens de défense, capables de rivaliser avec les autres grandes entreprises, qu'elles soient américaines ou asiatiques. Le groupe aéronautique EADS répond à ce besoin, et je préconise ce modèle dans le secteur de l'industrie navale militaire, où il faut créer un pôle important avec les Allemands, les Espagnols, les Portugais et, pourquoi pas, les Italiens. Très vite, il faudra faire de même dans l'industrie militaire terrestre. II s'agit de créer des consortiums industriels, et non des entreprises qui se fassent concurrence entre elles.
Mais, ceci fait, il faudra que les Européens se dotent du budget qui leur permettra d'acheter les équipements produits. Quand nous en arriverons à ce stade, nous n'aurons plus de problèmes d'autonomie ou de dépendance. En tout cas, à l'heure actuelle, nous sommes déjà capables de mener à bien des missions pour notre propre compte, comme nous l'avons fait l'an dernier en République démocratique du Congo ; mais il est vrai que nous pourrions nous heurter à des difficultés pour certains types d'opérations, lointaines et lourdes : des difficultés liées au transport aérien par exemple, même si, d'ici 3 ans, grâce au programme de l'A400M, nous aurons résolu ce problème. C'est pareil pour les hélicoptères de transport NH90.
Q - Comment conjuguez-vous cette augmentation du budget militaire avec les exigences du Pacte de stabilité ?
R - C'est un problème auquel je suis confrontée en permanence mais il semble désormais relativement admis que le Pacte de Stabilité est trop rigide. II est en cours de révision, mais je ne sais pas si ces révisions tiendront compte des besoins de la Défense. L'industrie de la Défense affecte également l'emploi et le dynamisme de I'économie européenne.

(Source http://www.defense.gouv.fr, le 14 février 2005)