Interview de Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, à France 2 le 31 décembre 2003, sur la mise en place d'un plan d'aide aux personnes SDF durant l'hiver et le remplacement du RMI par le RMA.

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Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

Texte intégral

J.-P. Chapel : Tous les journaux nous rappellent que c'est ce soir le réveillon, que l'on va faire la fête. Mais il ne faut quand même pas oublier qu'il y a, selon l'abbé Pierre, plus de 50.000 sans-abri qui seront tout seuls. Si on n'est pas dans une association et qu'on a envie de faire quelque chose, qu'est-ce qu'on peut faire finalement pour eux, si on a une pensée particulière ?
(Réponse) Dominique Versini : Je crois qu'en allant vers leur réveillon, tous nos concitoyens peuvent apercevoir dans les rues des personnes qui sont à terre, qui sont là et qui refusent d'ailleurs l'aide que leur propose le Samu social, que leur proposent toutes les équipes, toutes les associations...
Question : Pourquoi refusent-ils?
(Réponse) Dominique Versini : Ils refusent parce que beaucoup de nos concitoyens se trouvent dans une situation telle de désocialisation, de rupture de vie, de choc, qui fait qu'ils n'ont plus confiance et qu'ils préfèrent rester sur eux-mêmes, dans une forme de dépression très importante, et qu'ils refusent toute aide en prétendant qu'ils ont choisi cette vie. Or personne n'a choisi d'être à la rue, évidemment ! Je crois que ce que l'on peut faire tous a minima, c'est d'avoir un regard citoyen sur eux et de donner l'alerte, c'est-à-dire d'appeler le 115, le numéro d'urgence pour les sans-abri, qui est un numéro gratuit, et de signaler une personne qui paraît en danger ou qu'on a envie de voir prise par le Samu social.
Question : Vous avez remarqué vous-même, comme nous tous, qu'il y a de plus en plus de clochards dans la rue, dans Paris, pas très loin d'ici, mais pas seulement : dans les villes de province également. C'est marquant quand même.
(Réponse) Dominique Versini : Oui, c'est marquant. Il y a à la rue beaucoup de personnes qui ont des problèmes de souffrances psychiques, qui font qu'elles ne sont plus en mesure de demander une aide ou d'accepter notre aide. C'est pour elles que nous avons créé les Samu sociaux ; il y a 60 Samu sociaux en France. Partout, des équipes mobiles de rue vont à la rencontre de ces personnes. D'ailleurs, avec le Premier ministre, nous sommes allés la semaine dernière, avec une équipe d'Emmaüs, dans les rues de Paris, pour voir ces personnes qui nous ont expliqué qu'elles ne voulaient pas venir, mais dont les équipes du Samu social, d'Emmaüs, nuit après nuit, tentent de convaincre et de les amener à accepter notre aide.
Question : Donc, si on ne peut pas les aider directement, on peut aider le Samu social alors ?
(Réponse) Dominique Versini : On peut aider le Samu social, on peut aider Emmaüs, on peut aider les associations, en ayant un geste, en ayant un regard. L'exclusion c'est aussi le regard que nous portons sur les autres. Je crois qu'en ce soir symbolique de fin d'année, nous avons tous à changer notre regard et à faire intervenir les institutions que sont le Samu social et toutes les associations dont il faut saluer le dévouement permanent.
Question : Aujourd'hui, 31 décembre, c'est la fin des vacances pour tous les ministres. Le Gouvernement va donc faire un Conseil des ministres : un 31 décembre, c'est sans précédent !
(Réponse) Dominique Versini : Pour moi, oui
Question : Non, mais pour tout le monde ! Cela sert à quoi un Conseil des ministres le 31 décembre - parce que cela ne sait jamais vu, je crois ?
(Réponse) Dominique Versini : Le Gouvernement travaille, le Gouvernement est là et nous sommes en train de préparer l'année 2004 avec toutes les réformes et tous les objectifs importants que le Premier ministre nous a fixés.
Question : Les mauvaises langues disent que c'est pour faire oublier la discrétion du Gouvernement au moment de la canicule ?
(Réponse) Dominique Versini : Ce qu'il faut dire, c'est que le rôle du gouvernement c'est d'être là ; nous sommes là avec tous les Français. Le président de la République va s'exprimer ce soir, comme d'habitude d'ailleurs, et ce matin nous serons tous ensemble autour de lui, déterminés à aborder cette année avec tout ce qu'elle aura, j'espère, de réussite dans nos objectifs.
Question : D'un mot quand même : est-ce que vous avez tiré des leçons de la canicule ? C'est-à-dire, les excès de chaleur, est-ce que vous en avez tiré des leçons sur les excès de froid possibles ?
(Réponse) Dominique Versini : En ce qui concerne le froid, vous savez que mon expérience de terrain à la tête du Samu social m'a donné l'habitude d'organiser des plans pour prévoir justement les méfaits du froid.
