Déclarations de M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, sur l'Europe de la défense la coopération européenne sur l'industrie d'armement, notamment dans l'aéronautique, Paris le 5 et Biarritz le 6 octobre 2000.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée de Prometheus Europe sur le thême "Nouvelle Europe, nouveaux défis, nouvelles générations", Paris le 5 octobre. Assemblée générale annuelle de l'AECMA (association européenne des industries aérospatiales) à Biarritz le 6 octobre 2000.

Texte intégral

Assemblée de Prometheus - Europe
" Nouvelle Europe, nouveaux défis, nouvelles générations "
C'est avec un réel plaisir que j'interviens aujourd'hui devant vous, un jeune(et studieux) public. Vous êtes tous ici rassemblés grâce à Prometheus-Europe, dont l'histoire est enracinée depuis plus d'une décennie maintenant dans le milieu étudiant paneuropéen, et qui, dès son origine, a eu à coeur de faire progresser la réflexion sur la construction européenne. Votre présence nombreuse témoigne de la vitalité de votre mouvement mais aussi de l'intérêt que porte la jeunesse européenne à l'avenir de l'Union et, au-delà, du continent dans son ensemble, y compris dans sa nouvelle dimension de sécurité et de défense. C'est donc tout naturellement que, dans le cadre de votre assemblée au thème aussi ambitieux qu'enthousiasmant, " Nouvelle Europe, nouveaux défis, nouvelles générations ", j'ai accepté de venir évoquer devant vous le sujet de l'Europe de la Défense.
Comme vous le savez, la conférence intergouvernementale travaille actuellement à dessiner le nouveau visage de l'Union européenne élargie, la " Nouvelle Europe ", à 25 voire 30 membres, ce qui est déjà en soi une gageure. Mais l'Union européenne oeuvre aussi, depuis plusieurs mois, à un autre " défi ", à un projet ambitieux : donner corps à l'Europe de la Défense. La France, qui assume depuis le 1er juillet la Présidence de l'Union a la mission de concrétiser les orientations définies à Quinze depuis le sommet européen de Cologne, en juin 1999, très exactement.
La construction de l'Europe de la Défense est entrée dans une phase concrète. Comment en sommes-nous arrivés là ? Je ferai tout d'abord un rapide rappel historique de l'Europe de la Défense. L'histoire de la sécurité du continent européen après la Deuxième Guerre mondiale permet de mieux comprendre pourquoi nous commençons seulement aujourd'hui à enrichir la construction européenne d'un volet " sécurité et défense ". Ce délai doit sembler bien tardif à des jeunes filles et jeunes gens qui ont davantage à l'esprit les réalités du monde de l'après-guerre froide, et aussi - malheureusement - la dramatique impuissance de l'Europe dans les Balkans au début de la décennie écoulée.
Il y a cinquante ans, Winston Churchill proposait à l'Assemblée consultative européenne de mettre sur pied une armée européenne. En l'absence d'un cadre juridique commun, faute surtout d'une autorité politique européenne apte à le porter, ce projet ne devait jamais connaître de suites.
Un second projet, soutenu par le Président du Conseil français, René Pleven, d'une Communauté européenne de défense, est un échec : " l'échec de la CED ". La CED, qui transposait dans le domaine militaire les principes fondamentaux et l'organisation de la CECA, créait une armée européenne intégrée, sous des commandements supranationaux, avec un budget commun et des institutions supranationales (Assemblée élue, Conseil) ; toute agression
contre l'un des Etats membres de la CED aurait entraîné automatiquement l'engagement de l'armée européenne. La CED devait comprendre les Six de la CECA ; la Grande-Bretagne restait en dehors de la CED, mais elle se liait à celle-ci par des accords annexes. Alors que les cinq partenaires de la France ratifièrent rapidement le traité de Paris, l'opinion française se divisa profondément sur le projet. Après deux ans de querelles, le traité fut finalement rejeté sans débat par l'Assemblée nationale française le 30 août 1954, Pierre Mendès-France étant Président du Conseil.
A la suite de cet échec, l'ancienne organisation du traité de Bruxelles fut élargie en une Union de l'Europe occidentale, alliance militaire conclue entre les Six de la CECA et la Grande-Bretagne, les uns et les autres faisant d'ailleurs partie de l'Alliance atlantique. L'UEO devait rester la seule organisation européenne compétente en matière de défense jusqu'à la
fin de la Guerre froide, l'OTAN assurant pour sa part la réalité de la protection de l'Europe de l'Ouest contre la menace soviétique.
