Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "RMC Info" le 6 janvier 2005, sur l'assistance apportée aux pays touchés par les tsunamis, sur les prévisions budgétaires pour 2006, notamment la baisse des impôts, des charges sociales, des dépenses budgétaires, sur la prime pour l'emploi et sur les prix.

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Texte intégral

Q- Votre question aux auditeurs de RMC, H. Gaymard.
R- Il y a beaucoup de gens qui me disent, dans mes permanences ou quand je discute dans la rue, qu'ils trouvent qu'en France il n'y a pas assez de différences entre les revenus du travail et les revenus de la solidarité ou de l'assistance. Je voudrais savoir si vos auditeurs ont la même opinion.
Q- Vous répondez à H. Gaymard... Nous allons parler du SMIC et de tout cela, ce matin, précisément avec vous. Mais je voudrais qu'on ouvre cette demi heure avec l'Asie. L'Europe est la première donatrice. C'est encourageant ?
R- Tout à fait. L'Europe, c'est-à-dire à la fois les pays européens et l'Union européenne. C'est vrai que les premiers jours, quand on voyait des tableaux dans les journaux ou à la télévision, comme on ne faisait pas la somme de toute l'Europe, on avait l'impression d'être à la traîne. Mais en réalité, l'Europe répond présent. Et d'ailleurs, pas seulement pour cette catastrophe, mais il faut savoir que pour l'aide au développement, c'est l'Europe, avec le Japon d'ailleurs, qui est en tête, sur le plan international. Et cela honore notre "vieux continent", comme on dit.
Q- Je regardais les chiffres précisément, le hit-parade des pays donateurs après cette catastrophe : honte aux monarchies du Golfe... L'Arabie saoudite, par exemple, donne seulement 30 millions de dollars, les quatre pays du Golfe qui donnent en tout 70 millions de dollars, alors que les revenus pétroliers, dans ces pays, représentant 500 millions de dollars par jour !
R- Chaque pays fait ce qu'il croit devoir faire. Je n'ai donc pas de commentaire à faire. J'en ai un quand même : c'est qu'aujourd'hui, dans les chiffres que l'on entend ou que l'on voit, il y a quand même beaucoup d'approximations. C'est la raison pour laquelle, la semaine prochaine, nous avons, à Genève, une conférence des donateurs, le 11 janvier, pour faire un peu le point. Parce que, dans tous ces chiffres qui circulent, on additionne plein de choses différentes. Il y a à la fois l'aide d'urgence - aujourd'hui, demain, après-demain, pour venir en aide aux pauvres gens - ; il y a ensuite l'aide future pour la reconstruction ; et puis il y aura les moratoires sur les dettes de ces pays. Donc aujourd'hui, dans les chiffres qui circulent, on mélange un peu tout ça. Mais c'est normal, on est sous le feu de l'évènement et de l'actualité. Il faudra mettre de la clarification.
Q- La clarification, le public en a besoin. Mais est-ce que les promesses avancées sont tenues par les Etats ? J'ai lu que si on prenait la catastrophe de Bam, en Iran, toute l'aide n'est pas arrivée. Est-ce que, lorsqu'un Etat dit qu'il va offrir 500 millions de dollars, cette aide arrive vraiment ?
R- Il faut qu'elle arrive ! Moi, je parle pour la France : l'aide dont on a parlé, elle est là et une partie d'ailleurs est déjà dépensée, puisque des médicaments sont déjà partis, des stations d'épuration d'eau mobiles sont déjà parties...
Q- Je parle de l'aide publique, pas de l'aide privée...
R- Je parle bien de l'aide publique. Tout ça est déjà parti. Donc cela fonctionne, mais il faut être particulièrement vigilant, vous avez raison, pour que ce qui est annoncé soit effectif, parce que ce n'est pas toujours le cas. Et on l'a vu notamment pour le séisme iranien de Noël dernier.
Q- Faut-il effacer la dette des pays touchés ?
R- Il y a plusieurs catégories de pays. Vous avez des pays, comme l'Indonésie et le Sri Lanka, qui d'ailleurs sont les principales victimes de ce tsunami, qui ont en gros 40 % de leur dette détenue par ce que l'on appelle des "créanciers bilatéraux", c'est-à-dire des pays. Et ces sujets sont traités dans le cadre du Club de Paris, que la France préside, et qui se réunira la semaine prochaine, à Paris. Nous avons d'ores et déjà proposé à ce qu'il y ait un moratoire sur cette dette, mais on va en parler en détails la semaine prochaine.
