Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec iTV le 18 novembre 2004, sur les otages français détenus en Irak, la disparition de Yasser Arafat et les perspectives de paix au Proche-Orient, les relations franco-américaines, le referendum sur la Constitution européenne, la gravité de la crise en Côte d'Ivoire et l'évacuation des ressortissants français.

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Texte intégral

Q - Michel Barnier bonsoir, les questions sont innombrables, 28 minutes ensemble.
Où se trouve actuellement le fameux chauffeur syrien des deux otages français ? Est-il effectivement à l'ambassade de France à Bagdad ?
R - Ce que je peux dire, c'est que j'ai un souci permanent de discrétion et de sobriété dans les commentaires, que je garderai jusqu'au moment où Christian Chesnot et Georges Malbrunot seront effectivement libérés. Je pense que tous ceux qui nous écoutent doivent le comprendre. Mohamed al-Joundi, qui a été découvert il y a quelques jours, menotté, dans une cave, au moment des terribles combats de Falloujah, a été en effet libéré et il a pris contact avec les autorités françaises. Voilà ce que je peux dire aujourd'hui.
Q - Est-il à l'ambassade ou non ?
R - Je vous dis qu'il a pris contact avec les autorités françaises. Ce qui est important, pour que tous ceux qui nous écoutent comprennent, c'est de dire que Christian Chesnot et Georges Malbrunot sont prisonniers depuis maintenant de nombreuses semaines, que nous faisons, que la diplomatie française fait des efforts permanents en nous appuyant sur tous ceux qui peuvent nous aider. Nous nouons des contacts, des fils, des dialogues directs ou indirects et que nous avons besoin de mener ce travail dans la discrétion, car c'est la condition pour la sécurité de vos deux confrères. Je pense que vous pouvez le comprendre et je pense que ceux qui nous écoutent le peuvent aussi.
Q - Mais, bien évidemment, nous ne sommes pas dans un commissariat de police, il ne s'agit pas de pousser jusqu'au bout, mais souvent, on peut avoir l'impression, à travers ce type d'affaire, que ces précautions qui sont parfaitement justifiées sont aussi l'indice du fait que l'on ne sait pas grand chose sur leur situation. Des documents ont été transmis à leur famille.
R - Bien entendu, des documents ont été transmis et nous l'avons même dit.
Q - Et Jean-Pierre Raffarin a dit qu'ils n'étaient pas à l'endroit que l'on croit, ils ne sont pas à Falloujah, ils ne sont pas enfermés, des choses ont été dites.
R - Le Premier ministre a donné l'indication que nous avons et que nous pensons juste, qu'ils aient pu être déplacés d'une zone de combat dangereuse vers d'autres zones. Je ne peux pas dire plus que cela. Le seul souci que j'ai et que je garde, c'est la sécurité de vos deux confrères.
Q - D'accord et sans insister, des indications sont données à leur famille, ils en savent plus ?
R - Nous disons aux familles, qui ont une attitude extrêmement digne, courageuse, à laquelle je veux rendre hommage très franchement, nous disons tout ce qui doit être dit et ce que je peux ajouter, c'est que de tous les contacts indirects que nous avons établis, des fils dont je parlais nous revient la confirmation que la vie de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot n'est pas en cause. Ce qui est en cause, c'est le moment de leur libération, nous travaillons pour ce moment-là et je veux dire que nous le faisons de la manière la plus discrète et je pense la plus efficace.
Q - Pardonnez-moi cette ultime question, il n'a donc jamais été envisagé de payer, on ne vous a jamais réclamé de l'argent ?
R - Il n'a pas été question de ces sujets-là dans les discussions que nous avons.
Q - Nous allons parler maintenant des questions factuelles de la journée, des semaines et ensuite, de la situation de la diplomatie française. Il y a énormément de gens, à commencer par une délégation palestinienne qui va arriver à Paris, qui aimeraient savoir de quoi est mort Yasser Arafat. Comme il se trouvait dans un hôpital militaire, en France, on a eu le sentiment, on peut avoir le sentiment que des choses ont été cachées et la rue palestinienne pense qu'il a été empoisonné. Quel est le point précis de cette situation, un autre sujet délicat ?
