Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, à RMC le 22 janvier 2004, sur la démission de P. Bédier, le projet de loi sur la laïcité, la rémunération des fonctionnaires, le travail des handicapés et la situation à La Poste.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin-. Notre invité, ce matin, J.-P. Delevoye, ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'Etat et de l'Aménagement du territoire. Deux questions d'actualité d'abord immédiates : P. Bédier démissionne du Gouvernement. Il démissionne de son poste de secrétaire d'Etat, il a été mis en examen, mais il reste tête de liste UMP dans les Yvelines. Est-ce compréhensible ?
J.-P. Delevoye -"Bien sûr. Je crois qu'il faut à chaque fois rappeler qu'être inculpé ne signifie pas être coupable. Il appartient à la justice de déterminer si vous êtes coupable ou pas. Il y a cependant un sens de la morale que s'est appliqué à lui-même P. Bédier, qui consistait à dire, qu'à partir du moment où vous exercez une responsabilité gouvernementale, ceci est incompatible avec le soupçon, justifié ou pas. Quoi qu'il en soit, c'est dans les épreuves que l'on reconnaît les amis, et moi, dans cette épreuve, dont je mesure la douleur pour Pierre, nous lui renouvelons toute notre sympathie, notre soutien. C'est un homme exquis, courageux, compétent."
J.-J. Bourdin-. Donc, cela ne vous choque pas qu'il reste tête de liste dans les Yvelines ?
J.-P. Delevoye - "Dans la démocratie, ce sont les électeurs qui ont toujours raison. Il a très normalement souhaité s'investir dans l'intérêt de sa région Ile-de-France. C'est aux électeurs de trancher. En tout cas, cela ne me choque pas."
J.-J. Bourdin-. Deuxième question : ce matin, nous avions en ligne et en direct, H. Mariton, député UMP de la Drôme, et qui annonçait le dépôt d'un amendement sur le projet de loi sur la laïcité. Amendement, qui changerait le texte qui sera défendu, bientôt, à l'Assemblée. Il voudrait ajouter "les signes politiques" aux "signes religieux" interdits à l'école. Y êtes-vous favorable ?
J.-P. Delevoye -" Sur le problème de la laïcité, je crois que ce qui est important, aujourd'hui, on voit bien que ce qui est en cause est en réalité l'autorité de l'Etat, permettant de faire en sorte que, dans l'espace public, ce soit un lieu d'intégration, de respect de l'autre, et aussi de capacité de pouvoir vivre ensemble. Et la morale publique, "le vivre ensemble", doivent faire en sorte que nous acceptions les règles du pays dans lequel nous vivons. Vouloir se distinguer, refuser même "le vivre ensemble" au nom d'une idée politique, au nom d'un philosophie religieuse, est totalement contraire à notre pacte républicain. Et donc, je crois qu'aujourd'hui, dans les espaces publics et pour ce qui concerne la fonction publique, nous avons remis une notre très claire : l'esprit même du service public, c'est la neutralité. C'est-à-dire que, celui qui est dans le service public doit faire en sorte que celui qui vient demander un secours, une aide au service public, doit être traité de façon égale, quelle que soit sa couleur, quelle que soit sa philosophie, quelle que soit son appartenance politique ou religieuse. Donc, la neutralité du service public est au coeur même de notre Constitution et de notre République. [...] Ceci est incompatible avec des signes extérieurs permettant de montrer un acte en faveur d'un parti politique ou en faveur d'un parti religieux."
J.-J. Bourdin-. Vous êtes donc favorable à tous les signes, qu'ils soient politiques ou religieux ? Faut-il inscrire cela dans la loi ?
J.-P. Delevoye - "Regardons ce débat avec calme, ne cherchons pas la surenchère."
J.-J. Bourdin-. Oui, mais vous, quelle serait votre position ? Partagez-vous les positions d'H. Mariton, député UMP, je le rappelle ? J.-L. Debré, aussi, est sur cette position-là, vous le savez.
