Déclaration de MM. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire, Nicolas Jacquet, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, sur la politique industrielle de la France notamment à travers la politique contractuelle entre l'Etat et les collectivités locales, à Paris le 9 juin 2004.

Prononcé le

Circonstance : Débat d'actualité sur le thème "La France, puissance industrielle, une nouvelle politique industrielle par les territoires" au Conseil économique et social le 9 juin 2004

Texte intégral

M. le président.- Monsieur de Saint-Sernin va nous rejoindre pour être à vos côtés à cette tribune, afin que vous puissiez l'un et l'autre répondre aux questions qui vont être posées.
Monsieur le Ministre merci de vos propos dans lesquels nous avons trouvé la trace de bien de travaux que nous avons menés ici, je ne prendrai que le haut débit auquel vous faisiez allusion qui a entraîné les instructions du Président de la République et dont la genèse est partie de l'un de nos rapports et avis dont le rapporteur était M. Marcon dans cette même enceinte.
Chers collègues, nos débats d'actualité sont faits de questions, j'ai d'ores et déjà reçu la demande de l'intervention de M. Ghigonis du groupe des entreprises privées, mais je pense que c'est surtout en tant que Président de la section de l'action territoriale et de l'aménagement du territoire qu'il va intervenir.
M. Ghigonis.- En effet. Monsieur le Ministre, merci de vos propos. La section de l'aménagement du territoire du Conseil économique et social a apprécié le fait que vous et la DATAR aient abordé le problème de la puissance industrielle de la France par les territoires et aussi pour les territoires.
Votre approche et celle de la DATAR tendent à dédramatiser le problème de la désindustrialisation. Certes, il s'agit, je crois, comme vous d'ailleurs, Monsieur le Ministre, plus d'une mutation que d'une crise.
Les emplois industriels ont diminué dans des proportions importantes bien que la production soit restée pratiquement stable, en revanche, il faut dire que les emplois du secteur des services se sont très fortement développés et ceci a un rôle déterminant dans l'aménagement du territoire puisque cela permet aux PME, aux entreprises artisanales d'influer une activité à l'échelon du territoire.
Concernant l'industrialisation, la DATAR a proposé de favoriser des réseaux et la constitution de pôles de compétitivité. Cela peut être grâce à l'initiative des entreprises et aussi avec l'intervention de l'État ou des collectivités territoriales. Nous ne pouvons être que d'accord sur ces objectifs.
Le rapport souligne le rôle que les régions jouent déjà et peuvent jouer plus pour ce développement, mais nous émettons une remarque, si ce n'est une réserve, il n'est pas fait état dans le rapport du rôle des métropoles. Or, il est certain que celles-ci sont souvent des points d'articulation des réseaux et que l'industrie se développe dans les zones périurbaines.
Par ailleurs, le rapport n'évoque pas non plus l'interrégionalité alors que les réseaux dépassent toujours, ou presque toujours, le simple cadre régional et deviennent, comme vous l'avez dit, Monsieur le Ministre, nationaux, européens, voire mondiaux.
Ceci me conduit à vous poser une première question: ne doit-on pas impliquer les métropoles et intégrer la dimension interrégionale dans la relance de notre industrialisation ?
Par ailleurs, vous-même et le rapport de la DATAR font des propositions pour favoriser la constitution de pôles de compétitivité par le biais des transports, nous sommes d'accord avec vous, celui des technologies de communication, le Président Dermagne a rappelé les avis que nous avons émis en la matière, des aides financières et fiscales peut-être, mais j'insiste sur un point : la nécessaire simplification des formalités administratives et la coordination entre les instances de décision nationale et décentralisées qui, souvent, découragent les entreprises à s'implanter.
Enfin, je voudrais insister sur le fait que la contractualisation est un outil privilégié de mise en uvre des politiques partagées entre l'État, les collectivités et les acteurs économiques, aussi, Monsieur le Ministre, deuxième et dernière question : quel rôle pourra jouer cette nouvelle politique contractuelle entre l'État et les collectivités locales dans la promotion de notre système de production ?
Je vous remercie.
M. le Président.- Merci, Monsieur Ghigonis. Messieurs les Ministres, souhaitez-vous répondre ?
M. de Robien.- Monsieur le Président, avec votre autorisation, c'est Frédéric de Saint-Sernin qui répondra à la plus grande partie de cette question, je répondrai sur le volet contrat de plan.
M. de Saint-Sernin.- Nous ferons une réponse à deux voix.
D'abord, je voudrais me concentrer sur votre première interrogation: comment tenir compte des métropoles et de l'interrégionalité dans le cadre de notre politique économique ?
Le fait régional, vous le savez, constitue un acquis qui est en passe d'être confirmé par le projet de loi relative aux responsabilités locales. Cependant, il n'est pas exclusif de l'implication d'autres échelons géographiques ; les métropoles sont des acteurs incontournables d'une politique économique fut-elle régionale.
Cela est encore plus vrai dans la mesure où l'on évoque la question des pôles de compétitivité, ce qui est parfaitement clair dans le rapport de la DATAR compte tenu du rôle des grandes fonctions métropolitaines dans l'attractivité des territoires : transport, logement, enseignement, culture, etc.
Le rapport de la DATAR auquel nous faisons référence " Pour un rayonnement européen des métropoles françaises " publié lors du denier CIADT du 18 décembre 2003 y faisait référence. La suite des travaux sur les pôles de compétitivité le confirmera.
L'approche de ce sujet à une échelle interrégionale doit s'appréhender différemment, l'interrégionalité répond d'abord à un besoin de vision de long terme sur des enjeux structurants, le développement économique ou la recherche, enseignement supérieur en font partie.
L'action interrégionale se place donc prioritairement sur le plan de la prospective et de l'aide à la prise de décision stratégique.
La DATAR a ainsi déjà soutenu des travaux au plan interrégional. Cette action sera poursuivie, car je pense qu'elle est utile pour éclairer en amont les décisions.
L'approche interrégionale ne peut bien sûr pas être systématique, elle dépend évidemment des volontés de coopération s'agissant notamment des compétences économiques.
Elle mérite d'être soutenue quand elle se place dans une stratégie de filière à l'instar de ce que l'on a vu en Alsace et en Franche-Comté dans le secteur automobile, je pense à la Conférence des régions périphériques maritimes dite CRPM. L'interégionalité s'exprime dès aujourd'hui plus naturellement sur d'autres choses, je voulais faire référence aux massifs ou à la politique de bassin, par exemple.
Je laisse Gilles de Robien compléter votre deuxième interrogation.