R - Je n'ai pas peur des sujets délicats. Vous avez un ministre devant vous et mon souci est de vous dire ce que je peux dire sur des sujets extrêmement sensibles ou difficiles comme celui de nos deux otages.
S'agissant du président Arafat qui était soigné en France et qui est décédé sur notre territoire et auquel nous avons rendu hommage, s'agissant des circonstances de sa mort, il y a une loi en France qui s'applique à vous comme à moi, comme à lui, comme à n'importe quel citoyen, qui est une loi protectrice et qui peut garantir, à travers le secret médical, une communication exclusive vers la famille, vers les ayants-droit.
Q - Mais, Michel Barnier, c'était un personnage politique ! A partir du moment où les Palestiniens disent qu'il a peut-être été empoisonné, lentement et depuis des années.
R - Oui, mais cela ne me donne pas le droit de remettre en cause une loi qui s'applique à tous ceux qui sont soignés en France, une loi portant sur le secret médical. Le dossier médical est communiqué à la famille, aux ayants-droit, à tous les ayants-droit qui le demanderont et c'est probablement peut-être par ce biais-là que l'on connaîtra le contenu de ce dossier médical. Voilà ce que je peux dire aujourd'hui.
Q - Mais lorsqu'ils vont arriver, que va-t-on leur dire, une délégation palestinienne arrive bientôt ?
R - Je comprends bien que le besoin de savoir ce qu'il y a dans ce dossier pose un problème politique et donc les autorités palestiniennes nous ont demandé la communication de ce dossier. Nous répondons ce que nous répondons à n'importe qui se trouverait dans la même situation, le secret médical nous oblige à communiquer ce dossier à la famille, à tous les ayants-droit de Yasser Arafat et ce sont eux qui sont juges du moment de publier ce dossier médical. La seule chose que je peux ajouter, c'est que...
Q - La France n'a rien caché ?
R - La France ne cache rien et ces dirigeants palestiniens sont venus à Paris il y a quelques jours, avant le décès de Yasser Arafat, je les ai reçus, ainsi que le président de la République. Ils ont rencontré longuement l'équipe médicale et après cela, le ministre des Affaires étrangères palestinien, Nabil Chaath, a lui-même dit que la rumeur d'un empoisonnement n'était pas fondée. Que voulez-vous que je vous dise de plus que le ministre palestinien des Affaires étrangères ?
Q - Puisque c'est le porte-parole du gouvernement qui l'évoquait aujourd'hui, on peut considérer que s'il y avait eu quelque chose de bizarre, ces choses "bizarres" auraient été transmises à la justice ?
R - Je ne peux pas dire plus que ce qu'a dit le porte-parole, et le secret médical étant ce qu'il est, c'est la famille de Yasser Arafat, ses ayants-droit qui disposeront de ce dossier médical.
Q - Un "Etat palestinien de manière urgente", avez-vous déclaré ce matin dans "Le Figaro" ; du côté des Américains, on a laissé poindre l'horizon 2008-2009, comment faire pour que cette date se rapproche, ce qui semble être la volonté de la France ?
R - Oui, je pense qu'il faut mettre le plus rapidement possible cet objectif en oeuvre, fixé par cette fameuse Feuille de route, de deux Etats vivant côte à côte et dans la sécurité, l'Etat d'Israël - et nous ne transigerons jamais avec sa sécurité - et un Etat palestinien indépendant et stable. Ce n'est pas moi qui le dit aujourd'hui, c'est la Feuille de route agréée par les Etats-Unis, la Russie, les Nations unies, l'Europe, les Palestiniens et les Israéliens. Le plus tôt sera le mieux, y compris peut-être dans des frontières temporaires ou provisoires. Le président Bush a d'ailleurs affirmé cet objectif, pas hier ou avant-hier, il l'a affirmé il y a deux ans et c'est un point très important. Pour la sécurité d'Israël, il est très important qu'il y ait un Etat palestinien.
Q - Mais un Etat provisoire, c'est quoi, Gaza, par exemple ?
R - Non, ce n'est pas seulement Gaza. Gaza est un territoire dont Israël va se retirer et j'ai moi-même qualifié cette décision d'Ariel Sharon de décision courageuse. Il faut se retirer de Gaza et réussir ce retrait et que ce premier territoire soit viable et stable ; et puis il y a la Cisjordanie.
