Interview de M. Olivier Besancenot, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire, à "France 2" le 16 juillet 2004, sur l'annonce du référendum pour l'adoption de la Constitution européenne, sur le mouvement social face au train de décisions gouvernementales.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

J.-P. Chapel - J. Chirac l'a annoncé mercredi : la France, se prononcera par référendum sur l'adoption de la Constitution européenne. Le président de la République a également recadré certains points économiques et sociaux. Et il a également fait des recadrages en matière de politique avec un petit "p", comme il l'a dit lui-même. En ce qui concerne la Constitution européenne, vous êtes satisfait, puisque vous demandiez que la Constitution européenne soit adoptée après un référendum ?
R - "En tous les cas, on faisait partie de ceux qui pensaient que c'était la moindre des choses qu'il y ait une consultation populaire par référendum. Et donc, d'ores et déjà, on appelle à voter clairement "non" à ce projet de Constitution, qui est une espèce de super traité, qui entérine tous les traités précédents, qui étaient déjà des traités extrêmement libéraux - celui de Maastricht et d'Amsterdam -, qui ont fait qu'aujourd'hui, l'Europe s'est construite d'abord et avant tout comme un marché économique, sans droits sociaux, et en réalité, avec beaucoup de régression sociale."
J.-P. Chapel - Vous entrez donc déjà dans le camp du "non". Vous savez que, globalement, quand même, tous les grands partis politiques sont plutôt ou carrément favorables à la ratification de cette Constitution européenne. Pensez-vous que vous allez être entendu par les Français ?
R - "Que les grands partis institutionnels se retrouvent pour entériner cette Constitution, rien de plus normal, puisque cela fait plus de vingt ans qu'ils construisent, en alternance, cette Europe-là. Donc, le PS, qui nous a promis une Europe sociale aux dernières élections européennes, nous propose d'ores et déjà de contredire son propre programme au moment des élections. J'invite tout le monde à s'intéresser à ce projet de Constitution. Sachez que quand il s'agit d'entériner en tant que tel, dans le marbre, le droit des plus riches, des plus puissants et des actionnaires, il n'y a pas photo, il n'y a pas de problème : d'accord pour le droit de propriété, d'accord pour la liberté de circulation des capitaux - tant pis pour les immigrés ! Et dès qu'il s'agit d'aborder les droits sociaux, cela devient tout à coup des vux pieux. On vous renvoie à la Charte européenne des droits fondamentaux, qui est déjà jugée en deçà de la Convention européenne des droits de l'Homme et qui, pour ne vous donner qu'un seul exemple, ne vous accorde même pas le droit en tant que tel le droit d'avoir accès à la protection sociale. Elle ne vous accorde même pas le droit au travail, mais - je cite - "le droit de rechercher un emploi". On aura encore le droit de rechercher un emploi ?! Merci, mais on aurait pu le faire tout seul !"
J.-P. Chapel - Vous voyez, quand vous parlez d'un parti, vous en avez cité un, c'est le PS. On a l'impression que depuis quelques mois, vous êtes encore beaucoup plus critique vis-à-vis des partis de gauche, et particulièrement du PS, que par exemple du parti de la majorité, l'UMP ?
R - "Non, sûrement pas, parce que nous, on se pose en adversaires de ce Gouvernement, qui tape comme des brutes épaisses depuis le début. D'ailleurs les déclarations de J. Chirac, le 14 Juillet, ne font que confirmer que la vraie fête pour le 14 Juillet, ça a été uniquement pour le patronat, puisqu'on leur sert à la soupe tout le programme qu'ils sont en train de réclamer. Maintenant, il y a un problème politique à gauche : c'est savoir si oui ou non, on fait entendre une autre option politique, une option anticapitaliste. Et nous, c'est ce que l'on réclame."
J.-P. Chapel - On va revenir justement à ce qu'a dit J. Chirac le 14 Juillet. Il s'est prononcé en particulier sur les 35 heures et a dit que le temps légal de travail restera à 35 heures mais qu'il faut des assouplissements. Que pensez-vous de ses déclarations ?
