Entretien de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, avec la télévision tchèque CT1, sur les relations franco-tchèques et sur la construction européenne, à Prague le 25 janvier 2005.

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Circonstance : Déplacement en République tchèque, le 25 janvier 2005

Média : Ceska Televize-CT1 - CT1

Texte intégral

Q - Madame la Ministre, quelles sont les conclusions que vous tirez de vos différents entretiens ici, à Prague ?
R - J'ai pris grand plaisir à venir pour la première fois à Prague et à rencontrer des interlocuteurs qui étaient tout à fait disposés à un dialogue très constructif. Nous avons discuté de l'avenir de l'Europe, des avancées qui permettraient de la rendre plus dynamique, plus compétitive, plus forte et plus puissante pour qu'elle exprime sa voix sur la scène internationale. Nous avons longuement évoqué l'enjeu que représente la ratification du traité constitutionnel pour la construction européenne. Dans les prochains, il nous faudra expliquer ce texte aux citoyens européens, un texte qui permettra de rendre le fonctionnement de l'Europe plus efficace.
Par ailleurs, la présidence de l'Union européenne sera assurée en 2008-2009 collectivement par la République tchèque, la France et la Suède ; je me réjouis que nous puissions, dès aujourd'hui, commencer à travailler ensemble dans cette perspective.
Q - Bientôt un an après l'élargissement, l'Union européenne s'est-elle renforcée ou affaiblie ? Les dix nouveaux venus constituent-ils un poids ou un apport pour l'Europe réunifiée?
R - L'élargissement du 1er mai 2004 a été un moment très important pour le continent et un véritable succès pour l'Europe. Un succès sur le plan politique d'abord, parce qu'il consacre l'établissement de la paix, de la démocratie et de la stabilité sur notre continent. Sur le plan technique, il ne soulève pas de difficultés majeures ; les pays qui viennent de nous rejoindre montrent une volonté et une capacité réelle de travailler dans le cadre communautaire. C'est également un enrichissement sur le plan économique, et sur le plan scientifique. Vous savez que je viens du milieu de la recherche : nous comptons quatorze Prix Nobel de plus en Europe avec cet élargissement. C'est donc un véritable succès.
Q - La volonté c'est une chose, mais la France ne considère-t-elle pas que le fonctionnement de l'Union européenne est entravé ?
R - Le fonctionnement de l'Union européenne n'a pas été jusqu'à présent entravé. Au contraire, l'exemple de l'adoption du traité constitutionnel montre que nous étions capable de parvenir à un accord des vingt-cinq pays membres sur ce texte par consensus, au niveau de la conférence intergouvernementale, et ce traité a été signé à la fin du mois d'octobre 2004 par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement à Rome.
Néanmoins, nous devons être conscients que l'Europe est actuellement dotée de règles de fonctionnement pour une Union européenne à quinze membres. Nous sommes maintenant vingt-cinq Etats membres, et nous devons franchir des étapes complémentaires pour adapter ces règles. J'ai parlé de paix et de stabilité à l'intérieur de l'Europe ; nous devons aussi porter ces valeurs à l'extérieur de l'Europe, et pour cela, il faut que nous puissions prendre des décisions, nous mobiliser.
Q - Croyez-vous que la République tchèque et la France réussiront à être des alliés dans le cadre de l'Union européenne ? Ce serait très bon pour nous, il y a une tradition d'alliance entre nos deux pays ; croyez-vous que l'on puisse revivre cette expérience d'avant-guerre ?
R - Il y a une longue tradition, vous venez de le dire, d'amitié et de coopération entre nos deux pays. Je tiens à souligner que l'atmosphère que j'ai ressentie aujourd'hui ici est celle d'un dialogue très ouvert : nous avons exprimé de manière très transparente nos positions, nos points d'accord, mais aussi nos difficultés et nos réserves. Vous savez que votre Premier ministre va venir en France d'ici quelques semaines ; je me réjouis que nous puissions multiplier ces échanges. Je crois que nous pouvons faire de nos divergences une richesse. Les caractéristiques de votre économie, de votre croissance vont nous permettre de dynamiser la construction européenne.
Q - Comment expliquer que les "nouveaux" pays membres aient un taux de croissance plus dynamique que les "anciens" pays ?
R - Je crois que le niveau de départ n'est pas le même et que justement, le but de l'Union européenne est d'arriver à une convergence à la fois par un marché très ouvert et par la poursuite d'objectifs communs. Vous savez que nous allons prochainement travailler sur une révision de notre stratégie de compétitivité et de croissance au niveau de l'Union européenne. Nous avons beaucoup à apprendre de certains partenaires qui se sont engagés dans une dynamique de réforme.
Q - Vous savez, Madame la Ministre, l'attitude de la France envers le Pacte de stabilité est assez critiquée en République tchèque. En outre, les eurosceptiques avancent l'argument que les grands pays peuvent agir comme ils le veulent au sein de l'Union européenne, tandis que les petits doivent s'en tenir à une discipline et à des règles strictes.
