Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, à "BFM" le 8 juillet 2004, sur son éventuelle candidature à la présidence de l'UMP après la démission d'Alain Juppé, sur les négociations portant sur les subventions aux exportations agricoles dans le cadre du cycle de Doha, sur la mévente relative du vin en France.

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Média : BFM

Texte intégral


Q- V. Lecasble-. Vous avez été reçu hier par D. Bussereau. Il veut que, comme les autres ministres, vous fassiez un effort. Un fonctionnaire sur deux qui part à le retraite ne devrait pas être remplacé, c'est l'objectif du Gouvernement. Vous en employez 31 000 à l'Agriculture. Est-ce que vous allez y arriver ?
R- "Dont la moitié d'enseignants d'ailleurs."
Q- Est-ce que vous allez y arriver ?
R - "On est encore en négociation dans le budget, ça va se poursuivre pendant tout l'été. Je crois que d'une manière générale, il faut effectivement mieux gérer l'Etat. Il y a eu une grande informatisation ces dernières années, il faut réorganiser l'Etat et je crois qu'on peut faire autant avec des effectifs moins nombreux."
Q- De combien moins nombreux ?
R - "Je ne sais pas vous quantifier, parce que, nous, ce que nous faisons au ministère de l'Agriculture depuis deux ans, dans la concertation et le dialogue, on regarde comment mieux organiser les services et c'est après cette meilleure organisation qu'on se rend compte que l'on peut supprimer un certain nombre d'emploi, c'est-à-dire ne pas remplacer certains départs à la retraite. On l'a déjà fait il y a deux ans, on l'a fait l'année dernière, et enfin cette année et on le fera l'année prochaine."
Q- C'est Matignon qui tranchera in fine ?
R - "Oui."
Q- Il y a cette fameuse présidence de l'UMP qui déchaîne les convoitises. Trois candidats. On souffle aussi votre nom, H. Gaymard.
R - "J'ai dit que je n'excluais pas, éventuellement, d'être candidat, mais je crois que l'on n'en est pas là aujourd'hui..."
Q- Il y a déjà trois candidats déclarés.
R - "Je vois cela. Comme disait de Gaulle, c'est le trop plein. Les candidatures vont se déclarer à la mi-septembre."
Q- Jusqu'au 15 septembre maximum...
R - "Pour l'instant, on n'en est pas là. J'étais encore dans l'Ardèche le lundi, hier, comme vous l'avez dit, en négociation budgétaire. On a beaucoup de problèmes à régler en matière d'agriculture et de pêche en ce moment. Donc je dirais que j'ai plutôt la tête ailleurs."
Q- Néanmoins, c'est sûrement N. Sarkozy qui va être candidat déclaré et favori à la présidence de l'UMP. A. Juppé vient d'annoncer son départ, il va démissionner le 15 juillet. Vous êtes très proche et de J. Chirac et d'A. Juppé, est-ce que vous souhaitez continuer à incarner cette sensibilité gaulliste au sein de l'UMP ?
R - "Cette sensibilité gaulliste existe et elle doit être incarnée. Nous avons décidé d'élire notre président au suffrage universel des militants et il est tout à fait légitime, sans introduire la division ou les querelles personnelles, que toutes les sensibilités soient représentées. Et la nôtre, qui est républicaine, sociale, anti-communautariste, existe et il faut qu'elle soit incarnée."
Q- C'est vous qui pourriez l'incarner ?
R - "Moi ou d'autres. Il y a plusieurs candidats possibles, mais je crois qu'il faut que cette sensibilité soit incarnée."
Q- Quelle est sa place dans la future UMP d'après le congrès du mois
de novembre ?
R - "L'avenir le dira."
Q- La cote de popularité de J. Chirac est en baisse. Elle est passée de 65 % à 45 % seulement. Faut-il réagir ?
R - "Le Gouvernement de la France et la direction de la France, pour paraphraser encore le général de Gaulle, ne se fait ni à la corbeille, ni aux sondages de popularité qui vont et qui viennent. Je crois que nous avons la chance d'avoir un Président qui a de l'énergie, qui est expérimenté, qui est reconnu sur la scène internationale. Il s'exprimera le 14 juillet comme chaque année et moi je suis d'une très grande sérénité derrière J. Chirac."
Q- Vous attendez quelque chose de ce discours ?
R - "Il ne faut non plus créer de manière artificielle un évènement qui revient chaque année. Mais c'est vrai que c'est bien que chaque 14 juillet, le président de la République s'exprime sur un certain nombre de sujets et de ce point de vue, on peut lui faire entièrement confiance."
Q- Pendant ce temps-là, vous travaillez. Il y a un sujet qui vous occupe en ce moment, c'est la négociation du cycle de Doha que P. Lamy veut conclure d'ici la fin du mois de juillet pour pouvoir laisser son empreinte. Vous n'êtes pas du tout d'accord. Lui, iI veut supprimer toutes subventions à l'exportation sur les produits agricoles, et vous, vous ne voulez pas. C'st le monde à l'envers : le socialiste est devenu libéral et l'UMP est dirigiste.
