Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je retrouve avec vous ce moment rituel des voeux de début d'année et vous exprime d'abord mes souhaits très chaleureux pour vous-même, pour vos familles, sur le plan privé aussi bien que professionnel.
Ce moment me donne, outre le plaisir de vous rencontrer, la possibilité de faire un point de situation, à la fois sur l'année 2003 qui vient de s'écouler et sur les perspectives qui s'ouvrent pour l'année nouvelle. L'année 2003 a été une année charnière pour la recherche de notre pays et pour sa politique de recherche. Je veux ici en rappeler les faits les plus saillants.
L'année 2003, c'est avant tout celle de résultats scientifiques et techniques exceptionnels.
Il y a eu des moments de fête avec l'attribution du Premier Prix Abel au mathématicien Jean-Pierre Serre, avec la remise du grand prix INSERM de la recherche médicale au Professeur Miroslav RADMAN, et tout récemment avec la médaille d'or du CNRS attribuée en 2003 à Albert FERT, autant de moments forts de rencontre et d'échanges avec la communauté scientifique. Il y a eu le succès renouvelé de la Fête de la Science, succès auquel vous participez, et dont l'impact, dans toute la France, continue de croître.
Loin de moi l'idée de m'en attribuer le bénéfice : le mérite, c'est aux chercheurs, aux ingénieurs, à tous ceux qu'anime la passion de la science et du savoir, qu'il revient. Mais en ces moments où certains émettent des doutes sur le niveau de notre recherche, j'ai très envie de mettre en valeur ces succès qui sont une preuve de l'excellence de nos équipes scientifiques et qui doivent montrer la voie aux jeunes scientifiques.
Il y a eu aussi des moments de tristesse avec l'explosion de la navette Columbia au retour d'une mission vers la station spatiale internationale, moment particulièrement douloureux qui a frappé toute notre communauté spatiale, mais aussi des moments de fierté avec l'inauguration de Virgo, détecteur d'ondes gravitationnelles franco-italien, en Toscane, ou avec la mise sur orbite martienne de la sonde européenne Mars-Express. Au-delà du reproche de défaut de communication dont on a trop fait état, je souhaitais dire à quel point la mise en orbite de ce satellite est une réussite dont nous sommes fiers.
L'année 2003, c'est évidemment la renaissance du projet ITER qui, après de longues années de mise en sommeil, a fait, avec l'appui de notre Gouvernement, l'objet d'une décision unanime de l'Europe et suscité au sein de la communauté européenne une mobilisation sans précédent pour un grand équipement scientifique. Je crois qu'il faut voir dans cette mobilisation celle de toute l'Europe pour mettre la recherche au coeur de ses priorités. Au-delà, de tels projets internationaux s'inscrivent dans la voie du partenariat international ; un tel projet n'a de chance de réussir que si on mobilise toutes les expertises dans tous les pays concernés par cette aventure, et l'expertise japonaise est bien évidemment une expertise forte qui doit avoir toute sa place dans ce partenariat international pour un projet si ambitieux et si complexe.
Ces projets, ces découvertes, ces succès témoignent de l'extraordinaire vitalité scientifique de notre pays et c'est un message que je suis heureuse de pouvoir véhiculer.
L'année 2003 fut aussi celle des difficultés, des questions et des attentes, avec une situation budgétaire tendue dans un contexte de croissance ralentie, de moindre engagement économique et de nécessaire réduction des déficits publics accumulés ces dernières années.
La situation budgétaire particulière de nos organismes de recherche, de nos universités a été un sujet de préoccupation majeur.
L'année 2003 a donc été consacrée à la remise en ordre des budgets et des programmes. La réunion de l'Agence spatiale européenne du 27 mai 2003 a été une étape décisive pour la consolidation de l'activité spatiale. Le CNES a connu, sous l'égide de son nouveau président, une réorganisation exemplaire mais beaucoup reste à faire pour consolider la situation de nos organismes.
En dépit de ces difficultés, un travail considérable a été accompli.