J.-P. Delevoye - "Quand on est jeune, on aime bien l'engagement. Et faisons en sorte de permettre aux jeunes de pouvoir s'exprimer. Je pense à la lutte contre le Sida, à la solidarité internationale par rapport aux enfants en difficulté etc. Donc, de grâce, il convient de concilier : un, la neutralité absolue du service public, et faire en sorte que, dans notre République, nous devons nous enrichir de nos différences, mais non pas nous confronter à cause de ces différences. Et je crois que, sur ce sujet-là, l'aspect religieux n'est pas compatible avec l'espace public. A contrario, avoir des capacités d'engagement, cela mérite un débat. De grâce, sur ce sujet, évitons d'être instrumentalisés par celles et ceux qui cherchent à provoquer et à faire en sorte de rompre avec notre pacte républicain."
J.-J. Bourdin-. Un Code de la laïcité va être distribué dans la fonction publique. A quoi va-t-il servir ?
J.-P. Delevoye - "Tout simplement pour dire à celui qui veut s'engager au service public : voilà les règles que vous devez absolument respecter."
J.-J. Bourdin-. Et quelles sont ces règles ? Pas de signes extérieurs, pas de signes ostensibles, visibles.
J.-P. Delevoye - "Les règles, c'est la neutralité. Vous devez faire en sorte que celui qui vient dans un service public, ne puisse pas avoir la sensation d'être traité différemment parce qu'il pense différemment. Et quand vous êtes de l'autre côté, quand vous êtes fonctionnaire, vous devez faire en sorte que vous-même, dans votre phase de recrutement, dans votre phase de carrière, vous ne puissiez pas avoir la perception que vous soyez traité différemment."
J.-J. Bourdin-. Passons maintenant à l'actualité immédiate dans la fonction publique : les traitements des fonctionnaires. Vous avez annoncé aux fonctionnaires qu'il n'y aurait pas d'augmentation de salaire pour 2003, et une hausse de 0,5 % pour 2004. Vous devez rencontrer rapidement les syndicats. Allez-vous faire un geste, êtes-vous inflexible sur cette position de 0,5 % de hausse pour 2004 ?
J.-P. Delevoye - "Ce n'est pas une question d'inflexibilité, c'est une question de lucidité et de pragmatisme. Lorsque le pays n'a pas d'argent, difficile d'envisager que dans l'espace publique..."
J.-J. Bourdin-. Donc, vous n'avez pas d'argent pour les traitements des fonctionnaires ?
J.-P. Delevoye - "Personne n'ignore, aujourd'hui, que dans notre pays nous sommes en train d'entreprendre un vaste programme de réformes, difficile ; que nous remettons le pays sur la croissance ; et que, lorsqu'à l'évidence, depuis un grand nombre d'années, ce pays vit au-dessus de ses moyens, à l'évidence vous consacrez de plus en plus d'argent à rembourser la dette et non pas à payer le présent. Donc, nous sommes, aujourd'hui, tous responsables de cette situation, les fonctionnaires comme les salariés du privé. Et vous savez, chez les salariés du privé, les gens sont pleins de bon sens. Quand l'entreprise ne va pas bien, on sent bien que c'est difficile de donner des salaires. Pourquoi voulez-vous que dans le public ce ne soit pas la même façon ?"
J.-J. Bourdin-. Oui, mais je me mets à la place de ceux qui travaillent dans le public : depuis 2 000 la perte de pouvoir d'achat pour les fonctionnaires se monte à 4,5 % ! C'est beaucoup.
J.-P. Delevoye - "Non."
J.-J. Bourdin-. Non ? Pardon, ce sont les syndicats qui donnent ce chiffre.
