Déclaration de M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, sur l'insuffisance de la gouvernance internationale de l'environnement et la nécessité de la renforcer en transformant le Programme des Nationes unies pour l'environnement (PNUE) en une Organisation des Nations unies pour l'environnement (ONUE), Paris le 17 février 2005.

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Circonstance : Ouverture de la table ronde du Comité 21 sur l'Organisation des Nations unies pour l'environnement, à Paris le 17 février 2005

Texte intégral

Madame la Ministre,
Monsieur le Député-Maire d'Issy-les-Moulineaux,
Monsieur le Président du Conseil général du Bas-Rhin,
Mesdames, Messieurs,
La Conférence internationale sur la biodiversité, qui s'est tenue fin janvier à Paris, nous a rappelé, fort à propos, l'impérieuse nécessité de l'action pour relever les gigantesques défis environnementaux, auxquels notre planète est confrontée.
Que faire ?
Cette Conférence a souligné le rôle de l'expertise scientifique, qui doit être approfondie et dont les résultats doivent être portés à la connaissance du plus grand nombre. Mais cela ne suffira pas.
La réponse réside aussi dans l'amélioration de la gouvernance internationale de l'environnement. C'est une conviction forte, que le président de la République a défendue à la tribune des Nations unies en septembre 2003 et qu'il continue de promouvoir. C'est devenu l'un des axes majeurs de notre diplomatie environnementale.
Depuis ma prise de fonctions, je me suis attaché à saisir chaque occasion pour sensibiliser mes homologues étrangers au besoin d'une meilleure gouvernance. Pourquoi maintenant ? Parce que nous avons une opportunité à saisir : en effet, la réforme des Nations unies, qui figure à l'ordre du jour du sommet de septembre prochain, fournira une occasion exceptionnelle de s'interroger sur les conditions d'amélioration de cette gouvernance environnementale.
En appelant à la création d'une Organisation des Nations unies pour l'Environnement (ONUE), le président de la République a pris une initiative à la fois ambitieuse et réaliste. Il s'agit avant tout d'un appel à la mobilisation collective et à la réflexion créatrice. Ce n'est pas une solution magique, imaginée par de brillants esprits et immédiatement prête à l'emploi.
Vingt-cinq Etats et la Commission européenne ont accepté de participer, à nos côtés, à cet exercice de réflexion, qui constitue la première étape d'un processus, que j'ai à cur de voir aboutir. Il m'a paru nécessaire de vous réunir aujourd'hui pour vous informer des travaux qui ont été ainsi menés et de vous donner l'occasion d'en débattre. Je connais votre sensibilité à ces questions de gouvernance et vos réactions nous seront précieuses pour l'avenir.
Je vais donc articuler mon propos autour de trois axes :
. je voudrais d'abord tirer les enseignements de la première phase, qui s'achèvera d'ici quelques semaines ;
. je vous indiquerais ensuite les prochaines étapes, que nous comptons franchir pour faire progresser ce dossier ;
. enfin, je vous livrerai quelques réflexions personnelles que m'inspire l'avenir.
En un an, le groupe de travail, piloté par la France, se sera réuni une quinzaine de fois. Ce groupe rassemble des Etats, qui, à défaut d'être tous enthousiasmés par l'idée de remettre en cause les modalités actuelles de la gouvernance onusienne, ont tous accepté d'en débattre. Certains se sont révélés d'ardents avocats d'une ONUE. D'autres se sont montrés plus attentistes, voire sceptiques. Cette diversité de points de vue nous a été fort utile, car interrogations et objections ont stimulé une réflexion, qui a permis d'engranger de premiers résultats. Ceux-ci concernent à la fois le constat et quelques données clés pour construire l'avenir :
Tout d'abord, le constat : les insuffisances de la gouvernance internationale de l'environnement sont reconnues et le diagnostic établi par le groupe de travail corrobore largement celui qui ressort des réponses faites par les personnalités interrogées, à ma demande, par le Comité 21 ; je tiens d'ailleurs à leur adresser mes très vifs remerciements.
Ensuite, quelques données clés pour construire l'avenir :
Premièrement, le processus actuel de renforcement du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et la perspective de sa transformation en une ONUE doivent être envisagés comme deux processus distincts mais complémentaires dans le temps ; il en résulte par souci de cohérence et de continuité que Nairobi, siège du PNUE, devrait être aussi celui de l'ONUE ;
Deuxièmement, l'autonomie juridique des Accords multilatéraux en matière d'environnement doit être respectée ;
Enfin, la rationalisation permise par la création d'une ONUE doit servir à dégager davantage de ressources pour l'action, c'est-à-dire pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement, dont je vous rappelle que nous en établirons un premier bilan en septembre prochain.
