Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur la diversité de la production de fiction télévisuelle et le financement de la production audiovisuelle, Versailles le 23 juin 2004.

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Circonstance : Journées internationales de la fiction télévisuelle à Versailles le 23 juin 2004

Texte intégral

Madame la Présidente,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de répondre à votre invitation à venir clore cette première journée internationale de la fiction à Versailles.
Versailles : ville symbole du rayonnement mondial de la culture française, et je tiens à saluer Christine Albanel, présidente de l'Etablissement public du château de Versailles, qui s'est associé à cet événement.
Versailles : capitale aujourd'hui du rayonnement de la fiction télévisuelle, un genre majeur, plébiscité par le public.
Je remercie tous ceux qui ont pris l'initiative de ce nouveau rendez-vous, et en premier lieu, Jean-François Boyer, président de l'Association pour la promotion de la production audiovisuelle, ainsi que ses partenaires : l'Union syndicale de la production audiovisuelle, sa présidente Simone Halberstadt-Harari, Public Sénat, son président Jean-Pierre Elkabbach, qui retransmet vos débats, Ecran Total, et son directeur Serge Siritzky, revue de référence toujours très attentive aux évolutions d'un secteur essentiel pour la production audiovisuelle.
Une création foisonnante qui a conquis les faveurs du public.
Oui, la fiction française est devenue extrêmement populaire à la télévision française. Elle est tous les ans dans le peloton de tête des meilleures audiences des chaînes. Elle représente régulièrement plus de la moitié des
100 meilleures audiences et 60 en 2003. Voilà des résultats qui battent en brèche des idées reçues !
Chaque Français en regarde plus d'une heure par jour. C'est dire leur place dans le coeur de nos concitoyens qui trouvent dans les téléfilms, les séries, les feuilletons que vous leur proposez, un accès quotidien à la culture, à la distraction, à l'apprentissage, à la découverte, à l'émerveillement.
Ce succès est dû à un extraordinaire foisonnement créatif, dont je veux souligner la diversité et la qualité. Qualité qui est reconnue par de nombreux festivals qui récompensent les talents des scénarios, des réalisations, des interprétations, c'est-à-dire, des hommes et des femmes qui les font.
Vous me pardonnerez de ne citer que quelques exemples récents, quelques étoiles au firmament de la fiction, où elles sont si nombreuses : Suzie Berton et ce poignant face-à-face entre la femme d'action qu'incarne avec force Line Renaud et le commissaire Ferran, campé par André Dussolier, qui a battu un record d'audience sur France 3 un samedi soir ; mais aussi Les beaux jours, Une preuve d'amour, Les P'tis Lucas, Les Penn-Sardines
Je veux aussi rendre hommage à ces fictions dites de prestige qui sont essentielles à notre mémoire collective, et s'inscrivent dans la chaîne de la transmission de notre patrimoine culturel et historique. Là aussi, quelques exemples seulement parmi tant d'autres qui ont marqué un très large public : Jean Moulin, l'Affaire Dominici, Napoléon, les Thibault, Liaisons dangereuses, Mata Hari, Aurélien, Colette.
Je pourrais citer également les grands rendez-vous fédérateurs de publics très variés comme Julie Lescaut, PJ, Avocats et associés, Louis la Brocante
Et toutes celles qui s'adressent à des publics plus spécifiques, mais très importants, comme les séries humoristiques pour la jeunesse (15/love, Vice Versa).
Il est certain que l'identité des chaînes généralistes et hertziennes en particulier face aux dizaines de chaînes thématiques qui se développent se construit à partir de ces grands rendez-vous de fiction.
A la diversité des thèmes, des titres, des sujets, et des attentes du public, répond toute une palette de formats (unitaires 90 minutes comme au cinéma, mais aussi mini-séries, feuilletons, séries longues, formats variés de 52 minutes, 26 minutes, formats courts) et l'éventail des horaires de programmation (journée, access, prime time, seconde partie de soirée).
Les fictions d'aujourd'hui n'hésitent plus à poser les questions de société d'aujourd'hui : elles sont ancrées dans des réalités que reconnaissent les spectateurs : au travers de métiers (séries mettant en scène des médecins, policiers, instituteurs, sages-femmes, inspecteurs du travail, avocats, juges) ou de situations familiales ou sociales actuelles (divorces, familles recomposées).
Ce foisonnement créatif fait écho aux préoccupations des spectateurs, avec une grande liberté, qui a permis à la fiction de s'affranchir de beaucoup de tabous, qui la freinait encore dans les sujets abordés à 20h30 : je pense aux problèmes liés à la toxicomanie, à la santé, à la sexualité, mais aussi au racisme et aux fractures de notre société.