J.-P. Delevoye - "Oui, mais pourquoi ? Parce que, effectivement, les bases sur lesquelles on développe ce type d'argument... Comment cela fonctionne le salaire de la fonction publique ? C'est un peu compliqué : vous avez 1 point qui vaut un peu plus de 50 euros et plus vous montez dans la carrière, plus vous avez de points et donc plus votre salaire augmente. Deuxièmement, même quand ce point n'augmente pas en valeur, vous avez une augmentation de salaire par l'ancienneté, vous avez même une augmentation de salaire, quelquefois par des mesures que l'on appelle "catégorielles", on prend une catégorie de fonctionnaires, et on leur donne une petite augmentation. Ce qui fait que, même quand l'indice n'augmente pas, la masse des salaires, elle, augmente. D'où la confusion, parce qu'il y a certains fonctionnaires qui voient leur salaire augmenter et d'autres fonctionnaires qui ne le voient pas. Nous disons simplement aux syndicats : les règles sur lesquelles, aujourd'hui, nous basons les négociations, systématiquement vont à l'échec. Puisque, vous, vous partez sur comparaison de l'inflation et comparaison de l'indice et les gestionnaires, quels qu'ils soient - privés, publics, hospitaliers, collectivités territoriales - comparent l'évolution de leur masse salariale par rapport ..."
J.-J. Bourdin-. Oui, mais les fonctionnaires regardent ce qu'ils ont à la fin du mois, aussi, hein ?
J.-P. Delevoye - "Justement, c'est là où votre raisonnement est faux. C'est-à-dire que, lorsque vous dites : indice zéro, certains fonctionnaires voient leur fiche de paye augmenter, d'autres ne le voient pas. Et donc, il y a un procès injuste qui est fait parce que les fonctionnaires se disent : nous sommes injustement accusés ; et puis, d'autres qui disent : oui, mais en même temps, on ne peut pas laisser déraper les masses salariales qui..."
J.-J. Bourdin-. Donc, 0,5 pas plus ?
J.-P. Delevoye - "Le 0,5, c'est l'indice de base qui permet, pour les uns, au-delà de 0,5 etc. Ce qui veut dire que, dans l'état actuel des choses, nous disons aux syndicats : vouloir continuer à discuter sur les mêmes bases, c'est impossible. Ou alors, on accepte la logique de la confrontation. Je suis pour le partage de responsabilisation. Les syndicats sont les acteurs du changement, ont des forces de propositions, mettons-nous autour de la table, et très concrètement, regardons le problème en face. Arrêtons d'être hypocrites. A vouloir systématiquement faire un jeu syndicalo-politique, qui consiste à dire : on n'est jamais contents d'un côté, ou : on met de la rigueur, de l'autre, on arrive à avoir de faux débats sur de vrais sujets."
J.-J. Bourdin-. A propos du travail des handicapés, l'Etat va verser de l'argent pour financer des postes adaptés au travail des handicapés.
J.-P. Delevoye - "J'ai effectivement tout à l'heure une réunion avec les organisations syndicales sur un projet de loi déposé par le Gouvernement, correspondant à la volonté du Premier ministre et du président de la République, sur l'insertion des handicapés dans les postes de travail. Et l'Etat doit avoir les mêmes responsabilités, les mêmes devoirs que ceux qu'il impose au secteur privé. Donc, effectivement, le texte sur lequel nous travaillons, c'est la constitution d'un fonds, qui serait alimenté par les administrations qui ne recruteraient pas suffisamment d'handicapés [inaud]..."
J.-J. Bourdin-. L'Etat ne remplit pas son rôle actuellement, ne respecte pas la loi à la limite ? Chaque employeur doit employer un certain nombre de personnes handicapées. Est-ce que l'Etat le fait ?
J.-P. Delevoye - "C'est la volonté du Premier ministre de faire en sorte que l'Etat s'impose à lui-même ce qu'il demande aux autres."
J.-J. Bourdin-. Voilà, ce n'est pas le cas aujourd'hui ?
J.-P. Delevoye - "Absolument, ce n'est pas le cas. C'est la raison pour laquelle, dans l'insertion des handicapés, les administrations publiques doivent, à la limite, faire encore plus d'efforts, donner en tout cas l'exemple. Je souhaite donc que l'on ait la transparence sur les chiffres, l'obligation pour les administrations d'insérer les handicapés et de faire en sorte, grâce à cette mutualisation, de pouvoir financer l'adaptation des postes au travail qui, quelquefois, est hors de portée financière d'un certain nombre de petites collectivités ou de petites administrations."
