Déclaration de Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sur la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, à l'Assemblée nationale le 26 novembre 2004.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le droit à mourir dans la dignité, qui est inséparable de la dignité de l'existence humaine, prend place dans le cadre d'une réflexion philosophique première. Cette question fondamentale n'en appelle pas moins des réponses très précises, très pragmatiques et surtout très humaines.
C'est certes à la façon dont une société traite ses morts, mais aussi à l'attention qu'elle témoigne envers les plus fragiles, quel que soit leur âge, que se mesure son degré de civilisation et son niveau de solidarité.
Fragiles parmi les personnes fragiles, les patients parvenus au dernier stade de leur existence, méritent incontestablement une sollicitude toute particulière.
Ils méritent aussi de disposer de droits renforcés.
C'est dire à quel point nous sommes ici confrontés à un formidable défi éthique, social et médical auquel il n'est plus temps de se soustraire.
Vous l'avez, Mesdames et Messieurs les Députés, parfaitement compris. Et je tiens à saluer moi aussi l'excellent travail de la mission d'information.
Cette question grave qu'est la fin de vie, vous l'avez abordée sans tabou et en faisant fi des clivages partisans qui n'avaient pas leur place dans un débat de cette nature.
Il en est résulté un travail remarquable à tous égards, depuis la qualité des réflexions que la mission d'information a suscitées jusqu'à la qualité des propositions formulées dans le texte de loi.
Sans modifier le Code pénal, ni risquer en rien d'ouvrir la boîte de Pandore des tentations eugénistes, mais par un aménagement maîtrisé du Code de la Santé publique, ce sont de nouvelles frontières éthiques et médicales et de nouvelles règles d'action qui se trouvent fixées, dans l'intérêt de chaque personne confrontée à une fin de vie douloureuse, dans l'intérêt des familles, dans l'intérêt du corps médical, dans l'intérêt de la société toute entière.
Je voudrais immédiatement préciser que ce texte ne s'adresse pas spécifiquement aux personnes âgées. Autre chose est le vieillissement et la prise en charge des personnes âgées, autre chose l'encadrement de la fin de vie, qui n'est pas " l'affaire réservée " du grand âge, pas plus d'ailleurs, si j'ose dire, que ne l'est la mort elle-même, même si elle intervient statistiquement de plus en plus tard.
Pour autant, l'accompagnement des personnes âgées les plus fragiles et les plus dépendantes pose inévitablement la question de la fin de vie.
La gériatrie n'est-elle pas la discipline médicale du vivant la plus proche de la mort, même si de nombreuses pratiques médicales sont peu ou prou confrontées à cette perspective ?
Le regard sur la vieillesse ne peut au demeurant faire l'abstraction de l'interrogation sur la mort, bien qu'il ne se réduise nullement à cette perspective.
Un autre regard sur la vieillesse, mettant l'accent sur la vitalité et l'énergie dont tant de personnes âgées et même très âgées sont dotées, nous invite au contraire à associer le vieillissement à une forme de richesse de vie.
Il n'empêche que l'avancée en âge - pardonnez-moi cette tautologie, mais elle a son importance - rapproche du terme de l'existence, et qu'en conséquence toute réflexion sur la vieillesse et l'approche de la fin de la vie a partie liée avec l'interrogation sur la fin de vie. En d'autres termes, avec l'allongement de la vie on assiste à une sorte de vieillissement de la mort.
La charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante traite d'ailleurs explicitement de la question de la fin de vie.
Elle pose en effet, en son article XI, l'obligation du respect de la fin de vie de nos aînés, et elle rappelle les droits qui sont les leurs de bénéficier, quelle que soit leur situation, de soins et d'attentions adaptés à leur état. La personne âgée, précise la charte, "doit pouvoir terminer sa vie naturellement et confortablement entourée de ses proches ".
La politique en direction des personnes âgées s'adresse aussi à leur famille et, ce faisant, à la société tout entière.
Cette question de société fondamentale qu'est la problématique de la fin de vie s'inscrit donc en toile de fond dans la politique en direction des personnes âgées.