Cette grande diversité, cette grande liberté, cette explosion des talents a entraîné un fort renouvellement dans la création. C'est pourquoi la fiction française diffusée chaque année affiche un volume d'inédits très élevé, qui représente plus des trois quarts des diffusions.
Le succès de la fiction a créé un terreau fertile de talents pour la télévision : les scénaristes, les réalisateurs et les comédiens parmi les plus grands font des allers et retours entre la télévision et le cinéma, en trouvant au travers de chacun de ces médias une relation au public différente.
La France dispose d'un potentiel formidable d'auteurs et de scénaristes qui se forment peu à peu à l'écriture télévisuelle moderne. D'énormes progrès ont été accomplis sur une période récente, même s'il est évidemment possible de souhaiter que telle ou telle grande chaîne généraliste soit encore plus audacieuse, innovante, dérangeante aux heures de grande écoute. Mais ce constat est vrai dans tous les pays du monde : les chaînes généralistes ont vocation à fédérer le public dans toutes ses composantes.
La question se pose en des termes très différents pour les chaînes par abonnement et pour les chaînes thématiques, qui peuvent et doivent être à la fois des vecteurs de création innovante et des débouchés pour le marché de la rediffusion.
Je ne veux pas pour autant dresser un tableau idyllique de la fiction : je sais que l'histoire de la fiction n'est pas un conte de fées ! Comme je l'ai entendu lors de la journée des auteurs organisée par la SACD le 3 mai dernier : " pourquoi nous raconter toujours des histoires qui finissent bien ? ".
Je ne vous cache pas que je suis confiant, voire optimiste, parce que je crois aux talents et je sais que vos talents rencontrent les goûts du public. Mais j'ai entendu vos préoccupations, vos inquiétudes et votre manifeste. Vous avez attiré mon attention sur les problèmes de financement de la fiction audiovisuelle. Sachez que je suis déterminé à contribuer, dans l'exercice des responsabilités qui sont les miennes, à sauvegarder et à développer l'extraordinaire diversité, la créativité foisonnante que je viens d'évoquer.
Je le ferai en étroite et en totale concertation avec vous. Car je crois aux vertus du dialogue.
Je vais étudier avec attention les dix mesures que vous proposez dans votre manifeste d'aujourd'hui. Je ne vais pas, évidemment, y revenir une par une devant vous maintenant. Toutes vos propositions méritent un examen très attentif et approfondi, dans un dialogue constant avec vous, j'y insiste, et je m'y emploierai avec mes services. Je compte aussi exploiter l'ensemble des très riches débats de cette journée.
D'abord sur la question de la définition de l'oeuvre audiovisuelle, qui figure en tête de vos propositions. Je ne veux pas, pas plus sur ce sujet que sur d'autres, être dilatoire. Mais, permettez-moi de vous parler en toute franchise : la redéfinition de l'oeuvre audiovisuelle est une partie d'un tout que nous devons étudier ensemble, dans la concertation avec tous les acteurs concernés. Je vous engage à vous impliquer dans cette concertation indispensable. Simultanément j'étudie avec beaucoup d'attention la proposition du Conseil supérieur de l'audiovisuel dont je sais qu'elle répond en partie à vos attentes.
Mais dès à présent, je veux insister sur quelques idées fortes qui me tiennent à coeur.
D'abord, entendons-nous sur un constat que je vous invite à partager : la production audiovisuelle aidée a connu une période de forte croissance en volume au cours des sept dernières années (entre 10 % et 20 % de croissance par an !). Et cette croissance a été accompagnée financièrement, en partie par les diffuseurs (dont la contribution a augmenté de 6 % par an) mais aussi par le COSIP (dont la contribution a augmenté de 12 % à 15 % par an).
Néanmoins, j'ai bien entendu vos préoccupations quant au financement. Il est clair que des problèmes demeurent. En 2003, le compte de soutien a aidé 4 059 heures de programmes, soit 594 heures de moins qu'en 2002. Pour la première fois depuis six ans, le volume produit aidé diminue.
Un autre constat vous préoccupe à juste titre : le volume produit en France (autour de 600 heures) est très inférieur à celui de nos pays partenaires comme l'Allemagne (1 800 heures) ou la Grande Bretagne (1 400 heures), entre deux et trois fois moins. Et nous ne produisons quasi exclusivement que de la production de prime time, contrairement à nos voisins qui ont de très forts volume de production de journée ou de dernière partie de soirée.
Ce constat de faiblesse évidente doit toutefois être légèrement tempéré par le volume produit dans les autres genres : la France produit par exemple beaucoup plus de films de cinéma ou de dessins animés pour la télévision et le cinéma que ses voisins européens, ce que l'on a souvent tendance à oublier.
Mais, contrairement à l'animation et au documentaire, la fiction française rencontre de réelles difficultés à l'international. J'en suis conscient et je me réjouis que vous réfléchissiez aux moyens de mieux promouvoir l'offre française à l'exportation. C'est sûrement le défi de vos prochaines années.