J.-J. Bourdin-. Question de Patrick, qui travaille dans le fret à Roissy-Charles-de-Gaulle, en grève : La grève d'aujourd'hui ne concerne pas seulement les revendications salariales, mais aussi la privatisation. Pensez-vous qu'à l'heure actuelle, la privatisation est une solution à un meilleur rendement du service public ? Est-ce compatible ? C'est une question politique majeure, qui se pose non seulement au niveau de l'aéroport, mais au niveau général...
J.-P. Delevoye - "Je suis de ceux qui cherchent ni à diaboliser le secteur privé ni à faire en sorte que caricaturer le secteur public. Nous avons intérêt, les uns et les autres, à faire en sorte de garder l'éthique du service public, qui garantie l'égal accès à tous, l'indépendance et l'efficacité que l'on peut trouver soit dans le secteur public, soit dans le secteur privé. C'est un problème de gestion des moyens..."
J.-J. Bourdin-. Va-t-on privatiser Aéroport de Paris ?
J.-P. Delevoye - "Je ne le crois pas, je n'ai pas ce type d'information. Il appartient au ministre chargé du Transport de discuter avec les partenaires sociaux sur cette possibilité. Mais en tout cas, nous sommes dans un pays où, paradoxalement, dès qu'on parle privatisation on crie au diable, dès qu'on parle service public on crie à l'inefficacité. Je connais des services publics qui sont extrêmement efficaces - et plus que le secteur privé. Et je connais des entreprises privées qui ont la capacité de pouvoir accomplir des missions de service public, à condition que l'objectif, la garantie, l'éthique du service public soient préservés, ce que font les collectivités territoriales dans la délégation du service public. Donc cessons de nous faire peur. Ce qui est important, c'est d'avoir la garantie d'une indépendance et d'un égal accès à tous, et de l'efficacité des moyens mis en oeuvre."
J.-J. Bourdin-. Le salaire au mérite chez les hauts fonctionnaires va être instauré. Est-ce vrai que l'Etat que connaît très mal ses cadres dirigeants, selon une commission présidée par Y.-T. de Silguy ?
J.-P. Delevoye - "Nous avons besoin, dans nos administrations, de savoir qui fait quoi ?"
J.-J. Bourdin-. C'est incroyable ! L'Etat ne sait pas qui fait quoi ?!
J.-P. Delevoye - "Nous commençons par l'Observatoire de l'emploi public, que nous avons mis en place et que nous améliorons, à avoir une lecture plus précise, mais là encore insatisfaisante. Ce qui est évident dans le rapport qui nous est indiqué, c'est que l'Etat ne sait pas forcément de façon très précise la situation de ses cadres supérieurs et dans la gestion des ressources humaines, qui est un chantier ..."
J.-J. Bourdin-. Qu'est-ce que vous ignorez, par exemple ?
J.-P. Delevoye - "L'affectation des uns et des autres, c'est la raison de la mobilité, la formation continue, le besoin de pouvoir mettre la bonne compétence au bon endroit au bon moment... Alors qu'aujourd'hui, nous avons une gestion très verticale, très cloisonnée... C'est tout le chantier de la gestion des ressources humaines que nous mettons en place et qui fait que nous puissions avoir à la disposition du Gouvernement un vivier de compétences pour pouvoir les affecter là où l'Etat en a besoin. Je crois qu'aujourd'hui - et c'est la leçon que l'on a -, dans l'administration, on a plus passé ce temps à défendre les structures qu'à demander aux structures de s'adapter à la réalité des problèmes. Eh bien, nous souhaitons faire en sorte aujourd'hui qu'être fonctionnaire, ce n'est pas uniquement gérer sa carrière, c'est aussi faire en sorte de pouvoir exercer ses compétences avec la plus grande valorisation de celles-ci, dans des affectations, même si au départ, cela n'est pas dans l'administration d'origine."
J.-J. Bourdin-. L'ENA est-elle encore indispensable ?
J.-P. Delevoye - "Oui, nous avons besoin d'une formation de l'élite administrative. Nous avons réformé l'ENA, qui a pour vocation et pour ambition d'être un pôle international d'une formation d'élite administrative reconnu sur le plan international..."