M. de Robien.- Je voudrais répondre sur l'état d'avancement des contrats de plan et en même temps sur le rôle que nous voulons leur voir jouer.
J'ai quelques chiffres ici, car on dit beaucoup de choses sur les contrats de plan et sur leur retard. Leur retard est réel, on ne peut pas cacher cela, mais ce n'est pas une particularité du gouvernement actuel. Fin 2003, c'est-à-dire 4 ans après la signature des contrats de plan, pour un stade d'avancement théorique de 57 %, nous étions à 46. Déjà en 2002, pour un stade d'avancement théorique de 42 %, nous n'en étions qu'à 35 %. Vous voyez à quel point les contrats de plan prennent un certain retard.
Ce n'est pas de la mauvaise volonté, mais par le fait de procédures qui sont de plus en plus longues, par le fait quelquefois de recours qui sont de plus en plus nombreux, hélas, et puis aussi par le fait de la conjoncture économique, là j'en viens à la 2ème partie de ma réponse.
On a connu en 2002 et en 2003 comme beaucoup de pays, je crois la quasi-totalité des pays européens une crise économique grave qui a alourdit à la fois certaines dépenses publiques, je pense à la montée du chômage qui a alourdit les dépenses sociales, et c'est normal, car c'est aussi le rôle de l'État d'agir au moment où il y a des difficultés particulières, mais en même temps comme il y a eu moins de croissance, il y a eu moins de recettes, et ces recettes qui n'ont pas cru aussi vite que certaines de ces dépenses ont provoqué ce que l'on peut appeler un " effet de ciseaux ", ce qui fait que les finances de l'État ont été très difficiles et tendues.
Malgré ces contraintes essentielles et des efforts indispensables, on a maintenu un certain rythme d'engagement global à peu près similaire, d'ailleurs, à celui qui était mis en uvre par le précédent gouvernement dans une période beaucoup plus faste en matière de croissance, reconnaissons-le, et on n'a pas eu, malheureusement, le moyen de rattraper le retard en 2002 que je vous ai cité et qui avait commencé largement en 2001 et en 2000.
Quant aux contrats de plan, il faut affirmer, je pense, qu'ils sont un des volets essentiels de la politique d'investissement, d'une part parce qu'ils soutiennent l'économie, c'est évident, mais en outre parce qu'ils préparent l'avenir, et c'est peut-être encore plus important. C'est pourquoi le gouvernement mettra tout en uvre pour mener à bien les contrats de plan. La capacité à rattraper l'énorme retard accumulé au cours des années précédentes par le précédent gouvernement ou par nous-mêmes dépendra évidemment du niveau de croissance de l'année 2004, de l'année 2005 et des années suivantes, mais en tout état de cause les investissements contractualisés seront révisés, je voulais en tout cas le dire ici, l'affirmer de façon solennelle.
M. le président.- Merci, Monsieur le ministre. La parole est à Mme Monrique au nom du groupe de la CGT-FO.
Mme Monrique.- Merci, Monsieur le président, bonjour, Monsieur le ministre. Je crois qu'ici, au Conseil économique et social, nous avons tous envie que la France rayonne, que la France réussisse, que la France progresse à travers son industrie mais aussi à travers ses salariés. C'est tellement évident ! Pourtant en 2003 l'industrie française a enregistré la disparition de trente-trois mille postes, trente-trois mille postes qui apparemment n'ont pas été compensés par une création dans le secteur des services. Aussi le débat entre désindustrialisation et mutations industrielles ne doit masquer ni l'absence de projets industriels de l'Union européenne ni l'effet des délocalisations, et vous en avez largement parlé, des entreprises qui décident de leurs déplacements en se basant entre autres sur le faible coût de la main-d'uvre ou excellent les économies émergentes telles celles du Sud-Est asiatique et de la Chine notamment.
Ne pensez-vous pas, Monsieur le ministre, qu'il serait temps de s'interroger sur le processus de déréglementation permanente qui accompagne cette mondialisation et de faire en sorte que les normes fondamentales de l'OIT - rien que cela simplement déjà ! - deviennent une exigence des conditions d'ouverture de marchés ?
D'autre part, il est notoire que la recherche et l'innovation participent au développement économique, donc à la croissance et à la création d'emplois. La logique du financement de cette politique susceptible de garantir l'existence d'un tissu industriel ne devrait-elle pas être considérée comme un investissement à long terme et isolé des contraintes liées au pacte de stabilité et de croissance pour élaborer un plan de recherche-innovation à la hauteur des enjeux ?
M. de Robien.- Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, je ne pense pas avoir la prétention de répondre à la totalité de vos questions sur les délocalisations. Non seulement c'est un domaine extrêmement sensible et souvent douloureux mais en même temps les réponses sont multiples et multiformes. Je le dis avec force car certains discours parfois pourraient laisser entendre qu'une loi interdisant les délocalisations aboutirait au maintien des emplois des entreprises, je crois que cela aboutirait à la fuite des entreprises et à la fermeture de l'arrivée de nouvelles entreprises, et quand on parle des délocalisations on parle bien sûr (c'est le ministre des transports qui vous parle) du train qui arrive en retard ; on oublie souvent de parler aussi des entreprises qui arrivent, des entreprises françaises ou étrangères qui se développent dans notre pays.
J'ai un exemple que j'aime bien citer depuis huit jours : dans ma ville, que certains conseillers connaissent bien, j'étais au volant de ma voiture, en respectant les limitations de vitesse et la signalisation, et j'entendais les grandes chaînes de radio parler d'entreprises qui perdent des emplois dans le Sud-Ouest, et j'en étais malheureux, comme tout le monde. La veille j'avais annoncé en intercommunalité qu'une entreprise dans cette ville allait créer cent cinquante emplois. Hélas, je n'ai jamais entendu parler sur les chaînes de radio de l'arrivée de cette entreprise avec cent cinquante emplois dans ma ville ! Les événements malheureux rendent tout le monde triste mais il se trouve que les événements heureux ne sont pas mis en valeur dans notre pays. C'est un peu aussi le sentiment du déclin, et c'est contre ce sentiment qu'il faut lutter, car lutter contre ce sentiment du déclin crée des emplois, j'y crois profondément. L'optimisme génère de l'optimisme, l'optimisme génère de la croissance et de la créativité, et quelque part aussi de l'emploi.
Mais je suis bien conscient en tout cas de l'impact sur nos concitoyens des délocalisations d'entreprises vers des pays où le coût de la main-d'uvre (j'y ai fait allusion) est moins élevé qu'en France et plus généralement en Europe occidentale, et il y a des pays entrants, notamment, qui offrent aujourd'hui des opportunités de délocalisation d'entreprises dans l'Europe occidentale qui sont tentantes, et dans la ville à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure il y a quelquefois des entreprises qui emportent une partie de leur production actuelle vers des pays de l'Europe entrante ; je vais le dire ainsi si vous voulez bien.
