Déclaration de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la construction européenne, notamment l'élargissement, les élections européennes de 2004, la citoyenneté, l'emploi, la future Constitution et la promotion de l'Europe auprès des jeunes, à Paris, le 20 janvier 2004.

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Circonstance : Cérémonie des voeux, à Paris, le 20 janvier 2004

Texte intégral


Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs, chers Amis,
Permettez-moi de vous remercier pour votre présence ici ce soir. C'est pour moi, en effet, un grand plaisir que de vous présenter mes meilleurs voeux pour cette année qui commence.
Une année 2004 qui, comme vous le savez tous, constituera un tournant historique pour l'Europe. Deux échéances majeures nous attendent : les échéances constitutionnelles, tout d'abord. Le retard que nous avons pris dans l'adoption de la future Constitution n'est pas synonyme d'échec : il nous indique avant tout la voie vers un effort de concertation renforcée entre les Etats membres. Cet effort, nous le poursuivrons sans tarder, et je me félicite en cela de la détermination de la présidence irlandaise sur cette dimension fondamentale de l'avenir de l'Europe.
L'autre échéance européenne majeure de l'année, c'est bien sûr l'élargissement. Nous en parlions depuis longtemps ; l'unification du continent, dans quelques semaines, sera une réalité. C'était un rêve, il se concrétise. "In dreams begins responsibility" dit le poète irlandais Yeats, et nous avons toute confiance en la présidence irlandaise pour nous accompagner dans l'accomplissement de ce rêve jusqu'à mai prochain, avant que les présidences suivantes n'accompagnent à leur tour le cheminement de la Bulgarie et de la Roumanie vers l'adhésion à l'Union. C'est l'occasion pour moi, une fois de plus, de saluer l'exceptionnel effort de ces futurs citoyens de l'Union, notamment ceux des pays d'Europe centrale et orientale, qui ont réussi à donner corps à la transition démocratique, sous le poids de contraintes considérables. Après plusieurs décennies de plomb, le temps record dans lequel cette transition s'est effectuée est véritablement le signe d'une maturité politique exceptionnelle. Souvenons-nous que Robert Schuman, ici même, le 9 mai 1950, avait d'emblée anticipé, en posant la première pierre de la construction européenne, cette unification du continent : la construction d'une Europe pacifique ne pouvait alors se faire, selon ses propres dires, que si elle maintenait à son horizon l'intégration, à terme, de "tous les Européens sans distinction, qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest". Cette vision fondatrice se concrétise cette année.
Le 13 juin prochain, ce sont donc 338 millions d'électeurs qui seront appelés aux urnes. Ce scrutin européen constituera le premier rendez-vous démocratique de l'Europe unifiée. Cette élection, par ailleurs, sera doublement européenne, puisque pour la première fois dans l'histoire de l'Europe dans tous les Etats membres sans exception, les résidents non nationaux pourront participer au scrutin, voire s'ils le souhaitent, se présenter comme candidats dans leur pays de résidence. Incitons les à aller de l'avant. En tous les cas, aucun ressortissant communautaire, quel que soit sont lieu de résidence, ne sera privé de ce droit de vote et d'éligibilité.