Prenons les choses dans l'ordre, s'agissant de l'Autorité palestinienne qui vit un traumatisme avec la disparition de Yasser Arafat qui était un personnage considérable pour le peuple palestinien : il faut que la nouvelle direction se mette en place, il faut donc des élections présidentielles, puis des élections municipales, des élections générales et nous sommes prêts à accompagner l'organisation des ces élections puisque c'est la principale force de cette Autorité palestinienne que d'être légitime et d'avoir une légitimité appuyée sur le vote populaire des Palestiniens.
Et très vite, ensuite, il faut remettre en route ce processus politique et là, nous avons besoin d'un engagement commun des Américains, je pense qu'ils y sont prêts, des Européens, nous y sommes prêts, des Russes et des autres membres de la communauté internationale.
Q - Et comment faire pression pour que cette date avance ? Ce matin, vous avez dit, avant, le plus tôt possible. Pour l'instant, l'horizon évoqué par les Américains, qui sont quand même la principale puissance dans cette affaire, en dehors des parties concernées, c'est 2008-2009.
R - La Feuille de route fixait la création de l'Etat palestinien à 2005, le président Bush a dit avant 2009 ; entre 2005 et 2009, il y a quatre ans ; je pense que l'on peut aller plus vite mais, naturellement, il faut franchir les étapes une à une. Les élections, la légitimité populaire, la réorganisation des services de sécurité, le retrait de Gaza et probablement entre 2005 et 2009, on peut aller plus vite pour créer cet Etat palestinien.
Q - Vous l'avez rencontré Ariel Sharon, plusieurs fois.
R - J'ai rencontré Ariel Sharon il y a quelques semaines, au cours d'une visite officielle, assez longuement. J'avais rencontré Yasser Arafat à Ramallah en juin également.
Q - L'avez-vous senti prêt à faire ce geste-là ?
R - Oui, j'ai senti le Premier ministre israélien prêt à ce premier geste difficile et important pour lui, plus difficile qu'on ne le croit lorsque l'on regarde la situation politique en Israël, de se retirer de Gaza. Il va le faire, la Knesset a voté ce retrait, et il m'a dit qu'il était attaché à la Feuille de route qui prévoit la création de l'Etat palestinien. Il me l'a dit devant toute la délégation française qui m'accompagnait.
Q - A partir de ce dossier, ceux que l'on a évoqués avant et ceux que nous évoquerons ensuite, il y a toujours une question centrale sur la diplomatie française aujourd'hui qui est une diplomatie reconnue dans le monde comme étant finalement la diplomatie un peu opposée à celle des Etats-Unis. Ceux qui sont pour considèrent que c'est une bonne chose et les autres considèrent que c'est finalement une diplomatie du verbe, de l'accompagnement, de la posture et que nous ne sommes pas là en fait, nous ne sommes pas là dans l'action.
R - Moi, je pense que nous sommes partout dans l'action, nous ne sommes nulle part spectateurs et je veux dire que la diplomatie française ne se détermine pas contre les Etats-Unis, qui sont nos alliés ; nous sommes d'ailleurs les plus anciens alliés des Etats-Unis et ils sont nos plus anciens alliés.
Q - Mais pas ces derniers mois, tout le monde le sait ?
R - Excusez-moi, il y a eu un problème très grave à propos de l'Irak et chacun en sait les raisons, mais je veux dire que, à Haïti, en Côte d'Ivoire il y a encore 48 heures au Conseil de sécurité, dans le Darfour, en Afghanistan, au Kosovo, vous avez la preuve d'une coopération et d'un travail en commun entre Américains et Européens, entre Américains et Français.
Vous me demandiez comment on détermine la diplomatie française, ce n'est pas contre les Etats-Unis, c'est à partir de principes très clairs qui sont ceux du droit international, donc du droit et de l'action fixés dans le cadre des Nations unies, qui sont ceux de la souveraineté des peuples en Irak, au Liban et partout ailleurs et qui sont ceux d'une vision du monde qui est en effet différente.
