Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à La Chaîne Info LCI le 20 janvier 2004, sur la préparation des élections régionales avec l'UMP, et la position de l'UDF sur des questions de société comme la laïcité, le droit de grève dans le secteur public et l'intégration des "Beurs".

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Média : Emission Journal de 8h - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

(Question) Anita Hausser : Vous êtes président du groupe UDF à l'Assemblée ; vous êtes aussi tête de liste de l'UDF en Haute-Normandie. Maintenant, c'est officiel, il y aura une liste UDF malgré les appels à l'union lancés par l'UMP ?
(Réponse) Hervé Morin : Nous avons eu un conseil national de l'UDF au mois de décembre, indiquant qu'à l'exception de trois régions, dans lesquelles il y a un risque important que le Front national et le Parti socialiste se retrouvent au second tour, nous proposerions une offre nouvelle aux Français, donc en Haute-Normandie aussi.
(Question) Anita Hausser :C'est quoi une "offre nouvelle" ?
(Réponse) Hervé Morin : Ce sont d'une part des personnes nouvelles, des gens nouveaux, des gens qui ne sont pas forcément des professionnels de la politique.
(Question) Anita Hausser :Vous, vous n'êtes pas un professionnel de la politique ?
(Réponse) Hervé Morin : Je n'ai pas dit "moi", mais j'ai dit que sur ma liste, il n'y avait pas principalement des professionnels de la politique. Il y a des gens qui ont donné du temps à leur collectivité, qui ont réussi dans la vie professionnelle, quel que soit le niveau, et qui ont donné du temps à la collectivité, dans le milieu associatif, dans le milieu caritatif, dans le milieu sportif. Et puis l'autre façon, c'est de dire : on divise constamment, artificiellement la France entre les bons et les méchants, la droite et la gauche, et sur ma liste, il y aura à la fois des personnes issues de l'UMP comme des personnes issues du centre-gauche ; il y aura des chasseurs et il y aura des écologistes ; il y aura des personnes qui, ensemble, ont envie d'avoir un projet pour leur région.
(Question) Anita Hausser :Et imaginez qu'il y ait la même chose sur les listes UMP. Comment est-ce qu'un électeur dit "de droite" fait son choix ?
(Réponse) Hervé Morin : Il le fera en fonction du projet que nous porterons. Moi, j'ai un grand projet qui est la réunification de la Normandie, de faire en sorte qu'on ait une région qui tienne la route, qui soit capable de prendre son destin en main.
(Question) Anita Hausser :Cela dépend des élections régionales ?
(Réponse) Hervé Morin : Bien sûr, cela dépend des élections régionales. Porter un projet comme celui-ci, c'est dire : voilà ce qu'on veut faire de sa région.
(Question) Anita Hausser :Et après, il faut réunifier les régions, et cela ne dépend pas uniquement du conseil régional ?
(Réponse) Hervé Morin : En Basse-Normandie, P. Augier conduira une liste sur le même thème.
(Question) Anita Hausser :Quand J.-L. Debré vous dit, comme il l'a fait hier soir, aux voeux du département, "Venez avec nous, venez nous rejoindre !", c'est quoi ?
(Réponse) Hervé Morin : Est-ce que aujourd'hui, le seul choix des Français doit être : l'UMP d'un côté, le Parti socialiste de l'autre, et enfin, les extrêmes, l'extrême gauche et l'extrême droite ? Les déçus de la politique du Gouvernement Raffarin, et celles et ceux qui pensent que le Parti socialiste court trop après l'extrême gauche et qui [se demandent] ce qu'on peut leur proposer, eh bien nous, nous leur proposons quelque chose qui essaie de rassembler des hommes et des femmes issus de milieux différents et qui, ensemble, ont envie de construire les choses. Regardez ce que font les Allemands, c'est assez remarquable. Ils ont décidé une réforme fiscale, Schröder a décidé une réforme fiscale. La CDU-CSU, l'opposition, a signé cette réforme fiscale, et c'est ainsi qu'on arrivera à faire de vraies réformes dans le pays. Il y a les grèves aujourd'hui à EDF et à la SNCF...
(Question) Anita Hausser :Justement, pourquoi est-ce que vous y arriveriez mieux que J.-P. Raffarin, qui veut lui, aussi, élargir sa base sociale - il l'a encore dit hier soir dans un débat au Théâtre du Rond-Point...
(Réponse) Hervé Morin : Parce que si vous êtes camp contre camp, droite contre gauche, avec une opposition qui a comme seul objectif de faire perdre le Gouvernement, donc de faire perdre un peu la France, vous êtes sûr que cela ne marchera pas.
(Question) Anita Hausser :Ce sont les vieilles lunes de la troisième force...
(Réponse) Hervé Morin : On verra si ces vieilles lunes ne tiennent pas la route...
(Question) Anita Hausser :Au deuxième tour, il faut que les camps se redessinent...
(Réponse) Hervé Morin : Oui, mais les Français n'ont jamais voulu d'un système avec un seul parti unique à droite et un seul parti unique à gauche. S'ils l'avaient voulu, cela se saurait depuis longtemps, parce que la Vème République a tout fait pour raboter tout cela. Nous le proposons, nous prenons un risque, F. Bayrou prend un risque important en Aquitaine. La politique, c'est le risque ; ce n'est pas de se planquer sur des listes et de négocier des sièges.