Alors je crois que la première et la meilleure réponse aux délocalisations est de savoir mettre en valeur les atouts formidables de notre pays. Cela ne veut pas dire que c'est un capital immuable, mais déjà sachons mettre en valeur ensemble les atouts formidables que possède notre pays : évidemment un tissu économique assez exceptionnel, avec les possibilités de partenariat qu'il représente, et qui à mon avis sont encore aujourd'hui sous-développées, qu'il s'agisse de la qualité des infrastructures, qui sont le résultat de décennies et de décennies de travaux, d'initiatives prises par de multiples gouvernements, des infrastructures que chacun considère comme uniques probablement sur le monde, sur un territoire comme celui-là. J'ai le témoignage du Vice Premier ministre chinois ce matin au ministère que j'ai la chance d'occuper actuellement. Il disait: " Voilà, je viens en France et dans ce ministère parce qu'on sait que la France a un système de transports tout à fait exceptionnel ". Entendre cela d'un n° 2, 3 ou 4 du pays le plus nombreux sur la planète, cela ne fait pas seulement plaisir, cela remet aussi les idées à leur juste place.
Donc les infrastructures de notre pays sont exceptionnelles, il faut savoir le dire à l'extérieur, et quand on va à l'extérieur on n'a pas besoin de longs discours pour s'en rendre compte directement et concrètement. La qualité de ces infrastructures sera aussi améliorée dans les années suivantes, parce que le CIADT du 18 décembre a non seulement décidé trente-cinq ou trente-six grands projets d'infrastructures, mais aussi d'apporter en face les financements pour crédibiliser ces annonces avec un programme exceptionnel qui a été annoncé, qui est donc financé. Mais surtout, et cela est souvent reconnu par les entreprises qui viennent en France, il y a la qualité du savoir-faire français, la qualité de la main-d'uvre française avec son niveau de qualification.
Certes il y a des disparités de qualification, des disparités géographiques et des inadéquations entre le savoir-faire et la demande du jour ou la demande de l'année. Sachons être plus pertinents en effet dans la réactivité entre l'offre d'emploi et l'offre de formation.
Enfin tous ces atouts, nous devons (je dis " nous ", et quand je dis "nous " je pense à l'ensemble des forces vives de la nation) savoir à la fois les développer et les faire valoir. C'est tout l'objet de la campagne, d'ailleurs, qu'a lancé le Premier ministre à la Baule il y a maintenant une dizaine de jours sur l'attractivité du site France. Nous avons un énorme effort de promotion à faire ensemble.
M. le président.- La parole est à M. Naulin, président du groupe de la CFTC.
M. Naulin.- Monsieur le ministre, tout à l'heure vous avez parlé de la production qui s'est maintenue à un bon niveau, 20 % du PIB, mais vous avez aussi signalé que l'emploi avait baissé. Quatre-vingt-dix-huit mille six cents pertes d'emploi, je crois que dans le secteur industriel, en un an, c'est beaucoup.
Vous avez signalé que la France pouvait faire mieux en fédérant ses forces vives, forces industrielles, et notamment en développant la logique de coopération locale. Vous disiez que un plus un, cela peut fait plus de deux en matière de production mais en matière d'emploi, 100 %, cela fait moins de 200 !
Et que fera l'État, Vous avez signalé que le droit à la compétitivité de chaque territoire devrait être développé. Or les aides ne sont généralement pas ciblées sur des secteurs particuliers ; il s'agit plutôt d'aides générales, d'aides fiscales ou d'aides à l'investissement. La question que je voudrais vous poser est la suivante : quelles mesures concrètes l'État est-il prêt à mettre en uvre pour que les conséquences des mutations des salariés ne soient pas des pertes d'emplois ou bien pour qu'au niveau des conséquences pour les salariés, ils puissent bénéficier d'une part dans la répartition de la richesse produite.
M. le président.- Merci. Monsieur Jacquet, voulez-vous répondre vous-même ?
M. Jacquet, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale.- Monsieur le président, Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les conseillers, si vous m'y autoriser je voudrais présenter quelques transparents pour éclairer le message à partir de cette question qui est, en fait, quelle politique peut-on imaginer pour accompagner des pôles de compétitivité ?
Nous avons trois types d'industrie qui correspondent à trois générations d'industrie. Chacune pèse environ un million cinq cent mille salariés. Nous avons des industries anciennes, traditionnelles (textile, habillement, métallurgie), des industries plus modernes (chimie, mécanique, équipements électriques, électroniques) et puis une troisième catégorie plus récente qui comprend aussi bien l'agroalimentaire que les composants électriques et électroniques, la parfumerie ou la pharmacie.
Si l'on regarde ce tableau, on voit les évolutions entre 1999, 2001 et 2003 dans la plupart de ces secteurs et on observe dans ces trois familles, des chutes d'emplois qui peuvent être constantes depuis 1999, et des chutes très fortes par exemple dans l'habillement et le cuir (moins dix mille emplois par an depuis 1999), c'est tout à fait considérable. Les chiffres sont les mêmes en 2002 2003.
On voit parallèlement que dans d'autres secteurs, comme par exemple les équipements électriques et électroniques, on passe de moins mille par an à moins dix mille par an en 2002-2003. C'est clairement l'éclatement de la bulle des nouvelles technologies et avec beaucoup de pertes d'emploi sur nos territoires.
On voit parallèlement dans la troisième génération, les industries agroalimentaires, que c'est la première industrie française avec cinq cent quatre vingt cinq mille salariés dans les IAA ; c'est quelque chose de tout fait considérable. On note que malgré l'absence de croissance en 2002 et en 2003, ce secteur a continué à gagner de l'emploi.
Donc à partir de cela, la question est bien évidemment: quelle politique conduire pour accompagner en quelque sorte le développement de notre industrie ?
Nous constatons cette inadéquation que M. le ministre a exprimée tout à l'heure entre notre outil industriel et notre outil de recherche. Sur cette carte, la taille des ronds, c'est l'emploi industriel, et la couleur plus c'est sombre, c'est le poids de la recherche. On voit qu'il y a des régions qui sont fortes en industrie, par exemple, la région Midi Pyrénées, mais parallèlement avec un décalage avec la région voisine où il n'y a pas le même le poids en termes de recherche. Il y a plus de recherche en Midi Pyrénées qu'en Aquitaine, alors même que le poids de l'industrie est à peu près identique.
