Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la Constitution européenne, l'aide européenne au développement, la politique culturelle et audiovisuelle au niveau européen, et la construction de l'Espace européen de la recherche, à Paris le 16 juillet 2004.

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Circonstance : Ouverture des Journées du réseau français de coopération et d'action culturelle, à Paris le 16 juillet 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres, Chers Collègues,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Madame le Secrétaire perpétuel de l'Académie française,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureuse de retrouver les membres de notre réseau culturel et de coopération, dont j'avais pu apprécier le dévouement et la compétence dans mes précédentes fonctions ministérielles. Je suis venue aujourd'hui vous parler de l'Europe et de la dimension européenne de votre action.
Quelques mots, d'abord, sur la nouvelle Constitution de l'Union européenne, qui aura des répercussions sur les missions du ministère des Affaires étrangères et de notre réseau de coopération.
Cette Constitution, qui paraissait hors de portée il y a seulement cinq ans, est une réforme majeure des institutions pour permettre le fonctionnement de l'Union élargie. Elle est aussi la consolidation et la consécration d'un demi-siècle de construction européenne.
Elle marque l'affirmation d'une Europe politique. Une Europe politique, c'est d'abord une Europe incarnée par des hommes, le président du Conseil européen, le ministre des Affaires étrangères. Ce dernier cumulera les fonctions du haut représentant pour la PESC et du vice-président de la Commission chargé des relations extérieures, avec les moyens humains et financiers que cela implique : un service diplomatique européen sera créé, réunissant les services compétents du Conseil et de la Commission, avec la mise à disposition de diplomates et de fonctionnaires des États membres. Le réseau extérieur sera lui aussi reconfiguré.
L'Europe politique est aussi une Europe de valeurs. La Constitution lui donne une identité forte en formulant clairement les principes qui nous unissent et nous distinguent parfois d'autres modèles de société : valeurs de justice, de solidarité, d'égalité et de non-discrimination. La charte des droits fondamentaux est incorporée à la Constitution et voit ainsi sa portée politique et juridique renforcée.
Une des missions de notre réseau est de relayer et d'expliquer cette nouvelle réalité européenne. Vous n'êtes plus seulement chargé de promouvoir l'image de la France, mais aussi une certaine idée de l'Europe et de ce qu'elle représente dans le monde.
Cette dimension européenne est bien sûr prépondérante dans les pays de l'Union et les pays candidats. Après l'adhésion, le 1er mai dernier, de dix nouveaux États membres, notre souhait est que la Roumanie et la Bulgarie puissent rejoindre l'Union en 2007. Les négociations avec la Croatie s'ouvriront au début de l'année prochaine. D'autres pays des Balkans pourraient suivre. Reste le cas complexe de la Turquie, sur lequel le Conseil européen aura à prendre une décision en décembre prochain. Il nous faut, dans tous ces pays, développer une stratégie d'influence qui doit mobiliser l'ensemble de notre réseau. Ce sera le thème de la conférence des ambassadeurs, à la fin du mois d'août.
Hors d'Europe, notre souci doit être de mieux coordonner nos actions avec nos partenaires européens et la Commission. C'est vrai dans les pays ACP, où l'Union dispose de moyens considérables au titre du Fonds européen de développement (FED). C'est vrai en Méditerranée, où nous devons donner un nouvel élan au processus de Barcelone. C'est vrai en Asie et en Amérique latine, désireuses de nouer avec l'Union européenne des relations de partenariat plus étroites.
Je voudrais évoquer trois domaines d'activité qui vous concernent directement.
1) La politique de coopération et de développement. L'Europe est devenue l'acteur majeur de l'aide au développement dans le monde, avec plus de la moitié de l'aide publique au développement (APD), ce qui représente près de 30 milliards d'euros en 2003. L'aide gérée directement par l'Union européenne s'élève à environ 6,5 milliards d'euros en 2003.
Réciproquement, la France est l'un des principaux contributeurs à l'aide européenne. Elle est, vous le savez, le premier contributeur au Fonds européen de développement (FED). Au total, 25 % de notre aide publique au développement - soit environ 1,7 milliards d'euros - transitent par l'Union européenne. Sans doute sommes-nous arrivés à un point d'équilibre. Il ne me paraît pas souhaitable de promouvoir à l'avenir une nouvelle augmentation des crédits européens qui se ferait au détriment de nos moyens bilatéraux.
Nos objectifs sont de deux ordres :
- s'appuyer sur l'aide communautaire pour faire jouer un effet de levier et accroître l'efficacité de notre action ; cela implique évidemment une bonne coordination avec les mécanismes européens et, sur place, avec les délégations de la Commission ;
- être un acteur majeur du développement sur le plan européen - au regard des crédits très importants qui sont en jeu -, en influençant l'évolution des politiques. Cela doit déjà se traduire localement : il faut y consacrer du temps, et ne pas hésiter à avoir l'initiative pour orienter, le plus en amont possible, la stratégie déployée sur place par la Commission européenne. Cela doit devenir l'un des objectifs majeurs des postes.