Il ne s'agit plus aujourd'hui de créer une armée, mais de donner à l'Union européenne la capacité de gérer les crises survenant sur son continent, ou dans le cadre d'opérations décidées par les Nations unies, par la mise en commun de moyens nationaux et collectifs. Pour cela, les Quinze partagent désormais la conviction qu'il faut mettre en oeuvre une politique commune de sécurité et de défense, pleinement autonome et s'appuyant sur des capacités militaires crédibles, afin de pouvoir conduire des opérations dites " de Petersberg ", c'est-à-dire " les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de maintien de la paix, et les missions des forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix ", comme le précise l'article 17 du traité sur l'Union européenne.
C'est là le fruit d'une prise de conscience collective et progressive. Pourquoi entreprendre à nouveau de bâtir une Europe de la Défense?. Deux facteurs me paraissent décisifs.
Tout d'abord, et c'est une évidence, le nouveau contexte de l'après guerre froide a profondément modifié la donne de la sécurité européenne. Si pendant la guerre froide, une Europe de la Défense s'est révélée impossible, pour des raisons tenant à l'existence d'une menace de guerre totale de bloc à bloc et à l'absence même de nécessité d'une telle construction aux yeux des principaux partenaires de la France, la décennie écoulée a permis de constater, surtout à la suite des événements de Bosnie-Herzégovine, une réelle nécessité et une volonté européenne d'avancer. Dans le contexte stratégique contemporain, l'enjeu pour les Européens n'est plus seulement de contrer une menace globale dont le spectre s'éloigne, et pour laquelle l'Alliance atlantique au travers de son article 5 demeure la référence, mais d'être capables de traiter par eux-mêmes les crises hybrides et les facteurs d'instabilité sur leur continent ou à sa périphérie.
L'Union européenne n'est en effet pas seulement un grand ensemble monétaire, industriel, commercial et technologique. C'est aussi un des partenaires importants dans la gestion des affaires internationales, sur les plans commercial, économique, industriel ; dès lors, elle doit naturellement avoir l'ambition de l'être sur le plan politique et pouvoir intervenir, en tant qu'Union européenne, avec ou sans recours aux moyens de l'OTAN, pour défendre ses intérêts et ses valeurs.
L'intervention armée au Kosovo a également été décisive, en rappelant la disproportion des moyens entre les Etats-Unis et l'Europe. Mais cette crise a aussi montré la volonté commune des Européens de jouer pleinement leur rôle dans la sécurité de leur continent. Jamais auparavant les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union n'avaient été amenés à se concerter aussi étroitement sur les dimensions diplomatique, politique et militaire d'une crise ouverte, donnant ainsi raison à Winston Churchill lorsqu'il déclarait, dans une très belle expression, que les " métissages de souveraineté " étaient devenus la condition même de la puissance des nations. Dès lors, la prise de conscience du décalage entre une détermination politique forte d'un côté, et des insuffisances remédiables dans les moyens militaires de l'autre, a constitué le moteur des efforts communs pour améliorer les outils de gestion des crises.
Depuis 1998 et l'esprit insufflé par le sommet franco-britannique de Saint-Malo, une réelle dynamique nouvelle s'est créée. L'UE a témoigné en ce domaine d'une célérité à laquelle les observateurs n'avaient sans doute pas été habitués : les sommets européens de Cologne en juin 1999, d'Helsinki en décembre 1999 et de Feira en juin dernier se sont succédés sans que le rythme ne ralentisse, si bien qu'aujourd'hui, l'architecture institutionnelle de l'Europe de la Défense est largement dessinée et la constitution de capacités militaires autonomes est en excellente voie, comme en a témoigné la réunion des quinze ministres de la Défense il y a quinze jours à Ecouen, près de Paris. Nous pouvons être fiers du chemin parcouru en deux ans.
Partons donc du concret, pour mieux comprendre les enjeux actuels. Après de nombreuses années d'atermoiements qui masquaient mal les divisions entre Européens et l'absence de volonté d'entreprendre, les Quinze ont volontairement opté pour une démarche qui privilégie la substance, c'est-à-dire les moyens de décision et les capacités pour agir.