Sur la nécessité que vous relevez d'accroître, notamment dans cette perspective, le volume des séries, je tiens à saluer tout particulièrement l'initiative prise par France 3, qui se lance dans la production d'un feuilleton de
26 minutes tourné entièrement à Marseille, La Belle de Mai. Le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin, que j'ai vu dimanche à l'occasion de l'ouverture du Festival du documentaire m'a dit à quel point l'inauguration des décors vendredi dernier avait ému le public présent.
J'ajoute que cette situation découle à mon sens directement des ressources insuffisantes des chaînes, prises globalement, de l'ordre de moitié moins de celle des partenaires que je viens de citer. Cette insuffisance de financement, est une situation chronique, qui ne date pas d'aujourd'hui, et qui fait obstacle au développement de la fiction.
C'est pourquoi je compte m'attaquer résolument à ce problème dans son ensemble.
Pour garantir le maintien d'une ressource affectée à ce secteur, et faire un sorte que ce financement soit dynamique, je vous annonce que je suis décidé à mener avec vous le combat de la redevance, parce qu'il vaut d'être livré. Il faut que cette ressource retrouve un véritable dynamisme.
D'autres outils sont nécessaires pour contribuer à la dynamique de ce secteur.
L'extension des fonds régionaux abondés par le CNC à l'audiovisuel est l'un de ces outils. C'est une mesure que je soutiens. Et j'ai demandé à mes services d'étudier les modalités de sa mise en place dans les meilleurs délais.
Ensuite, je vous annonce que je vais saisir le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie de la question de la taxe professionnelle des producteurs.
Comme pour le cinéma, je souhaite vivement, je l'ai dit et je vous le redis, que l'audiovisuel puisse bénéficier du mécanisme du crédit d'impôt. Il conviendra évidemment de l'adapter à la fiction télévisée. Je pense en particulier aux productions les plus lourdes sur le plan des dépenses de personnel et des prestations techniques en France.
Je tiens en effet à l'assortir d'une condition essentielle : toute amélioration du financement de la production audiovisuelle devra se traduire par des emplois localisés en France.
Il faut rompre avec le cercle vicieux que vous connaissez : le manque de financement conduit les producteurs et certaines chaînes à chercher des économies en délocalisant tout ou partie du tournage et de la fabrication du film, en recourant à une main d'oeuvre bon marché, maintenant au sein de l'Union européenne, qui n'a pas la chance de bénéficier d'un système de protection sociale favorable. Quelles que soient les motivations économiques de telles situations, elles ne sont moralement et politiquement pas acceptables
Mais il faut être plus ambitieux.
Et je vais plus loin, en vous faisant part de ma conviction : il faut une réforme en profondeur du COSIP et je vais m'y atteler.
Je souhaite que les aides du CNC s'orientent encore davantage vers la création.
Je souhaite aussi que la réforme en cours du Compte de soutien à l'industrie de programmes audiovisuels (COSIP) fasse l'objet d'un premier bilan, au bout d'un an d'application.
J'ai demandé par ailleurs un bilan du décret du 9 juillet 2001 afin de mesurer si les objectifs de ce texte sont bien remplis.
Et je vais encore plus loin : je suis persuadé qu'il faut une réforme ambitieuse du financement de l'audiovisuel dans son ensemble, qui passe notamment par les étapes que je viens de rappeler.
Sans doute faut-il encore prolonger cette réflexion et ouvrir des perspectives nouvelles. Je sais que vous ne manquez pas d'idées et de propositions. Je vous le dis sans ambages : je suis ouvert à toutes vos propositions. Toutes, sans exception et sans exclusive.
La fiction française est aujourd'hui une valeur sûre pour les chaînes de télévision. Elle a atteint une phase de maturité. C'est le fruit de votre travail à toutes et à tous.
Je suis persuadé qu'elle n'en est qu'au début d'un long processus de développement vers une plus grande diversité des cases de diffusion et donc d'écriture et de réalisation.
Nous devons identifier ensemble et c'est bien l'objet de cette journée, les obstacles qui peuvent entraver ce chemin en prenant la peine d'écouter chacun des acteurs - industries techniques, diffuseurs, réalisateurs, comédiens, scénaristes, pouvoirs publics notamment- pour bâtir des partenariats solides et apporter des réponses concertées, adaptées et durables.
Tout ne peut faire consensus. Mais le consensus le plus large possible doit être recherché, ce qui nécessite l'engagement de tous. Je crois vous avoir donné l'assurance de ma détermination.
Et je reste à votre disposition pour tirer les leçons de vos échanges d'aujourd'hui et de vos propositions d'actions.
Je vous remercie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 24 juin 2004)