Cette proposition de loi traite largement du problème des patients en fin de vie devenus insconscients - situation à laquelle sont confrontées les personnes âgées atteintes de maladies neuro-dégénératives -, il est clair que le ministère en charge des personnes âgées est forcément pleinement concerné par un sujet aussi essentiel que la dignité dans la mort.
Il ne peut pas davantage rester à l'écart des débats relatifs à une législation nouvelle, courageuse et équilibrée, qui vise à trouver la juste voie entre les écueils de l'hypocrisie et du non-droit.
La dignité de la personne âgée, son droit à l'information et le respect de sa volonté ne sont pas des notions négociables : ce sont des principes absolus que le texte s'attache à promouvoir dans les faits.
La proposition de loi concourt à la promotion de ces principes.
Une de ses grandes lignes de force est de proposer aux malades qui le souhaitent, ou dont la " personne de confiance " le souhaite lorsque le patient n'est plus en mesure d'exprimer sa volonté autrement qu'au travers d'une " directive anticipée ", le remplacement des soins curatifs par les soins palliatifs.
Ce travail parlementaire remarquable replace le malade au centre, ou plutôt il regarde le malade d'abord comme une personne à part entière, qu'il convient d'écouter, d'informer, d'associer aux décisions médicales le concernant.
Tout l'esprit du dispositif, j'y insiste, est basé sur le dialogue entre le malade, la personne de confiance et l'équipe soignante.
Le secteur de la gériatrie est au coeur de cette démarche participative. Ni le grand âge, ni la dégradation physique ou mentale, ne permettent de faire bon compte de ce devoir de dialogue, d'écoute et de respect de chacun, qui est l'un des piliers de la cohésion sociale et de la civilisation.
Si, d'une façon générale, l'individu en fin de vie est d'abord un individu avant d'être un patient au seuil de la mort, si l'hôpital doit être un lieu de soins où l'humain prime sur toute autre considération, la donne humaine est le cadre premier et l'horizon indépassable de la prise en charge des aînés en fin de vie.
Sur la question des soins palliatifs, étroitement liée à cette préoccupation humaine de soulagement des souffrances, je dirais que leur importance en gériatrie n'est plus à démontrer. En même temps, ces soins ont leur spécificité, en raison à la fois de la diversité des pathologies cumulées, du degré d'autonomie physique et psychique, et de la nature de l'environnement socio-familial.
Je sais combien les professionnels du secteur gériatrique, les usagers et les familles sont sensibles à cette problématique. Le texte de loi leur apporte des éléments de réponse, dans le sens du " bien mourir " et d'une plus grande qualité de vie possible jusqu'à la mort, que ne permettent ni l'obstination thérapeutique déraisonnable ni les démarches, inacceptables, d'euthanasie active.
Le projet amendé par la Commission permet de dispenser des soins palliatifs dans les EPHAD. Je m'en félicite, dans la mesure où, pour la personne âgée en fin de vie, il est nettement préférable de bénéficier d'un accompagnement sur son lieu de résidence plutôt que d'être orienté dans un établissement hospitalier.

Mesdames et Messieurs les Députés,
Politique humaine par excellence, la politique en direction des personnes âgées doit veiller à ce que la situation de ces dernières, lorsqu'elles sont en fin de vie, soit mieux prise en compte. La proposition de loi va résolument dans ce sens.
Elle sera mieux prise en compte sur le plan personnel, au cas particulier de chaque individu âgé arrivé au seuil de la mort et qui, aussi près du terme fatal soit-il, doit se voir reconnaître un droit au dialogue et à un accompagnement sanitaire et humain optimal afin de n'être pas dépossédé de sa propre mort.
Mais elle sera également mieux prise en compte par la société tout entière, consciente que le droit à mourir dans la dignité et dans l'humanité compte de toute évidence au nombre des premiers droits de l'homme.
La France, pays des droits de l'homme, peut être fière de ce bel exemple donné par notre démocratie.
C'est une preuve de sa maturité, comme de la maturité de ses acteurs.



(Source http://www.http://www.personnes-agees.gouv.fr, le 29 novembre 2004)