Les moyens de décision tout d'abord. Les questions institutionnelles ont été réglées aux sommets d'Helsinki puis de Feira. Ont ainsi été mises en place, le 1er mars 2000, les instances nécessaires à l'UE pour une prise de décisions efficace, sous une forme intérimaire dans un premier temps : un Comité politique et de sécurité intérimaire ou COPSi, un organe militaire intérimaire, l'OMi, composé de représentants des Chefs d'etat-major des Quinze et un groupe d'experts formant le noyau de l'Etat-major de l'UE.
Quel sera le rôle de ces nouveaux organes ? A l'heure actuelle, le COPSi, qui siège à Bruxelles et est composé de représentants permanents ayant rang d'Ambassadeurs, traite des questions de la PESC au jour le jour et prépare les décisions relatives à la mise en oeuvre d'Helsinki. Durant la période intérimaire, le COPSi n'apparaît toutefois pas en mesure de gérer une crise militaire car l'UE ne dispose pas encore en propre des instruments et des
moyens nécessaires. Il élabore néanmoins des recommandations concernant le futur fonctionnement de la politique européenne de sécurité et de défense, conformément aux dispositions du traité sur l'Union européenne. Dans le cas d'une opération militaire de gestion de crises, le COPS permanent exercera, sous l'autorité du Conseil, le contrôle politique et la direction stratégique de l'opération. Le COPS adressera des directives au Comité
militaire.
Ce Comité (composé, donc, des Chefs d'état-major des Quinze ou de leurs représentants) donnera des avis militaires et formulera des recommandations destinées au COPS ; il fournira des instructions militaires à l'état-major de l'UE. Le Président du Comité militaire assistera aux sessions du Conseil lorsque celui-ci aura à prendre des décisions ayant des implications dans le domaine de la défense.
L'état-major enfin, au sein des structures du Conseil, mettra ses compétences militaires au service de la PECSD, notamment pour la conduite des opérations militaires de gestion des crises menées par l'UE. L'état-major sera chargé de l'alerte rapide, de l'analyse de situations, et de la planification stratégique pour les missions de Petersberg.
Ces structures ont commencé à travailler. Il s'y forme progressivement une culture de défense propre à l'UE, tandis que les institutions des différents piliers de l'UE commencent à prendre en compte la dimension militaire. La création d'un collège de sécurité européenne permettrait enfin de développer un module de formation européenne commune des responsables civils et militaires des Quinze en matière de sécurité et de défense. La France et l'Allemagne ont convenu, lors du dernier sommet franco-allemand, d'élaborer des propositions concrètes sur ce sujet, en vue de les soumettre à leurs partenaires.
L'objectif de la France est de définir la forme permanente de ces trois organes pour le sommet européen de Nice, les 7 et 8 décembre prochains. Leur mise en place devra intervenir ensuite dans les meilleurs délais.
Le deuxième objectif de la Présidence française est de concrétiser la constitution de capacités militaires autonomes. Vous l'avez peut-être lu dans la presse à l'époque, à Helsinki, afin de pouvoir assurer l'ensemble des missions de Petersberg, les Quinze se sont donnés pour objectif d'être en mesure de déployer dès 2003, en 60 jours et pendant au moins un an, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée - c'est-à-dire environ 60 000 hommes pour sa composante terrestre - à partir de moyens provenant des pays de l'Union. Cette force devra être dotée de moyens propres de renseignement, de commandement, de contrôle et de logistique. Elle devra aussi compter des capacités de combat aériennes et navales : entre 300 et 350 avions de combat, autour de 80 bâtiments selon les estimations agréées par les experts militaires des Quinze.
Cet objectif est bien modeste, pourrez-vous penser. 60 000 hommes représentent peu de choses pour un ensemble de 350 millions d'habitants. Les experts évaluent plutôt le besoin à 80 000 hommes, chiffre nécessaire pour mener en même temps les quatre scénarios des missions de Petersberg. En fait le " réservoir des forces nécessaire ", c'est-à-dire prenant en compte les " cycles opérationnels " des unités est de 240 000 -. 230 000 hommes. C'est le quart des effectifs des forces terrestres des Quinze. Ce n'est pas négligeable. En effet, pour que 80 000 hommes jouent sur le terrain, il en faut autant près à les relever alors que 80 000 autres se reposent et se reconditionnent.