Le budget 2003 et le budget 2004 - qui a été approuvé à la fin de 2003- ont donné de nouvelles impulsions, notamment en direction des jeunes chercheurs :
- Les allocations de recherche ont été revalorisées dès 2003, portant à 15 % en 3 ans cette revalorisation
- 600 contrats de post-doctorat ont été mis en place
- une couverture sociale est mise en place pour certains doctorants qui ne recevaient que des libéralités et qui n'en bénéficiaient donc pas.
Nous avons souhaité à chaque instant et réussi à maintenir l'emploi scientifique, avec une nouvelle politique de l'emploi qui a été initiée avec la création de postes d'accueil contractuels.
Un nouveau fonds a été mis en place pour favoriser l'investissement dans la recherche au travers de fondations. En liaison avec la réforme de la loi sur le mécénat, ce fonds vise à développer les fondations de recherche, à l'instar de ce qui se fait dans de nombreux pays.
De même, des mesures destinées à dynamiser l'investissement des entreprises dans la recherche ont été préparées dès le début de l'année 2003 dans le cadre d'un plan en faveur de l'innovation qui s'est concrétisé dans la loi de finances pour 2004 avec :
- un crédit d'impôt recherche rénové
- le statut de la jeune entreprise innovante
- le statut du " business angel ".
Il est vrai que les difficultés budgétaires et le contexte international de plus en plus concurrentiel, dans le domaine de la politique scientifique et technologique comme en bien d'autres, ont nourri dans la communauté scientifique de réelles interrogations sur la meilleure manière de conduire notre politique de recherche et d'innovation.
La pétition actuelle des chercheurs est une traduction très forte de notre devoir d'évoluer, de nous mobiliser encore plus pour que la recherche ait les moyens de son ambition. J'ai rencontré beaucoup de chercheurs ces derniers jours et j'ai encore beaucoup d'autres rencontres programmées dans les jours qui viennent : chercheurs, ingénieurs, directeurs d'équipes, responsables, signataires de la pétition représentant le collectif des chercheurs. Je recevrai l'ensemble des syndicats dans la semaine qui vient. C'est vrai, la Recherche est aujourd'hui sur le devant de la scène. Au risque de surprendre ceux qui veulent faire croire à un malaise entre les chercheurs et ce Gouvernement, je veux dire que je me réjouis de cette mise en lumière des réflexions, des évolutions que nous souhaitons élaborer ensemble. Car ce à quoi nous assistons est la traduction du fait que la recherche est un enjeu national et que l'évolution de notre environnement appelle des évolutions profondes.
J'ai écouté, compris le message des chercheurs, et le Gouvernement a évidemment pris la mesure de l'importance des questions soulevées par nos chercheurs ces derniers jours et qui portent sur des enjeux essentiels pour l'avenir.
Je comprends parfaitement l'inquiétude de la communauté scientifique qui s'est exprimée sur des sujets immédiats, et aussi face aux changements qu'il nous faut mettre en oeuvre pour construire tous ensemble l'avenir de notre recherche. Les questions soulevées sont importantes. Je l'ai dit aux chercheurs que j'ai déjà reçus; il faut les aborder sans préjugé, avec sérieux et détermination, de manière à traiter ensemble tous les problèmes ouverts.
Cela m'amène à vous exposer les perspectives pour l'année 2004 en plaçant cette action nationale dans le contexte européen d'une réflexion générale sur l'avenir de la recherche, car la France n'est pas le seul pays à connaître des situations difficiles.
Je voudrais tout d'abord rappeler devant vous certains faits : les difficultés de la recherche ne sont pas seulement celles de la France mais aussi celles de l'Europe. Qu'il s'agisse de la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques, de la fuite de cerveaux, des dépôts de brevets, l'Europe toute entière est engagée dans une bataille pour conserver sa compétitivité et sa capacité d'innovation.