Les travaux de la première phase ont également mis l'accent sur deux exigences, de nature méthodologique :
- la nécessité d'analyser encore plus finement l'existant, afin d'identifier précisément les manques ou les insuffisances du réseau actuel, mais aussi d'en retenir les aspects positifs ;
- le souci de réfléchir en termes de valeur ajoutée, pour déterminer les solutions les plus pertinentes.
Ces règles de méthode vont d'ailleurs être appliquées immédiatement. En effet, lors de la Conférence de Paris sur la biodiversité, la communauté scientifique a lancé un appel aux gouvernements. Elle leur a demandé de réfléchir à la mise en place d'un mécanisme international permettant de renforcer l'expertise scientifique en matière de biodiversité. Comment organiser toutes les compétences mobilisables au service d'une expertise scientifique utile aux décideurs ? C'est là l'une des questions fondamentales, auxquelles nous cherchons à répondre en proposant la création d'une ONUE. Comme je vous le disais en introduction, la bonne gouvernance a besoin de s'appuyer sur la connaissance.
A cet égard, je voudrais attirer votre attention sur un point : il s'agit d'un effort de cohérence de l'expertise auquel seront associés pays du Nord et pays du Sud. Les pays en développement n'ont pas toujours les moyens de développer l'expertise scientifique. Les problématiques environnementales revêtent aussi dans les pays du Sud des singularités qui méritent des solutions spécifiques. La bonne gouvernance, c'est aussi un effort de solidarité entre Nord et Sud.
Après avoir brossé ce bilan d'ensemble, je voudrais maintenant vous indiquer quelles sont les prochaines étapes du calendrier onusien dans lequel nous comptons nous insérer.
En lançant le groupe de travail informel sur l'ONUE, notre objectif était clair : inscrire la question de la gouvernance internationale de l'environnement à l'ordre du jour des Nations unies. Cette ambition, simple en apparence, ne va pourtant pas de soi. En effet, le mouvement de balancier, qui a porté l'environnement au centre des discussions sur la gouvernance, entre les Sommets de Rio et Johannesburg, l'en éloigne maintenant.
Mettre l'accent sur l'environnement peut être aujourd'hui perçu, par certains acteurs internationaux, comme une possible remise en cause de l'équilibre entre les trois dimensions du développement durable. Dans ce contexte, notre ambition était et demeure que 2005, l'année du développement, soit aussi celle de l'environnement. Pourquoi ? Parce que l'environnement est une condition du développement. J'en ai une conviction inébranlable.
Dans ces conditions, maintenir la question de la gouvernance internationale de l'environnement au cur des débats constituait un vrai défi. Je crois pouvoir dire que nous avons gagné la première manche. Il nous reste maintenant à en faire autant pour la seconde : il s'agit de faire inscrire la question d'une ONUE à l'ordre du jour des Nations unies. C'est ce à quoi nous allons nous employer, lors du Sommet de septembre 2005, à New York. Voilà notre échéance et notre objectif à court terme.
Comment y parvenir ? Nous disposerons très vite, sans doute début mars, d'un résumé des travaux du groupe informel, qui reflètera, de la façon la plus objective possible, les positions de chacun des 26 pays et indiquera les points de convergence et les options étudiées. Ce résumé sera transmis au Secrétaire général des Nations unies.
Par ailleurs, nous allons élaborer un argumentaire traduisant, de façon précise et ambitieuse, notre vision des choses. C'est à ce titre que j'avais demandé au Comité 21 de recueillir l'opinion d'un panel de personnalités ; c'est également dans ce but que je vous ai convié aujourd'hui, car j'estime indispensable que la société civile puisse apporter sa contribution à ce projet à la fois important et de longue haleine. Cet argumentaire sera, lui aussi, adressé au Secrétaire général des Nations unies.
Pour préparer le terrain avant le Sommet des Nations unies en septembre, nous allons encore intensifier notre effort diplomatique, afin d'obtenir sinon le soutien, au moins l'intérêt du plus grand nombre de pays. J'ai notamment à l'esprit le colloque international sur le renforcement de la gouvernance internationale de l'environnement organisé par nos amis allemands à Berlin, fin mai. Ce sera une excellente occasion pour confronter, à une large échelle, nos arguments en faveur de la création d'une ONUE.