Q- On va donc suspendre la dette ?
R- Nous le proposons, la décision n'est pas prise, mais une réunion se tient à Paris la semaine prochaine. Ces mêmes pays ont aussi une dette vis-à-vis du Fonds monétaire international, qui est une institution financière mondiale. Par exemple, pour un pays comme l'Indonésie, l'échéance de février des prêts du FMI, de mémoire, c'est plus de 300 millions de dollars. Le FMI a la possibilité - et nous espérons qu'il usera de cette possibilité - de remettre en cause ces versements, puisque que bien évidemment, l'Indonésie est en difficulté. Ca, c'est pour l'Indonésie et le Sri Lanka. Ensuite, vous avez d'autres pays, comme la Thaïlande, comme les Maldives qui, eux, sont des pays plus riches par tête d'habitant, et donc qui n'ont pas recours aux prêts dont je viens de parler. Et ces pays sont endettés sur le marché international. Là, ce sont les clauses normales qui jouent, si je puis dire.
Q- Revenons sur ce qu'a annoncé le président de la République, les perspectives données au Gouvernement mardi matin. La baisse de l'impôt sur le revenu...
R- Et des charges, il y a les deux.
Q- Baisse de l'impôt et des charges, bien. A partir de l'année prochaine ?
R- Oui.
Q- Est-ce que vous avez fixé le montant de cette baisse ?
R- Première observation : trop d'impôts et trop de charges, cela tue l'emploi. Il faut donc poursuivre la baisse des impôts...
Q- Pas "poursuivre" : reprendre... On change de ministre des Finances et on change d'attitude...
R- Non, même pour 2005, même si en 2005, il n'y a pas de baisse généralisée de l'impôt sur le revenu, il y a eu des baisses sectorielles - je pense aux emplois familiaux par exemple - qui aboutissent un peu au même. Il y a donc une poursuite de la baisse des impôts et des charges, parce que l'on est un des pays où ce que l'on prélève sur les ménages et ce que l'on prélève sur les entreprises est parmi le plus élevé. Aujourd'hui, avec J.-F. Copé, on ne peut pas dire précisément dans quelles proportions cela sera, puisque l'on est au tout début de 2005 et que l'on parle des budgets 2006 et 2007.
Q- Avez-vous une fourchette ?
R- Non, je n'ai pas de fourchette aujourd'hui, tout ceci sera arbitré en septembre.
Q- Mais il y aura baisse des impôts et des charges ?
R- Il y aura baisse des impôts et
Q- Comment allez-vous faire pour baisser les impôts et les charges, si la croissance ne vient pas, alors que la France est de plus en plus endettée ?
R- Il n'y a pas que la question de la croissance. Il y a la question d'une meilleure efficacité de la dépense publique.
Q- Vous allez faire des économies ?
R- ... Voilà, parce qu'on sait bien que dans notre pays, il y a beaucoup de dépenses publiques, que toutes ne sont pas utiles de la même façon. Et ce que je voudrais dire aussi aux Français, c'est que l'on ne peut pas non plus vouloir toujours plus de dépenses publiques et, en même temps, payer moins d'impôts. Pour résumer, je dirais que l'on ne peut pas toujours plus demander à l'Etat, plus demander à sa commune, plus demander à la Sécurité sociale, parce que ce que l'on demande en plus, on le demande à soi-même, puisque c'est le citoyen qui paie par ses impôts et ses cotisations sociales.
Q- Alors, où allez-vous faire des économies ?
R- La procédure budgétaire commence, il n'y a pas une mesure qui symbolise tout le reste. C'est un patient travail, ministère par ministère, action par action...
Q- Mais concrètement ?
R- Je ne peux pas vous le dire maintenant : la procédure budgétaire ne fait que commencer. On se reverra donc au moment du budget, au mois de septembre, et je vous dirai quel sera le résultat. Mais vous savez, ce n'est pas nouveau : quand j'étais ministre de l'Agriculture, j'ai gardé le même budget pendant cinq ans, qui n'a pas été en augmentation - il n'a pas été non plus en diminution, mais il n'a pas été en augmentation -, et j'ai pu tout de même faire plein d'actions nouvelles, tout simplement en remettant en cause un certain nombre de dépenses qui étaient moins utiles.
Q- Y a-t-il trop de fonctionnaires en France ?
