Déclaration de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la politique gouvernementale de lutte contre les infections nosocomiales, Paris, le 20 janvier 2004.

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Circonstance : Colloque "Infections nosocomiales : quelle surveillance pour une meilleure prévention ?", Paris, le 20 janvier 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
J'ai tenu à ce qu'une Journée consacrée à la lutte contre les infections nosocomiales soit organisée par le Ministère et se déroule ici.
J'y attache une grande importance.
L'actualité récente a bien montré combien les infections nosocomiales étaient au coeur des préoccupations des Français.
Ces préoccupations, je les entends et je les comprends.
Reflet de la qualité de notre système de soins, enjeu important pour la sécurité et la confiance des usagers dans les établissements de santé, la lutte contre les infections nosocomiales est une priorité.
Entre 500 000 et 800 000 patients contractent chaque année une infection dans les établissements de soins français.
Une partie de ces infections particulièrement sévères, ou qui touchent des patients déjà fragilisés, est à l'origine de décès. Les infections nosocomiales contribueraient ainsi de façon directe au décès d'environ 4 000 patients par an.
C'est beaucoup et ce n'est malheureusement pas tout. A côté de ces décès, tragiques, il y a aussi l'invalidité et les séquelles, l'augmentation de la durée d'hospitalisation et bien sûr le coût engendré par ces infections.
Ces infections dont le poids pour la société est encore mal connu, insuffisamment évalué, sont parfois dévastatrices pour l'individu.
Celles qui surviennent après une intervention orthopédique peuvent ainsi entraîner de multiples hospitalisations et ré interventions chirurgicales, ainsi que des traitements antibiotiques souvent très lourds. Elles sont d'autant plus mal acceptées par les patients qu'elles sont contractées après une intervention dont l'objectif est souvent justement, d'améliorer le confort et la mobilité du patient.
D'autant moins bien acceptées aussi, que plus la médecine devient performante, plus l'attente des usagers est grande et moins l'échec est toléré.
Et pourtant, c'est aussi la performance et la technicité de la médecine qui va favoriser les infections contractées à l'hôpital. Il ne faut pas le perdre de vue.
Il faut lutter contre les infections nosocomiales mais sans jamais remettre en cause les acquis et les progrès de la médecine, sans renoncer à opérer les patients âgés ou à " risque ", à réanimer les personnes que l'on aurait condamnées il y a quelques années.
Et cela est possible ! Grâce à la prévention, la surveillance, et la transparence !
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Nous ne pouvons pas faire disparaître les infections nosocomiales, en tout cas pas dans un avenir très proche. Mais il est de notre devoir de tout faire pour les éviter grâce à des mesures de prévention appropriées.
Car beaucoup sont évitables, avec des mesures d'une simplicité parfois déroutante comme le lavage des mains ! dont l'efficacité a été démontrée il y a plus de 150 ans par Semmelweiss. Il souhaitait découvrir pourquoi de jeunes femmes décédaient quasiment systématiquement à la suite d'un accouchement, et comprendre pourquoi la mortalité était plus élevée dans l'un des 2 pavillons d'accouchement qui recevaient pourtant les mêmes femmes !
N'oublions pas qu'à cette époque, Semmelweiss s'était heurté à l'incrédulité et plus encore à l'hostilité des plus grands noms de la médecine, refusant de reconnaître qu'un acte qui devait donner la vie était capable d'entraîner la mort !
Aujourd'hui, la situation s'est transformée. D'immenses progrès ont été accomplis dans le domaine de l'hygiène. Mais le combat de Semmelweiss pour la performance, pour la transparence est toujours d'actualité !
D'immenses progrès ont également été accomplis en matière d'antibiothérapie et notamment d'antibioprophylaxie chirurgicale dont l'efficacité a été scientifiquement validée depuis plus de 20 ans. Mais là encore, les règles de bon usage sont insuffisamment appliquées. L'émergence de bactéries de plus en plus résistantes est un lourd tribut payé à notre consommation immodérée d'antibiotique.
Cette résistance des bactéries nous fait aussi comprendre combien, en matière de lutte contre les infections, les victoires sont fragiles.