Quelle signification accorder à ces échéances ? Tournons-nous vers le passé et considérons l'ancienneté et la violence de l'idée européenne. Avec le mythe d'Europe et de Zeus, l'Europe s'était inscrite dès ses origines dans une logique de l'enlèvement, du rapt, de la violence. L'idée de l'Europe politique, aussi ancienne que la civilisation européenne elle-même, a elle aussi trop longtemps résonné au son des armes. Une longue filiation de figures historiques, depuis la Rome antique jusqu'à Napoléon en passant par Charlemagne, nous rappelle que cette idée fut longtemps synonyme de volonté hégémonique. Dans quelques mois, le 6 juin 1944, nous célébrerons les 60 ans du débarquement : n'oublions pas de quoi nous sommes faits, ni ce que nous devons aux nations amies - Etats-Unis et Canada - qui nous ont permis de quitter cette logique. Les Français, en particulier, n'ont pas la mémoire courte. De ce passé tumultueux, nous avons gardé l'idée de l'entité politique à construire, mais nous avons changé les méthodes. Il aura fallu deux guerres mondiales pour que le projet européen laisse place à la sagesse pour se fonder sur l'entente et le volontarisme pacifique des Etats. Cette volonté de s'entendre, ce "vouloir vivre ensemble" pour reprendre les mots de Renan, trouve son expression dans la recherche opiniâtre d'un intérêt général européen qui transcende les intérêts nationaux. Ce qu'en jargon communautaire, on désigne sous le vocable de "compromis". Quant aux finalités du projet européen, elles ont également évolué. Aristide Briand voulait une Europe des Etats pacifiés et unis ; nous voulons aussi cette Europe comme une union des peuples, et pas seulement des nations. Cette union des peuples, elle se matérialise à travers les élections européennes ; mais elle passe également par la démocratie locale qui, elle aussi, - comme l'a souvent rappelé le Premier ministre - est partie prenante de la bonne administration du territoire européen. La future Constitution européenne, en prenant en compte l'ensemble des acteurs de l'Europe, c'est-à-dire en y incluant les Parlements nationaux et les acteurs locaux, doit nous donner les moyens institutionnels d'éviter un divorce entre démocratie locale et démocratie européenne, qui à l'évidence serait dommageable pour tous. Cette volonté de réaliser une Europe des peuples, en adoptant des pratiques institutionnelles concrètes, constitue probablement le plus grand changement dont le projet européen est en train de faire l'objet, au-delà même de l'élargissement et de l'adoption de la Constitution.
Un tel projet passe par un effort considérable de mobilisation. Je voudrais m'arrêter avec vous sur ce qui justifie cette mobilisation, avant d'aborder les moyens par lesquels j'ai l'intention en France, en tant que ministre aux Affaires européennes, d'y contribuer.
Pourquoi se mobiliser ?
Revenons tout d'abord sur quelques principes essentiels qui justifient cette mobilisation. J'en distinguerai trois, qui sont, à mon sens, au coeur d'une éthique de la construction européenne sur laquelle nous devons plus que jamais accroître nos efforts d'explication.
- La construction européenne, tout d'abord, n'est pas un parcours sacrificiel. Ni Bruxelles ni Strasbourg ne sont des puissances tutélaires qui nous seraient étrangères, voire hostiles. Ces capitales abritent des institutions que nous avons nous-mêmes créées, des institutions dont la vocation est d'être au service des Etats et des citoyens. En période de conjoncture économique faible, les citoyens ont tendance à se retourner vers leur gouvernement ; aujourd'hui, ils se tournent également vers l'Europe. Cette attitude de revendication dirigée vers l'Europe est assez nouvelle, dans la mesure où elle était jusque-là cantonnée à certaines catégories du monde économique. Elle m'apparaît, au-delà de l'objet même des revendications ou protestations exprimées, un signe positif. Les citoyens en effet ont désormais conscience que l'Europe est désormais présente dans la plupart des domaines qui directement les concernent : la sécurité publique, la protection de l'environnement, la prévention des maladies, sans parler, évidemment, de l'économie et de l'emploi. J'en veux pour preuve les résultats des derniers sondages, notamment celui paru hier dans un hebdomadaire, aux termes duquel les Français sont plus Européens qu'ils le croient parfois eux-mêmes. Nous devons donc nous donner les moyens d'accompagner cette prise de conscience citoyenne de la réalité européenne par une pédagogie de tous les instants à laquelle je nous convie tous ici présents en tant que responsables politiques, économiques ou sociaux.
- Deuxième principe : au moment où l'Europe s'élargit, nous devons consolider ses institutions, afin de lui donner la capacité de décider. Consolider l'Europe, ce n'est pas affaiblir les Etats ; c'est au contraire leur donner l'occasion de rayonner davantage et d'occuper une position beaucoup plus forte. Or, si certains, dans cet esprit, sont réticents à l'idée d'une "Europe-puissance", personne ne saurait être le partisan d'une "Europe-impuissance". Cela implique de conforter et de faire confiance aux institutions clefs de l'Europe : je veux parler notamment de la Commission européenne. Sans elle, sans son pouvoir de médiation au service des Etats, l'Europe ne serait qu'une organisation internationale parmi d'autres ; or l'Europe relève non pas tant du droit international classique que de la gouvernance politique. Elle se veut un espace de solidarité et une démocratie en marche, fondée sur le respect du droit. Cette ambition, c'est justement la Commission, pièce centrale du triptyque de la mécanique communautaire, qui la rend possible. C'est pourquoi nous ne devons pas oublier son rôle irremplaçable dans l'alchimie de la méthode communautaire.