J.-J. Bourdin-. Vingt-Troisième réforme de l'ENA...
J.-P. Delevoye - "Oui, mais celle-ci est en marche ! Cela veut dire qu'il y a eu peut-être, sur les vingt-deux précédentes, beaucoup de discours et pas de réalisations. Nous, nous disons ce que nous faisons et nous faisons ce que nous disons."
J.-J. Bourdin-. Question d'Audrey, étudiante en Science politique dans la Sarthe : Suite aux déclarations du président de la République et de N. Sarkozy, quelle est votre position sur la discrimination positive et, plus exactement, ne pensez-vous pas que la fonction publique ne devrait pas être un exemple en termes de méritocratie et d'égalité des chances ?
J.-P. Delevoye - "D'abord, tous mes voeux pour les études que vous entreprenez en Science po. Et deuxièmement, je partage totalement votre avis : le service public doit garantir l'égal accès pour tous, quelle que soit sa philosophie, quelle que soit sa couleur, quelle que soit sa religion. Je ne suis donc pas favorable à ce que l'on ait une discrimination positive. Je suis favorable à ce que chacun puisse se sentir capable de pouvoir entrer dans l'administration, d'avoir une accélération de carrière en fonction de ses mérites, de ses déterminations et de ses efforts..."
J.-J. Bourdin-. "Volontarisme républicain", a dit N. Sarkozy ?
J.-P. Delevoye - "Mais, mais je crois que ce qui est important, c'est qu'a contrario, nous devons aussi être exemplaires en la matière. Et lorsque j'entends un certain nombre de jeunes se dire que de toute façon, parce qu'ils sont de telle couleur, ils sont écartés, ceci n'est pas normal. Il faut donc que nous ayons une réflexion sur l'égal accès pour tous. Nous avons d'ailleurs posé ce problème au niveau des concours. Le vrai problème qui m'interpelle, c'est que lorsque vous affichez un concours de niveau Bac, tous ceux qui ont le niveau Bac se sentent écartés, parce que ce sont les Bac +2 ou Bac +3 qui les enlèvent, et vous avez souvent des surdiplômés sous payés qui sont frustrés et des gens qui ont le niveau de diplôme qui se sentent écartés. Nous avons donc à réfléchir aujourd'hui comment dans l'espace public, garant de la neutralité pour tous, nous puissions faire en sorte que chacun se sente capable d'y exercer pleinement ses compétences et d'avoir une très belle carrière."
J.-J. Bourdin-. Question de Jean, employé à la Poste dans l'Essonne : Il y a un très gros malaise chez les postiers et je voudrais que notre ministre de la Fonction publique soit clair et net, qu'au moins on sache à quoi s'en tenir. Avec tous les postiers de France, les bureaux de Poste, les centres de tri, les centres de distribution qui ferment, on ne sait pas ce que l'on va devenir, dans quelle administration on va nous remettre et je voulais savoir ce qu'il allait faire de tous ces fonctionnaires. Je suis très inquiet, nous sommes tous très inquiets et nous n'avons aucune nouvelle de notre président, M. Bailly. [...]
J.-P. Delevoye - "Je connais J.-P. Bailly et je puis vous dire qu'il s'est attelé à la tâche avec beaucoup de courage, de détermination, pour faire en sorte qu'effectivement, cette entreprise qu'est La Poste puisse enfin peser sur le paysage international dans lequel vous êtes. C'est une entreprise qui a beaucoup de compétences, qui a beaucoup de capacités mais qui aussi, par l'absence de stratégies ces dernières années, a été fragilisée au point - et je fréquente beaucoup de postiers quand je suis chez moi, dans ma ville de Bapaume - que les postiers s'interrogent sur l'avenir de leur entreprise et nourrissent les inquiétudes que vous formulez. Que les choses soient claires : il est évident, aujourd'hui, que vous êtes dans un espace concurrentiel pour un certain nombre de courriers, vous êtes aussi avec des évolutions technologiques - fax, mails etc. - qui vous interpellent et, en même temps, il y a une très forte motivation, notamment des postiers, d'accueillir le public et d'être en contact avec le public..."