Pour atteindre cet objectif global, une " Conférence d'engagement des capacités " se tiendra à Bruxelles le 20 novembre. Ce sera un rendez-vous essentiel. Cette conférence, qui réunira les quinze ministres de la Défense, puis leurs homologues des Affaires étrangères, permettra de déclarer officiellement le niveau d'engagement de tous les Etats membres, afin d'honorer le " catalogue des forces " jugées nécessaires à la réalisation de l'objectif global, tel qu'il a été mis au point par les experts des capitales tout au long de l'été et de l'automne. Il s'agira, en résumé, de traduire notre objectif politique commun en une évaluation précise des besoins et une participation de chacun à l'effort collectif.
Avoir la capacité de décider, détenir les moyens pour agir, ce tableau ne serait pas complet si je ne mentionnais pas le troisième et dernier grand objectif de la présidence française : développer les outils d'une gestion civile des crises. En Albanie, en Bosnie, au Kosovo ou même au Timor, les opérations militaires se sont accompagnées d'actions d'assistance aux populations. Il faut chaque fois reconstruire, remettre sur pied une administration, permettre à la justice et à la police de fonctionner. Le succès de la PECSD résidera aussi très certainement dans la synergie entre le domaine militaire et le domaine civil, qui devrait constituer l'avantage comparatif de l'UE par rapport à n'importe quel autre acteur international. C'est pour être en mesure de remplir ces missions que les Quinze se sont engagés, en matière de police civile, identifiée comme première priorité lors du sommet de Feira, à fournir, d'ici 2003, jusqu'à 5 000 policiers pour des missions internationales, et à être en mesure de déployer jusqu'à 1 000 policiers dans un délai de trente jours. Cette force de police devra être en mesure d'exécuter aussi bien des opérations de maintien de l'ordre que des missions de conseil, de formation et d'assistance.
A travers ces trois objectifs, l'Europe de la Défense s'apprête à accomplir des progrès décisifs et, je l'espère, à relever les défis qui ne manqueront pas de surgir sur notre continent ou au-delà. Cette politique commune de sécurité et de défense procède, dans son élaboration comme dans son exécution, du Conseil européen, à qui il reviendra seul de décider. Le sommet de Nice marquera donc une étape particulièrement importante. Il y sera en effet pris acte des engagements concrets en matière de capacités, tout comme des besoins qui seront apparus et qu'il faudra combler ensemble.
Avant de conclure, je souhaite souligner que ce processus, dont j'ai esquissé devant vous les lignes de force, se veut transparent et ouvert. Transparent vis-à-vis de l'Alliance atlantique. Ouvert aux pays européens non membres de l'Union, candidats à l'adhésion ou membres de l'OTAN. Le sommet de Feira a permis de définir les principes et modalités des arrangements destinés à permettre aux membres européens de l'OTAN qui ne font pas partie de l'UE et aux autres pays candidats à l'adhésion de contribuer à la gestion militaire des crises conduites par l'UE. De même ont été définis les principes de consultation avec l'OTAN sur les questions militaires.
Pour terminer cet exposé, et me replacer pleinement dans le thème " Nouvelle Europe, nouvelles générations " qui anime vos débats cette année, je veux souligner combien la force de vie doit vous habiter pour donner au monde, à l'Europe, un rythme nouveau et fort. Je citerai la belle phrase d'un auteur italien du début de ce siècle qui trouvait que " chaque fois qu'une génération apparaît au balcon de la vie, il semble que la symphonie du monde doit attaquer un tempo nouveau" . Je souhaite que votre génération, qui a grandi dans une Europe globalement stable et en paix, profite de ce tempo nouveau que nous avons décidé de donner à l'Union européenne. Je crois profondément qu'il est de la responsabilité de l'Europe de se donner les moyens de faire face à l'instabilité du monde qui l'entoure, afin de se poser plus que jamais en garante de la paix et de la sécurité, valeurs que l'idéal européen porte en lui depuis un demi-siècle.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 20 octobre 2000)
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le secrétaire général,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que je suis venu aujourd'hui à Biarritz pour participer à l'Assemblée générale de votre association. Le ministre de la Défense Alain Richard m'a demandé de vous transmettre ses plus vifs regrets de ne pas pouvoir être ici aujourd'hui. Il m'a également chargé de vous dire toute l'importance qu'il accordait à des rencontres comme la vôtre : elles permettent évidemment de renforcer les liens entre les différents acteurs industriels européens, mais elles donnent aussi l'occasion d'échanges avec vos partenaires.