2) La politique culturelle et audiovisuelle. Aujourd'hui, les programmes consacrés à la culture et à l'audiovisuel au niveau communautaire représentent environ 120 millions d'euros, soit 0,1 % du budget. La France est porteuse d'une plus vaste ambition pour l'Europe en matière culturelle. Nous avons, par exemple, beaucoup oeuvré pour que la diversité culturelle soit inscrite dans la Constitution. La France a présenté et diffusé, au début de cette année, un "mémorandum sur la coopération culturelle en Europe" dans lequel elle propose cinq priorités : la promotion de la diversité culturelle, l'amélioration et la sécurisation du financement de la culture, le soutien aux industries culturelles, la spécificité et l'ambition européenne en matière audiovisuelle, le renforcement des échanges culturels en Europe.
La France doit continuer à jouer un rôle d'impulsion en la matière, alors que les mois à venir sont porteurs d'enjeux décisifs :
- l'Union européenne est engagée dans un processus de négociations commerciales multilatérales sur la libéralisation des services à l'OMC. Le mandat de la Commission prévoit clairement la préservation des politiques culturelles et audiovisuelles. Il convient cependant de rester vigilant, notamment dans la préparation des accords bilatéraux, qui peuvent être l'occasion pour certains États de libéraliser leurs services audiovisuels.
- L'élaboration au sein de l'UNESCO d'une convention internationale sur la diversité culturelle est une priorité. Les négociations intergouvernementales se tiendront de septembre 2004 à juin 2005 en vue d'une adoption en octobre 2005.
- Sur le plan européen, des discussions vont s'engager pour la révision de la directive TVSF qui définit le cadre de régulation des services audiovisuels. Nous discuterons aussi bientôt de la redéfinition des programmes communautaires en matière culturelle et audiovisuelle (programmes MEDIA et culture) pour la période 2007-2013.
Dans ce contexte, notre réseau culturel doit se mobiliser et continuer à sensibiliser nos partenaires à nos positions : le mémorandum français doit par exemple être largement exploité, en particulier dans les nouveaux États membres, où de fortes pressions contraires s'exercent.
Il me semble également important de travailler, dans le domaine culturel, en coopération avec les réseaux de certains de nos partenaires. En tant que secrétaire générale pour la coopération franco-allemande, je suis par exemple très favorable aux expériences associant les réseaux culturels français et allemands.
3 ) J'évoquerai enfin la recherche et l'enseignement supérieur.
La construction de l'Espace européen de la recherche (EER) est un impératif pour renforcer la compétitivité de l'Union européenne, et représente un enjeu fondamental pour l'avenir de la recherche européenne. Elle est l'un des piliers du processus de Lisbonne visant à faire de l'Union européenne "l'économie fondée sur la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive au monde d'ici 2010".
Au cours de ces dernières années, les États membres de l'Union européenne se sont donc engagés à accroître la cohérence et la coordination de leurs politiques nationales de recherche, à mettre en réseau leurs projets et programmes de recherche afin d'atteindre la masse critique suffisante, de favoriser la mobilité des chercheurs et d'améliorer l'attractivité de l'Europe vis-à-vis des pays tiers.
L'Europe dispose pour cela d'une gamme d'instruments : le principal est le Programme Cadre de Recherche et Développement, le PCRD, qui sera revu en 2005 pour définir les priorités des années 2007/2013. Mais on peut également citer l'initiative Eurêka et les grandes infrastructures de recherche telles que le CERN ou l'ESA
Notre priorité doit être d'accompagner la construction de l'espace européen de la recherche, aux côtés du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Il nous faut systématiquement intégrer la dimension européenne dans l'élaboration et la mise en oeuvre de nos coopérations scientifiques et techniques.
Pour le réseau, cela doit se traduire par les actions suivantes :
- il faut soutenir nos coopérations bilatérales et permettre le développement de réseaux, qui permettent ensuite l'accès aux programmes européens ;
- il faut que les postes diplomatiques assurent la promotion de la mobilité des chercheurs (par exemple à travers les actions Marie Curie du 6ème PCRD), afin d'améliorer notre attractivité et de faire venir les meilleurs chercheurs mondiaux ;
- il faut favoriser l'ouverture de l'espace européen de recherche aux pays tiers, en mettant en valeur la France comme un point d'entrée possible. Cela nécessite une bonne concertation avec les délégations de la Commission européenne.
Ces actions concernent tous les postes, ceux d'Europe bien sûr mais aussi ceux des pays tiers. Je sais que le Département a mis en place un dispositif d'information et de sensibilisation à ces questions. Il faut l'exploiter au mieux.
La même logique doit guider notre action en matière d'enseignement supérieur universitaire : l'espace européen de l'enseignement supérieur doit rendre nos établissements plus compétitifs et plus attractifs et favoriser une plus grande mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs. Notre coopération bilatérale doit, là aussi, se mettre à l'heure européenne. Nous devons aider les établissements à acquérir une stature européenne et une crédibilité internationale.
Mon message, vous l'aurez compris, est le même dans tous les domaines d'action qui sont les vôtres. Il nous faut désormais "penser européen" de façon systématique. Je sais que, sur le terrain, la coordination avec la Commission ou nos partenaires européens peut être une source de frustration. Mais il nous faut persévérer dans cette voie, qui est la seule voie d'avenir. Avec la DGCID, je souhaite que la réflexion se poursuive sur les moyens de préserver l'identité de notre action bilatérale tout en contribuant à affirmer la présence de l'Europe.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juillet 2004)