- Troisième et dernier principe : la construction européenne, enfin, repose sur une culture politique du débat qui lui est spécifique. Les débats sur la future Constitution ont certes fait émerger des tensions ; il serait vain, cependant, de présenter ces discussions comme des confrontations entre nations. Faut-il parler d'une "crise de Bruxelles" ? Sans aucun doute, mais dans le sens que Paul Valéry donnait au mot "crise" : "le passage d'un certain régime de fonctionnement à quelque autre". Valéry qui écrivait, dans Regard sur le monde actuel : "On se flatte d'imposer sa volonté à l'autre. Il arrive qu'on y parvienne, mais ce peut être une néfaste volonté. Rien ne me paraît plus difficile que de déterminer les vrais intérêts d'une nation, qu'il ne faut pas confondre avec ses vux. L'accomplissement de nos désirs ne nous éloigne pas toujours de notre perte". Ces quelques lignes nous offrent, je pense, par opposition une belle et exacte analyse du processus si original qui fait l'Europe, en évitant les écueils évoqués par Paul Valéry.
Les voies citoyennes de la mobilisation européenne
Ces quelques principes centraux qui nous guident dans le projet européen doivent faire l'objet d'un effort d'explication et de mobilisation, il faut les rendre concrets. Si j'avais un seul voeu à formuler pour cette année qui commence, ce serait bien sûr la participation la plus grande possible de nos concitoyens à l'élection du Parlement européen le 13 juin prochain. A l'heure de l'Europe élargie, nous ne pouvons en aucun cas nous contenter des 50 % d'abstention qui caractérisent habituellement les scrutins européens. Les sondages que j'évoquais tout à l'heure nous font part d'un intérêt croissant des Français pour les enjeux européens, qu'il s'agisse de la monnaie unique et des politiques économiques, de la défense commune ou encore des élections. Ces signaux qui pointent vers une conscience européenne hexagonale accrue sont réconfortants ; mais les sondages n'ont jamais remplacé une élection. Pour transformer l'essai, je propose trois axes de mobilisation.
- Tout d'abord, il me semble que la construction européenne doit avant tout être présentée aux citoyens comme un projet qui place le développement économique et l'emploi au coeur de ses préoccupations. Je ne peux que saluer, en cela, le fait que, dans la ligne de la présidence italienne que je remercie au passage pour avoir relancé la dynamique de la politique de croissance européenne, la présidence irlandaise se soit donnée cette priorité, dans l'esprit de la feuille de route de la stratégie dite de Lisbonne. Comme vous le savez, cette priorité rejoint la ligne tracée par le président de la République. Et l'Europe, en effet, doit contribuer par ses politiques et les échanges de savoir-faire entre nations qu'elles autorisent, à rendre plus effectif le droit de chacun à un emploi. Dans ce but, il faut chercher, par tous les moyens, à accroître de manière durable la compétitivité économique de l'ensemble du site Europe. C'est pourquoi la France participera sans restriction au succès du prochain Conseil européen de mars qui traitera de ces questions, et au Sommet social qui le précédera. Pour ma part, j'ai engagé des initiatives pour favoriser en particulier l'accès des jeunes au monde du travail en Europe. Parmi ces actions très ciblées, l'opération "10 000 stages en Europe", lancée avec le concours d'entreprises de tous les secteurs et qui vise à inciter les jeunes de 18 à 25 ans à la mobilité pour qu'ils s'imprègnent de la culture d'autres pays que le leur avant de rentrer définitivement dans la vie active ; le but étant aussi de les préparer à une éventuelle carrière européenne.
- En deuxième lieu, la mobilisation des Français passe par une meilleure pédagogie sur le projet européen. Défendre l'idée d'une Constitution ambitieuse ne suffit pas à obtenir l'adhésion des citoyens. Il faut faire en sorte que cette Constitution soit véritablement conçue par eux comme leur loi fondamentale.