R - "Je vous dis : il est en train de répondre "présent" à une des plus grandes demande de Seillière depuis plusieurs mois, en insistant - et c'est quand même un comble et c'est particulièrement révoltant - sur la valeur du travail. La valeur du travail ? Vous savez, les mois précédents, j'ai rencontré des tas de personnes qui n'attendaient qu'une seule chose, c'est avoir un emploi. Parce que malheureusement, les licenciements en cascade continue, y compris dans ces entreprises qui font souvent des bénéfices. Donc que Monsieur Chirac aille, honnêtement, les yeux dans les yeux, discuter avec un salarié de ST Microelectronics, d'Altadis, ces salariés, aujourd'hui, qui sont licenciés, comme on dit, de façon "boursière"."
J.-P. Chapel - Que demanderiez-vous concrètement sur les 35 heures ? Il ne faut rien changer, laisser comme c'est, ou, au contraire, faut-il aller plus loin, à l'inverse, c'est-à-dire, que les 35 heures soient véritablement appliquées pour tous ? Quelle est votre demande ?
R - "Notre demande est que la réduction du temps de travail pose la question du droit à l'emploi pour tous, c'est-à-dire qu'il faut travailler moins pour travailler tous. Et que c'est devenu un comble dans cette société, qu'il y a de plus en plus de monde à l'extérieur de l'entreprise qui attend pour avoir un emploi, alors qu'à l'intérieur des entreprises on se crève de plus en plus le dos avec des salaires de misère !"
J.-P. Chapel - Ceci dit, travailler moins pour que tout le monde travaille, on a vu que cela ne fonctionne pas ?
R - "Comment cela, cela ne fonctionne pas ? Personne n'a essayé de le faire concrètement. Le problème est que cela implique un choix, qui est effectivement de se fâcher vraiment, un tout petit peu, ne serait-ce qu'un tout petit peu, avec le patronat, avec monsieur Seillière, et avec les différents patronats au niveau européen. Donc la question qui se pose aujourd'hui, en réalité, derrière la réduction du temps de travail, là aussi, c'est la question de la répartition des richesses."
J.-P. Chapel - Il y a aussi quelque chose qui va vous intéresser concrètement de très près, c'est l'avant-projet de loi Borloo sur la cohésion sociale. Là, il y a des choses qui sont en train de se décider autour des chômeurs, en particulier autour du contrôle des chômeurs : des chômeurs depuis plus de six mois qui refuseraient un emploi, verraient leurs allocations réduites ou carrément supprimées. J'imagine que, là-dessus, vous êtes évidemment en opposition frontale ?
R - "Nous et puis quelques autres. D'ailleurs, j'espère que toute la gauche sociale et politique sera rassemblée derrière les associations de chômeurs qui, depuis plusieurs mois, mènent un combat absolument exemplaire, non seulement pour que les chômeurs aient le droit à des prestations qui sont déjà extrêmement minimum - nous sommes pour une augmentation généralisée des minima sociaux -, mais pour qu'en plus, on arrête, sur le fond, de culpabiliser les chômeurs, parce que c'est cela qu'on est en train de faire actuellement. D'abord, les statistiques le prouvent, contrairement à ce qu'on est en train de nous raconter : l'ultra majorité des chômeurs ne demande qu'une chose, c'est le droit à l'emploi. Et c'est cette question-là qui est posée. Et malheureusement, si on répond à toutes les demandes du patronat, on ira absolument dans le sens opposé."
J.-P. Chapel - Vous étiez dans les manifestations contre le changement de statut d'EDF-GDF. Sur ce point-là, que peut-on dire ? Avez-vous perdu ?
R - "Oui, malheureusement, on ne peut que constater que l'on a perdu la bataille de la privatisation - parce qu'il faut appeler un chat un chat, il s'agit du début de privatisation d'EDF-GDF -, pas simplement parce que j'étais aux côtés des salariés de cette entreprise - et puis, je suis bien concerné, parce qu'à la Poste, c'est la même chose qui nous attend pour 2007 -, mais tout simplement comme usager. Il faut savoir que la libéralisation de l'énergie, partout en Europe où on l'a essayée, non seulement c'est 20 % d'emplois de moins, mais en plus, c'est 20 % d'augmentation des tarifs."
J.-P. Chapel - Politiquement, comment faites-vous pour vivre ces échecs : il y a eu la réforme des retraites, il y a eu le statut d'EDF-GDF, la réforme de l'assurance maladie ? Tout cela est en train de passer, vous étiez opposé à toutes ces réformes. Qu'avez-vous à dire ?