Nous avons donc essayé de croiser dans les différentes régions françaises ce qui ce qui est industriel et ce qui est recherche. Cette carte me semble tout à fait intéressante car elle montre vers le haut le poids de l'industrie de chacune des régions françaises, vers la droite, le poids de la recherche, du potentiel scientifique et technique, et le rond, c'est la capacité des entreprises à travailler ensemble. Et on voit que l'Ile de France et Rhône-Alpes sont complètement en tête de la bataille, parce que c'est là sans doute où l'on arrive à la fois à avoir une forte industrie, une forte recherche et une forte capacité à travailler ensemble.
A partir de cela, le rapport de la DATAR met sur la table du Gouvernement un certain nombre d'axes pour répondre très précisément à votre question. C'est d'abord identifier des pôles de compétitivité, savoir où ils sont, on ne les invente pas, on ne les crée pas par un décret ou par une loi, c'est la réalité économique qui fait de ces pôles des éléments capables de revitaliser avec d'autres pôles européens ou internationaux. C'est le fait d'encourager les entreprises à mutualiser un certain nombre de fonctions. A l'exportation, cela paraît tout à fait évident : vingt PME qui se rassemblent pour travailler et exporter c'est le moyen de minimiser les coûts de l'exportation.
Mais on peut aller plus loin à partir une série d'exemples étrangers comme dans le domaine de l'équipement de production. Une machine très coûteuse et que l'on a besoin d'utiliser peu de temps par an peut être mutualisée entre dix, quinze, vingt entreprises. Nous avons une série d'exemples qui montrent que cela marche. Donc le fait de mutualiser, de mettre en réseau des entreprises permet de gagner en compétitivité ce que nous ne pouvons pas gagner sur le plan des coûts salariaux ou de la fiscalité.
C'est le fait parallèlement de trouver la meilleure adéquation possible entre l'industrie, la recherche et l'enseignement.
Y a-t-il des moyens spécifiques ? C'est vrai que la question a été posée. Il y a un problème de localisation de nos outils d'aide aux entreprises mais nous pourrions réfléchir aux moyens d'inciter les différentes structures, l'ANVAR et bien d'autres, pour qu'elles accompagnent en quelque sorte les pôles de compétitivité.
Une série de réflexions peuvent être développées en la matière. Dans ce couple industrie-recherche-université, on peut citer l'exemple de Shifta situé en Suède, à côté de Stockholm, une fondation créée entre les entreprises, les universités et les collectivités locales, présidée par le maire Stockholm. Cette fondation réunit chaque semaine son conseil d'administration et les uns et les autres réfléchissent aux moyens d'améliorer la compétitivité de ce pôle qui est tourné vers les nouvelles technologies, le haut débit, la téléphonie mobile, l'université qui a été greffée avec trois mille cinq cent étudiants aujourd'hui, dix mille d'ici quelques années et l'ensemble marche du même pas pour construire une compétitivité qui permette de rivaliser avec les autres grands sites dans le monde. Il y a ainsi une série d'idées qui peuvent être mises en avant.
Il y a bien sûr le rôle de l'Europe, le rôle des régions, le rôle des métropoles, bien évidemment le volet des transports. Un certain nombre de pistes ont été présentées pour proposer des orientations et il appartient au gouvernement de les retenir ou non.
M. le président.- La parole est à M. Bury au nom du groupe de la CFDT.
M. Bury.- Monsieur le président, Messieurs les ministres, Monsieur le délégué, il est bon de souligner que le concept de pôle industriel ne renvoie pas seulement à l'État mais à l'ensemble de la collectivité nationale.
Le rapport de la DATAR est très intéressant sur ce point, en privilégiant notamment le développement endogène visant à réduire le déficit de culture entrepreneuriale de notre pays.
Au moment où plusieurs outils de politique publique fondent comme beurre au soleil, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire un peu plus sur les nouveaux leviers qu'il conviendrait de mettre en place pour doter la puissance publique tant nationale qu'européenne permettant de relever les défis industriels d'aujourd'hui et trouver les moyens de financement à la hauteur de ces enjeux ?
S'agissant de ma deuxième question, je prolongerai le propos de notre président de section, M. Ghigonis sur l'importance des métropoles, véritable moteur de croissance qui doivent être le pivot d'une politique d'aménagement du territoire innovante et au cur de la nouvelle problématique contractuelle.
Le document de la DATAR milite pour l'émergence de pôles de compétitivité; comment voyez-vous l'articulation, voire la gouvernance de ces pôles, avec le développement des métropoles dans notre pays ? Merci.
M. le président.- Messieurs les ministres, qui souhaite répondre ?
M. de Robien.- Monsieur le président, avec votre autorisation, tous les deux, et l'un après l'autre. Je voudrais répondre à M. Bury, qui a posé une double question, d'abord sur les pôles de compétitivité et sur le rôle des métropoles.
Concernant la première question, et comme votre assemblée, d'ailleurs, le Gouvernement a lu avec une très grande attention le rapport de la DATAR et les nombreuses réactions, d'ailleurs très positives, que ce rapport a suscité. Il écoute toutes les propositions d'actions qui peuvent émerger de ce débat et que la DATAR, mais aussi les partenaires, lui ont faites. Nous serons donc évidemment très attentifs à l'avis de votre conseil.
Cela confirme une chose : notre pays doit, dans son ensemble, aller dans le sens d'une promotion et d'un développement des pôles de compétitivité. Nous en sommes persuadés, je vois des élus, nombreux dans la journée, qui viennent me confirmer combien ils sont intéressés par ce concept.
J'ai d'ailleurs proposé au Premier ministre, qui l'a accepté, que l'on organise un séminaire gouvernemental sur le sujet très prochainement pour pouvoir annoncer les orientations du Gouvernement lors d'un prochain comité interministériel à l'aménagement du territoire qui pourrait se dérouler cet automne.
Concernant les dispositifs européens -vous avez raison de souligner que ce sujet est aussi un sujet européen, et peut-être avant tout, maintenant, un sujet européen-, la commission a récemment proposé des orientations sur la réforme des aides à finalité régionale. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de m'exprimer longuement à Bruxelles sur le sujet pour donner la position de la France.
Je peux vous dire que le Gouvernement sera particulièrement vigilant sur la place réservée aux pôles de compétitivité dans le cadre de cette réforme. Nicolas Jacquet peut, si vous le souhaitez, compléter mes propos sur le sujet et entrer plus dans le détail des propositions de la DATAR.
Frédéric de Saint-Sernin est plus à même de répondre à la seconde question.