R - "Il n'y a pas de querelles de personne entre P. Lamy et moi. Il y a c'est vrai une position différente entre le ministre français de l'Agriculture - et pas que le ministre français, beaucoup d'autres ministres aussi - et le Commissaire européen, qui négocie au nom des Etats membres. Ce que nous disons principalement, c'est que nous n'avons pas de tyrannie du calendrier. Nous ne sommes pas obligés de conclure avant le mois de juillet. Nous, nous disons que la bonne date sera celle d'un accord équilibré et un accord équilibré, cela veut dire, notamment sur les subventions aux exportations, dont vous avez parlé, que les Américians, qui ont un dispositif beaucoup plus important et complet que le nôtre, désarment également, si nous décidons de désarmer au terme de la négociation. Il n'y a aucune raison que l'Europe soit la seule à faire des concessions. Nous en avons fait déjà énormément depuis une dizaine d'années. Le montant de nos subventions aux exportations agricoles a été divisé par 7 en moins de dix ans. Donc, je dirais : arrêtons de faire de l'angélisme et de vouloir toujours faire plaisir à tout le monde, sans que personne, en face, ne fasse de concessions."
Q- Demander aux Américians de désarmer, c'est un rêve ?
R - "On verra, si les Américains ne veulent pas bouger, il n'y a aucune raison que nous bougions davantage parce que nous avons déjà, ces dernières années - et [sur] la réforme de la PAC, l'année dernière -, fait énormément de choses pour mettre du grain à moudre dans la machine des négociations."
Q- Quand P. Lamy dit "l'agriculture c'est 10 % de échanges dans le monde, 90 % c'est l'industrie et les services, et en bloquant sur les 10 %, vous empêchez de libéraliser le reste", vous lui répondez quoi ?
R - "C'est complètement faux. On ne peut même pas dire dans cette négociation-là que ce sont des concessions sur l'agriculture contre des avancées sur les industries ou les services ou l'investissement."
Q- C'est juste des concessions sur l'agriculture ?
R - "Juste des concessions sèches sur l'agriculture et il n'y a aucun avantage dans les autres domaines. Je le regrette d'ailleurs, parce qu'à l'origine, en 1999, le cycle de Doha, dont vous avez parlé, était ambitieux. On l'appelait "le cycle du développement". Chemin faisant, tous les autres éléments de négociation sont tombés, ont été abandonnés. Donc on se résume à une discussion strictement agricole et en matière strictement agricole. L'Europe n'a pas à rougir de ce qu'elle a fait, et surtout de qu'elle a fait et de ce qu'elle fait pour les pays en développement puisque c'est l'Europe qui importe 60 % des exportations agricoles des pays pauvres."
Q- La France ne cédera pas, c'est ce que vous êtes en train de me dire. Il y a un autre sujet compliqué en ce moment, pour vous : c'est le vin. Ca ne va pas fort dans le vin, on voit dans le Bordelais des cépages arrachés, on est revenu en partie sur le loi Evin, cela ne suffit pas. Vous voulez organiser une table ronde dans la deuxième quinzaine de juillet pour avancer sur le sujet.
R - "Sur le vin, il y a une surproduction mondiale, un baisse de la consommation en France et en Europe et de nouveaux concurrents avec les vins du Nouveau Monde. Il faut que la France réagisse. Ceci étant, on a encore de solides positions, puisqu'on a plus de 50 % de la part du marché mondial, donc il ne faut pas non plus sombrer dans la désespérance."
Q- C'était 70 % avant ?
R - "Et on reste le pays de référence. Je pense qu'il faut tout d'abord que l'on ait un meilleur marketing et une meilleure commercialisation à l'étranger. C'est pour cela qu'avec F. Loos, nous étions aux Etats-Unis, à Chicago, avec A. Juppé, à Vinexpo, il y a quinze jours, pour promouvoir les vins français. Et puis, il faut, je pense, que l'on mette un peu plus de lisibilité ou de souplesse dans la communication et l'identification de nos vins, puisque c'est vrai que pour des palais peu éduqués, les vins français apparaissent parfois un peu trop sophistiqués."
Q- Vous allez lancer une initiative d'ici la fin du mois ?
R - "Nous allons avoir une table ronde la deuxième quinzaine du mois de juillet avec les professionnels. On travaille beaucoup sur le sujet depuis deux ou trois ans. La réflexion a même commencé avant que je n'arrive au ministère et j'espère que l'on puisse enfin aboutir, maintenant, pour aller de l'avant."
Q- Vous êtes en train de préparer la loi de modernisation agricole. Un mot sur cette loi.
R- "Il faut une nouvelle loi pour la modernisation de l'agriculture. Il y a la question des conditions de vie et de travail des paysans, qui se sentent écartés du reste de la société. Il faut réconcilier l'agriculture et la société, notamment, sur le thème de l'environnement. Il faut aussi que l'on débureaucratise notre agriculture et notre politique agricole et puis enfin, il faut que l'on améliore la compétitivité d'un certain nombre de nos filières, donc on a du pain sur la planche. Mon objectif, c'est que l'on fasse un grand débat agriculture-territoire-société cette automne et que l'on puisse discuter de cette loi au Parlement l'année prochaine."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 juillet 2004)