Je suis moi-même très heureux de cette occasion qui m'est offerte de vous exposer les grandes perspectives de l'action que les Etats européens mènent en commun pour construire l'Europe de la Défense, puisqu'il s'agit du thème de votre assemblée générale annuelle.
L'Europe de la Défense
Nous sommes tous conscients de vivre un moment historique. Pendant près de cinquante ans, l'Europe a été incapable de prendre en main collectivement sa propre sécurité. Or, depuis maintenant deux ans, les progrès accomplis sont spectaculaires.
Les objectifs et les moyens
Si nous parvenons à progresser ainsi, à franchir les obstacles les uns après les autres, c'est d'abord parce que nous savons ce que nous voulons tous ensemble. L'impulsion donnée par les conseils européens de Cologne, puis d'Helsinki, a été décisive, parce qu'elle a fixé des objectifs clairs. Nous voulons doter l'Union européenne des moyens et des capacités nécessaires pour mener une véritable politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. Les Quinze doivent donc être capables d'intervenir, avec ou sans recours aux moyens de l'OTAN, pour défendre leurs intérêts de sécurité communs et remplir l'ensemble de ce qu'on appelle les " missions de Petersberg ", définies dans le traité de l'UE : missions humanitaires et d'évacuation, missions de maintien et de rétablissement de la paix. Le choix de monsieur Solana, que je salue ici, comme Secrétaire général du Conseil et Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, marque cette ferme volonté de nos pays de faire aboutir rapidement ce processus.
C'est cet engagement politique des Quinze qui nous permet aujourd'hui de progresser rapidement pour nous donner les moyens pour agir. Ils ont eux-mêmes été définis au sommet d'Helsinki en décembre 1999 : nous voulons être en mesure, d'ici 2003, de déployer en 60 jours, pour une durée au moins égale à un an et hors du territoire de l'Union, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée, soit cinquante à soixante mille hommes.
Cette force doit être autonome, et notamment disposer de moyens propres de transport stratégique, de logistique, de contrôle et de renseignement.
Ces moyens ne seront réellement efficaces que si nous nous donnons également la capacité à décider. Nous avons donc également prévu à Helsinki de créer des organes politiques et militaires permanents, permettant une prise de décision rapide et efficace, indispensable pour la gestion des crises. Trois éléments seront mis en place : un Comité politique de sécurité, composé de représentants permanents des Etats, un Comité militaire, composé des Chefs d'état-major des armées ou de leurs représentants, et un état-major spécifique, préfiguré aujourd'hui par l'état-major du Corps européen.
Au Conseil européen de Feira, la Présidence française a reçu le mandat de progresser de manière décisive dans la mise en uvre concrète de ces engagements. Le programme qui nous a été confié est ambitieux, et c'est ce que nous souhaitions. L'état actuel de nos travaux permet d'être optimiste sur les résultats que nous exposerons au sommet de Nice en décembre
prochain.
Le catalogue de forces et l'engagement des capacités
Nous avons notamment beaucoup progressé dans le délicat travail de traduction en termes concrets, techniques, militaires, des objectifs de capacités fixés au niveau politique à Helsinki. Je salue la qualité du travail effectué dans ce domaine par l'Organisme politique intérimaire, mis en place en mars dernier, et qui préfigure le futur Comité militaire. Pour la première fois, des représentants militaires de nos quinze nations effectuent ensemble un travail de planification militaire, et le font de manière exemplaire.
Ce travail est soutenu par une volonté politique sans faille, qui s'est à nouveau manifestée le 22 septembre dernier lors de la réunion informelle des quinze ministres de la Défense à Ecouen. La prochaine étape sera la conférence d'engagement des capacités qui aura lieu le 20 novembre prochain à Bruxelles, à l'occasion de laquelle chaque Etat indiquera les contributions qu'il apporte pour permettre à l'UE d'atteindre l'objectif global et les objectifs collectifs de capacités.
La qualité des relations avec l'OTAN
Je voudrais également souligner la qualité de la coopération qui s'établit entre l'Union européenne et l'OTAN. Les experts de l'Alliance ont présenté des analyses très utiles sur le catalogue de forces, chaque fois que cela était nécessaire, et un climat de confiance se développe entre les deux institutions. Nous soutenions depuis longtemps qu'un renforcement des capacités propres des Européens moderniserait et équilibrerait l'Alliance, et je me réjouis de voir que ce raisonnement est aujourd'hui largement partagé, notamment par les Etats-Unis.