(Question) Anita Hausser :Est-ce que vous voulez offrir une alternative à J.-P. Raffarin ? C'est cela que vous cherchez à travers les régionales ?
(Réponse) Hervé Morin : Nous voulons montrer que le rééquilibrage politique doit exister et que ce rééquilibrage politique passe par une offre politique d'un parti.
(Question) Anita Hausser :Qu'est-ce qui vous différencie quand vous parlez d'"offre politique" ? Vous-même, vous êtes de sensibilité plutôt libérale, vous n'êtes pas socialiste...
(Réponse) Hervé Morin : Si vous regardez bien les choses, 60 ou 70 % des Français se retrouvent dans cette idée simple : on est tous plus ou moins favorable à une économie de marché, parce que c'est le système pour produire de la richesse qui est le plus performant, mais on ne veut pas que l'argent domine le monde. On essaie de porter cette idée qui doit rassembler beaucoup plus de Français que cette division souvent factice entre la droite et la gauche, qui seraient [les uns] les porteurs des patrons, et les autres, porteurs de la justice.
(Question) Anita Hausser :Quand on passe aux choses concrètes... Par exemple, vous parlez des grèves, j'allais vous interroger là-dessus. Le service minimum ou service dit "garanti", vous êtes pour ou vous êtes contre ?
(Réponse) Hervé Morin : On est pour. La proposition de loi Christian Blanc, qui est apparenté au groupe UDF... Nous sommes pour le service minimum garanti, c'est-à-dire la capacité pour les Françaises et les Français de pouvoir prendre le train le matin ou l'avion ; dans les transports, de pouvoir aller au boulot le matin et rentrer le soir. Cela n'empêche pas de faire grève, et donc il faut concilier la continuité du service public et l'exercice du droit grève.
(Question) Anita Hausser :Vous n'êtes pas différent de la proposition des députés UMP, c'est à peu près la même chose...
(Réponse) Hervé Morin : Non, non. La proposition de loi des députés UMP, elle était totalement contraire à la Constitution. Mais on ne va pas rentrer dans les détails.
(Question) Anita Hausser :Le changement de statut d'EDF ?
(Réponse) Hervé Morin : Nous avons toujours dit deux choses, et ce n'est pas nouveau - on l'a dit même pendant la campagne présidentielle - : oui à l'ouverture du capital, non à la privatisation, parce que EDF a des missions qui font que cela doit rester dans le giron de l'Etat et que cela doit rester sous le contrôle de l'Etat, notamment pour une raison, c'est qu'il y a la production nucléaire [...].
(Question) Anita Hausser :Et vous avez entendu le contraire du côté du Gouvernement ?
(Réponse) Hervé Morin : On va voir. Ce que nous disons depuis dix-huit mois, c'est que nous aurions aimé être entendus sur un certain nombre de sujets, et on ne l'a jamais été. Sur les 35 heures, j'aurais aimé que le Gouvernement par exemple ait beaucoup plus de courage. Nous avons fait des propositions concrètes.
(Question) Anita Hausser :Ce n'est pas très social, ça...
(Réponse) Hervé Morin : Si, c'est social, parce qu'il y a beaucoup de gens, quand on gagne 900 euros par mois, on a plutôt envie d'avoir un pouvoir d'achat qui s'accroît, plutôt que simplement avoir quatre semaines de vacances en plus.
(Question) Anita Hausser :Il y a un grand débat en France en ce moment sur la laïcité, qui déborde sur l'intégration. Aujourd'hui, il est de bon ton de dire qu'on a pris beaucoup de retard en matière d'intégration. C'est aussi votre avis ?
(Réponse) Hervé Morin : C'est ce que nous avons dit, bien avant tout le monde. Lorsque la mission Debré s'est terminée, lorsque la commission Stasi a entendu, nous n'avons cessé de dire que la loi ne réglerait rien. Je comprends très bien la volonté du Gouvernement et du président de la République de vouloir...
(Question) Anita Hausser :Vous voterez contre ?
(Réponse) Hervé Morin : Je ne sais pas ce que je ferai. Ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui, considérer qu'une loi peut régler la question, c'est se tromper. D'une part, parce que la réglementation est exactement la même aujourd'hui. Le droit et ce que propose la loi, c'est la même chose ou presque.
(Question) Anita Hausser :Mais pas appliqués de la même façon...
(Réponse) Hervé Morin : Cela ne changera pas grand-chose. Et deuxième élément : le risque est fort de mettre en accusation, de montrer du doigt, et le risque ensuite, d'envenimer les choses, est lourd. La troisième chose, c'est qu'une fois de plus, la France se donne bonne conscience en disant : on va faire une loi et ça règlera tout. Le problème majeur, c'est qu'il y a une partie des Français à qui on ne propose rien, aucun horizon, aucune appartenance à notre communauté depuis des années et des années ; c'est cela qu'il faut régler. Il n'est pas normal qu'un Beur n'ait pas accès à l'emploi comme un Français comme vous et moi.

(Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 janvier 2004)