Pour réaliser cette meilleure implication citoyenne, je m'attache à promouvoir, par un ensemble d'initiatives concrètes, l'idée d'une Europe de proximité. C'est tout le sens du Plan d'action sur la citoyenneté européenne que j'ai proposé le 29 octobre dernier au Conseil des ministres et qui fait l'objet de premières réalisations dans l'hexagone. La relation entre les Français et l'Europe ne prendra véritablement corps que si elle peut s'appuyer sur un ensemble de pratiques dites de proximité.
La diffusion dans toutes les classes de cartes européennes et de puzzles sur l'Europe, l'organisation de jeux-concours ou encore la diffusion dans toutes les classes de quatrième d'un film présentant la vie des jeunes chez nos dix nouveaux partenaires européens, en sont quelques exemples.
Pour ancrer dans les esprits et dans les coeurs le civisme européen, les jeunes filles et les jeunes gens se verront désormais remettre à leur majorité un "Livret du citoyen européen", sous forme d'un document personnalisé leur précisant leurs droits et devoirs de citoyens européens. De même, pour qu'aucun jeune, fût-il en difficulté ou ait-il des problèmes d'insertion, ne reste à l'écart du dialogue citoyen sur l'Europe, j'ai lancé une opération dans le cadre des missions locales pour l'emploi avec l'appui des élus locaux. Au titre de cette action, tout jeune se dirigeant vers une de ces missions à la recherche d'un emploi ou d'une formation se voit informer sur l'Europe au cours d'un entretien de sensibilisation.
Dans le même esprit, j'entends multiplier les échanges entre jeunes, non seulement entre la France et l'Allemagne, mais avec les pays qui nous rejoignent le 1er mai prochain et en 2007. Cette année, le 8 avril, nous allons célébrer le centenaire de l'Entente cordiale : nous avons décidé, avec mon collègue britannique Denis Mac Shane ici présent aujourd'hui, de donner à cette célébration également une dimension citoyenne, en mettant en ce sens en place un programme nouveau de jumelages et d'échanges entre la France et la Grande-Bretagne, à destination des jeunes qui ne doivent cesser de se mieux connaître et de se mieux comprendre.
Last but not least, la coopération transfrontalière vient compléter, de manière à la fois institutionnelle et locale, cette stratégie d'insertion citoyenne. La première Conférence Régions - Länder, organisée à Poitiers à l'initiative du Premier ministre et sous son égide et celle du Chancelier fédéral, nous a ouvert la voie. La création d'un Euro-district entre Strasbourg et Kehl est, quant à elle, une expérience qui pourra déboucher, à terme, sur la mise en place d'une Euro-région : cette nouvelle entité administrative, née de la coopération franco-allemande, aura bien sûr pour vocation de constituer un statut exportable et reproductible. La coopération décentralisée, enfin, en favorisant les jumelages à l'échelle des communes, des départements et des régions représente aussi un élément essentiel pour pouvoir réaliser une Europe de proximité.
Je voudrais pour conclure évoquer une autre dimension, complémentaire, de cette politique volontariste d'insertion citoyenne : pour définitivement désolidariser l'idée européenne de sa représentation abstraite et strictement technocratique, nous devons faire en sorte que l'Europe puisse apparaître comme l'espace de fraternité et de solidarité qu'il est de plus en plus amené à être. C'est dans cette optique que j'ai lancé, la semaine dernière, la Quinzaine de l'Europe élargie dans la restauration. "Goûtons à l'Europe nouvelle" en est le mot d'ordre. Elle nous permettra, en France, de découvrir la cuisine des nouveaux Etats membres. À travers la gastronomie, ce sont des parcelles d'identité, des moments d'intimité et de convivialité, que nous sommes amenés à partager : c'est, je le crois, par ces vecteurs culturels et sensoriels que se diffuse le mieux la compréhension de l'autre. Et je ne résiste pas au plaisir de citer Brillat-Savarin pour qui "c'est la gastronomie qui inspecte les Hommes et les choses, pour transporter d'un pays à l'autre tout ce qui mérite d'être connu, et qui fait qu'un festin savamment ordonné est comme un abrégé du monde où chaque partie figure par ses représentants". A l'heure où, dans les sphères institutionnelles, le Prosciutto cède la place à l'Irish stew, je ne peux que terminer en vous conviant au festin de l'Europe 2004. En vous renouvelant, pour vous et les vôtres, une "very happy new year"
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 janvier 2004)