R - Je ne suis pas d'accord avec cette appréciation. La France a entrepris de façon très volontariste une politique de réformes, des réformes difficiles, que ce soit celle du système d'assurance maladie ou celle du régime des retraites. Il y a encore beaucoup de réformes structurelles à faire. Nous nous sommes engagés, et nous parviendrons à respecter le cadre du Pacte de stabilité à l'horizon 2005. Je crois que le Pacte de stabilité et de croissance est important pour définir un cadre strict, donnant de la crédibilité à nos engagements. Mais aujourd'hui, il faut sans doute, en accord avec l'ensemble des Etats membres, trouver certaines flexibilités dans son application en fonction des cycles économiques. Nous y travaillons avec l'ensemble des partenaires européens, et je pense que d'ici quelques mois, au Conseil européen de mars, nous pourrons parvenir à des positions convergentes sur ce point.
Q - Cela nous rassure. Madame la Ministre, qu'attend la France de la Constitution ?
R - Ce traité constitutionnel est important pour donner la capacité à l'Union européenne de se construire avec plus d'efficacité, avec plus de proximité par rapport aux citoyens européens. Je crois que l'Europe, jusqu'à présent, s'est construite trop à distance de ses citoyens.
Q - C'est ce qu'on ressent chez nous aussi.
R - Je crois qu'on le ressent dans toute l'Europe. Ce sentiment s'est d'ailleurs manifesté lors des dernières élections au Parlement européen par la faible mobilisation de nos concitoyens, qui ne se sentaient pas suffisamment informés et concernés.
La Constitution permet de rapprocher l'Europe du citoyen, en renforçant notamment le rôle et la place du Parlement européen et des parlements nationaux dans le processus de prise de décision : ils peuvent contrôler que les décisions prises le sont au niveau le plus adapté, celui de l'Union européenne ou celui des Etats membres, afin qu'elles soient efficaces.
Elle consacre également la possibilité pour chacun des citoyens de s'exprimer, en créant un droit d'initiative populaire : une pétition signée par un million de citoyens des pays de l'Union européenne permet à ceux-ci de proposer une loi.
Ainsi, la Constitution permet l'avènement d'une Europe plus efficace et plus démocratique. Dotée d'un visage et d'une voix sur la scène internationale, elle pourra également contribuer à la régulation d'une mondialisation parfois encore trop "sauvage".
Q - Quelle sera la politique de la France si la Tchéquie n'approuve pas la Constitution ? Vous savez qu'il y a chez nous beaucoup d'eurosceptiques...
R - Des eurosceptiques, il y en a dans tous les pays européens ; c'est la raison pour laquelle il nous faut entreprendre un travail d'explication du texte de la Constitution, de pédagogie, de mobilisation des citoyens. Je suis engagée, depuis quelques mois, dans ce travail d'explication du projet européen, et des outils qui nous permettront de progresser ensemble.
Nous avons une responsabilité vis-à-vis de l'Europe ; si le traité constitutionnel n'est pas ratifié, l'Europe ne pourra pas continuer à avancer, et je pense que nous avons besoin d'une Europe plus forte. En outre, chacun des pays membres est plus fort quand il est au sein de l'Europe. Il n'est donc pas question d'isoler tel ou tel partenaire, il faut que nous avancions tous ensemble.
Q - Si la Tchéquie n'approuve pas la Constitution, quelle sera la politique de la France envers ce pays ?
R - Le cas s'est déjà produit dans le passé. Dans une telle hypothèse, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union auraient à se saisir du problème.
Mais c'est une hypothèse que je me refuse à envisager. Je pense sincèrement que les électeurs comprendront que ce traité est un pas dans la bonne direction et qu'il est bon pour leur pays. Nous avons tous, aujourd'hui, la responsabilité de faire en sorte que cette ratification soit possible.
Q - En France, avez-vous peur que les citoyens ne ratifient pas la Constitution ?
R - Actuellement, en France, l'opinion publique est, dans sa grande majorité, favorable au traité constitutionnel. Nous sommes très mobilisés sur cette question, et mon rôle, en tant que ministre déléguée aux Affaires européennes, consiste à me rendre sur le terrain, à la rencontre des Français, afin d'expliquer le texte, de donner des informations et de faire en sorte que les Français répondent, en toute conscience, le moment venu, à la question qui leur sera posée. Le risque existe toujours, dans le cadre d'un référendum, que la réponse à la question posée aux citoyens soit parasitée par d'autres considérations ou d'autres enjeux. C'est pour cela qu'on a vraiment besoin d'un débat sur les enjeux européens, et non pas sur des questions de politique interne ou sur des enjeux qui ne sont pas ceux du traité constitutionnel.
Q - Une dernière question : qu'est-ce qu'attend la France de la visite de George W. Bush en Europe ?
R - La France, comme l'Europe toute entière, sait qu'il nous faut relancer de façon efficace un dialogue avec nos partenaires américains. Je crois que la volonté a été exprimée côté américain et côté européen, comme elle l'a été en France. Nous avons une responsabilité, nous Européens, Américains, face à des problèmes qui se posent à l'échelle mondiale et qu'il nous faut traiter ensemble afin d'y apporter des solutions cohérentes et efficaces : le terrorisme par exemple, ou encore le développement de la pauvreté. Ils nous concernent tous, et nous sommes dépendants les uns des autres pour y répondre. Le conflit au Proche-Orient, par exemple, fait partie de ces conflits sur lesquels il faut que nous puissions nous concerter et montrer notre capacité à avancer ensemble.
2005 est une année importante pour le rétablissement du dialogue transatlantique ; nous devons relancer ce dialogue afin que chacun des partenaires, sans être soumis à l'autre ni s'opposer à lui participe à la définition de positions communes sur les questions qui nous occupent en priorité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 janvier 2005)