Comme dans toute action diplomatique, le soutien de la société civile, votre soutien, est indispensable. C'est pourquoi nous avons besoin de vous entendre : faites-nous part de vos analyses, de vos critiques, de vos propositions. Certains d'entre vous l'ont déjà fait, se sont déjà mobilisés. A cet égard, je salue la récente prise de position de Greenpeace, du Bureau européen pour l'Environnement et des Amis de la terre en faveur d'une ONUE. Je souhaite que leur exemple soit largement suivi. Je m'adresse aussi aux entreprises, qui ont également leur rôle à jouer dans cette partition. Je souhaite qu'elles s'expriment.
A Davos, le président de la République a récemment suggéré qu'une conférence internationale sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se tienne prochainement à Paris. C'est une opportunité, qu'elles saisiront certainement pour faire entendre leur point de vue sur ce sujet important. Je souhaite qu'au-delà de ce thème spécifique, nous ayons l'occasion de les sensibiliser à notre projet, voire de les convaincre.
Je voudrais enfin vous livrer quelques réflexions personnelles, qui concernent l'avenir du projet ONUE. Comme je viens de le souligner, je suis convaincu que notre première tâche est, dans l'immédiat, de communiquer largement sur le diagnostic, afin de convaincre nos partenaires. A mon avis, pour être la plus persuasive possible, cette communication doit être centrée sur les besoins, auxquels l'ONUE devrait répondre. Pour ma part, j'en ai identifié quatre et je pense rejoindre ici plusieurs des personnalités interrogées par le Comité 21:
Tout d'abord, la lisibilité du pilotage est indispensable. A l'heure actuelle, le PNUE et les Conférences des parties des grands accords environnementaux partagent le pouvoir, mais aucune instance n'est investie du rôle d'arbitre, qui est essentiel pour assurer une cohérence d'ensemble ; c'est à ce premier besoin, que devrait répondre une ONUE.
Ensuite, parce que les ressources, financières notamment, sont rares, il est devenu impératif d'en rationaliser et d'en mutualiser l'emploi. Les défis que nous avons à relever sont d'une telle ampleur qu'ils requièrent des moyens très importants. Songeons au nombre d'accords multilatéraux qui régissent l'environnement. Leurs périmètres d'action se recoupent parfois. C'est dans cette perspective qu'on pourrait sans doute inventorier celles de leurs fonctions qui sont susceptibles d'être mutualisées. Chaque accord bénéficierait d'une telle démarche. Donc les questions environnementales traitées par ces accords en bénéficieraient aussi. Mais qui pourrait procéder à une telle rationalisation, sinon une "autorité" investie de la légitimité nécessaire ?
En troisième lieu, la communauté internationale mais aussi l'opinion publique ont besoin de repères : en raison de sa complexité, il nous est difficile de faire comprendre au plus grand nombre l'importance cruciale des enjeux que nous traitons en matière d'environnement international ; il est aussi mal aisé d'expliciter qui fait quoi, comment et dans quel but. Or l'environnement est une préoccupation de tous. Dans un monde aussi médiatique que le nôtre, il me semble surprenant que l'environnement soit privé de représentation institutionnelle, alors que la santé, avec l'Organisation mondiale de la Santé, la culture, avec l'UNESCO, le commerce, avec l'OMC et même la propriété intellectuelle, avec l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) en bénéficient.
Enfin, dans la perspective d'un développement durable, il est important de construire des relations plus équilibrées avec les grandes institutions internationales. Je n'ignore pas le caractère particulièrement sensible de cette préoccupation pour certains de nos grands partenaires comme les Etats-Unis ; il me paraîtrait toutefois irréaliste de réfléchir à la gouvernance internationale de l'environnement, sans prendre en compte le contexte institutionnel dans lequel elle doit s'inscrire ; les principales institutions que j'ai citées, l'OMC, l'OMS, l'UNESCO , à des titres divers, interviennent sur des questions ayant des rapports forts avec l'environnement ; or que pèse le secrétariat exécutif d'un accord multilatéral face à ces organisations ? Une ONUE permettrait justement d'instaurer des relations plus équilibrées et de faire entendre et prendre en compte davantage la voix de l'environnement.
Avant de vous laisser la parole, je conclurai en disant que l'ONUE, existe déjà mais à l'état de morceaux. Aujourd'hui c'est seulement un puzzle inachevé. La tâche à accomplir, c'est de les rassembler, de donner à ces instances éparses une architecture solide et durable.
Merci de votre attention
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 février 2005)