Question : Concrètement ?
(Réponse) Dominique Versini : Vous savez que j'ai mis en place un plan urgence hivernal ; nous sommes actuellement dans le niveau deux : "plan grand froid"
Question : C'est à quelle température ?
(Réponse) Dominique Versini : C'est entre moins cinq, moins dix, entre zéro et moins dix... Nous y sommes de toute façon.
Question : Et dans beaucoup de départements ?
(Réponse) Dominique Versini : Dans 64 départements, nous sommes en niveau deux. Peut-être y aura-t-il d'autres départements qui vont rentrer dans le niveau deux. La météo semble nous annoncer de la neige, voire du verglas, c'est pourquoi nous sommes vigilants et je demande à tous les préfets de renforcer la vigilance, c'est-à-dire d'ouvrir des places d'hébergement d'urgence, d'ouvrir des lieux d'accueil de jour, de les ouvrir aussi la nuit, pour que ceux qui ne veulent pas venir puissent trouver un abri a minima dans ces lieux-là, de renforcer les équipes de maraude du Samu social, et puis surtout, à tous, d'être vigilants et d'appeler le 115, dont nous avons renforcé les équipes qui décrochent le téléphone.
Question : Donc, dans ce dispositif, on voit bien que ce sont plutôt les régions, les départements, les mairies ; ce n'est plus trop l'Etat, c'est les collectivités locales qui sont en charge ?
(Réponse) Dominique Versini : Non, c'est l'Etat qui coordonne l'ensemble du dispositif, c'est l'Etat qui le finance : c'est un budget d'un milliard deux cent millions d'euros. Je vous rappelle qu'en juillet dernier, le Premier ministre m'a accordé 15 % d'augmentation, c'est-à-dire 145 millions d'euros pour justement mettre en place tout le plan d'urgence hivernal que je coordonne de Paris à partir d'une cellule nationale de veille.
Question : Mais depuis hier, on nous rappelle que mécaniquement, avec les réformes de l'assurance-chômage, de l'allocation spécifique de solidarité, le chômage va augmenter, la précarité va augmenter en 2004. Est-ce que vous n'avez pas l'impression que c'est, du point de vue du Gouvernement finalement, une politique sociale qui n'a pas vraiment réussi ?
(Réponse) Dominique Versini : Je crois que l'on ne peut pas dire cela tout à fait comme ça. Il y a une véritable volonté du Gouvernement de saisir au bond la croissance dès qu'elle va arriver. Vous savez que les signes sont encourageants - les Etats-Unis... On nous annonce donc une reprise de la consommation des ménages
Question : Enfin, pas tout de suite...
(Réponse) Dominique Versini : Oui, mais c'est en cours. Cette année, le Gouvernement a mis en place des outils d'insertion pour favoriser l'emploi des plus fragiles. Les jeunes les moins qualifiés ont eu la possibilité d'avoir des contrats-jeunes, moyennant des baisses de charges pour les chefs d'entreprises. 127.000 jeunes ont conclu un contrat-jeune durant cette année. Nous relançons le dispositif, contrat d'insertion par l'économie qui va permettre à des chômeurs de longue durée de retrouver un emploi. Egalement le CIVIS pour les jeunes mais également le RMA. Le RMA, dont nous pensons, dont nous souhaitons, qu'il puisse permettre à des gens qui ont le RMI - un million de personnes en France ont le RMI, certains depuis plusieurs années, donc sont bloquées dans ce dispositif - de leur donner une chance de faire leurs preuves auprès d'un employeur qui, ensuite, pourra les employer en contrat à durée indéterminée.
Question : Oui, mais un employeur va effectivement prendre un Rmiste, il paie juste la différence entre le RMI et le Smic on va dire...
(Réponse) Dominique Versini : Absolument.
Question : Mais s'il n'y a pas de créations d'emplois, donc cela va juste remplacer un Smicard, en résumé ?
(Réponse) Dominique Versini : Non, c'est-à-dire que le chef d'entreprise va pouvoir embaucher pendant dix-huit mois une personne en payant le différentiel, ce qui est très intéressant pour le chef d'entreprise, mais c'est comme cela que se fait la création d'emploi aussi, il faut être réaliste. Cela va permettre aussi à la personne qui est au RMI depuis plusieurs années de reprendre confiance en elle, de faire ses preuves, de montrer qu'elle a la possibilité de se réinsérer dans le monde de l'emploi. Ce sont des gens qui sont souvent au chômage depuis longtemps et cela va leur permettre ainsi de pouvoir, la croissance revenant - je vous rappelle quand même que 300.000 entreprises ont été créées en 2003 -, donc, cela va permettre aux chefs d'entreprises d'embaucher ces personnes qui n'auraient pas eu l'occasion sinon de faire leurs preuves dans l'emploi.
Question : D'accord, mais il reste encore beaucoup de travail pour les plus démunis.
(Réponse) Dominique Versini : Bien sûr !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 janvier 2004)