Nous pensons que le monde pourrait être plus stable, plus pacifique, plus équilibré en se reposant sur plusieurs pôles. Avec, bien sûr, une très grande puissance qui est celle des Etats-Unis, mais pas seulement, avec l'Europe, si nous le voulons, avec la Russie, la Chine, l'Inde, d'autres pays encore, voilà ce que l'on appelle le monde multipolaire. Et c'est en effet l'un des désaccords avec les Etats-Unis.
Q - Mais, avez-vous le sentiment, ces derniers mois, et vous avez d'ailleurs signé un article dans "Le Monde" autour de cet ami américain, vous allez partir à Londres avec le président Chirac demain pour une rencontre avec Tony Blair, avez-vous l'impression ces derniers mois que quelque chose se rapproche ?
R - Je pense que les Américains et les Européens, lorsqu'ils regardent leur histoire, leur présent, leur avenir, leur interdépendance économique, ont un intérêt, au-delà de l'envie, un intérêt à travailler ensemble et à faire ce que j'ai dit dans cette "lettre à un ami américain" à refonder, à rénover l'alliance entre les Etats-Unis et l'Europe.
Q - Ce qui, de facto, reconnaît qu'il y a quand même eu des tensions considérables ces derniers temps ?
R - Il y a eu des désaccords et des tensions, je ne le nie pas mais ne peignez pas tout en noir, il y a eu aussi un travail en commun. Nous sommes alliés, je pense qu'il faut rebâtir et rénover cette alliance, cela ne veut pas dire l'allégeance. L'alliance, cela veut dire une coopération entre deux pôles qui sont équilibrés. Mais on tombe alors sur un autre problème qui est la confiance des Européens en eux-mêmes : avons-nous confiance en nous pour être ce pôle politique, pour être autre chose qu'un supermarché et être un acteur politique ?
Q - Avant de parler de l'Europe, un mot sur le remplacement de Colin Powell par Condoleezza Rice, ce n'est pas vu par beaucoup de gens comme un assouplissement de la politique américaine en matière de politique étrangère ; elle passe pour une dure ?
R - Tout le monde sait que c'est une femme de caractère, je l'ai dit moi-même en saluant sa nomination. Je ne veux pas faire de procès d'intention parce que, s'il s'agit de rebâtir une alliance et de se parler plus souvent - parce que c'est cela le problème entre Américains et Français, nous ne nous parlons pas assez -, je ne vais pas commencer par faire des procès d'intention à Condi Rice. Ce que je peux ajouter, c'est un mot de remerciements et d'hommage à Colin Powell avec lequel j'ai établi une relation amicale très franche, c'était un vrai diplomate, il n'a jamais été arrogant, avec lequel les choses n'ont pas toujours été faciles mais toujours constructives.
Q - Va-t-elle venir en Europe, est-ce prévu ?
R - Elle viendra certainement en Europe, nous irons aux Etats-Unis.
Q - Un voyage est-il prévu ?
R - Moi, j'ai prévu d'aller au début de l'année prochaine aux Etats-Unis, oui et même d'y aller assez souvent, pour dire la vérité.
Q - Une question qui n'est pas anecdotique puisque nous parlerons beaucoup d'Europe et de la Côte d'Ivoire après. Mais, dans la situation de politique française, est-ce que finalement, puisque vous êtes l'un des rédacteurs de la Constitution européenne, d'une certaine manière, il ne serait pas bon que vous donniez un petit coup de main à François Hollande pour aider le oui à l'emporter au Parti socialiste, bien que ce soit totalement transparti, puisque, d'une certaine manière, de l'autre côté, aux dernières présidentielles, vous avez obtenu des votes socialistes contre le Front National. Je sais que ce ne sont pas sujets qui sont comparables mais est-ce que le sujet n'est pas d'une telle importance qu'il faut peut-être que le "oui" l'emporte au PS ?
R - Oui, j'espère. Je souhaite que le oui l'emporte au PS et que ce grand parti qu'est le Parti socialiste reste fidèle à l'héritage européen qui est le sien, celui de François Mitterrand ou celui de Jacques Delors. Mais, franchement, je ne crois pas qu'il faille intervenir dans le débat interne du Parti socialiste, qui est un vrai débat populaire et citoyen. Nous observons ce débat, j'observe le courage d'un certain nombre de positions, celle de Lionel Jospin, celle de François Hollande, mais je ne vais pas intervenir dans ce débat.