Elle a réagi vigoureusement ! Comme vous le savez elle s'est fixé, au sommet de Barcelone, des objectifs clairs et ambitieux : et notamment atteindre en 2010 un effort de recherche et développement représentant 3% du PIB. Les propos de Philippe BUSQUIN récemment rappelés montrent à quel point la commission européenne est mobilisée et, avec elle, l'ensemble de nos partenaires européens. Tous sont focalisés sur cet objectif. Je rappellerai l'initiative de croissance européenne récemment adoptée qui souligne l'importance des investissements en recherche et développement et infrastructure pour permettre à notre système d'être plus performant.
La France ne pouvait faire moins que de relever ce défi européen et mondial.
L'objectif de notre Gouvernement, est également d'atteindre un effort de recherche de 3 % du PIB et, pour cela, de nous renforcer sur notre point le plus faible :la recherche privée, l'investissement des entreprises, qui doit être portée de 1,2 % à 2 % du PIB.
Je voudrais saisir l'occasion de ces vux pour lever des ambiguïtés trop souvent répandues :
- il n'est pas question que la croissance de la recherche des entreprises se fasse au détriment de notre recherche fondamentale, dont on sait qu'elle est majoritairement réalisée dans les organismes publics avec un financement public. Ces deux recherches sont complémentaires, indispensables l'une à l'autre, et se nourrissent mutuellement.
- à l'inverse l'objectif de 3 % du PIB ne pourra pas être atteint par une augmentation de la seule recherche publique.
Ceux qui veulent déduire de l'objectif d'une recherche à 3 % du PIB qu'avec une hausse de 3,9 % l'effort de l'Etat en 2004 est nettement insuffisant se trompent. Cette progression de 3,9 % ne porte que sur l'effort public de recherche. Il faut tenir compte de l'effort des entreprises qui doit progresser fortement. Nous nous y employons. Nous sommes donc sur le bon chemin.
Ce que nous voulons c'est, d'une part, conforter notre recherche publique et notre recherche fondamentale qui figurent parmi les meilleures du monde, mais aussi mieux valoriser cette recherche auprès des entreprises, l'ouvrir sur leurs besoins, la rendre attractive.
Toutes les mesures que nous prenons vont dans ce sens. Le budget 2004, avec + 3,9 %, pour la recherche publique et un effort fiscal sans précédent pour la recherche des entreprises, est une étape importante. Il faudra aller plus loin en 2005 et en 2006. Le Premier Ministre l'a annoncé et nous proposerons en 2004 des projets dans ce sens.
Il faut aussi que la recherche s'inscrive dans la durée et soit moins soumise aux aléas conjoncturels. La recherche est un investissement de long terme, dans l'intelligence, dans les infrastructures de recherche, dans la connaissance.
Ce message est entendu. J'ai obtenu du Premier Ministre que le budget de la recherche ne subisse aucun gel et aucune annulation en 2004.
Notre cap est clair : c'est la préparation de loi d'orientation annoncée par le Président de la République. La préparation de cette loi, c'est l'occasion pour chacun de s'exprimer sur les orientations à donner à notre recherche. Nous procédons par étape, avec toute la concertation nécessaire.
Dès le début de l'année 2003, j'avais engagé, vous le savez, avec des représentants du monde de la recherche, les universités, le Comité National de la Recherche Scientifique, les Académies, une réflexion autour de la préparation de l'avenir de notre recherche. Un document posant les termes du débat a été élaboré et diffusé à la fin de l'année 2003. Nous avons par ailleurs souhaité le mettre plus largement à la consultation de chacun sur le site du Ministère. Une large concertation sera conduite, avec l'ensemble de la communauté scientifique, sur la base de ce document.
