Interview de M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, au "Quotidien du Médecin" le 28 septembre 2000, sur le traitement des demandes de pension introduites par des anciens combattants de la guerre de Golfe.

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LE QUOTIDIEN DU MEDECIN: Dans la polémique actuelle certains estiment
que, s'il y eu relativement peu de pensions accordées aux anciens combattants
du Golfe, c'est tout simplement parce que l'armée ne veut pas payer. Que
leur répondez-vous ?
JEAN-PIERRE MASSERET: Cela n'est pas vrai et cela n'a jamais été vrai parce que les crédits budgétaires destinés à payer les pensions sont des crédits évaluatifs. On paiera comme l'on a toujours payé dès lors que la procédure aura été respectée, que les experts auront conclu, que les médecins auront fait leur travail et, s'il y a lieu, que les tribunaux, auront tranché. La procédure peut paraître un peu lourde mais elle existe depuis 1919, elle a donné de bons résultats. Il est donc tout à fait faux de prétendre que l'institution bloquerait ces dossiers.
Mais on dit que les commissions de pension sont extrêmement difficiles à saisir...
Elles ne sont pas difficiles à saisir mais c'est vrai que la procédure est longue parce qu'elle est contradictoire et extrêmement protectrice pour les individus. Toute demande de pension sera examinée. Je ne comprends pas ce procès. Je ne comprends pas que l'on suspecte toujours l'administration de ne pas vouloir affronter les réalités.
Monsieur Galy-Dejean, député RPR, demande que dans tous les cas de demande de pension l'on inverse la charge de la preuve et que ce soit donc à l'administration de prouver qu'une pathologie n'a pas de rapport avec le service. Etes-vous d'accord avec cette proposition ?
Personnellement je ne suis pas favorable à cette suggestion. Si on faisait cela, on romprait l'égalité de traitement dans l'histoire du code des pensions militaires d'invalidité. Je ne veux pas remettre en cause pour la guerre du Golfe des dispositions qui ont été établies depuis 1919 et qui se sont révélées pertinentes au cours du second conflit mondial, de la guerre de Corée, d'Indochine, d'Algérie, et de tous les conflits qui ont suivi au Tchad, en Bosnie etc... Si on faisait une exception pour la guerre du Golfe on se retrouverait dans une situation ingérable. Ce n'est pas parce qu'une procédure date de 1919 qu'elle est archaïque. Une procédure est bonne lorsqu'elle donne de bons résultats sur une bonne période et c'est exactement le cas de cette procédure concernant les pensions militaires d'invalidité.
Alain Richard a invité, en juillet, toutes les personnes qui pensaient être atteintes d'une maladie contractée durant la guerre du Golfe à se faire connaitre. Est- ce qu'il y a eu beaucoup d'anciens militaires qui se sont signalés à vos services depuis ?
Depuis cet appel et jusqu'à la fin août il y a eu une dizaine de nouveaux dossiers déposés qui s'ajoutent aux trois cents qui ont déjà été traités et aux cent trois qui étaient en cours d'instruction.
Auriez-vous les moyens de recenser et de convoquer les 22 000 anciens combattants du Golfe qui sont retournés à la vie civile pour leur faire subir des contrôles médicaux si jamais la mission d'experts nommée par le gouvernement et animée par le Pr Roger Salamon le juge nécessaire ?
On les recensera, on les retrouvera - du moins pour la quasi totalité d'entre eux - et, si le Parlement décide de leur faire passer des examens médicaux, le service de santé des armées exécutera cette mission. Ca prendra du temps mais cela ne sera pas impossible. On est dans une situation où l'on doit gérer l'irrationnel. Il faut s'adapter à cela. Nous appliquerons le droit, tout le droit et, si nécessaire, nous nous inscrirons dans la procédure qui aura été suggérée et adoptée par le Parlement.
Est-ce que vous allez être associé à la mission du Pr Salamon ?
Il faut laisser le professeur Salamon faire son travail si on ne veut pas être suspecté d'ingérence ou de dissimulation. Il faut que les personnes qui ont été désignées assument avec une totale liberté leur mission. Nous devons nous inscrire dans une logique de transparence. Cela dit, je suis convaincu que même si toutes ces missions, ces enquêtes aboutissent à la conclusion que l'on croit, à savoir qu'il n'y a pas de syndrome dit du Golfe, on continuera à être suspecté de n'avoir pas tout mis sur la table.
Vous parlez d'irrationnel. Qu'est-ce qui vous semble irrationnel dans cette affaire ?
Ce qui est irrationnel, aujourd'hui, c'est que les citoyens sont persuadés qu'il y a forcément quelqu'un de responsable de ce qui leur arrive. Les gens ne croient plus du tout au destin, au hasard, ou à la fatalité. Et s'ils peuvent attribuer la responsabilité d'un événement à un système qui leur permet d'avoir une indemnisation, ils le font. En fait, c'est la démarche judiciaire anglo-saxonne qui gagne les pays latins et notamment la France.
Est-ce que la réputation de grande muette de l'armée n'a pas contribué à alimenter les soupçons ?
Si, sans doute, mais c'est une réputation qui n'est pas fondée, l'armée n'est pas muette, elle s'exprime, elle fonctionne bien. Mais on soupçonne toujours la Défense - comme l'ensemble de l'administration - de ne pas dire la vérité.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 20 octobre 2000)