R- Je ne sais pas s'il y en a trop, mais ce que je sais en tout cas, c'est qu'ils sont mal répartis, puisque vous avez des secteurs dans lesquels - on l'a bien vu au début du quinquennat de J. Chirac - il a fallu créer des emplois, notamment pour la police et la justice, parce qu'il n'y en avait pas assez. Et il y en a d'autres où notamment l'informatisation doit permettre de faire des gains de productivité dans des services administratifs. D'ailleurs, c'est ce que l'on fait depuis deux ans et demi, où il y a eu, dans certains secteurs, des créations d'emplois, et dans d'autres, des diminutions. Mais globalement - je ne vais pas me défiler par rapport à votre question -, je pense qu'il faut globalement poursuivre la réduction du nombre d'effectifs publics.
Q- Le Smic augmentera en juillet prochain de 5,5 %, comme promis...
R- Oui, ce qui fait 11 % sur trois ans.
Q- Cela fait 1.222,51 euros, au 1er juillet prochain. Et les entreprises qui emploient des salariés payés au Smic verront leurs charges supprimées dans les trois ans qui viennent ?
R- Nous avons déjà eu une baisse très importante des charges sur les bas salaires ces dernières années. Ce qu'a dit J. Chirac avant-hier matin, c'est que d'ici 2007, on se fixait comme objectif l'élimination de ces charges sociales, puisque l'on sait que de telles mesures sont très créatrices d'emplois.
Q- Est-ce que cela ne va pas encourager l'employeur à n'employer que des salariés payés au Smic ? C'est un effet pervers possible.
R- Non, si dans la mise en oeuvre de la mesure, on veille à ce que cela ne se produise pas. Vous avez donc tout à fait raison de poser cette question. Nous allons y travailler...
Q- Mais comment ?
R- ... Nous allons y travailler avec J.-L. Borloo et J.-F. Copé dans les semaines qui viennent. Mais vous avez raison de dire qu'il faut faire très attention à cela.
Q- L'emploi : rapprocher l'ANPE de l'Unedic, pour offrir un seul guichet aux demandeurs d'emplois. Cela existe dans plusieurs pays d'Europe...
R- Et cela n'existait en France jusqu'à présent... C'est une très bonne chose. De même qu'il faut renforcer les contrôles sur les demandeurs d'emplois, parce que bien évidemment l'indemnisation du chômage est légitime pour aider les gens quand ils ont un abus qui doivent conduire à remettre en cause l'ensemble, mais du point de vue du contrôle de l'emploi, il faut être plus rigoureux qu'on ne l'est actuellement.
[Deuxième partie à 8h46]
Q- La Prime pour l'emploi... Vous avez vu ce qui s'est passé dans la région Alsace. On a donné une Prime pour l'emploi aux chômeurs qui acceptaient de retrouver du travail dans des secteurs en pénurie de main d'oeuvre : restauration, hôtellerie, bâtiments, etc. Vous êtes - et le président de la République en a parlé - pour une augmentation de la Prime pour l'emploi de ceux qui acceptent donc un travail dans des secteurs en pénurie de main d'oeuvre ?
R- La Prime pour l'emploi que nous avons mise en place est une vraie avancée. On nous reproche parfois de dire "vous baissez l'impôt sur le revenu, mais cela ne concerne que ceux qui payent l'impôt sur le revenu", et c'est vrai. Mais en même temps, on a mis en place la Prime pour l'emploi, qui concerne ceux qui ne payent pas l'impôt sur le revenu. Alors, ce qui est vrai dans cette Prime pour l'empli, c'est qu'aujourd'hui, j'allais dire qu'elle est un peu trop globalisée et pas assez ciblée. Donc, la piste qui a été ouverte par J. Chirac, avant hier, c'est de dire effectivement que pour un certain nombre trouver des gens - il faut faire en sorte que la Prime pour l'emploi soit ciblée, pour permettre une meilleure embauche. On va y travailler avec J.-L. Borloo...
Q- En Alsace, le chômeur qui cherche un emploi, qui n'a rien, on lui propose un emploi dans le bâtiment, par exemple. Et pour l'inciter à accepter cet emploi, on lui donne une prime. C'est pas mal ça ?
R- Pas idiot. On va y réfléchir.
Q- C'est ce qui se fait en Alsace.
R- Je ne suis pas du tout opposé à ce genre d'initiative. On va y travailler
avec Borloo.
Q- L'égalité salariale entre hommes et femmes dans un de cinq ans, c'est un vieux serpent de mer. Je me rappelle Y. Roudy qui parlait déjà de cela. Mais rien n'a été fait... Enfin, un petit peu...
R- Il y a encore du travail à faire, absolument. [...] Il faut une volonté politique très forte au niveau du Gouvernement.