Le travail à " 15+15 " et " 15+6 "
Nous avons également beaucoup progressé dans les discussions avec les Européens qui n'appartiennent pas, ou pas encore, à l'Union européenne, et qui souhaitent pouvoir participer à la force européenne de réaction rapide. Ils sont appelés à proposer des capacités additionnelles, qui feront l'objet de deux réunions informelles à Bruxelles le 21 novembre, d'abord à " 15+15 " (c'est-à-dire avec les 6 Etats qui appartiennent à l'OTAN, mais pas à l'UE, et les 9 autres Etats candidats à l'adhésion à l'UE), puis à " 15+6 ".
Je crois donc que nous pouvons être fiers de la manière dont se construit aujourd'hui l'Europe de la Défense. S'agissant des industries européennes de défense, le bilan que nous pouvons dresser est lui aussi très positif.
L'industrie européenne de l'armement
La dimension industrielle doit en effet nécessairement accompagner la dimension politico-militaire, pour donner à l'Europe de la Défense le fondement technique et industriel qui lui est indispensable. Il est essentiel que nos forces soient durablement dotées des équipements qui leurs sont nécessaires.
La constitution de grands groupes européens
C'est pourquoi, dès décembre 1997, les chefs d'Etat et de Gouvernement français, britannique, et italien demandaient, dans une déclaration commune, une consolidation de l'industrie aéronautique et de défense en Europe. Deux ans et demi plus tard, le bilan est très largement positif : l'industrie européenne de défense est déjà une réalité. Elle a su se structurer autour de quatre grands groupes (BAe Systems, EADS, Finmeccanica et Thomson CSF), qui développent des liens importants entre eux et avec les industriels d'autres pays européens.
Nos groupes européens ont désormais la taille suffisante pour rivaliser avec les meilleurs mondiaux, en particulier les groupes américains, et pour financer de nouveaux projets technologiques ambitieux.
Les efforts des industriels français et européens doivent donc être salués. Ils ont été soutenus par les Etats concernés compte tenu de l'importance économique de ces secteurs pour l'Europe et de la spécificité des marchés de l'armement. Je vous rappelle d'ailleurs que le Traité de l'Union Européenne reconnaît cette spécificité par son article 296.
La LoI (Letter of Intent)
Ce soutien des Etats s'est également traduit en 1998 par la signature, par les six pays les plus concernés par ces questions, de la LoI (Letter of Intent), destinée à faciliter la création et la consolidation de ces grands groupes européens d'armement. Nous nous étions fixé pour objectif d'harmoniser et de simplifier les règles applicables aux industries de défense, notamment dans le domaine de la sécurité d'approvisionnement, des procédures d'exportation et de la sécurité de l'information.
Nous venons de franchir une étape importante dans ce processus : le 27 juillet dernier, les ministres de la Défense allemand, espagnol, italien, britannique, suédois et français ont signé à Farnborough l'accord-cadre qui met en uvre cette lettre d'intention. Il s'agit là des pays les plus concernés par l'industrie de défense, mais je tiens à souligner que ce traité est ouvert à tous les autres pays. Je note d'ailleurs le souci de plusieurs autres pays européens de renforcer leurs capacités industrielles de défense à travers des partenariats européens.
Enfin, j'attache une importance particulière à la contribution spécifique du tissu des PME-PMI. A l'instar des grands groupes industriels de la défense, elles sont également appelées à s'adapter au nouveau contexte européen. Elles jouent en effet un rôle tout aussi fondamental pour l'avenir de notre outil de défense, s'agissant notamment de sa capacité d'innovation et de son poids dans l'économie.
Les Etats européens ne se contentent pas de favoriser la restructuration de l'offre industrielle d'armement. Ils doivent s'attacher également à harmoniser leurs besoins et à coordonner leurs choix d'armement.
Le succès des programmes en coopération
D'ores et déjà, les succès récents en matière de programmes en coopération me semblent montrer le caractère mobilisateur de la politique décidée par les Etats pour constituer une Europe de la Défense.
Après le succès du Tigre en 1999, je citerai la décision de lancement de la fabrication en série de l'hélicoptère NH 90, par la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas.