Q - En les mentionnant, d'une certaine manière vous soutenez leurs positions ?
R - Je suis favorable à cette Constitution. Donc, je me sens assez proche d'un certain nombre d'arguments qui sont échangés.
Il y a le débat dans chacun de nos partis. Et puis, il y a le moment du débat dans le pays lui-même. Et nous allons ouvrir ce débat, à partir du début de l'année prochaine, avec Claudie Haigneré, comme le souhaite le Premier ministre, comme un vrai débat républicain, pluraliste, citoyen. Et puis ensuite, il y aura un troisième débat qui sera sur le référendum lui-même. Je veux que nous saisissions cette occasion du risque nécessaire qu'a pris Jacques Chirac en proposant un référendum pour, enfin, dans ce pays, parler plus souvent et plus régulièrement des questions européennes.
Q - Quand aura lieu ce référendum, mai, juin, octobre, novembre ?
R - Il aura lieu en 2005. Mettez les choses dans l'ordre, nous avons saisi le Conseil constitutionnel, il y a le temps de cette saisine, quand nous aurons la réponse du Conseil constitutionnel, il faudra probablement modifier notre propre Constitution pour l'adapter, la mettre en cohérence avec la Constitution européenne. Cela nous amène au printemps et c'est ensuite le président de la République qui proposera le meilleur moment.
Q - Et votre souhait, car c'est un peu l'histoire de votre engagement politique l'Europe.
R - Mon souhait, c'est que l'on prenne le temps, avant la campagne référendaire qui sera une campagne partisane, d'avoir un vrai débat, républicain, pluraliste et il faut du temps, en tout cas plusieurs mois.
Q - Un mot justement sur les Jeux puisque l'on vient de terminer le journal par cette information. Paris, Londres, Madrid, New York ? Vous êtes le seul ministre des Affaires étrangères qui, finalement, avez eu une responsabilité, en tout cas un passé direct car vous avez organisé vous-même des Jeux olympiques en Savoie, que faut-il faire pour que Paris l'emporte ?
R - Il faut continuer à faire ce que fait l'équipe de la candidature, sous l'autorité du maire de Paris, Bertrand Delanoë, avec le soutien du gouvernement, de la région. Le dossier de Paris est impeccable, c'est un dossier sobre, professionnel, techniquement extrêmement bien étudié, et je pense que cette candidature est bien partie. Maintenant, ce n'est pas une campagne gouvernementale, c'est une campagne sportive, olympique, il faut convaincre les membres du CIO, c'est donc une campagne d'explication. Et, franchement, je trouverais formidable que notre pays accueille, pour la première fois depuis très longtemps, 1924, les Jeux d'été. Nous avons accueilli il y a peu de temps, 1992, les Jeux d'hiver en Savoie. C'est une formidable hypothèse et une chance, pour un pays comme le nôtre, que d'accueillir, comme il a réussi les championnats du monde de football, les Jeux Olympiques. En tout cas, je suis à 100 % derrière cette candidature.
Q - Qu'est-ce qui fait que ce référendum que vous défendez aujourd'hui, pose un problème à une majorité de Français aujourd'hui ? Qu'est-ce qui fait qu'une incompréhension existe finalement ?
R - Probablement une situation économique qui est plus difficile qu'on ne le pense, même si nous avons des hypothèses et des chances de voir la croissance repartir, et un certain nombre de réformes qui ont été difficiles et qui ont été faites pourtant, parce qu'il faut que ce pays se restructure et se modernise. Mais j'ai confiance dans la capacité du Premier ministre à continuer son action.
Q - Concernant la Côte d'Ivoire, on a le sentiment que le président Gbagbo se joue de nous dans cette affaire depuis maintenant un certain moment. Puisque la position de la France est de mettre les rebelles et justement les partisans de Gbagbo ensemble, quel est le moyen d'arriver à ce que cela ait lieu vraiment ?
R - Ce n'est pas la France qui peut, seule, agir en Côte d'Ivoire malgré l'agression militaire dont nos soldats ont été victimes, neuf soldats français sont morts et je pense à leurs familles, à ceux de leurs camarades qui ont été blessés.
Q - Une plainte a d'ailleurs été déposée ?