Car nous avons affaire à un monde vivant qui s'adapte pour survivre, à notre environnement, à notre mode de vie, à nos pratiques médicales, à nos armes thérapeutiques et profite des moindres failles pour gagner du terrain.
Prévention, vigilance, surveillance s'imposent.
Des efforts importants ont été faits en France.
Ces efforts ont été possibles grâce à la mobilisation des professionnels, sous l'impulsion du ministère de la Santé, avec la mise en place des Comités locaux de lutte contre les infections nosocomiales en 1988 et depuis 1999 des équipes opérationnelles d'hygiène.
Grâce aussi à l'effort financier consenti : en 6 ans 68 millions d'euros (dont la création de 706 postes) ont été consacrés à la prévention des infections nosocomiales.
Grâce enfin aux Centres de coordination inter régionaux, et au Comité technique national des infections nosocomiales guidé depuis plus de 10 ans par son Président Jean Carlet auquel je souhaite aujourd'hui rendre hommage pour le travail accompli au moment où il en quitte la Présidence.
Un certain nombre de médecins et d'infirmières, s'impliquent fortement dans ces Comités et font preuve de beaucoup de mobilisation, de dynamisme et de créativité. Je souhaite aujourd'hui les en remercier. Jean Carlet fait indéniablement partie des pionniers et il peut être fier des résultats obtenus.
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Ces efforts ont en effet porté leur fruit et on permis à la France de se situer parmi les pays les plus avancés dans ce domaine.
L'enquête nationale de prévalence a montré que 6,9% des patients hospitalisés présentaient une infection nosocomiale en 2001. C'est encore trop, mais c'est moins qu'en 1996 et comparable à la plupart des pays européens les plus en avance.
Grâce aux réseaux des CCLIN nous disposons aussi d'enquêtes plus précises sur le taux de survenue des infections du site opératoire dans certains des hôpitaux, qui montrent là encore une tendance générale à la baisse.
Malgré les progrès accomplis, il persiste plusieurs défis que nous devons relever.
D'abord la lutte contre la résistance bactérienne.
La résistance bactérienne est en France une des plus élevée d'Europe, tant à l'hôpital qu'en ville.
Contre cette résistance, les mesures d'hygiène ne suffisent pas.
Les dernières enquêtes confirment le taux élevé de staphylocoques aureus résistant à la méticilline en milieu hospitalier (de l'ordre de 34 %).
La résistance bactérienne est préoccupante, car elle limite, et parfois même, annule nos possibilités thérapeutiques.
Vous le savez, cette résistance est directement liée à la consommation d'antibiotiques, qui est aussi, en France, une des plus élevées d'Europe.
L'effort initié pour améliorer la prescription des antibiotiques en ville, avec déjà des résultats nets sur la consommation l'hiver dernier (diminution de 10,2% soit 4,1 millions de prescriptions) sera poursuivi. Les mesures efficaces sont connues et seront mises en oeuvre.
Je veillerai à la mise en place d'une commission d'antibiotiques dans chaque établissement et à la désignation d'un médecin référent pour l'antibiothérapie comme le prévoit la circulaire de mai 2002.
La Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins doit me rendre compte de l'application de ces mesures, qui ont fait partie avec la prévention des maladies infectieuses virales et à prion, des priorités de santé publique en 2003 pour l'allocation des ressources par les directeurs d'ARH.
La maîtrise de la résistance bactérienne aux antibiotiques, qui repose à la fois sur le bon usage des antibiotiques et les mesures d'hygiène, fait désormais partie des 100 objectifs de la future loi sur la politique de santé publique. J'ai déposé un amendement en ce sens qui a été adopté au Sénat.
Le deuxième défi est de gagner encore du terrain sur les infections nosocomiales dans l'ensemble des établissements
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Pour cela nous avons besoin de plus de surveillance et plus de transparence !
Je crois fermement au rôle moteur de la surveillance des infections nosocomiales. Elle doit nous aider à suivre les progrès accomplis, identifier les problèmes, adapter les efforts et les moyens.
Nous disposons déjà de données de surveillance grâce aux différents CCLIN. Mais ces données d'incidence sont limitées à certains établissements, souvent les plus performants. Elles sont discontinues et trop confidentielles.