Nous devons nous attacher à préparer des réponses concrètes, efficaces et partagées pour construire avec tous les acteurs les solutions à mettre en oeuvre. De nombreuses contributions sont déjà disponibles : un récent rapport du Conseil économique et social, de nombreux rapports parlementaires, comme celui de Daniel Guarrigue, des rapports des académies des Sciences, des Technologies, des Sciences Morales et Politiques, qui seront remis prochainement. Le Conseil d'analyse économique est saisi, le Commissariat au plan a engagé des groupes de travail sur la recherche, l'Association Nationale de la Recherche Technologique dévoilera sa première phase de travail, l'opération FUTURIS, au mois de mars, la Conférence des Présidents d'Université a choisi comme thème la recherche pour son colloque du mois de févrierToutes ces contributions seront mises à profit dans les mois qui viennent.
Les chantiers sont nombreux :
- l'évolution de l'emploi scientifique auquel il nous faut donner une plus grande visibilité dans la durée ;
- la simplification administrative de la vie des chercheurs qui est une condition indispensable de l'amélioration de l'efficacité des laboratoires ;
- la construction de pôles territoriaux d'excellence qui est un objectif incontournable pour l'attractivité de notre recherche et de notre territoire ;
- l'organisation de notre dispositif de recherche qui doit être rénovée.
Voilà certains des thèmes qu'il nous faut traiter et qui se détachent des discussions que j'ai eues avec les chercheurs, les responsables de laboratoires et les chefs d'entreprises que j'ai rencontrés.
Comme je l'ai demandé, un Comité interministériel de la recherche scientifique et technologique (CIRST) se tiendra, sous la présidence du Premier Ministre, dans les prochaines semaines pour préparer la loi d'orientation et évoquer ces questions.
Il nous faut aussi redonner à notre pays des projets de recherche ambitieux et mobilisateurs. Je réunirai rapidement le Conseil National de la Science, qui ne s'est pas réuni depuis début 2001, pour définir avec la communauté scientifique le contour de ces projets.
Enfin, il faut que l'attitude de nos concitoyens vis-à-vis de la science et la perception qu'en ont les jeunes change. Le développement de la culture scientifique doit être au coeur de notre action en 2004. C'est un enjeu vital pour répondre à l'exigence qu'ont les citoyens de comprendre notre monde et d'être informés sur son évolution, pour préparer les jeunes dès l'enseignement scolaire à un monde de plus en plus technologique et scientifique et attirer vers la science les esprits les plus brillants de notre pays.
Je prépare avec Luc FERRY, Xavier DARCOS et Jean-Jacques AILLAGON un plan en faveur de la culture scientifique, conformément aux voeux formulés par le Président de la République.
Ce travail, nous devrons le coordonner, bien entendu, avec les orientations de l'Europe au sein de laquelle nous devons jouer un rôle à la hauteur de nos ambitions et faire valoir nos atouts. J'ai d'ores et déjà porté le message de l'importance de la recherche fondamentale au sein des instances européennes.
Les récents propos publics de Philippe BUSQUIN, réaffirmant la nécessité d'une politique européenne pour renforcer la recherche fondamentale, montrent que ce message a été entendu et compris. Il nous faudra définir les moyens pour que nos organismes, nos universités et nos écoles jouent pleinement la carte de l'Europe. J'ai porté ce message lors de la préparation du 7ième PCRD : la création d'un Conseil Européen de la recherche, la définition d'une politique commune pour les grandes infrastructures scientifiques sont des enjeux majeurs.
C'est en structurant fortement notre recherche, en la modernisant, en mobilisant nos concitoyens et notamment les jeunes, pour qui la science, le développement technologique, l'innovation doivent ouvrir des perspectives exaltantes, que nous nous y préparerons le mieux.
Notre pays a toujours été un des principaux acteurs de l'épopée de la connaissance. Il a des atouts importants. La tâche est immense et difficile mais ce n'est pas en poussant la jeunesse au renoncement que nous préparerons l'avenir de notre pays. La compétition doit au contraire stimuler chacun d'entre nous pour répondre aux défis de demain.
Je souhaite que l'année qui s'annonce soit celle d'une grande ambition au service de l'excellence de notre recherche, celle de la réconciliation entre science et société et de l'épanouissement de nos chercheurs et de nos jeunes scientifiques.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 23 janvier 2004)