R - L'armée française a été amenée à "remonter en première ligne" et elle a fait un formidable travail. Il y a trois jours, j'étais à Roissy pour accueillir des Français qui sont revenus de Côte d'Ivoire, tristes, amers et en même temps inquiets ; tous m'ont dit le formidable travail qu'ont fait, que font les soldats français, comme d'autres fonctionnaires en Côte d'Ivoire. Vous me permettrez d'ailleurs de donner un coup de chapeau à tous ceux qui ont participé bénévolement à l'accueil de tous ces Français. Ce n'est pas la France toute seule qui travaille. Nous travaillons dans le cadre des Nations unies, la force "Licorne" travaille sous un mandat des Nations unies.
Vous me demandez ce que l'on peut faire pour qu'ils tiennent leurs promesses, le président Gbagbo et tous les autres. C'est de faire voter, comme nous l'avons fait à l'unanimité, une résolution des Nations unies, extrêmement sérieuse, déterminée, rigoureuse, que chacun devra appliquer.
Q - Sur le désarmement ?
R - Et en plus, dans cette résolution, l'avertissement de sanctions personnalisées contre tous ceux qui se mettraient en travers du processus politique. Maintenant on a beaucoup parlé des Accords de Marcoussis, très fragiles, qui sont des accords de réconciliation.
Q - C'est-à-dire, ils les ont signés et ne les ont pas respectés ensuite.
R - Il y a eu un certain nombre d'étapes qui ont été franchies mais les étapes importantes ne l'ont pas été. Il faut maintenant, après cette crise extrêmement grave, que raison revienne, que le calme revienne, que le chemin soit celui de la discussion politique et non pas celui des armes. Et s'ils ne le comprennent pas, ni les uns ni les autres, nous allons l'imposer en appliquant cette résolution. Lorsque je dis nous, ce n'est pas nous, Français, ce sont les Nations unies, le Secrétaire général des Nations unies et le Conseil de sécurité.
Q - Parce que vous avez aussi entendu cet autre élément du débat qui est que la France vit, dans cette affaire, une ultime épopée de sa période coloniale et que sa présence là-bas est déplacée, c'est d'ailleurs l'un des grands arguments que l'on entend perpétuellement dans les médias.
R - La France n'est pas en tête-à-tête avec la Côte d'Ivoire, elle est encore moins en guerre avec la Côte d'Ivoire, nous sommes dans ce pays avec une histoire partagée, une langue partagée, des responsabilités et nous sommes là dans le cadre des Nations unies. C'est dans ce cadre-là que chacun devra respecter sa signature et son engagement pour que la réconciliation dans ce pays se mette en oeuvre.
Q - Mais le désarmement qui est un aspect fondamental lorsqu'il y a le Nord et le Sud du même pays qui sont en guerre, en tout cas dans une période de tension, on voit bien pour des chars, pour des avions, mais pour les kalachnikovs qui passent dans les coffres des voitures, comment fait-on ?
R - On fait avec des soldats, avec des forces qui seront amenées et avec les pressions politiques. Il y a un certain nombre de moyens, ce problème de désarmement ne se pose pas seulement en Côte d'Ivoire, il y a également des groupes armés à Haïti, et dans d'autres crises. Que les armes se taisent, que l'on cesse d'utiliser des armes et que l'on oblige tous les protagonistes, par la politique, par le dialogue, à revenir dans la négociation et dans l'élection.
La solution en Côte d'Ivoire passe d'une part par l'élection le plus tôt possible, la démocratie et d'autre part par le désarmement.
Q - Nous ne sommes pas dans une période post-coloniale ?
R - Non.
Q - Un Sommet de la Francophonie a lieu à Ouagadougou, vous y serez, le président Chirac également et il y aura l'essentiel des chefs d'Etat africains de la Francophonie. Vous soutiendront-ils pour faire pression sur Gbagbo ?
R - D'abord, c'est un sommet très important que celui de Ouagadougou qui va réunir les chefs d'Etat des pays francophones et M. Chirac participera lui-même à cette conférence. Oui, tous les chefs d'Etat africains qui se sont exprimés depuis quelques jours, et notamment au moment même de la crise en Côte d'Ivoire, ont appuyé la France. L'Union africaine, unanimement, a appuyé la France dans sa réplique et surtout, au-delà de la France, a soutenu la résolution des Nations unies.