J.-J. Bourdin-. Oui, mais Jean vous demande ce qu'il va devenir ! Si des bureaux de Poste ferment, que vont devenir les fonctionnaires qui y travaillaient ?
J.-P. Delevoye - "Ne confondons pas le service aux particuliers - et j'ai une expérience pilote, notamment dans les Charentes, où à l'évidence, des bureaux de Poste dans lesquels il y avait quatre heures de présence, pour relativement peu de trafic. Qu'ont fait ensemble les syndicats, les élus et la Poste ? Ils ont dit : nous voulons garder le facteur, élargir les heures d'ouverture, ce qui ne signifie pas forcément le maintien d'une Poste physique à proximité. Et donc, ce qui est important, c'est augmenter le service aux particuliers, peut-être par d'autres moyens qu'aujourd'hui uniquement la présence physique du bureau de Poste. Et il y a eu des expériences avec des commerçants, avec des mairies, pour faire en sorte qu'il y ait un élargissement des horaires, peut-être pas uniquement par des agents de la Poste directement, mais par des gens qui sont des relais du service postal, avec lesquels nous avons pu donc concilier un accord gagnant-gagnant : plus de services aux particuliers, avec une réorganisation. A l'évidence, dans une société qui bouge, on ne peut pas avoir des structures immobiles..."
J.-J. Bourdin-. Jean, êtes-vous satisfait ?
Jean : Mais qu'allez-vous faire de nous ! Vous ne dites pas ce que vous allez faire de nous ! Il n'y a pas que les bureaux de poste, il y a des centres de distribution qui ferment, des centres de tri qui ferment, et on ne sait pas ce que l'on va devenir ! Il y a plein d'agents qui sont en ce moment en reclassement, ils ne savent pas ce qu'ils vont devenir ! [...] On en a marre, monsieur le ministre, d'avoir des paroles. Soyez franc, soyez honnête un peu avec les postiers quoi !
J.-P. Delevoye - "Non, non, mais attentez ! "Soyez honnête", cela veut dire, aussi, monsieur, pour que les choses soient claires, vous ne pouvez pas..."
Jean : "Il y a un malaise dans la Poste, un très grand malaise."
J.-P. Delevoye - "Non, non, mais attendez ! Je suis conscient du malaise, mais en même temps, il faut faire en sorte que l'on ne puisse pas construire son discours syndical sur la résistance au changement et on ne peut pas en même temps se nourrir d'inquiétudes. A l'évidence, lorsqu'il faut moderniser les centres de tri pour que vous soyez..."
J.-J. Bourdin-. Il n'est pas syndiqué, Jean.
J.-P. Delevoye "Non, non, mais attendez, lorsqu'il y a des centres de tri qui ont besoin d'être modernisés pour être plus efficaces pour améliorer le service public, c'est une garantie de sécurité pour l'avenir de votre poste. Or, ce qui est important, c'est que vous soyez associé sur la stratégie de votre entreprise. Or je puis vous dire qu'aujourd'hui J.-P. Bailly est totalement déterminé, et le Gouvernement, à faire en sorte que la Poste retrouve sa place et ne soit pas fragilisée. Regardez ce qui s'est passé en Allemagne : il y a eu des réformes en son temps, et La Poste allemande est une des plus puissantes au monde."
J.-J. Bourdin-. Est-ce que Jean va perdre son boulot ? N'est-ce pas, Jean, votre inquiétude ? Risque-t-il de perdre son boulot ?
Jean : Mais que faites-vous de nous, avec ce que l'on voit dans d'autres administrations, quoi !
J.-P. Delevoye - "Mais attendez ! Il est évident que la totalité de ceux qui sont dans le service de La Poste doivent être associés à la sécurisation de l'avenir de La Poste qui passe par l'efficacité du service rendu et par, aussi, la perception de la concurrence."
Jean : On est 280 000 on va être 100 000 ou 80 000, qu'allez-vous faire des 100 000 ?! 100 000 fonctionnaires de la Poste !