M. de Saint-Sernin.- Merci, Monsieur le président.
Je voudrais développer la thématique qui concerne la spécialisation des territoires en saluant M. Bury et son rapport -que nous avons lu- qui concerne le renforcement du rôle des métropoles. J'aborderai le sujet en question au travers de quatre points.
Tout d'abord, la spécialisation sur un métier ou une technologie confère un avantage certain pour le développement des territoires. Elle facilite la mutualisation par les entreprises productrices de ces territoires, des ressources humaines, des moyens productifs, de la recherche, des moyens de connaissance sur la situation des concurrents, sur des réseaux commerciaux etc.
Un territoire où domine par exemple l'activité du travail des métaux a intérêt à disposer d'écoles et de centres techniques orientés sur des métiers en capacité de répondre rapidement aux besoins des entreprises, et j'ai de ce côté-là en tête toute une série de sujets.
A propos du deuxième point qui me paraît important pour ce qui concerne la spécialisation des territoires, je veux simplement dire que spécialisation n'est pas synonyme de mono industrie. Nous en avons suffisamment souffert dans le passé.
La spécialisation des territoires recherchée aujourd'hui doit savoir éviter les écueils d'une mono industrie dans la forme selon laquelle elle s'était développée dans les décennies passées. Tout à l'heure, le délégué de la DATAR citait la situation du cuir, de l'habillement et de la chaussure; je suis dans une région où nous avons perdu en dix ans plusieurs milliers d'emplois de par la mono industrie de la chaussure, donc nous savons de quoi nous parlons et nous avons en tête d'autres bassins qui ont beaucoup souffert ; je pense aux bassins textile et sidérurgique - j'étais encore en Lorraine il y a une quinzaine de jours -.
Ces bassins ont surtout souffert d'un manque d'anticipation sur l'effet de l'ouverture de l'économie à la concurrence internationale. Ils ont très souvent souffert de l'absence de coopération interentreprises, contrairement, d'ailleurs, à d'autres pays - je pense en particulier à l'Italie du nord -.
Troisième point sur lequel je voudrais insister: la spécialisation telle qu'elle est préconisée aujourd'hui doit porter en elles les germes d'une diversification du tissu économique. Ce résultat peut être obtenu quand la spécialisation va de pair avec une forte coopération interentreprises et des liens renforcés avec les organismes de formation et de recherche.
Dans une économie de la connaissance, ce qui est primordial, pour les entreprises comme pour les territoires, c'est l'appréhension des évolutions du marché mondial, la recherche permanente d'innovations : produit, process, innovations organisationnelles etc.
Celles-ci doivent conduire à mettre en permanence de nouveaux produits sur le marché et chercher à attirer de nouveaux clients, donnant ainsi une compétitivité globale aux territoires. La qualité des territoires constitue un facteur d'attrait pour les entreprises extérieures, ce qui contribue à la densification et au renouvellement du tissu économique.
Le dernier point sur lequel je voudrais insister concerne la politique du Gouvernement en faveur des pôles de compétitivité, on l'a évoqué. Nous voulons promouvoir, à l'instar de nombreux pays bien placés dans la compétition économique, une politique d'appui à des territoires spécialisés selon ce modèle à travers une politique de pôles de compétitivité. Cela ressort bien dans le rapport de la DATAR.
De nombreux territoires ont déjà montré la voie. Je ne voudrais pas entrer dans le détail, mais j'ai en tête celui de Cluses (Vallée de l'Arve), spécialisée dans le décolletage, la vallée de la Bresles en Haute-Normandie, pour le flaconnage.
A ces bassins industriels qui existent d'ailleurs depuis plusieurs générations s'ajoutent des territoires qui s'organisent sur de nouvelles activités en développement : j'ai l'exemple de l'activité de loisirs avec le cluster glisse à Biarritz, et j'ai aussi l'exemple de la microélectronique en PACA sur le bassin d'Aix-Rousset.
Voilà quelques éléments que je voulais apporter.
M. le président.- La parole est à M. Ailleret, président du groupe des entreprises publiques.
M. Ailleret.- Merci, Monsieur le président.
Messieurs les ministres, Monsieur le délégué, on dit souvent que, pour un pays développé comme la France, le potentiel de croissance du PIB tient peut-être pour moitié au volume de recherche-développement-aide à l'innovation accumulé depuis une quinzaine d'années. Il est certain que la recherche fondamentale, la recherche technologique, la recherche appliquée et l'aide à l'innovation et au développement constituent un système dont toutes les composantes doivent être soutenues, complémentaires, efficaces et fortes.
Quand on regarde la situation en France de l'innovation, l'apparition de start-up, la création de nouvelles entreprises, on est tout de même très frappé par la complexité et par la dispersion des moyens d'aide aux entreprises, qu'il s'agisse d'expertise ou de financement.
Ma question est la suivante: tout en affirmant le rôle régional, comme vous l'avez fait, avez-vous l'intention de simplifier ce système pour lui donner plus de lisibilité, pour réduire les coûts d'action pour les entreprises, en particulier les plus petites entreprises, avec de ma part le sentiment que l'ANVAR, qui est un pôle solide et efficace, pourrait constituer un très bon support pour une restructuration ? Merci.
M. le président.- M. Jacquet est délégué par M. de Robien pour répondre à cette question.
M. Jacquet.- Monsieur le président, messieurs les ministres, la question est à la fois complexe et au cur de notre sujet. La question que nous nous posons est de savoir ce que sera l'économie de demain. Est-ce que nous sommes en mesure de rivaliser avec un certain nombre d'autres pays dans le monde qui peuvent produire de la grande série à très bas coûts ?
Vraisemblablement, non. L'avenir de notre industrie - et tout le rapport de la DATAR essaie de montrer, en quelque sorte, une foi dans l'industrie -, l'avenir de notre économie passera vraisemblablement par des produits à haute valeur ajoutée, intégrant beaucoup de recherche et beaucoup d'innovation, donc la problématique est bien d'arriver à intégrer dans le processus industriel plus de recherche et plus d'innovation.
Le premier élément, le premier levier, est d'abord que les entreprises arrivent à travailler plus entre elles. Nous avons un exemple dans le Lot-et-Garonne, où vient d'être créé l'institut de la Garonne, qui fait travailler ensemble trois grands laboratoires pharmaceutiques qui mettent en commun un certain nombre de moyens, principalement dans le domaine de la formation -il n'y a d'entreprises que d'hommes- et le fait d'aller plus loin dans le domaine de la formation est sans doute quelque chose qui dépasse l'entreprise individuelle et qui concerne les entreprises en réseau.