Q - Cela se passe quand même dans un pays qui pose aussi un problème pour la Côte d'Ivoire. Le Burkina Faso, c'est un pays contre lequel le président Gbagbo s'est souvent emporté ?
R - Ce n'est pas le Burkina Faso qui pose un problème à la Côte d'Ivoire. La Côte d'Ivoire est un pays très particulier parce qu'un quart de la population ivoirienne n'est pas d'origine ivoirienne et c'est d'ailleurs le problème de la citoyenneté et de la nationalité qui est l'une des raisons de cette crise ancienne, en même temps que les problèmes économiques. C'est un pays en effet très proche, c'est un pays qui se sent concerné et toute cette région de l'Afrique occidentale est concernée par la stabilité.
Ce que j'observe en Afrique, c'est un mouvement important et positif de prise en charge par les Africains, par les dirigeants africains, c'est exactement ce qui vient de se passer, des premières réponses et des premières solutions. Nous sommes là plutôt pour accompagner, en tant qu'Européens, les efforts de l'Union africaine.
Q - Il n'y a pas, derrière M. Gbagbo, l'Amérique contre nous ?
R - Je ne le crois pas. Colin Powell que j'ai eu plusieurs fois au téléphone sur ce sujet, a soutenu, comme membre du Conseil de sécurité, la résolution qui dit clairement "ça suffit ! Arrêtons d'utiliser des armes et reprenez, Monsieur le Président Gbagbo et tous les autres, reprenez le chemin de la discussion, nous allons vous y inviter sinon, vous y obliger."
Q - A un moment, en dehors de l'évacuation des civils qui le souhaitent, a-t-il été question de restreindre le contingent français ou non et le risque du Rwanda, le risque de la guerre civile dans ce que cela a de plus atroce est un risque qui existe vraiment en Côte d'Ivoire ?
R - Le risque de l'embrasement existe, c'est précisément pourquoi nous avons mis en place une force de stabilité internationale, avec 6.000 soldats de l'ONUCI, 4.500 soldats de la force "Licorne", et aujourd'hui, il y a un mandat des Nations unies beaucoup plus rigoureux et déterminé, mais ce risque existe.
Q - Pour que la conscience européenne existe, faut-il substituer à la culture française, une culture européenne, faut-il passer d'un échelon à l'autre ?
R - Non, je ne le crois pas, car nous ne sommes pas en train de construire une nation européenne ou un peuple européen et encore moins un Etat européen. Ce qui rend difficile parfois à comprendre le projet européen, c'est que, ce que nous faisons n'existe nulle part ailleurs dans le monde et n'a jamais été fait dans l'histoire. Nous ne faisons pas une nation européenne, nous construisons une communauté, une union de nations où chacun garde son identité, sa langue, sa culture et sa tradition et pourtant, nous avons ensemble un modèle européen qui nous différencie du modèle américain, africain ou asiatique.
Notre modèle est fait de cette diversité. Le Général de Gaulle avait une phrase que j'aime bien : "Il ne faut pas que l'Europe voie les peuples comme dans une purée de marrons". Gardons donc nos identités, nos différences, notre langue, mettons-nous ensemble, partageons notre souveraineté et faisons en sorte dans ce monde où toutes les portes et toutes les fenêtres sont ouvertes, que l'Europe existe en tant qu'acteur mondial.
Q - On s'expose, on est exposé. On dit que vous ne parlez pas anglais mais que vous prenez des leçons et que vous progressez, est-ce vrai ?
R - Oui, j'ai des marges de progrès dans tous les domaines ! Je comprends assez bien l'anglais, il m'arrive quelquefois de le parler plus difficilement et j'essaie de l'améliorer.
Q - Est-ce un handicap pour être ministre des Affaires étrangères ?
R - Cela n'a pas été un handicap pendant les cinq ans où j'étais commissaire européen. Je vois mal pourquoi ce serait un handicap aujourd'hui mais encore une fois, je progresse et j'essaie dans ce domaine comme dans tous les autres.
Q - Pensez-vous que le oui l'emportera ?
R - Je vais tout faire pour cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 novembre 2004)