J.-P. Delevoye - "Si vous avez comme optique le fait que, systématiquement c'est la gestion, le maintien des effectifs qui, à la limite, fragilise votre entreprise, il faut aussi regarder les choses de face. Ce qui est important, aujourd'hui, c'est votre avenir, et votre garantie passe par la sécurité de votre entreprise. Vouloir refuser de regarder la réalité de face, c'est-à-dire qu'on accepte de fragiliser et après on va dans le mur... Prenons dans ce pays l'habitude de regarder les choses en face."
J.-J. Bourdin-. Ce qui veut dire qu'à la Poste, J.-P. Delevoye, les départs à la retraite ne sont pas remplacés, une entreprise qui doit s'adapter au marché va réduire ses effectifs obligatoirement.
J.-P. Delevoye - "Ce qui est important, c'est que la meilleure garantie apportée aux postiers, c'est de pouvoir faire en sorte que La Poste soit dans le paysage européen actuel une des entreprises les plus performantes du paysage européen. Et à partir de ce moment-là, regardons très concrètement comment, avec les partenaires sociaux, participer à cette stratégie. Vouloir ne pas analyser cette chose, c'est accepter, ipso facto, en refusant de regarder la réalité en face, d'aller dans le mur. Les postiers me le disent, qu'avec les nouvelles technologies, comment imaginer que le volume du courrier ne change pas ! Comment imaginer qu'avec les échanges d'information des entreprises, on n'ait pas une adaptation d'entreprise ! Nous sommes dans un paysage qui change à toute vitesse et il y a un certain nombre de discours qui vous disent : dans ce paysage, on ne change pas ! Résultat : ne voulant pas s'adapter, cela veut dire accepter d'aller dans le mur. Nous refusons cette fatalité."
J.-J. Bourdin-. Je me fais le porte-parole de Frédéric, 28 ans, emploi-jeune, collectivité territoriale, son contrat se termine dans six mois, "que vais-je devenir", que prévoyez-vous ?
J.-P. Delevoye - "Cela a été la formidable hypocrisie des emplois-jeunes. Je me souviens à l'époque, M. Aubry disait : "Emploi nouveau, métier nouveau". Et avec notamment des emplois-jeunes qui étaient réservés à des Bac ou niveau Bac. On a recruté dans l'Education nationale des Bac + 2 payés au SMIC, on a fait une sous-administration au terme des emplois-jeunes, et on a mis les emplois-jeunes dans une perspective d'avenir zéro. On leur a dit : vous ne partez pas en cinq ans, et au bout de cinq ans, terminé, à vous de vous débrouiller pour rentrer dans la fonction publique, etc. Ca, c'était une fausse solution sur un vrai souci qu'était le chômage des jeunes. Nous avons très clairement dénoncé à chaque fois - je n'ai pas changé de discours depuis que je suis au Gouvernement - quand j'étais président de l'Association des maires de France, je disais : ce n'est pas normal que nous acceptions par l'Etat de financer une sous-administration locale. Et donc, je crois qu'aujourd'hui, les emplois-jeunes qui sont dans les collectivités locales, les collectivités locales doivent leur permettre de pouvoir accéder à des concours de la fonction publique pour éventuellement être intégrés. Mais c'est vrai qu'un certain nombre d'emplois-jeunes n'ont pas eu cette faculté, n'ont pas cette faculté, parce qu'il a été plus apporté un problème de traitement social qu'un problème de besoins administratifs."
J.-J. Bourdin-. Martine, qui est conjointe de professeur d'atelier, nous demande ce qu'elle va devenir, pour sa retraite, pour la retraite de son mari ?
J.-P. Delevoye - "Oui, ce sont toutes les femmes qui ont travaillé... Là aussi, même chose sur les femmes fonctionnaires, arrêtons de faire de faux débats. Nous garantissons aux femmes fonctionnaires, quand elles ont trois enfants, elles ont la jouissance des droits à partir de 15 ans. Et donc, ceci étant, leur garantie est totale sur le sujet."
J.-J. Bourdin-. Allez-vous accorder ce droit aux hommes ?
J.-P. Delevoye - "Non."
J.-J. Bourdin-. Non ? Très bien, merci J.-P. Delevoye.
(Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 janvier 2004)