C'est parallèlement le fait de mettre en moyens un certain nombre de capacités de recherche. Il y a des exemples où des structures communes mises en place, notamment par les collectivités locales, permettent de mutualiser des capacités de recherche. Autant une entreprise doit mobiliser toute son énergie pour, par exemple avoir le chercheur, autant est-ce à l'entreprise de financer "la paillasse" ? Dans le domaine des industries agroalimentaires, beaucoup de contrôles, beaucoup d'interventions nécessitent des moyens en termes de laboratoires. Le fait de mutualiser des équipements, tout en gardant à l'intérieur de l'entreprise ce qui est fort et important en termes d'innovation et de création, peut constituer une sorte de partage des rôles.
Parallèlement, il faut aussi mobiliser des structures comme l'ANVAR, des dispositifs fiscaux. Il existe les crédits impôt-recherche qui sont un outil à développer. L'on rencontre des difficultés aujourd'hui avec Bruxelles pour faire prospérer cet outil. Mais ce pourrait être un outil pour nos pôles de compétitivité.
Il y a plein d'autres choses comme, par exemple, le droit de propriété. C'est un vrai sujet. En Suède, il existe un système législatif qui prévoit la "teatcher exception." Un enseignant-chercheur est propriétaire à 100 % de son invention. L'université finance la création de l'entreprise par le chercheur et les industriels développent le projet. Il y a toute une série d'idées qui pourraient être mises en avant pour aller plus loin dans ce couplage qui a été proposé entre industrie, recherche et enseignement supérieur.
M. le président.- La parole est à M. Fosseprez au nom du groupe de la coopération.
M. Fosseprez. - Monsieur le ministre, j'ai peur de revenir sur des questions très terre à terre. Le groupe de la coopération est tout à fait mobilisé sur les problèmes d'aménagement du territoire, les coopératives agricoles plus spécialement puisqu'elles sont ancrées dans ces territoires. En ce qui me concerne, j'y suis d'autant plus sensible que je suis dans une zone en désertification, moins de 5 habitants au kilomètre carré, et pour voir un film le dimanche après-midi, il faut parcourir pas moins de 200 kilomètres aller-retour.
Je voudrais vous interpeller, monsieur le ministre, sur deux points précis parce que nous avons le sentiment que, parfois, il y a des activités et notamment dans le domaine agricole sur lesquelles il faut encore fournir des efforts et qui peuvent contribuer à maintenir un minimum d'aménagement du territoire.
Premièrement, il y a quelques jours seulement, nous avons approuvé dans cette instance un formidable rapport sur les bioénergies par notre collègue Pasty. Nous sommes prêts au niveau du groupe de la coopération ; nous considérons que la France a pris un retard considérable par rapport à nos partenaires et concurrents mondiaux, retard pris également par nos propres partenaires européens (Allemagne, Espagne). Sur ce premier point, nous aimerions savoir, monsieur le ministre, si nos initiatives ont des chances d'aboutir. Il nous semble qu'elles pourraient contribuer au maintien de la valeur ajoutée et de l'activité dans des territoires qui n'ont peut-être pas l'attractivité que l'on vient de revendiquer puisque bien souvent éloignées des métropoles.
Deuxièmement, une question plus d'actualité, dans nos productions comme dans toute production industrielle, il faut produire, mais il faut vendre et bien souvent il faut transporter. Nous sommes actuellement sous le joug d'une décision de la SNCF d'augmenter ses tarifs fret de 15 % en moyenne sur l'échiquier français, avec des variables allant de 10 à 25 %.
Autrement dit, nous allons aujourd'hui perdre de la compétitivité dans nos filières agricoles, perdre de la faculté d'aménagement du territoire éventuellement, et nous allons également avoir certaines zones où la desserte sera purement et simplement supprimée. Cet argument est valable pour les productions végétales, mais également pour les bois. A Châtillon sur Seine, une gare a été inaugurée pour le conditionnement et l'expédition du bois par voie de chemin de fer. On parle d'arrêter la desserte de cette gare.
Je me pose la question de savoir si dans ce pays, on a un petit peu de logique et essayer de faire tout et son contraire. Il faut absolument maintenir une politique des transports pour avoir un minimum d'aménagement du territoire. Aujourd'hui, nous voyons bien que ce qui est en train de se passer au niveau de cette politique du fret SNCF est relativement catastrophique et va, au contraire de tout ce que l'on dit, contribuer plutôt au déménagement de certaines activités économiques.
M. le président. - Monsieur le ministre.
M. de Robien. - Sur la deuxième question, je vais répondre et M. Jacquet répondra sur la première partie.
Je dois vous dire de façon la plus nette que l'année dernière, le fret ferroviaire était condamné sur l'ensemble du territoire. Je n'ai pas les chiffres précisément en tête, mais c'est autour de 300 ou 400 millions d'euros de pertes. L'année dernière, pratiquement toutes les pertes de la SNCF se concentraient autour des pertes du fret. En 40 ans, 40 % de parts de marché ont été perdus : 1 % par an.
Par conséquent, la question que nous nous sommes posée au ministère et à la SNCF est de savoir si le fret était définitivement condamné ou si nous allions vraiment lancer avec la SNCF le défi de la reconquête du fret ferroviaire. Nous avons donc demandé à un expert de nous rendre un rapport, et aujourd'hui le plan Veyron est en train de se mettre en place. Il rencontre des difficultés parce que les difficultés sont d'ordre humain. Il y a forcément des remises en cause de telles ou telles lignes, de tels ou tels services. Il y a des recherches de gains de productivité pour que les trains ne s'arrêtent pas en rase campagne parce que le temps de travail du cheminot ou du conducteur est terminé, et que le train ne soit pas mis sur une voie de garage pendant 2 ou 8 jours le cas échéant ; l'on a vu des trains perdus pendant 15 jours ou 3 semaines avec du fret dessus et pas seulement pendant les grèves.
Il faut savoir que c'était cette situation. De cette situation, nous voulons faire un rétablissement spectaculaire et nous voulons reconcentrer, recentrer l'activité du fret en repartant des lignes, en repartant des exploitations, en repartant des marchandises qui peuvent retrouver un point d'appui sur une exploitation équilibrée ou assez rapidement rééquilibrable. Voilà l'objectif du plan fret.
J'en veux pour preuve deux chiffres. Lors du CIADT du 18 décembre, 70 % des investissements qui sont annoncés et financés sont des investissements qui sont non routiers. Un chiffre encore plus précis : 800 millions ont été consacrés en 2004 à la reconquête du fret ferroviaire. C'est vous dire comme nous y croyons.