Q- Il faut une loi.
R- Oui, il faut une loi sans doute, avec des mécanismes extrêmement difficiles à mettre en place, mais que nous mettrons en place pour s'assurer de la réalité des écarts des rémunérations, quand ils existent, et ensuite, d'en tirer des conséquences vis-à-vis de l'entreprise.
Q- J.-L. Borloo propose la mise ne place d'un contrat intermédiaire, c'est-à-dire l'accompagnement d'un salarié licencié économiquement par son entreprise. On dit que c'est bien, mais attention ! Doit-on accompagner cette mesure d'une facilité de licenciement donnée aux chefs d'entreprise ?
R- Sur ce sujet, comme le disent les Allemands, le diable se niche dans les détails, parce qu'on peut dire que c'est une mauvaise idée, parce que cela va proposer une irresponsabilité généralisée payée par le contribuable ; on peut dire, si on regarde les choses d'une autre manière : c'est bien, parce que cela donne en quelque une passerelle - une sécurité sociale professionnelle - à quelqu'un qui est en changement de situation. Donc, tout dépendra de la manière dont cette mesure serait mise en place. J.-L. Borloo a mis en place un groupe de travail présidé par Y. Sabeg, qui commence seulement à travailler. Donc, attendons ses conclusions. Tant que je n'ai pas les conclusions de Y. Sabeg, je ne vais pas me prononcer sur des choses virtuelles.
Q- Les prix, est-ce qu'ils ont augmenté, selon vous ? Là-dessus, j'entends tout et le contraire de tout.
R- Il y a plusieurs choses. On ne peut pas dire, globalement, C'est vrai qu'au mois de mai/juin de l'année dernière, on a craint qu'on reparte vers l'inflation. Maintenant, on a six mois de recul, et on se rend compte que ce n'est pas le cas, qu'en France et dans la zone euro, en gros, l'inflation est maîtrisée, c'est la première remarque. Deuxième remarque, ce qui est vrai, c'est que dans les supermarchés, les produits de marque, eux, ont augmenté plus vite que l'inflation, depuis deux ou trois ans. Cela est incontestable. Troisième observation, le panier de la ménagère, lui, dans les supermarchés, dont je rappelle que les produits alimentaires ne représentent que 15 % des dépenses de ménage - il faut toujours avoir ce chiffre en tête ; on s'excite sur quelques produits, mais ces quelques produits ne représentent que quelques produits dans les 15 % de consommation des ménages - que globalement, le panier de la ménagère, lui, n'a pas augmenté, puisque les augmentations de produits de marque, comme on dit, ont été compensées par des baisses sur les produits des marques des distributeurs. Donc, on est sur un sujet extrêmement compliqué.
Q- Mais j'ai entendu votre prédécesseur qui ne cessait de nous dire : "ça y est, avec une action volontariste, je vais faire baisser les pris". Mais je ne vois pas tellement les prix baisser. Est-ce qu'ils ont vraiment baissé ? Cette action de N. Sarkozy, franchement, soyons ...
R- Non, non, mais je suis clair et honnête. Sur les prix de marque dont je parlais à l'instant, en septembre, ils ont effectivement baissé. Cet automne, ils ont effectivement baissé, comme s'y sont engagés les grands distributeurs et les fabricants. Donc, il y a un accord 2004 qui est ce qu'il est. Ils se réunissent aujourd'hui chez C. Jacob, mon collègue et ami, pour voir ce qu'on fait sur 2005. Je crois qu'au-delà de cet accord 2004, au-delà de cet accord 2005, ce qui est important en réalité, c'est qu'on ait une relation plus équilibrée entre les producteurs et les transformateurs, parce qu'aujourd'hui, personne n'est content, ni les consommateurs, ni les producteurs qui s'estiment pris à la gorge par la grande distribution, ni la grande distribution qui voit le hard discount progresser et prospérer. Personne n'est content. Le Premier ministre a décidé qu'il fallait bouger sur cette question. Donc, avec C. Jacob, on va s'en occuper dans les mois qui viennent, puisque nous allons modifier la loi.
Q- Question précise : l'inflation, cette année 2005 : 1,8 ?
R- Oui, c'est l'hypothèse du projet de loi de Finances. Il n'y a aucune raison, aujourd'hui, qu'elle soit changée.
Q- Croissance, même chose ?
R- 2,5, c'est l'hypothèse de croissance pour 2005.
Q- Et vous la gardez ?
R- Oui, je la garde, puisqu'elle reste crédible.
[...]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 janvier 2005)