L'ensemble des partenaires du programme A400M se sont prononcés lors du Salon de Farnborough le 27 juillet dernier en faveur de cet avion de transport militaire proposé par Airbus Military Compagny. Le lancement de ce programme constitue un pas décisif pour le développement de la politique européenne de sécurité et de défense : il crée les conditions de la formation d'une flotte européenne de transport commune et cohérente, susceptible d'être mise en oeuvre de façon optimale dans le cadre d'interventions coordonnées. Pour sa part, le Gouvernement français a manifesté son intention de commander cinquante exemplaires de cet avion. Une dotation en autorisations de programme concrétisera cet engagement dans la loi de finances rectificative pour 2000.
Le succès du programme de missiles air-air Météor renforcera l'interopérabilité des avions de combat européens. Enfin, en matière de capacités communes de renseignement, identifiées comme prioritaires au sommet d'Helsinki, la décision allemande de lancer un programme de satellites radar et celle de l'Italie de lancer un programme de petits satellites optique et radar à vocation duale complètent la capacité optique dont dispose la France avec Hélios.
Le rôle de l'OCCAR
Outre ces différents projets, certains Etats européens ont entamé une démarche globale pour gérer en commun leurs programmes d'armement. En 1996, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie ont créé l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement. L'OCCAR est appelé à devenir une véritable agence européenne de l'armement, intégrant l'ensemble des programmes en coopération, et à laquelle les Etats délégueront une part de
leurs prérogatives.
Les principes qui régissent le fonctionnement de l'OCCAR permettent une plus grande coordination et une meilleure gestion des projets qui lui sont confiés. L'abandon de la notion de " juste retour " industriel apprécié programme par programme, au profit d'un " juste retour " globalisé sur plusieurs programmes, représente par exemple un progrès important.
L'OCCAR opère aujourd'hui sa montée en puissance. En 1998, les Etats fondateurs ont décidé de la doter de la personnalité juridique, qui lui permettra de recevoir des engagements pluriannuels de la part des Etats et de passer en leur nom des contrats pour les programmes qui lui sont confiés. Elle a déjà intégré ses premiers programmes (missiles Hot, Milan et Roland, hélicoptère Tigre). L'OCCAR est d'ores et déjà un outil précieux pour faire émerger une politique d'armement cohérente au niveau européen. Cet organisme suscite de nouvelles marques d'intérêt de la part d'autres pays européens, notamment la Belgique, l'Espagne et les Pays-Bas.
La coopération euro-atlantique
Le développement des relations transatlantiques représente un autre enjeu important pour l'Europe en matière d'armement. Il ne s'agit pas de construire une " Europe forteresse ", mais au contraire de créer les conditions d'une coopération transatlantique équilibrée. Il faut à mon sens viser deux objectifs concrets : d'une part, obtenir une ouverture du marché américain, alors même que les groupes américains ont déjà accès aux marchés européens ; d'autre part, proposer aux Etats-Unis de mener de nouveaux développements technologiques en commun.
la dualité des industries aéronautiques et de défense
Pour conclure, je voudrais souligner l'importance de la complémentarité des applications civiles et militaires dans l'industrie aéronautique et spatiale. Cette forte dualité est l'une des grandes forces de cette industrie et la base de sa compétitivité.
Le rapport entre ces deux pôles a beaucoup évolué. Par le passé, le secteur militaire, majoritaire, a beaucoup contribué aux progrès du secteur civil. Aujourd'hui, ce dernier est un atout pour l'ensemble de cette industrie, comme le montre l'exemple de la société Airbus.
Il importe que le secteur de la défense continue à jouer un rôle moteur dans le développement de l'industrie aéronautique et spatiale. Il doit en particulier maintenir un important effort de recherche en matière militaire.
C'est la garantie du maintien du haut niveau technologique et donc de notre capacité à disposer des technologies nécessaires pour préparer l'avenir. Il s'agit là d'un domaine essentiel, dans lequel un approfondissement de la coopération au niveau européen sera très bénéfique.
Dans le domaine industriel comme dans le domaine politique, il reste donc du chemin à parcourir pour construire cette Europe de la Défense qui est un des grands projets d'avenir pour notre continent, sa stabilité, sa sécurité et son rayonnement. Mais nous pouvons déjà être fiers de la tâche accomplie, et confiants dans les progrès à venir.
Je vous remercie.

(Source http://www.defense.gouv.fr, le 20 octobre 2000)