S'il y a pour des exploitations, par exemple agricoles ou pour des exploitations forestières, des points qui auraient échappé à la vigilance de la SNCF et qu'il faut soutenir, n'hésitez pas, monsieur le conseiller, à nous le dire. Nous sommes là pour attirer l'attention de la SNCF. Si vous pensez qu'il y a vraiment un marché même déséquilibré temporairement et que l'on peut reconquérir, nous serons là pour vous appuyer.
M. le président. - Merci, Monsieur le ministre. La parole est à M. Jacques Gérard représentant les Français de l'étranger.
M. Jacques Gérard. - Merci, Messieurs les membres du gouvernement, Monsieur le président, Monsieur le délégué, Mesdames et Messieurs, chers collègues, vous ne serez pas surpris que représentant les Français établis hors de France, je vous dise, monsieur le ministre, que l'attractivité de la France ne réside pas seulement dans son site France. Elle se développe aussi à l'étranger, promue par les 100 000 à 250 000 entreprises à capitaux français et étrangers (PME, TPE, PMI) non filiales de groupes français.
Le Conseil économique et social vient d'ailleurs de réaliser une étude qui est en publication, que vous ne tarderez pas à recevoir, sur ces créateurs indépendants à l'étranger qui ne sont pas des délocalisés, mais des localisés à l'étranger. Je dis " localisés à l'étranger " car en effet, 70 % de ceux qui ont répondu à nos travaux étaient déjà hors de France quand ils ont créé leur entreprise, soit à l'issue d'un VSNE, soit de plusieurs séjours comme salarié d'une entreprise. Newton disait il y a quatre siècles que les hommes construisaient trop de murs et pas assez de ponts ; la plupart de ces hommes créent des ponts et passent leur temps à promouvoir les technologies et les produits français.
Quelle place pensez-vous accorder à ce formidable réseau de rayonnement français à l'étranger dans votre projet sur l'attractivité de la France ?
M. de Robien.- La meilleure possible, monsieur le président. Votre question est vaste. On a beaucoup parlé, et c'est normal, de délocalisation. On a parlé de perte d'emplois. La France est d'abord un pays qui va à la conquête de marchés et qui sait le faire, à l'étranger. Ce n'est pas un pays frileux qui se replie dans un hexagone et qui perd des emplois car, ici et là, il y a des attaques de la concurrence. C'est aussi un pays qui s'est aller de l'avant et qui, grâce aux Français de l'étranger notamment, sait conquérir des marchés et ramener à la fois du savoir-faire mais aussi une partie de la richesse, car cela reste totalement des entreprises françaises qui, à l'étranger, sont un fleuron, le drapeau de la France, mais aussi qui savent développer leur savoir-faire. C'est une des fiertés de la France que de savoir faire à l'étranger.
Moi qui, dans ma fonction actuelle, voyage beaucoup, j'ai eu l'occasion il y a trois semaines de faire onze pays étrangers, tous européens, en huit jours, à raison de quatre heures ou cinq heures par pays. C'est peu et c'est beaucoup à la fois. C'est peu, car on a toujours des regrets, on est frustré de partir dans un pays que l'on aimerait découvrir davantage. Mais c'est beaucoup, car à chaque fois j'ai rencontré cinq, dix, quinze, vingt Français qui, à travers une agence de ceci ou de cela, ou dans la fonction publique, mais souvent dans l'entreprise, représentent la France dans ces pays. Chaque fois, on a une réunion d'une heure ou deux, et on en a ressort avec un énorme sentiment de fierté quand on voit le développement de ce savoir-faire français grâce à ces localisés à l'étranger qui sont toujours à la fois des pionniers, des Français fiers de l'être et fiers aussi de montrer ce qu'ils savent faire à l'étranger et fiers de montrer ce qu'ils savent faire aux étrangers.
M. le président. - Merci. Monsieur Jacquet, vous aviez une réponse à apporter ?
M. Jacquet.- Il y avait deux questions en une. D'abord, le problème de l'énergie et des bioénergies ; ensuite, que devient notre monde rural dans tout cela ?
Le sujet de l'énergie est tout à fait majeur. La France est un peu à la pointe en Europe et dans le monde sur sa capacité à développer des énergies aussi bien classiques qu'innovantes. Le contexte énergétique mondial ne peut que nous encourager, aujourd'hui, à miser sur une sorte de pôle de compétitivité, sur de nouvelles énergies et tout particulièrement sur la bioénergie. Le cours du pétrole d'aujourd'hui donne un peu plus encore d'intérêt à cette filière.
Quant aux problèmes du monde rural, on ne dit pas assez que notre monde rural est, bien sûr agricole, mais aussi industriel. Notre monde rural doit avoir à peu près 30 % de ses effectifs qui sont dans l'industrie, alors que la moyenne de la France est aux alentours de 25 %. Notre monde rural a une dominante industrielle et bien évidemment, le devenir de ces industries est quelque chose de tout à fait majeur. Quand on parle de pôle de compétitivité, il ne s'agit pas de constituer de grands pôles d'envergure internationale en oubliant toutes les richesses économiques et industrielles qui existent sur l'ensemble de nos territoires. Il faut donc peut-être imaginer une politique qui donne toute sa place à chacun.
Simplement, l'idée de base, c'est d'aider les uns et les autres à travailler ensemble, à se coupler avec de l'université, de la formation, à se coupler avec de la recherche, et que tout cela travaille en très, très bonne harmonie avec les collectivités territoriales. Cela, si c'est possible, sur un très grand site, que ce soit l'aéronautique à Toulouse, c'est totalement possible aussi dans le Massif central sur le pôle de Saint Cigolène qui fait 30 % du marché du film plastique en Europe. C'est ce couplage entre les différents intervenants qui peut peut-être donner un peu plus de compétitivité et ce concept de pôle de compétitivité doit jouer pour les grands, les moyens, mais aussi les petits.
M. Delmas. - Monsieur le Ministre, dans le document que nous avons, et aussi le tableau qui apparaissait tout à l'heure, on lit en page 10 "Cependant, on ne peut ignorer que les délocalisations sont déjà en uvre pour certaines activités traditionnelles comme, par exemple, un certain segment de la filière textile et habillement." Or, c'est là que l'on a perdu le plus d'emplois et de savoir-faire.
C'est un problème franco-français, mais aussi européen, car nos amis italiens qui étaient très en pointe, hélas régressent aussi par rapport aux productions, notamment celles qui viennent de Chine. Nous avons eu dernièrement, à l'initiative du Président Larose de la CGT, ancien responsable de l'habillement dans cette fédération, une réunion des partenaires sociaux ici. C'est le président Dermagne qui a initié les débats.