R - "Il faut être honnête, c'est vrai que le mouvement social s'est pris un petit coup de bâton sur la tête, et qu'il s'agit de comprendre nos échecs, comprendre aussi que, malgré tout, il y a des espaces de résistance qui existent actuellement, dans les entreprises, dans les quartiers populaires, qui sont des espaces unitaires, radicaux, solidaires, et que ces espaces-là, vont continuer à préparer une riposte d'ensemble, parce que l'on est un certain nombre dans ce pays à ne pas vouloir attendre 2007 pour que les choses changent. Alors, J. Chirac, c'est de bonne guerre, nous propose d'attendre 2007, d'expliquer, qu'en gros, il faut passer outre l'impopularité croissante du Gouvernement et faire passer ces contre-réformes. Mais on a aussi une partie de la gauche, de la gauche libérale, qui nous propose d'attendre 2007. Eh bien nous, on est pour un mouvement d'ensemble."
J.-P. Chapel - 2007, c'est une date. D'ici là, que va-t-il se passer ? Encore une fois, ces réformes soit ont déjà été adoptées, soit sont sur le point de l'être. Que pouvez-vous faire, vous, concrètement, d'ici à 2007 ?
R - "D'abord, je pense que, sur la bataille de la Sécurité sociale, il y a d'autres échéances, d'autres initiatives qui sont prévues ; pour les salariés d'EDF également. Mais de façon plus générale, le Gouvernement est en train de jouer avec le feu, parce que créer à ce point-là de l'exaspération, sur non seulement, des mesures qui sont jugées absolument de régression sociale, mais en même temps, sur une impopularité croissante, cela risque d'avoir un jour un sacré retour de boomerang. Donc, je ne peux pas vous dire aujourd'hui quelle sera la petite goutte d'eau qui fera déborder le vase. Mais je peux vous dire que le jour où la goutte d'eau arrivera, le vase, quand il va déborder, sera extrêmement important."
J.-P. Chapel - Vous parlez d'exaspération. Dans les dernières semaines, on a vu, au contraire, que le mouvement social avait tendance à s'essouffler, il y avait de moins en moins de monde, par exemple, aux manifestations d'EDF-GDF
R - "A la fin des manifestations J'insiste quand même sur une chose : c'est quand même, qu'en l'espace de deux ans, on a assisté aux plus grandes manifestations auxquelles on n'avait pas assisté depuis plus de dix ans. Ce qui manque aujourd'hui, c'est l'unité syndicale, qui soit là pour relayer le combat des salariés. Je crois que c'est cela dont on a souffert, à la fois pour le combat des retraites, à la fois pour EDF, à la fois pour la Sécurité sociale. Et puis, plus généralement, l'appui de l'opinion publique est de plus en plus présent. Mais vous savez, on a effectivement un gouvernement qui ne lâche absolument rien, qui se fait "bananer" dans la rue, qui devrait se faire "bananer" dans les élections, mais qui dit : "De toute façon, je reste en place". Donc, là, le mouvement social a un problème politique nouveau."
J.-P. Chapel - Suite aux échecs que vous avez vécus en particulier aux dernières élections, aux régionales et aux européennes, vous aviez des problèmes financiers, il vous manquait 350.000 euros avant la fin du mois de décembre. Je crois qu'une grande partie devait être payée avant la fin du mois de juillet. Où en êtes-vous ?
R - "On a lancé une grande souscription. Alors, je ne suis pas venu ici pour faire la quête, mais c'est vrai qu'on a lancé une grande souscription. Il y a beaucoup de répondants. C'est vrai que l'on se rend compte que la LCR a aussi changé d'envergure. On est probablement arrivé à la moitié de notre objectif. Et d'ici fin décembre, c'est effectivement 350.000 euros qu'il faut absolument que l'on trouve, parce que je crois que, d'une façon ou d'une autre, on a tous un peu besoin de la LCR. Il y a ceux qui pensent qu'on est utile pour les dernières mobilisations, pour les grands combats. Il y a ceux qui, sans partager l'entièreté de notre programme, pensent qu'on est quand même utiles pour être représentés. Et puis il y a ceux qui ne peuvent pas "nous sentir", mais qui ne pourraient pas se passer de nous finalement."
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 16 juillet 2004)