Elles ne me paraissent plus aujourd'hui à la hauteur des enjeux. Il faut pouvoir disposer d'outils de surveillance continus et réactifs de la survenue des infections nosocomiales les plus significatives au regard de la qualité des soins et des conséquences pour les patients, et ce dans la plupart des établissements français.
Je veux inciter tous les établissements à mieux connaître leur taux d'infection pour améliorer leur pratique, et à mieux diffuser l'information dans le cadre de contrats de transparence y compris avec les usagers.
J'ai demandé en mars dernier au Pr Gilles BRUCKER, Directeur de l'InVS de me faire des propositions dans ce sens et de concevoir un projet de tableau de bord des infections nosocomiales qu'il me remettra en février.
Un groupe d'experts a été mandaté par l'InVS pour sélectionner les indicateurs devant figurer dans ce tableau de bord. Le Dr Jean-Christophe Lucet vient de vous rendre compte de son travail.
Sans anticiper sur les conclusions du rapport que doit me rendre le directeur de l'InVS après concertation avec les usagers et en tenant compte des échanges de cette journée, et notamment de la table ronde, je souhaite évoquer un certain nombre d'items qui devraient figurer dans le tableau de bord.
Il devrait comprendre :
- des indicateurs sur les moyens engagés par l'établissement dans la prévention des infections nosocomiales, issus du rapport d'activité annuel des CLIN et retranscrits sous forme d'un score.
- des indicateurs sur les pratiques et en particulier la consommation de solution hydroalcoolique et la consommation d'antibiotiques pour 1000 jours d'hospitalisation, bons reflets des pratiques en matière de lavage des mains et de prescription antibiotiques.
Il comprendra aussi, et c'est le cur de ma commande à l'InVS des indicateurs de résultats. Je veux que tous les hôpitaux mettent en oeuvre de façon réglementaire la surveillance des infections du site opératoire, et qu'ils soient en mesure de produire les taux de certaines infections post opératoires cibles, si possible une par secteur d'activité chirurgicale.
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Le taux de staphylocoque aureus résistant à la methicilline rapporté à 1000 jours d'hospitalisation, bon reflet de la prévention des infections manu portées, mais aussi de la pression de sélection antibiotique, doit aussi faire partie des indicateurs de résultats.
Certains indicateurs pourraient être disponibles très rapidement. D'autres feront l'objet d'une phase de test en 2004 dans le cadre du projet "COMPAQH" (Coordination pour la mesure de la performance et l'amélioration de la qualité hospitalière) financé par la DHOS et l'ANAES.
Voilà pour la Surveillance et la Performance.
Notre troisième défi est celui de la transparence.
Je l'ai déjà évoqué !
La médecine évolue et parfois se métamorphose. Parmi les changements les plus importants survenus ces dernières années, il y a le rapport avec les usagers du système de santé. Le Sida, a, là comme ailleurs, bouleversé les choses.
L'information des usagers, leur participation comme acteurs à part entière du système de soins est un acquis irréversible.
C'est notre meilleure garantie pour conserver la confiance des usagers, pour éviter une judiciarisation de la médecine qui nuirait à son fonctionnement.
Nous devons veiller à mieux informer le public sur les risques infectieux liés aux soins et sur son droit d'indemnisation en cas de survenue d'une telle infection comme le prévoit la loi du 30 décembre 2002 que j'ai présentée et qui complète celle du 4 mars. Le dispositif d'indemnisation de l'alea thérapeutique est maintenant, vous le savez opérationnel.
Je veillerai à ce que toutes ces dimensions soient intégrées dans les orientations du futur CTIN et de son futur Président.
La lutte contre les infections nosocomiales est exemplaire car elle se situe au carrefour entre la prévention et la qualité des soins. C'est une de mes convictions les plus fortes que la politique de santé doit s'appuyer sur ces deux volets et que tous les efforts et progrès dans le domaine du soin ne suffiront pas à faire reculer la mortalité et la morbidité dans notre pays, s'ils ne sont accompagnés d'efforts et de progrès similaires dans le domaine de la prévention.

(Source http://www.sante.gouv.fr, le 23 janvier 2004)