Quand on pose ce problème sur la filière textile, on répond souvent par la pharmacie. On dit que l'on ne va plus produire cela, mais que l'on va pouvoir produire autre chose et dans d'autres conditions. Un certain nombre d'entre nous pensons qu'il faut essayer de sauver au niveau européen, et pas seulement français, ce qui existe, ce qui a économiquement encore un avenir, mais (je suis toulousain) quand on vend un avion, on n'achète pas des pantoufles en échange. A un moment donné, au niveau européen, peut-on envisager des droits de douane ?
M. de Robien.- Je vais essayer vous répondre de façon plus générale, et pas par oui ou non sur les droits de douane, car c'est presque une question qu'il faudrait poser au ministre d'État des finances et j'imagine que la réponse serait non. Mais après tout, que l'on en discute, là, on a le droit de discuter.
On a beaucoup parlé cet après-midi de délocalisations. Je rappelle que le rapport que vous examinez montre que la France reste un pays très actif sur le plan économique. On peut parler de pantoufles et d'Airbus, il n'est pas sûr que l'on ne donne pas aux gens qui montent dans les Airbus, au moins dans les classes privilégiées, des pantoufles ! Où sont-elles fabriquées, je ne sais pas, mais la France reste un pays très actif et on a plutôt tendance à mettre en avant des entreprises emblématiques comme Airbus, car tout le monde ne connaît pas les robinets de Vimeu.
Comme vous êtes tous des femmes et des hommes de réflexion et de terrain, vous savez que la situation n'est pas perçue comme cela: la France, pays actif industriel se développant avec une forte croissance et beaucoup de richesse. Mais dès que l'on franchit certaines frontières européennes, il y a trois semaines, le soir où j'ai logé à Berlin, l'ambassadeur me disait: " Si vous saviez combien les Allemands considèrent que la France est un pays actif en développement fort par rapport à eux-mêmes ! "
Quand on arrive en France, me disait-il, on a l'impression que les Français cultivent une certaine morosité, la morosité est en Allemagne, les Allemands envient la France. Je le rappelle pour relativiser les choses et remettre certaines idées en place, en tout cas les miennes, j'aime bien les remettre en place avec des souvenirs comme ceux-là.
Il est vrai que, quelque part, la disparition d'un emploi industriel en France traumatise les Français et à juste titre, mais on pourrait dire que ceci prouve combien les Français sont restés aussi industriels dans leur état d'esprit, et c'est heureux ; le fait qu'ils éprouvent un traumatisme quand ils perdent un emploi industriel prouve qu'au fond d'eux-mêmes ils sont attachés à notre tissu industriel.
Qu'en est-il des délocalisations d'emplois quand elles arrivent ? Je voudrais rappeler qu'elles restent d'un poids relatif, tout à l'heure, on parlait des français à l'étranger, je peux vous dire qu'aujourd'hui, les pertes d'emplois constituent seulement 4 % du stock des capitaux français investis à l'étranger.
Quand je vous disais que la France reste un pays investisseur et entrepreneur, je pense qu'avec ce chiffre-là, cela relativise. Bien sûr, c'est une vision globale, bien sûr, c'est une vision macro-économique, cela doit être nuancé en fonction des secteurs d'activité y compris celui du textile. J'ai un exemple, là encore dans une ville que M. Bury connaît bien comme Amiens, un créneau comme le velours de luxe a des difficultés pour une entreprise que vous connaissez aussi, Monsieur le délégué à l'aménagement du territoire, il n'empêche qu'une entreprise allemande est en train de s'y intéresser fortement, quelque part, il manquait des capitaux en France. Cela intéresse les Allemands pour développer un secteur extrêmement pointu dans un secteur de luxe où il ne reste peut-être qu'une ou deux entreprises en Europe qui a ce savoir-faire là.
Je suis convaincu que, plus généralement, la réponse n'est pas législative ni réglementaire ; elle se situe d'abord et avant tout dans le renforcement de l'attractivité de la France et de chaque bassin économique. Je parlais du Vimeu tout à l'heure, qui peut imaginer, quand on ne connaît pas le bassin du Vimeu, que dans une grande région comme la Picardie, qui a quand même plus de chômage que la France, qu'il y ait une micro-région (le Vimeu) où le taux de chômage est moitié de celui du reste de la France ? Il doit y avoir 5 % de chômage dans cette micro-région parce qu'il y a du savoir-faire dans la robinetterie et dans la serrurerie. Il y a tout un réseau autour du décolletage, du fraisage, de la fonderie, du savoir-faire, aidé par les pouvoirs publics qui a su se fédérer pour avoir cet emploi et cette richesse.
Comme je vous le disais dans mot propos introductif, je pense que le développement des pôles de compétitivité, c'est-à-dire des réseaux matériels et immatériels, constitue l'un des meilleurs remparts aux délocalisations. C'est pour cela que le gouvernement entend développer son action pour promouvoir ces réseaux-là.
M. le président.- Merci, Monsieur de Robien.
M. de Saint-Sernin.- Monsieur le président, je me permets de compléter la réponse du ministre concernant la situation propre au textile, à l'habillement et au cuir. Notre souci est évidemment la fin de l'accord multifibres qui prend fin le 1er janvier 2005. C'était un accord qui prenait en compte la situation des quotas, qui limitait les exportations et donc les importations dans notre pays. Nous avons très peur que la fin de cet accord nous mette directement en situation de non-concurrence et d'envahissement des produits chinois.
En dehors de tout ce qu'a dit le ministre, je crois qu'au niveau de l'Union européenne, - et je me suis déplacé à Bruxelles pour le dire - il peut peut-être y avoir la prise en compte dans le cadre européen de ces situations industrielles qui correspondent à des réalités sur nos territoires et que nous devons absolument défendre à partir du moment où l'accord multifibres prend fin au 1er janvier 2005.
M. le président.- Merci.
Chers collègues, ainsi se terminent les interventions des ministres de l'aménagement du territoire et de son délégué.
Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire d'État, Monsieur le Délégué, permettez-moi d'exprimer la reconnaissance de tous les représentants des grandes organisations de la société civile française pour votre venue parmi nous directement sans aucun intermédiaire nous exposer ce que sont vos orientations et vos convictions, les unes et les autres ne peuvent que nous orienter dans le choix de nos travaux sur les mois et les trimestres qui viennent.
Messieurs, un grand merci à vous. Chers collègues, merci à vous tous de votre active participation.
(source http://www.conseil-economique-et-social.fr, le 23 juillet 2004)